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À Paul - Iman » Institut de Management...

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©ÉditionsAlbinMichel,2010

ISBN:978-2-226-20626-8

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Tabledesmatières

Pagedetitre

PagedeCopyright

Tabledesmatières

Préambule

1.-Ledealdetrop

2.-LegouvernementGoldman

3.-Lesmoinesbanquiers

4.-Prédateursetproies

5.-LejeuneFrankensteinestfrançais

6.-Conflitsd’intérêts

7.-Le«p’titgarsdeBrooklyn»

8.-UnparadoxenomméObama

9.-L’argentroi

10.-Chiensdejournalistes!

11.-LamaisondesBRICs

12.-LeLundinoir

13.-Trèschersamis…

14.-GoldmanSex

15.-LaTerrepromise

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16.-Lesaffairessontlesaffaires

17.-Aucasino

18.-Unmondedebrut

19.-Troishommesetuntrône

20.-CasserGoldman?

Conclusion

ANNEXES

1.-GoldmanSachs:NosPrincipes

2.-Chronologiedelacrisefinancière

2007

2008

3.-Lexique

4.-Quesont-ilsdevenus?

Bibliographie

Enguisederemerciements

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Préambule

«JefaisletravaildeDieu»:mêmes’ilétaitcenséêtreuneblague,ceproposduP-DGdeGoldmanSachs,LloydBlankfein,résumelafantastiquesoifdepouvoirmégalomaniaquedeLABanque:lafirmequidirigelemondedansleplusgrandsecret.Derrièreuneloidusilencequepersonnen’avaitjamaisosébriserdepuissafondationen1868,Goldman,ouGS,commeonditàWallStreetetàlaCitylondonienne–lesdeuxplusgrandesplacesfinancièresmondiales–peut-ellevraimentdominerlaplanète?Etsilaréponseest«oui»:Pourquoi?Comment?

La crise qui a commencé à l’automne 2008 – krach boursier, récession économique – a propulséGoldmanSachs, jusque-là totalement invisible, à la « une » de l’actualité.Du jour au lendemain, trèsexactementdanslanuitdu15au16septembre2008,lepublicadécouvertl’existencedecetteinstitutionquiprétendfairele«travaildeDieu».Traduire:régnersurlafinancemondiale.Surquelquesmilliardsdemilliardsdedollars…

Depuiscesinistreautomne–àjamaisprésentdansnosmémoires–,Goldmanestpartout:lafaillitede labanqueLehmanBrothers, la crisegrecque, la chutede l’euro, la résistancede la financeà touterégulation,lefinancementdesdéficitsetmêmelamaréenoiredugolfeduMexique.

Grâce à notre enquête – et au fil des révélations sur les affaires douteuses à laquelle cetteprestigieusemaisons’esttrouvéemêlée–,levoileselèveaussisurlepassé:laspéculationsurlesprixdupétrole,lacréationdemonopolesindustriels,lerecyclagedesinformationsdanslesystèmefinancier,l’aveuglementdesautoritésdecontrôleoulesliaisonsdangereusesaveclesraiders.

Car Goldman Sachs avance ses pions sur l’échiquier mondial par le truchement d’un réseaud’influenceinégalé,jusquedanslesgrandesorganisationsinternationales.Lamaisongèreunempiresurlequellesoleilnesecouchejamais.

Obsédéeparsapuissance,ellen’aplusd’étatsd’âme:auméprisdel’éthiquelaplusélémentairedela vie des affaires, elle est accusée de trahir ses propres clients – et, par ricochet, vos fonds deplacement, chers lecteurs ! Pourtant elle se vante d’avoir des principes, une morale : c’est la bibleGoldman,reproduiteicipourquel’informationsoitcomplète1.

IlrestequeLABanquejoueetgagne:selonsesdétracteurs,Goldmanneseraitplusdésormaisqu’uncasinospéculatifplanétaire,pariantsurtoutetn’importequoi.Maispeut-elleencorefairefaillite?

La sagadeGoldmanSachs est, envérité, un thriller financier fascinant et implacable.En tant quejournaliste financier, en poste successivement à NewYork, Bruxelles,Washington et Londres, je n’aicessédechercheràcomprendrecommentfonctionnecefiefdel’argent.

En sillonnant la planète pour raconter les grandes affaires économiques de notre époque, j’airencontrélesprincipauxacteursdecetteodyssée,deRupertMurdochàHenryPaulson,deLakshmiMittalàJamesGoldsmith,deLordBrowneàRobertMaxwellouRichardBranson.J’aifréquentédesassociés-gérantsdeGoldmanSachs,deNewYorkàLondres,enpassantparHongKongetParis.

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LedébutdemondeuxièmeséjourlondonienacoïncidéaveclefameuxbigbangdelaCity,en1986,quiaouvertlaporteauxétablissementsfinanciersétrangers.J’aivucommentGoldmanSachsavaitprispied lentementmais sûrement àLondres d’abord, dans toute l’Europe ensuite.Depuis, cette institutionunique a participé aux heurs et malheurs de la finance mondiale, aux séismes boursiers comme àl’explosiondesproduitsfinanciers,àlarévolutiontechnologiquecommeauxbonusmirobolants.

DaviddeRothschildestvraimentcharmant,aveccesourirequinelequitte jamais.Danslemilieudes grands carnassiers de la haute finance, ce patricien moderne offre en prime une gentillesse, unecourtoisieetuneéléganceraffinéenaturelles(ah!lasubtilepochetteblanche!).Avecsaminedenotable,notrehôtepourraitn’êtrequ’untrèsclassiquebanquierouavocat,uneimagevolontairementlowkeypouremployer cette langueparticulière, entre le français et l’anglais, queparlentvolontiers lesRothschild.C’estavanttoutunfinconnaisseurdelascènefinancièrequ’ils’apprêteàquitter.

Avantcedîneren têteà tête, le28avril2010,chezWilton’s, lemeilleur restaurantdepoissondeLondres,fondéen1742,lebarondelaCitym’avaitprévenu:«J’évitedeparlerdenosconcurrents,deleurssuccèscommedeleursrevers.»Aucunnomn’aétéprononcéaucoursdecetterencontreaveclechefdesvénérablesenseignesbancairesRothschilddeLondresetdeParis.

Etpourtant,enlisantentrelesligneslerésumédecetteconversationàbâtonsrompus,toutestdit–ousuggéré–surlesdérivesdelahautefinancedepuisquelquesdécennies.

«L’enseigneRothschildaété trèsactivedanslesprivatisations,maisnousavonspeuconseillé lesÉtats en matière de finances publiques. Ce n’est pas notre principale priorité. » Une pique discrèteenvoyéeàquidedroit.

«Nousnousadressonsàdesclientsprivésouàdesentreprisesquirecherchentleservicedontilsontbesoindansunsoucid’éthique,decompétenceetdeprofessionnalisme,poursuit-il.Pourlesentreprises,notreplus-valueestdepermettreàdesgensquiveulentfairedeschosesensembledelesréaliser.»C’esttoutelaquestiondesconflitsd’intérêtsquitraversentlesgrandesbanquesd’affairesquisurgitàtraverscetteformulecodée.

«Letradingn’apasdesenspourunecompagniecommelanôtre.Ilfautdetrèsgrosfondsproprespourexercerdesmétiersàrisques.»Voilàencoreuneprisededistancevis-à-visdesétablissementsquijouentsurtoutetontprisdesrisquesénormescesdernièresannées.

Aucoursdel’enquêteestfinalementvenulemomentdeseconfronteràcettepuissance.Quandj’aiprévenu Goldman Sachs de mon projet de livre pour obtenir des rendez-vous avec la direction, lapremièreréponseaétéplutôtpositive:«Onvousfaciliteralatâche…»Aprèsdessemainesdesilence,lasentenceestfinalementtombée,d’unecourtoisiesansappel:«Désolé,iln’estplusquestiondevousaider.»Findenon-recevoiretsalutationsdistinguées.LABanqueestdonc lapremièrebiographienonautoriséejamaispubliéesurGoldmanSachs.Àl’exceptiondetroisrencontresdedernièreminuteavecdesdirigeantsfrançaisdeGoldmanSachs,leshautsresponsablesàNewYork,lecœurdelafirme,etàLondres, où est installé l’essentiel du négoce, garderont bouche cousue. La centaine de questionsadressées auP-DG,LloydBlankfein, sont restées sans réponse.La forteresse s’est ferméecommeunehuître.Nilettresd’avocatsniappelsdeconseillersencommunication.Justelesilence,recroquevillésurladignité(oucequ’ilenreste,c’estselon).Unsilencelourddesensalorsquel’heureestgravepourlagrandemuettedelafinance.

Leproblèmepourlabanqued’affairesestqu’elleestobligéedesedévoiler.Lesanciensassociés-gérants, lesex-cadres, lesconcurrents, lesclientsoulespolitiquesparlentaujourd’hui,aprèsavoirététenustoutescesannéesparuneomertad’airain.

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L’idéedecelivreabiensûrgermédanslafouléedelacrisefinancièredel’automne2008.Maisleprojet est aussi étroitement lié à mon passé professionnel. Entre 1978 et 1980, j’ai travaillé commejournalisteàReutersàLondres.Lesiègedecetteprestigieuseagencedepresse,surFleetStreet,faisaitfaceauxrédactionsduDailyTelegraphetduDailyExpress.Depuismonpostedetravailauworlddesk,jepouvaisadmirercesdeuxmerveilleuxbâtimentsart-décoimmortalisésdanslabandedessinéeBlakeetMortimer.Jepassaisquotidiennementdevantcesédificespourgagnermonpubfavori,pointd’ancragedesjournalistesdela«ruedel’encre».

Goldman Sachs International, la branche européenne occupe aujourd’hui ces deux bâtisseshistoriques.Alentour, à l’heuredudéjeuner,onn’ycroiseplusquedeshommesàcostumebiencoupéfaisantlaqueuedevantlesinfâmesbarsàsandwichs,outraînantunevaliseàroulettes,lepasconquérantmais l’airdeseréveillerd’unenuit tropcourte.Les trognesrubicondesetdilatéesàenfairepéter lescolsdes reportersprenant le tempsdevivreetdeboireontdisparu. Iln’estplusquestionde flâneràFleet Street, de s’arrêter ici et là dans ce « village » de petits commerces. Il faut courir. Dans cettenouvelle Mecque du pouvoir et de l’argent, on côtoie financiers de haut vol et avocats d’affaires,capitaines d’industrie et livreurs, secrétaires et pythies de Footsie, l’indice synthétique des valeursboursièresdeLondres.Autraversd’uneenseignequidominelaplanète,GoldmanSachs,onvoitdéfileren filigrane une existence de salons d’aéroports, de suites présidentielles dans des palaces, de jetsprivés,delimousinesauxvitresteintées,decartesdecréditGoldetdeparadisfiscauxsouslescocotiers.

Unautresouvenirmeramèneàuneinterviewquem’avaitaccordéeHenryPaulsonen1994,àNewYork.J’avaissympathiséavecEdNovotny, leconsultantchargédelacommunicationdeGS,unancienchampiondufaitdiversfortengueule,engagépourfaireparlerlemoinspossibledela«boîte».J’avaistantinsistéquel’entremetteurm’avaitdécrochéunrendez-vousavecPaulson,numérodeuxdeGoldmanàl’époque : un vendredi à 17 heures, au 85Broad Street, le siège de LABanque. J’y étais resté deuxheures, dans la cage vitrée qui servait de bureau à Paulson, devisant avec lui de l’état du monde etaccessoirement de sa société.Le futur secrétaire auTrésor duPrésidentBushm’avait ensuite invité àrejoindreungrouped’associéspourl’apéritifdefindesemaine.Leslanguess’étaientdéliées.Onavaitbeaucoup ri, se promettant de se revoir à Londres. J’ai gardé un excellent souvenir de cette soiréeimprovisée–impensabledenosjours–,enraisondel’hostilitéentredécideursetmédias.Autrestemps,autres mœurs. Une fois publiés sesMémoires, Paulson passe sa retraite à observer les oiseaux, sapassion.Edestmort.Etlesautresinvitésauraoutontdisparudanslesoubliettesdel’histoirefinancière.

Avantdemelancerdanslarédactiondemonlivre,LaDernièreReine,consacréàElizabethII,unmembredel’état-majordeBuckinghamPalacem’avaitprévenudeladifficultédela tâcheencitantunconseillerduroiGeorgeVavertissantl’auteurd’unebiographieautoriséedusouverainbritannique(audébut duXXe siècle) : « Vous n’avez pas été convié à écrire sur un homme,mais sur unmythe. » Àl’inversedupalaisquim’avaitouvertgrandsesportes,GoldmanSachsfaittoutpourdécouragercetyped’entreprise.Larègledu«Circulez,iln’yarienàvoir»afaitsespreuvesjusqu’àlacrisede2008.Lesmédiass’intéressaientpeuàcesmaîtresdumondepourunesimpleraison,commeonditfamilièrement:ceux qui savaient ne parlaient pas, et ceux qui parlaient ne savaient pas. L’opinion ignorait jusqu’àl’existence de la firme.Même le rayon «Économie » des librairies était vide, rien sur la question, àl’exceptiondedeuxhagiographiesofficiellesdel’entreprise,jamaistraduitesenfrançaisetquiauraientpuêtreécritesparsonservicedecommunication.

Aujourd’hui, lesouvrages traitantde lacrise financièreabondentdans toutes les langues.Mais leslivrespubliésauxÉtats-UnisetauRoyaume-Unisouffrentdutropismeanglo-saxon.Levoletinternationalesttotalementpassésoussilence.Silaveineestprofonde,lefiletn’estpastrèsrichepourunlecteurnonaméricain.Ilyavaitlàunelacuneàcombler.

La puissance de Goldman Sachs, les scandales qui l’entourent sont bien sûr pain bénit pour lesadeptesdesthéoriesducomplot.Lecultedusecretentretenuparlamaisonestmalheureusementpropice

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àlapropagationderumeurs,d’informationsdesecondemain,difficilesàvérifier.J’aivouluàtoutprixéviter le contemoral recouvrant le classique affrontement entre leBien et leMal, de tomber dans letraversconsistantàattribuerdespouvoirsmaléfiquesàceuxqui réussissentaussi,d’abord,à forcedetravail.LABanquen’estdoncnil’incarnationduBiensurterrenilapuissancediaboliquequebeaucoupdécriventaujourd’hui,ycomprisenAmérique.

Goldmanfaitci,Goldmanfaitça.L’enquêteurquiveutexplorerlescoulisses,lesrègles,lescodesetles petits secrets du saint des saints de la finance internationale est pris de vertige. L’ampleur desactivitésdel’empireestaujourd’huisidérante.

Ledernierdéfiétaitderacontercettesagad’unemanièrequisoità lafoiscompréhensiblepourlespécialistedelafinancecommepourleprofane.J’espèreyêtreparvenu.

1-Voirannexe1,p.279.

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1.Ledealdetrop

AntigoneLoudiadisressembleàunjeunechat,lesbabinesretroussées:«Àquoiallons-nousjouermaintenant?»Onditl’intéresséeintimidante,untantinethystérique,trèsintelligentemaistyranniqueavecsescollaborateurs.Ellealaréputationd’aimerlerisqueetdesavoirvendre.SurnomméeAddy,ladameest banquière chez Goldman Sachs International à Londres. Cette spécialiste des produits financierscomplexesestaussid’originegrecqueet fièrede l’être.Diplôméed’Oxford,ellesedécritcommeune«obsédéedutravail,fumantcigarettesurcigaretteavecunagendasaturé».C’estellequiaaidélaGrèceàcamouflersadette.Grâceàsoninventivité,lepaysapurejoindrelazoneeuroen2002enrespectantofficiellementlescritèresdeMaastrichtentermesd’endettement.

LemontagefinancierdontAddyaeularesponsabilitéafaitgagneràsonemployeurunepetitefortunetoutenprovoquant,neufansplustard,laplusgravecrisedelazoneeuro.

Pourtant, en 2001, laGrèce n’intéresse guèreGoldman Sachs, absorbée, à l’époque, par les paysémergentsquicommencentàattirercertainesgrandesbanques.Poursapart,GoldmanSachsInternationalmetl’accentsurl’Allemagne,l’Europedel’EstetlaTurquie.Labanquen’apasdefilialeàAthènes.Lesdossiersgrecs,à l’instardes financementsducommercemaritime, sont traitésdepuisLondres,oùsontinstalléslesarmateurshellènes.

En1999,lorsquelacréationdel’euroestdécidée,laGrècenepeutadhéreràlamonnaieunique.Surlepapier,lesconditionsdeparticipationaudispositifsontcellesdescritèrestrèsrigoureuxénoncésparletraitédeMaastricht:detteinférieureà60%duproduitintérieurbrut(PIB),déficitbudgétairesousles3%.LaGrèceestloinducompte.Àl’époque,résolusàasseoirlaréputationdelamonnaieuniqueenaccueillantleplusdepayspossibledansledispositifpourdissuaderlesspéculateurs–déjà!–des’yattaquer,lesdirigeantsfrançaisetallemandspressentlaCommissioneuropéenned’accepterlaGrèce.LaCity et Wall Street doivent y croire. Les deux places financières voient en effet d’un mauvais œill’arrivéed’unconcurrentpotentiel,Francfort, siègede laBanquecentraleeuropéenne.FascinécommetouslesItaliensparlesfinanciersanglo-saxons,leprésidentdelaCommission,RomanoProdi,faitdelarésistanceàl’élargissementdelazoneeuro.Qu’importe!Lecommissaireeuropéenchargédesquestionséconomiquesetmonétaires,leFrançaisYves-ThibaultdeSilguy,l’undesarchitectesdupassageàl’euro,faitdecettevisionélargieunequestionpersonnelle.Tous lespaysdunouveauclubn’ont-ilspas leurspetitsarrangementscomptablespourremplirlescritèresdeMaastrichtenminorantleurdéficit?Aubaldeshypocrites,embrassons-nousFolleville…

LegouvernementgrecdemandealorsàGoldmanSachsdel’aideràtrouverdesmoyensastucieuxafinde rejoindre la zone euro, au lendemain de la création de la nouvelle devise. Athènes veut surtoutdissimuler l’ampleur de ses déficits. Pour ce faire, le cabinet conservateur, dirigé par Constantin

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Caramanlis,entendnotammentsedébarrasserdupoidsdesdépensesmilitaires–substantiellesenraisonduconflitlatentaveclaTurquie–danslescritèresdesdépensespubliques.

PourquoiGoldmanrefuserait-ellepareilmandat,hautementrémunérateur,unesorted’habillagelégaldebilan?Malgrélesdifficultésdesrapportsaveclasphèrepolitique,souventimprévisibles,l’aideauxÉtatsestaucœurdumétierdebanquierd’affaires.Silesétablissementseuropéensonttendanceàlaissercegenredetransactionauxcabinetsd’experts-comptables,leursconfrèresaméricainsoffrentcourammentetentoutelégalitécetypedeservice.D’autrespaysdel’Unioneuropéenneontfaitappelausavoir-fairedes grandes institutions financières pour « optimiser » la gestion de leurs comptes. L’Italie a faitexactementdemêmeaveclabanqueaméricaineJPMorgan.

PourGoldman Sachs, laGrèce devient donc soudain une aubaine. Comment nier qu’un petit paysavec une infrastructure bancaire faible, des statistiques de finances publiques rudimentaires, uneéconomie aunoir florissantequi rend aléatoires les rentrées d’impôts et de taxes soit painbénit ?Ungéant financier exerce d’autant mieux ses talents que, en Grèce, la Bourse est dépourvue de règlescontraignantes,l’Étatbrouillelejeuéconomiqueetlespactesd’actionnaireslesplusalambiquéssontlarègle.

L’empireGoldmans’intéresseplusspécifiquementàlaGrècepouruneautreraison:lanaturedesadette. Il s’agitd’obligationscomplexes, indexéesàdescritères flousetqui seprêtentparticulièrementbienàlaspéculation.CesbonsduTrésormanquentdeliquidité.Lecalendrierd’émissionestaléatoire.Bref,toutl’inversedeladettefrançaiseparexemple,simple,prévisible,liquide,adosséeàunéchéanciertrèsprécis.

Danslacourseàl’euroetfaceauxspécificitésdeladettegrecque,untroisièmefacteurattisel’intérêtd’AddyLoubiadis:ladésorganisationd’Eurostat,l’instituteuropéendelastatistiquecenséêtrel’arbitreattitrédurespectdescritèresdutraité.Lelancementdel’euro,le1er janvier2002,adonnédessueursfroidesàEurostat,chargéd’harmoniserlesstatistiquesdesÉtatsmembresafindeconcevoirdesagrégatsàl’échelleeuropéenne.Ils’agitd’indicateursclésdansl’élaborationdelasurveillancebudgétaireetdela politiquemonétaire de la Banque centrale européenne.Mais, pris dans la tourmente d’un scandalefinancierinterne,l’officedesstatistiquesest,aumomentdel’affairegrecque,littéralementparalysé.Ennedisant rien, ses dirigeants acceptent de facto les comptes que lui présente le gouvernement grecdel’époque.

En 2004, Michel Vanden Abeele, le nouveau directeur général, chargé de la réorganisationd’Eurostat, refuse d’ailleurs de certifier les comptes du pays. Ses raisons ? La non-comptabilisationcorrectedecertainesdépensesmilitaires,notammentd’achatd’avionsaméricains,etlefloudelapriseen compte des aides régionales de l’Union européenne. Les réactions des ministres des Financeseuropéens?Inexistantes.Onmetl’affairesousletapis,pensantainsilafaireoublier.

Addy Loubianis, elle, a été promue associée-gérante en 2000. Le contrat avec Athènes doit luipermettre de faire taire les envieux pour qui sa promotion est due à la politique de « discriminationpositive»importéedesÉtats-Unisdontbénéficielesexeditfaible.Lesquestionsd’éthiqueetdemoralesont totalement étrangères à cette femme d’action qui saisit toutes les bonnes occasions de briller, enbonnecarnassièrequ’elleest.Sestalonsvernisauxclaquementsrésolusrefusentdes’embourberdansletapisdugalimatias.Danssa tâche,ellebénéficiede l’aidede l’équipespécialiséedans lenégocedesdevises,laplusréputéedelafirmeaveccelledesmatièrespremières.Pourarriveràsesfins,ellevaseservird’unmécanismepeuconnu.Sonnom?Lesystèmedecouverturederisqueappelécreditdefaultswaps,lesCDS.Simplecommebonjour.CommeEurêka!

Àce stadede l’histoire, tentonsd’expliquer ceque sont cesoutils complexes, incompréhensibles,devenuslesymboled’unespéculationoutrancière.Sileurappellationestbarbare,lefonctionnementdesCDSestsimple.Cesontdescontratsd’assurancesurunedettequigarantissentaucréancierqu’ilseraremboursémêmesisondébiteursedéfausse.Ilsoffrentdoncauxinvestisseurslapossibilitédelimiter

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les risques associés à des obligations, qu’elles soient émises par des États ou des entreprises. Autreavantage:lemarchédegréàgrédecetinstrumentfinancierestnébuleux.Lestransactionssefontdoncàl’abri des regards, loin des places boursières et de leurs règles contraignantes, sans intermédiaire niidentificationdesopérationsoudeleursauteurs.

Dans lecasdesobligationsgrecques,cemécanismepermetdeseprotégerdeseffetsdechangeentransformanteneurosladetteinitialementémiseendollars.LetauxdechangechoisiesttrèsfavorableàGoldman Sachs. Par ailleurs, le montant couvert par les CDS dépasse celui… de la dette publiquegrecque!Enmodifiant leséchéancesderemboursementdesacréance, laGrèces’engageàpayerà labanquedegrossessommesjusqu’en2019etce,àdesconditionsplusonéreuses,quiaggraventencoresesdifficultés financières. Dans l’esprit de la banquière, ces conditions quasi usuraires n’ont riend’offusquant. Goldman Sachs n’est pas mère Teresa. Le client, quémandeur, n’est pas en position deforce.Addysautesurl’aubaine.Niplusnimoins,nitropnitroppeu…

Son plan passe comme une lettre à la poste après un examen rapide par le comité des nouvellestransactionsdeGoldmanSachsInternational.«Ledossierétaithabilementtourné.Onavaitlatêtedansleguidon. Il y a tellement d’argent à gagner qu’on passe vite sur une affaire enfouie parmi des dizainesd’autres. Pas question de laisser passer l’occasion », se souvient un participant à la réuniond’approbationquiaquittélabanquepeuaprèslesfaits.

Ladistinctionentrelesachatseffectuéspour«secouvrir»–cesfameuxCDS–etceuxdontl’objetestpurementspéculatifesttrèsdifficileàévaluer.Maisqu’importepuisque,dansl’affairegrecque,toutle monde est gagnant. L’astuce permet à Athènes de faire momentanément disparaître des milliardsd’euros de dette en un tournemain. Pour sa part, Goldman empoche des marges juteuses et voit saréputationdebongestionnairededettesouveraineportéeaupinacle.

Maisàlongterme,lesintérêtsversésparl’Étatgrecserévèlentpluslourdsques’ils’agissaitd’unsimpleprêtbancaire.Sasignaturevaensouffrirdurablement.Sacrédibilitéentamée,laGrèceressembleaujourd’huiàunpassagerclandestindel’Unionmonétaire.

Lanationhellèneregardetraditionnellementversl’Ouestdepuisqu’auVesiècleavantJésus-Christ,ses cités refoulèrent les hordes perses. L’Union européenne, dont le pays est membre depuis 1981,apparaîtcommelamodernehéritièredescitésgrecquesantiques.Etl’eurosuccèdeàlaliguedeDélosque dirigeaitAthènes. L’Histoire et ses grands faits échappent àAddy. La prime de fin d’année, non.L’orgueildeneriendevoirqu’àsontalent–machiavélique–etlegéniedel’adaptationauxcirconstanceslaguident.PeuimportesiletrucagenelamènepasauPanthéon.

En2006,GoldmanSachsprendcependantsesdistancesaveclaGrèce.Pourgarderunpieddanslaplace,elledevient toutdemêmeconseillerde laNationalBankofGreece(NBG), lapremièrebanquecommerciale du pays. La banque a un allié de poids au sein de la NBG, Petros Christodoulos. Cespécialiste des produits dérivés a travaillé comme trader chezGoldman àLondres avant de rejoindreAthènesen1998pourprendreunpostededirectiondanslabanquededétailgrecque.Viaunesociétéoff-shoresituéedansleparadisfiscalaméricainqu’estleDelaware,ontransfère,nivuniconnu,unepartiedeladettepubliquegrecquesurlecomptedelaNBGpourbrouillerlespistes.

Enoctobre2009,lesocialisteGeorgesPapandréouremportelesélectionslégislatives.Unmoisplustard, Gary Cohn, numéro deux de Goldman Sachs, débarque à Athènes, accompagné d’investisseurs.ParmieuxfigureJohnPaulson,lepatrondufondsspéculatifaméricainéponyme,grosclientdeGoldmanSachs, aucœurdecequi sera le scandaleAbacus, ce fondsanimépar labanquequi luipermettradejouerdoublejeu.CohnetPaulsonproposentaunouveaugouvernement–socialiste!–defaireaveclebudgetdelaSantécequ’ilsontfaitaveclesdépensesmilitaires.Desurcroît,Goldmanoffredevendredegréàgré,àl’abridesregards,unepartiedeladettegrecqueàdesinvestisseursbasésenChine,paysoùellerègneenmaître.

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L’allurecalmeetsereinedeGeorgesPapandréouévoqueparfoiscelled’unsage.Illusionquedémenttoutefois le reflet malicieux des yeux bleus égayant un visage lisse. Prudent, méfiant même, voirerenfermé,sesréflexionssontméthodiques.Celan’estpasdugoûtdesbanquiersd’affairesquirepartentlesmainsvides.Leurpiège,cettefois,n’apasfonctionné.

Dans l’affaire grecque, d’un côtéGoldman Sachs s’est fait rémunérer comme banquier-conseil dugouvernement hellène ; de l’autre, elle a spéculé sur la dette du pays. Et voilà qu’en pleine crise del’euro,sonréseaud’influenceentreenscène.DansleFinancialTimesdu15février2010,OtmarIssing,ex-membredudirectoiredelaBundesbank,ancienéconomisteenchefdelaBanquecentraleeuropéenne,signeuntexteauvitriolhostileàuneopérationdesauvetageeuropéenne.Selonlui,pournepasmettreenpérillazoneeuro,Athènesdoitsedébrouillerseule.Issingsignecettetribuneenomettantdepréciserquedepuis 2006, il est… conseiller international de Goldman Sachs. Au même moment, le départementtradingdecetétablissementatoutàperdred’uneinterventiondesEuropéens.Goldmanjouel’euroàlabaisse,commetouslesspéculateurs.Enthéorie,uneopérationderescousseeuropéennenepeutquefairerebondirl’euro.L’hydreauxmultiplestêtes…

LesrévélationssurlesagissementsdeGoldmanSachsenGrècedéclenchentuntollé.LachancelièreAngelaMerkeljuge«scandaleux»quecertainesbanquesaientpuprovoquerlacrisedel’euroenaidantlaGrèceàtruquersescomptes.Lorsd’uncolloqueorganiséàLondres,lesPremiersministresespagnol,norvégien et britannique apportent leur soutien au quatrième invité, leur homologue grec. GeorgesPapandréourejettelafautesur«l’imprudence»dugouvernementconservateurCaramanlisprécédentetsurGoldmanSachs.Pouréviterunerééditionducasgrec, laCommissioneuropéenneentendrenforcerlesoutilsdesurveillanceetdesanction.Seule,autermed’uneenquêtebâclée,laRéservefédéraleestimequel’établissementn’apasaidéAthènesàcacherl’ampleurdesesdéficits.Certainsvoient, làencore,l’influencedu«gouvernementGoldman».

Lacrisegrecques’estrévéléeunemannepourles«gnomes»deNewYork.Labanqueaempochédescommissionstiréesdel’aideapportéeaugouvernementgrec.ElleaspéculédemanièreéhontéesurlesdifficultésdelaGrèceetcontrel’euro.Elleagagnésurtouslestableaux.

Cependant, la polémique a pris de l’ampleur dans lemonde entier. Devant lamenace de voir saréputation entamée, l’orgueilleuse banque d’affaires, imbue de sa supériorité, est contrainte des’expliquer. Goldman Sachs publie sur son site Internet un communiqué affirmant que l’impact desopérations en question a étéminimal sur la situation budgétaire globale du pays.La dette grecque estpasséede105,3%à103,7%duPIB–unepaille–aucoursdelapériodeconcernée.

GeraldCorrigan, un des pontes de l’empire, est contraint de répondre auxquestions duParlementeuropéen.Avec son visage buriné digne d’une publicité pour un vieuxwhisky, le regard bienveillant,l’ancienprésidentdelaRéservefédéraledeNewYorkreconnaîtd’untonaffablel’aidequelafirmeaapportée au trucage des comptes grecs. Il noie ses explications dans un jargon techniqueincompréhensible,avecunseulbémol :«Avec le recul, ilestévidentque lesnormesde transparenceauraientdûêtremeilleures.»

Au-delàdesclichésetdesarrière-penséespolitiques,unfaits’impose: laspéculationtantdécriéeest aussi un élément important du bon fonctionnement des marchés, améliorant leur liquidité et leurfluidité, facilitant les transactions et assurant une meilleure transparence des prix. Cette activitécontribue,desurcroît,àmieuxrépartirlecapital.Lespéculateurestl’éclaireurdel’investisseurqui,souscouvert de respectabilité, parie aussi sur la hausse ou la baisse de valeurs. En attaquant la Grèce etl’euro,lesmarchésadressentunmessageimportant–etsalutaire–auxpoliticiens:ledéficitbudgétaireestdevenuincontrôlable.Decepointdevue,c’estindéniable,ilsjouentunrôleutileàleurfaçon.

Danscescirconstances,ladéfensedeGoldmanSachs,quantàelle,estsimple.LaGrècearefusélalogiquedelazoneeuroaxéesurladisciplinebudgétaire.Lesquestionséthiques,c’estAthènesquidoit

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se les poser. La banque s’est contentée de jouer un rôle technique et de satisfaire un client, enl’occurrenceunÉtat.

Goldman Sachs n’aurait, semble-t-il, enfreint aucune règle légale. En revanche, elle a franchi unelignejaune,celledeladéontologied’unegrandemaison,difficileàtracermaisdontilvautmieuxnepass’approcherdetropprès.

«Unevraieprofessionnelle»,répètentleschefsd’Addyaprèssoncoupde2001.AntigoneLoudiadisest alors promue à la direction d’une compagnie d’assurances-vie fondée par Goldman Sachs pourexploiterdesproduitsfinanciersliésàl’espérancedevie.Lafortunesourit,parfois,auxaudacieuses.

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2.LegouvernementGoldman

MarioDraghi,gouverneurdelaBanqued’ItalieetprésidentduConseildestabilitéfinancière–unnouvelorganismequiregroupelesbanquescentralesetlesrégulateursdesgrandspays–estcandidatàlasuccession de Jean-Claude Trichet à la Banque centrale européenne en 2011. De son côté, l’ex-commissaireeuropéenauMarchéintérieurpuisàlaConcurrence,MarioMonti,remetauprésidentdelaCommissionunrapportquiprôneuneplusgrandecoordinationfiscaleentrelesÉtatsmembres.

Au Royaume-Uni, la presse révèle que le ministre des Finances a reçu à quatre reprises lesreprésentantsd’unebanqued’affairesaméricaineentrele1eroctobreetle31décembre2009alorsqu’iln’arencontrésesconcurrentsbritanniquesquedeuxfois.

L’UnioneuropéenneetleFondsmonétaireinternational(FMI)accordentuneaideàfairedresserlescheveux sur la tête dumalade grec pour tenter de sauver l’euro dans le collimateur des spéculateursdéchaînésetdesmarchésaffolés.

Àpremièrevue,cesquatreépisodesdel’actualitédupremiersemestre2010nesontpasliés.Mais,àyregarderdeprès,lerapportentreeuxestévident.Ilamêmeunnom:GoldmanSachs.Carlamaison,envérité,estbeaucoupplusqu’unétablissementfinancier.

LegouverneurdelaBanqued’Italieetpatrondugroupedesrégulateurs,MarioDraghi?Ilaétévice-présidentpourl’EuropedeGoldmanSachsInternational,lafilialeinternationalebaséeàLondres,oùilétaitchargédesfusions-acquisitionstransfrontalièresentre2001et2006.MarioMonti?Ilestconseillerpour les affaires internationales de la firme depuis 2008. À Londres, Goldman Sachs a épaulé legouvernementbritanniquedanslavente–avortée–deNorthernRocketdanslarecapitalisation–réussie–duLloydsBankingGroup.Enfin,l’établissementnew-yorkais,onlesait,aaidélaGrèceàmaquillersescomptes,contribuantainsi,unedécennieplustard,autorpillagedelamonnaieunique.

Cesaffaires illustrentdonc lapuissanced’un réseaud’influenceuniqueenEurope.Maisaussi seslimites : ces amis copieusement rémunérés n’ont pas empêché le scandale grec d’éclater avec sesrévélationssurlerôleoccultedecenouveaupouvoirLABanque.

Sédimentédepuisdeslustres,cemaillageserré,àlafoissouterrainetpublic,asesentremetteursetsesfidèles.Inconnusdugrandpublic,cesconseillersrecrutésavecgrandsoinetàprixd’orconnaissentles subtilitésdescoulissesauseinde l’UnioneuropéenneetdesministèresdesÉtatsmembres. Ilsontl’oreilledesdécideurs,qu’ilspeuventappelerdirectementdanslesmomentsdecriseoupourraflerdesmandats.Leursfaitsd’armesauservicedeleuremployeursontnarrésavecadmirationourépulsion,c’estselon, dans les allées du pouvoir comme des places financières, dans les médias comme dans lesentreprises.

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AuxÉtats-Unis,cecerclemagiqueestconstituéd’anciensresponsablesdel’institutionpassésavecarmesetbagagesauplushautniveaude lafonctionpublique.EnEurope,enrevanche,GoldmanSachss’estfaitl’apôtreducapitalismederelationsoudu«capitalismed’accès»pourreprendrel’expressiondes intéressés.Cecontextemet– auxyeuxdes critiquesducapitalismemoderne–GoldmanSachs aumêmeniveauqueCarlyle,leplusgrandinvestisseurprivéaumonde,ouqueleconsultantMcKinsey,qui,euxaussi,cultiventlesaccointancesaveclespolitiques.

Maisquisontceshommesdepouvoiràl’entregentconsidérablequiontjouéunsigrandrôle?

C’estàLondresquel’aventureeuropéennedeGoldmanSachsacommencé.Danslesannées50,labanque y avait une activité – mineure – de vente de titres obligataires émis par des multinationalesaméricainessurlemarchéeuropéen.En1985,enprévisiondelalibéralisationtotaledelaCity,GoldmanSachsdépêchel’undesesassociésstars,JohnThornton,pourdéveloppersaprésenceà l’ombrede lacathédraleSaint-Paul.Lebigbangde1986ouvrelaplacefinancièreauxinstitutionsétrangères.Devantlepotentieldugrandmarchéeuropéenengestation,Thorntonmetlepaquetsurlemarchébritanniqueetsur le continent. Goldman Sachs International voit le jour. La première filiale étrangère recrute avecgrandsoinhuitconseillerspaysnonaméricains.Cesmissidominiciontpourtâched’ouvrirlesportesdel’Europeoùlabanqueestvirtuellementinconnue,del’informerdesusetcoutumesdelaviedesaffairesetdelasituationpolitique.

AuRoyaume-Uni,Goldmanavanceàpascomptés,avecsaprudencehabituelle,commec’estlecasdanslessociétésd’associés.Lesbanquesd’affairesbritanniques,lesfameusesmerchantbankscommeNMRothschild,WarburgouKleinwortBenson,ont,àl’époque,lamaîtrisedesprivatisationscommedesfusionsspectaculairesdemultinationalesbritanniques.Pourpercer,lafirmedoitsortirdessentiersbattusen aidant les raiders, ces nouveaux venus du grandMonopoly qui prennent d’assaut, à la Bourse, degrandesentreprisessous-cotées.

Lerelaiscléseral’IrlandaisPeterSutherland,présidentdeGoldmanSachsInternational.Pourrégnersurcetempiredel’influencequ’estlahautebanqued’affaires,ilfaut,paradoxalement,unecertainedosed’humour;orl’hommeenaàrevendre.Corpulent,truculent,emporté,éloquent,toujoursenmouvement,chaleureux,sensuel,ceLatindesbrumesnesauraitcachersesoriginesirlandaises.Anciencommissaireeuropéen à la Concurrence, il a ensuite présidé l’Allied Irish Bank, puis le Gatt (l’ancêtre del’Organisationmondialeducommerce)etenfinBritishPetroleum…

PeterSutherland incarne la filièrediplomatiquede labanque.Habilecommeunvieil éléphantquiavanceavecprudencedanslasavane,leChairmanécarteavecforcetouslesobstaclesqu’ilrencontresursaroute.C’estl’hommeindispensable.Sesdomainesd’expertisesontlesorganisationsinternationalesetlaRussie,oùl’entremetteurconnaîttoutlemonde.ChezGoldman,ilestsecondéparLordGriffiths,ex-conseillerdeMargaretThatcher,etparGavynDavies,futurprésidentdelaBBC,dontl’épouseestalorsunecollaboratriceécoutéed’uncertainGordonBrownquideviendrachancelierdel’Échiquier–c’estletitreduministredesFinances–puis…Premierministre.

Si les interventionsdeGoldmanSachssemultiplientenGrande-Bretagne,cen’estpasavant la findesannées80quelegroupevamanifesterlemêmeappétitdanslerestedel’Europe.Surl’îlecommesurlecontinent,labanquevaalorsappliquerlesystèmequiafaitsonsuccèsauxÉtats-Unis:lebinôme.ÀNew York, les banquiers d’affaires travaillent le plus souvent à deux ; en Europe, l’équipage seracomposéd’unfinancieretd’unepersonnalitéissuedusommetdesaffaires,familièredetouslesrouagesdupouvoir.

Aprèsl’Angleterre,laFrancedonc.LeFrançaisSylvainHefesestdébauchédechezRothschildpourbâtirune têtedepontdans l’Hexagone.Cespécialisteenfusions-acquisitionsfaitéquipeavecJacquesMayoux,unegrandefiguredel’establishmentdel’époque,ancienprésidentdelaSociétéGénérale,ex-

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directeurdelaCaissenationaleduCréditagricoleetquifutégalementlepatrondugroupesidérurgisteSacilor.

–Excusez-moidevousdéranger,monsieurMayoux,uncertainM.Weinbergaimeraitvousparler…–Ah!M.SergeWeinbergdeHavas,jesuppose…Passez-le-moi…Bonjour,Serge…Oh!Ildoity

avoirerreur.Àquiai-jel’honneur?–JesuisJohnWeinberg,présidentdeGoldmanSachs.J’aimeraisvousrencontrer.Àlasuitedecetteconversationavecunhommedontiln’avaitjamaisentenduparler,JacquesMayoux

estnommévice-présidentdeGoldmanSachsEurope,àquiilapportecommepremièreaffairelaventedupapetier françaisAussedat-Reyà l’américain InternationalPaperCompany.Audépart, en1990, ils nesontquedeux,aidésd’unesecrétaire.

Subitement débarque ainsi à Paris une enseigne totalement inconnue, équipée de gros sabotsmaisaniméed’uneincommensurableénergie.CommeàLondres,leduometl’accentsurlesnouveauxmaîtresdu capitalisme français apparus depuis peu sur la scène économique hexagonale : Axa, BNP, Rhône-Poulenc,TF1, lePrintemps, laSociétéGénérale…pourneciterqu’eux,plutôtquesur lesgéantsbienassis.Desimplesplanètes,cesgroupesentendentdevenirdesétoilesincontournables.LaprivatisationdeTotal,àlaquelleGoldmanestassociée,sertdetremplin,tandisquelaréussitedel’OPAdelaBNPsurParibas assoit définitivement sa réputation.Dans le domaine des fusions-acquisitions,GoldmanSachspasseentroisansducinquièmeautroisièmerang.En1994,elledevientlapremièredusecteur!Cen’estpaslenombremaisl’importancedestransactionsquiétonnelesrivaux.

En1992,leFrançaisSylvainHefesestdevenulepremierassocié-gérantànepasêtreanglo-saxon.Les starsdedemain sont recrutées lorsdeces«dixglorieuses», telsEmmanuelRoman,YvesLepic,Shahriar Tadjbakhsh ou Jean Raby, futurs associés. Aujourd’hui, la filiale française agit sur troissecteurs:lagestiond’actifs,lemarchédesactionsetlabanque-conseil.

En 2004, quand il faut trouver un successeur à JacquesMayoux, le choix se porte surCharles deCroisset,ancienpatronduCréditcommercialdeFrance(CCF),avaléparlabanquebritanniqueHSBC.Néen1943,cethommederéseauxetdecabinetsconnaîttouslesdirigeantsquicomptent.UninspecteurdesFinancesàl’espritraffiné,éclairé,unmondainauxrelationsinnombrables.Maisiln’appartientpasaupremiercercledel’aristocratiefinancièreparisienne,commelesMichelPébereauoulesJacquesdeLarosière.

ParisneparviendrajamaisàdamerlepionàLondres.LaVillelumièreestàuneenjambéegrâceàl’Eurostar.C’estdoncdanslacapitalebritanniquequeresterainstallélecœurdelamaison:letradingd’obligations, dematièrespremières, et lemétier debanque-conseil pour leRoyaume-Uni, leProche-Orientetl’Afrique.

Laréunificationallemandeetlalibérationdespaysdel’EstvontpermettreàFrancfortdedépasserParisendevenantleplusgrosbureaud’Europecontinentale.Leretouraubercail–lefondateur,MarcusGoldman,estnéenBavière–nesepassepourtantpassansheurts.L’hostilitédecertainsassociésjuifsretarde l’ouverture du bureau allemand. Un obstacle que seuls les bons offices d’Edzard Reuter, ledirecteurgénéraldeDaimler,dontlepèrefutunopposantdéclaréaunazisme,permettentdesurmonter.Daimler,SiemensetDeutscheTelekomfigurentparmilespremiersclientsdelafirme.GoldmanSachsestégalement chargée de la privatisation de nombre d’entreprises est-allemandes. De grands banquiersallemands, trèsbienintroduitsdans lesministèresetà lachancellerie,sontrecrutéspourfaireavancerses intérêts au sein d’un monde financier local totalement imbriqué dans les affaires industrielles. Àl’instard’Otmar Issing, ancienmembredudirectoirede laBundesbanket ex-économisteenchefde laBanquecentraleeuropéenne.

Aujourd’hui,GoldmanSachsestlapremièrebanqueétrangèreenAllemagneetladeuxièmebanqued’affairesentermesderevenusaprèslegéantnational,laDeutscheBank.

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Paradoxalement, si, en France, la culture de confrontation passe bien, outre-Rhin, le rouleaucompresseur Goldman se heurte à la tradition du consensus. Le responsable du bureau allemand,AlexandreDibelius,incarnejusqu’àlacaricaturelesdérivesd’unmodeopératoireagressif.Néen1960,l’ancien cardiologue, ex-associé du cabinet-conseil McKinsey, a rejoint Goldman Sachs en 1993.Surnomméaveccruautéparlapresse«Goldfinger»,cethommeintelligent,dotéd’unhumourfroid,nesignepassesforfaitsàlapeinturedorée.Maisàl’instardel’ennemideJamesBond,ilmarchesurlesplates-bandesdesministres,forçantlaréussiteauculot,àl’énergieetautravail.«Àvaincresanspéril,ontriomphesansgloire»:telleestsadevise.

Après l’Allemagne c’est le tour de l’Italie où les alumni (anciens) prolifèrent dans les sphèresdirigeantes.LeplusréputéestdoncMarioDraghi,aujourd’huigouverneurdelaBanquecentraled’Italie.AnciendirigeantdugroupepublicIRI(Institutpourlareconstructionindustrielle),RomanoProdi,lui,estrecrutéparlafirmeentre1990et1993–puisunesecondefoisen1997.PrésidentduConseilitalienàdeuxreprises,celuiquifutaussiprésidentdelaCommissioneuropéenneesttoutefoiséclabousséparlescandaledelafusion,conclueen1994,entrel’allemandSiemensetl’italienSTET–unefilialedel’IRI.Cettetransactionauraitétéfacilitéepardesversementsdepotsdevin.Or,c’estGoldmanquiconseillelapartie italienne.Une descente de police a lieu dans les bureauxmilanais de la banque pour tenter deremonter la filière jusqu’àRomano Prodi, patron de l’IRI aumoment des faits en question.Dans desconditions mystérieuses, le dossier est enterré et la juge est mutée en Sardaigne. À l’époque où lescandaleéclate,RomanoProdi,ilestvrai,estprésidentduConseil.

Universitaire distingué, bardé d’estime et de diplômes, originaire de l’Italie du Nord, l’ex-commissaire européenMarioMonti est, lui aussi, passé avec armes et bagages dans la firme. C’estpourtant un personnage à principes, à l’éthique pointilleuse, qu’il agite volontiers sous le nez de sesadversaires :compagniesenpositiondemonopole,enententes illicitesouaffairistesdivers. Il seveutvertueux:ilplacel’éthiqueau-dessusdetoutetaffichesabonneconscienceaupointd’enabuser.

Alors pourquoi diable ce premier de la classe est-il allé se fourvoyer dans l’aventure GoldmanSachs?L’argent?Peut-être.L’admirationdel’intelligentsiaitaliennepourlesÉtats-Unis?Sansdoute.Besoin d’approcher le vrai pouvoir pour quelqu’un qui vivait à l’ombre de centres de réflexion qu’ilpréside – la prestigieuse universitéBocconi deMilan ou leCentre de recherche économiqueBruegelinstalléàBruxelles?Ilyaunpeudetoutcela.

D’ailleurs, pourquoi ce sexagénaire cache-t-il cette filiation quand il accorde des interviews ?Goldmanaimeplacerseshommessansjamaislaissertomberlemasque.Celien,entoutcas,apermisàMarioMontidesuccéder,enmai2010,àPeterSutherlandàlaprésidenceeuropéennedelaTrilatérale,un des plus prestigieux cénacles de l’élite internationale. Toujours ce prodigieux dédale d’un réseausoigneusementtissé.

À Bruxelles, autour des institutions communautaires, Goldman Sachs entretient une armée delobbyisteschargésdedéfendresesintérêts.Sesreprésentantssiègentdanslesgroupesderéflexionoulescercles les plus importants du secteur.Mais cela ne suffit pas pour avoir l’oreille des dirigeants quicomptent espérer infléchir les décisions de la Commission – processus longs, tortueux et difficiles àcernerdel’extérieur.LecabinetduprésidentdelaCommission,quialamaîtrisedesgrandsdossiers,estparticulièrement dans la ligne de mire. Pour pénétrer au cœur du pouvoir européen, anticiper voiremodifier les directives et les réglementations, un ex-commissaire de la trempe de Mario Monti,magnifiquementintroduitdansledédaledescoulisses,n’apasdeprix…

Labanqued’affairesestunmétieràpart.LeP-DGdeGoldmanSachstraiteavecleschefsd’Étatetles diplomates, rencontre les responsables internationaux pour faciliter les relations et décrocher desmandats. Pourtant, dans les couloirs solennels de Goldman Sachs International à Londres, ne vousattendez pas à croiser d’anciens diplomates policés. À l’inverse de ses consœurs britanniques ouaméricaines, la banque fait appel à d’anciens financiers et économistes, en particulier des banquiers

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centrauxoudehautsfonctionnaires.Car,enprésenced’unepersonnalitéde la tremped’unIssing,d’unCroissetoud’unMonti,leslanguessedélient.Leurmissionprioritaire?Recueillirdesinformationssurles opérations à venir ou sur la politique de taux d’intérêt des banques centrales.Bien introduits, ces«ex»bavardentdechosesetd’autres,de toutetde rien. Ils sententainsi levent,à lahausseouà labaisse.Entoutelégalité.Lesinformationscirculentensuitedanslescouloirsdelabanque.Parfoisellesarrivent jusqu’aux traders. En comparaison, la firme considère les ambassadeurs à la retraite commed’aimablespotiches,dénuésdevraiscontactsauplushautniveauetquinecomprennentrienaumondedesaffaires.Doncquasimentinutilisables.

Pourtant, le gouvernement Goldman en Europe a peut-être mangé son pain blanc. Le réseaud’influence qui a fait sa puissance avant et pendant la tourmente financière de 2008 a perdu de sonefficacité.

Lescomplicitésanciennesentretenuesparlesex-banquierscentrauxchevronnés,mobiliséspourtirerlesficelles,serévèlentmoinsutilesfaceàdespoliticienssensiblesàl’impopularitédesprofessionnelsdelafinancetenuspourresponsablesdelacrise.QuepeuventfairelesOtmarIssing,CharlesdeCroissetouMarioMontifaceàl’hostilitéaffichéed’AngelaMerkel,deNicolasSarkozyoudeSilvioBerlusconiàl’encontredelafirme?QuepèseleconseillerlondoniendeGoldman,LordGriffiths,ancienconseillerdeMargaret Thatcher, face aux attaques anti-City des trois principaux partis britanniques, lors de lacampagne des élections législatives du 6mai 2010 ? Pas grand-chose. Là oùGoldmanSachs pouvaitfacilementexercersestalents,uneséried’affaires–laGrèce,laspéculationcontrel’euro,Abacus–luiont mis à dos la puissance publique. Le carnet d’adresses ne suffit plus sur une planète financièrecomplexe et technique et face à une nouvelle génération d’industriels moins pétris de respect pourl’establishment.Lespatronseuropéenspartisàlaconquêtedumondesesontémancipésdescroisésdelahautefinance.LesP-DGdoiventmoins leurposteà lafaveurdesprincesouà lasolidaritédesgrandscorps. La quête de valorisation de l’actionnaire, les exigences de transparence des comptes et lesimpératifsdel’expansionàl’étrangerémoussent«l’effetréseau».

Désormais, les gouvernements veillent un peu plus à se tenir à l’écart des conflits d’intérêts.L’irruptiondenouveauxacteurs–ONG,groupesd’actionnaires,médias(jamaislespageséconomiquesdesquotidiensn’ontétéaussilues)–achangéladonne.Lesinvestisseursinstitutionnels,deleurcôté,serévoltentcontrelediktatdesbanquesetdemandentdescomptes.

Devenusplusexigeantssurlaqualitéetl’indépendancedumétierdeconseil,lesclientseuropéens–maispasseulement–exigentlerespectd’unminimumd’éthique.«Ilfautéviteràtoutprixdefairedesaffairesavecdetelsbanquiers»,s’insurgeainsileministreberlinoisUlrichNussbaumaprèslamauvaiseexpériencedelamunicipalitéliéeàlavente,en2004,d’unparcde66000appartementsàloyermodéréàlabanque–associéepourl’occasionàunhedgefundaméricain.L’affaireafaitdubruit:lesconditionsdeprotectiondeslocataires,imposéesparlesédiles,déplaisaientaubureaudeGoldmanàFrancfort.Unefoisl’accordconclu,lafirmeademandélasuppressiondecescontraintes…fautedequoielletraîneraitUlrichNussbaumdevantlajusticepour…corruption!LatentativedechantagedeGoldmanSachstournecourt. Soutenu par les hommes politiques locaux de tous bords, Nussbaum veut saisir les tribunaux,accusant à son tour l’établissement de tentative flagrante d’extorsion de fonds. Redoutant un procèsmédiatisé,labanquebatalorsenretraiteenretiranttoutessesexigences.

Larelationpathologiquedececapitalismed’affairesetdupouvoirpolitiquenevapassansrisque.Cetteformed’influencepourraitbiennepassurvivreàlacrisefinancière.Lesaffairessontdevenuestropcomplexes pour être cornaquées par des « parrains » d’un âge avancé. Avant la tourmente, lesgouvernementsnepesaientguèrefaceàcecolosse,maisaujourd’huileschoseschangent.

À ces bouleversements s’ajoute une faiblesse inhérente à l’activité de l’établissement : l’absencetotaledevisibilité.Sesprincipauxconcurrentsdanslabanqued’affaires–JPMorgan,BankofAmerica,BNPParibasouBarclays–sontadossésàuneenseignecommerciale.Lesguichets,lespublicitésoules

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activités sur Internet permettent à l’opinion de s’identifier un tant soit peu aux financiers. Unétablissement de détail permet également de cacher les activités de marché plus risquées… maisautrementplusrémunératrices.Àl’inverse,lemétierdeGoldmanSachsresteentourédemystère,cequiprêteàtouteslesinterprétations,mêmelesplusfarfelues.

Étonnante absence d’image publique quand on sait que, par ses interventions tous azimuts(spéculation,OPA, hedge funds, capital-investissement…), lamaison pèse indirectement sur le circuitéconomiquedesproduitsdeconsommationetmodèlel’existencedechacun.AuRoyaume-Uni,l’enseigneajouéunrôleclédansdescompositionsdu«panierdelaménagère»enparticipantàlarestructurationdelabanquededétail,del’énergie,deladistributionoudel’agroalimentaire.

EnFrance,GoldmanSachsestl’undesdix-huitSVT(spécialistesenvaleursduTrésor)quivendentdeladettefrançaise.Àcetitre,safilialeparisienneparticipeauxadjudicationsorganiséesparl’AgenceFrance Trésor chargée de placer les titres sur le marché. La performance de chaque participant estétroitementsurveilléeetfaitl’objetd’unclassement.Or,queconstate-t-onannéeaprèsannée?GoldmanSachs est systématiquement dans les dernières places du hit-parade. La raison est simple, commel’expliqueuncadredelafirme:«Çanerapportepasgrand-chose,maisnotreparticipationoffreunlabeldequalitéets’inscritdansnotreactiondecitoyennetéenFrance.»

Soninfluencevabienau-delàdecerôlepublic.Jusqu’où?Unarrêtéendatedu19janvier2010duministère du Développement durable autorise Goldman Sachs International à exercer l’activité… defournisseurdegazsur le territoire français !Qui le sait? Interrogéesurcemystère, l’équipedeJean-LouisBorloorenvoieaujourd’huisurleministèredel’Économie,lequelrenvoieversGoldmanSachs…Quiaffirmenepasêtreaucourant!

Reste que, dans la tourmente économique actuelle, tel le prince Salina duGuépard de Visconti,GoldmanSachssetrouvecontraintdecontemplerunmondequis’écroulepeuàpeu.Jusqu’àébranlerlesfondationsdel’empire?

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3.Lesmoinesbanquiers

OnentrechezGoldmanSachscommeonentreenreligion.Decepointdevue,latenueestimportante.Costumesombre,chemiseblancheaucollargeserréd’unecravateneutre,cheveuxcourts,rasésdeprès.Ondevineleschaussettesgrisesetleschaussuresnoiresquigrincentdiscrètementàchaquepas.DroitscommedesI,ilssontsereins,maîtresdeleursémotions.Laseulenotedecolèreestceregardquisefaitsévèrefaceaucontradicteur.Leclanapparaîtimprégnédel’importancedesamission.L’observateurpeutégalement discerner la forme physique, lemuscle bien entretenu desGoldman boys prêts à jaillir desstarting-blocks,fonceraveclafermeconvictiondegagneretlesang-froidnécessairepouryparvenir.Onlesimaginemauvaisperdantsautennisouadeptesdesbonnesvieillesémotionsdusautenparachute.

Telle est la photo officielle des professionnels de l’établissement financier le plus puissant de laplanète.Ilssontlepurproduitd’unecultured’entrepriseunique.Àpeinelaportedelabanquefranchie,vousdevenezunvéritablemoinebanquiercommeilexistaitdesmoinessoldats.

Une banque d’affaires est souvent comparée à une serre chauffée à très haute température oùs’exacerbentlestensions,lesrancœurs,lesjalousiesetlesétatsd’âmedechacun.MaischezGoldman,dans les salles des marchés comme au cours des multiples réunions, il est mal vu de se mettre enévidence. Le travail en équipe, le dialogue interne sont la règle. L’égocentrisme est banni. Divasflamboyantesetgoldenboyscocaïnomaness’abstenir!Ilfautêtrecleanjusqu’auboutdesongles.Aucuneexcentricitévestimentairen’estautorisée.Lenœudpapillonestlecombledel’audace.Danslesmémos–obligatoirementbrefs–le«nous»estderigueur,le«je»n’estutiliséquepourexpliqueruneerreuroufairesonmeaculpa,cequin’arrivepassouvent.L’espritestfoncièrementégalitaire–niavionprivénivoituredefonction.Bref,pourcemilieu,l’austérité!Lemot«back-office»–lesfantassinsenchargedutraitementadministratifdetouteslesopérations–estbanniauprofitdel’expression,plusinclusive,de« fédérations ».Les bureauxdes chefs se jouxtent et leur porte reste toujours ouverte.La traditiondubinôme, au sommet comme à la base, permet de semarquer les uns les autres.Même au plus haut del’édifice, iln’est jamaisbienvudejouerensolo.«Iln’yapasdeplacecheznouspourceuxquifontpasserleursintérêtsavantceuxdel’entrepriseetceuxdesclients»,proclameleseptièmedesQuatorzePrincipesquiguidentlafirme.

Pasdevedettesdonc,maisenpermanencedestasdegenspriésdeprendrelaporte.Lapressionestmaximum,constante.Unefoisparan,chacunestjugé«à360degrés»parunedouzainedepersonnes–pairs,supérieursetsubalternes.Etl’évaluéestobligédenotersapropreprestation,sorted’autocritiquesemi-publique… teintée de stalinisme. Le nom du département gérant ce processus, leHumanCapitalManagement (la « gestion du capital humain ») n’est pas sans rappeler les bonnes pages du 1984d’Orwell.Commepour lastatistiquedescriptive, lesbanquierssontdivisésen«quartiles»selonleurperformance. Seuls ceux qui sont versés dans le premier quartile – Q1 en jargon – peuvent espérer

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atteindre le statutd’associés.Lesperdants sont licenciés lorsdes innombrables charrettesoupartirontd’eux-mêmes.AprèsNoël,Goldmanremplacesystématiquementjusqu’à10%deseseffectifslesmoinsperformants.L’insécuritédel’emploiesttotale.«KillorDie»:Tueoumeurs…

Àl’inversede lamajoritéde sesconcurrents, l’entreprisedébauche rarementdeséquipesentièrespourrenforcersaforcedefrappe.Lerecrutementindividuelestlanorme.Lecandidatestinterviewépardix,vingtpersonnes,voireplus.Lesnouveauxvenusdoivententrerdeplain-pieddanslaculturedulieu.

Dans lemonde entier, les diplômés les plus ambitieux rêvent de rentrer chezGoldmanSachs.Lesnominés ne sont pas seulement censés être lesmeilleurs et les plus intelligents.L’employeur potentielprivilégieaussilacapacitéàdiriger,àseconcentreretlegoûtdusport.Lesdisciplinescollectivestelsl’aviron,lerugby,lebasketoulefootaméricainsonttrèsappréciéesparcequ’ellesalliententraînementacharnéet espritdeclan.Lespostulantsont toutpoureux : l’ambition, lesdiplômes, le styledirect etsurtoutl’enviededevenirtrèsriches.Ilsn’ontpasbesoindebeaucoupdesommeiletsontpressésdesefaireuneplaceausoleil.Cequi lesmotive?«Lafaim»,commeledisait le légendaireIvanBoesky,l’escrocdeWallStreet aucœurd’unénormescandaleen1986 :«La faimest justifiée.La faimsoustoutessesformes,qu’ils’agissedelavie,del’argent,del’amour,dusavoir,amarquéledéveloppementdel’humanité.»

Comme dans la Premier League de foot anglaise, qui dit joueurs vedettes dit entraîneurs etpréparateurs physique de haut calibre, gestionnaires et commerciaux avisés. La banque consacreénormémentdetempsetd’argentàlaformationcontinue.

Plusquetouteautrefirme,Goldmanincarnelacultureaméricainedutravailpousséeàl’extrême.«Àmonarrivée,monvoisindanslasalledesmarchésàNewYork,untrentenaire,s’écroulesoudain,victimed’une attaque cardio-vasculaire. Mes nouveaux collègues n’ont pas bronché », se souvient NicolasSarkis,aujourd’huipatrond’unesociétédeconseilfinancier.Onpeutégrenerlelabeuracharnécommedansles tablesdemultiplicationouderègledetrois :18/24(heuresdetravailpar jour),6/7jours(lejourduSeigneurvarie,maisc’estgénéralementsamedioudimanche),ou50/52(lessemainesdelabeur).Œuvrantd’arrache-pied, lesbanquiers sontcorvéablesàmerci. Ilsmangent,dormentet font l’amouràcôtéduportable.LeBlackberryn’estjamaiséteint,mêmelorsdesdînersintimesoufamiliaux.L’employédoit constamment être à l’écoute, via son répondeur, des innombrablesmessages demotivation de ladirection. Tout lemonde connaît par cœur les Quatorze Principes de la biblemaison proclamant sesvertusauxquatrecoinsdelaplanète.

ÀNewYork,leslimousinesnoiresquiattendentjusqu’àminuitpourramenergratuitementchezeuxlescadresquitravaillenttardnetrouventguèrepreneurs:ilestencoretroptôtpourquittersonbureau!Pour permettre à ses ouailles de récupérer des nuits blanches successives, la compagnie dispose destudiosàl’hôtelEmbassySuites,àproximitédusiège,oùriennemanque,pasmêmeunepetitetabledeconférence.Culte du corpspoussé à l’extrêmeoui,mais surtout pas debronzage, symbole de ludismeproscritdanscetuniversoù toutn’estqu’ordre,hygièneet résultats. Ilestbienvud’ignorer lesvraiesvacances,cellesoùl’onoubliesesmailsettéléphones.Etsivouscraquez,lespsysneserontpaslàpourvousremettred’aplomb.Ceuxquinepeuventplussupportercerythmeinfernalnefontpasdevieuxos.Fairedusurplace,c’estmourir.

Outrel’espritd’équipe,lerecrutementhautdegammeetlecultedutravail,GoldmanSachspeutsetarguerd’uneautreforce:lerenseignement.Àbiendeségards,laforteressenew-yorkaiseressembleausiègedesservicessecretsbritanniquesprèsdeVauxhallBridge.Lepartagedel’informationestunevertuexigée. À l’instar des espions chers à John Le Carré, les banquiers de Goldman soutirentsystématiquement à leurs clients l’information qui pourrait servir les collègues d’autres départements,doncàlafirmetoutentière(et,parricochet,àlaprimedefind’année).Danslemondeconfidentieldesmontagesfinanciersrelatifsàdesopérationsdefusionoud’acquisitiond’entreprises,l’informationvautdel’or.Aprèsundéjeunerouundîner,lemembredu«Cirque»,lemythiqueQGdesespionsdeJohnLe

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Carré, fait circuler la précieuse information. On est toujours on the make, sur les dents, dans lareprésentation,enregardantd’unœilintéressétoutenouvellerencontreprofessionnelle.Le«chiffre»estdevenu courriel et répondeur. Qu’aurait bien pu penser George Smiley, le gardien des joyaux del’espionnage,detoutcela?

Autrepoint fortdeGoldmanSachs : làoù l’organigrammedesconcurrentsestunchef-d’œuvredecomplexité, la firme se targue d’une structure assez horizontale facilitant la prise de décision parconsensus. Cette méthode de travail, soit dit en passant, aide les anciens cadres bifurquant vers lapolitique. Devenus ministres, parlementaires ou hauts fonctionnaires, ils sont en terrain connu. LesanciensdechezGoldmansaventarbitrer,réconcilierlespointsdevuedifférents,commanderendouce.Lapolitiqueestl’artdupossible,commelafinance.Habituésàlacollégialité,lesex-moinesbanquiersontl’habitudedecomposer.C’estdansleursgènes.

Cet état d’esprit est lié à lamanière dont la banque fonctionnait jusqu’à son entrée enBourse, en1999:lecapitalétaitrépartientredesassociés-gérants–lespartners–,responsablesàhauteurdeleursavoirspersonnelsencasdepertes,maisaccaparantunepartiedeséventuelsprofits.L’entreprised’alors,une société de personnes en commandite, utilisait les fonds propres de ses associés-gérants commeprincipale ressource. Responsables sur leurs biens, ces derniers réinvestissaient alors l’essentiel desbénéfices.L’alchimiedusystèmemotivaitlesjeunesrecruesquiacceptaientunsalaireinférieuràceluiqu’offraitlaconcurrenceavecl’espoirdedécrocherunjourlatimbaledustatutdepartner.

Mais avec ce système, Goldman Sachs n’était plus à même de financer son fantastiquedéveloppement : l’expansion du négoce, l’ouverture de bureaux à l’étranger, le financement de grosclients… Il lui fallait des capitaux extérieurs. L’inscription au New York Stock Exchange (NYSE) aconstituéuntournanthistoriquepourladigneenseigne.Prisentreunetraditionvénéréeetl’appâtdugain,les189partnersdel’époqueontlongtempshésitéavantdefranchirlepas.Prévueen1998,l’entréeenBourse est ajournée inextremis cette année-là, en raison de l’extrême volatilité desmarchés et de laquasi-faillite du fonds spéculatif Long Term Capital, sauvé par la Réserve fédérale et les grandesbanquesdeWallStreet.Cessoubresautsfinanciersconfirmentauxassociésàquelpointilestdangereuxdepartagerlesrisquesd’unebanqued’affairesenpleinecroissanceentreunnombrelimitéd’associés.Une fois le calme revenu, les intéressésvotentdoncàune très largemajoritéen faveurde l’entréeenBourseavecl’espoir…d’unjackpot.

Endépitdel’introductionenBourse,lemodèledepartenariataétéconservé,nonparnostalgiemaispourmaintenirlacohésionausommet.Aujourd’hui,quelque400associés(surplusde30000employés)disposentdecesésame.Maispasquestiondel’arborercommeuneLégiond’honneur.Letitrenefigurejamais sur la carte de visite beige qui porte seulement la mention :Managing Director, directeuropérationnel.Lesassociésformentunecorporation,unefranc-maçonnerieconvenable,quinefaitnibruitniprosélytisme.Sesbanquierssereconnaîtraientdanscescompagnons,maîtresetgrandsmaîtres,amenésà«répandredansl’universlavéritéacquiseenloge».

Tous les deux ans, à l’issue d’une compétition implacable, leManaging Committee, le comitéexécutifquifaittournerl’institution,choisitdenouveauxpartners.Leprocessusdesélectionestlourdetsedérouleàl’abridesregards.Lepressentidoitêtreparrainéparunassocié.Soncursusprofessionnelestpasséaucriblepard’autrespartnersqui,généralement,neleconnaissentpas,carilstravaillentdansd’autresdépartements.Lescritèreslesplusimportantsguidantlechoixfinalsontl’assiduitéautravail,laréussited’opérationscomplexesetrisquées,lesqualitésdecommandementoul’actionphilanthropique.Dansunsystèmeaussiverrouillé,ceuxquitenteraientdemanipulerlejuryoudesefairepistonnern’ontaucunechance.

La banque reste imprégnée de l’héritage puritain américain selon lequel l’attitude privée d’unemployé,sesmœursetsesmaniesinfluencentsoncomportementautravail.Conséquence:celuidontlamoralitédelavieprivéelaisseàdésirer–parexemple,s’ilmultiplielesliaisonsextraconjugales–ne

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peutoccuperdepositionéminente.Telestaussilecredodelasélectiondespartners.Enfin,leP-DGaundroitdevetosurcesnominationsd’associés,droitqu’ilexercetoutefoisrarement.

Lesheureuxélussepartagerontunbonusmirifique,essentiellementenactions–etnonenespèces–qu’ilsn’ontpasledroitdevendretantqu’ilssontenplace.Parailleurs,ilspeuventinvestiraucôtédel’employeur quand ce dernier prend des participations dans des entreprises. Les fiscalistes les plusrenommésdeWallStreetsepréoccupentd’allégeraumaximumleur feuilled’impôtspar le truchementd’habilesmontagesd’évasionfiscaleparfaitementlégaux.

Afindelaisserlaplaceauxnouveauxvenus,certainsassociés-gérantssontpriésdequitterlafirmeaprèsavoirbénéficié(pendantunedizained’annéesenmoyenne)decestatutprivilégié.Lesautres,uneminorité,sontintégrésàl’état-major.L’appeld’airainsicréépermetd’éviterlafossilisation.L’évolutiontechnologique, très rapide dans la finance, impose un rajeunissement permanent. La faible rotation dupersonneladministratif–secrétairesetassistants–assureenrevanchelacontinuité.

Àl’opposédunépotisme,cettedémarcheestunique.Ellesefondesurunprincipe:àforcederestertroplongtempsàleurposte,lesbanquierss’engourdissentetcommettentdeserreurs.

Aprèsavoir trimédur, lesex-associés,unefoisfinancièrementindépendants,peuventenfinréaliserleursambitionspersonnellesense lançantdans lapolitique, l’enseignementuniversitairede laviedesaffaires, la philanthropie… Certains créent un hedge fund pour s’amuser ou s’enrichir encore plus.Auparavant,ilsontvendul’essentieldeleursactionsGoldman.Cegrouped’anciensconstitueunréseauredoutableenaffaires.Unefoisparan,ilsseréunissentàNewYork.Ilsontparfoisleurmotàdiredansl’évolution de la firme, dans certaines nominations. Aux yeux de ces jeunes retraités encore pleinsd’énergie, se la couler douce sous les cocotiers ou passer ses journées à frapper des drives sur lesterrainsdegolfesttoutsimplementimpensable.

Dernière pièce maîtresse du « système Goldman » : le contrôle des risques. Dans les banquesd’investissement,unmur invisiblesépare lapréparationdes transactionsde l’émissionouducourtage.Pourqu’unpetitmalinnepuissesejouerdecette«murailledeChine»,ellesontmisenplaceunarsenalderèglesdesurveillancetrèsstrictes.

«Surtoutpasdesurprises» : telest le leitmotivde l’activitéde tradingchezGoldmanSachs.Lesgainsetpertesdechacunsontvérifiésquotidiennement.Lescontrôleursdesrisques,les«empêcheursdespéculerenrond»,commeonlesappellefamilièrement,ontdroitdevetosurtoutetransactiondouteuse.Ces«déontologues»ontunaccèsdirectauxdirigeantspourempêcherlecontournementd’interditsviades filiales. Ils sont d’ailleurs directement rattachés au directeur financier, le numéro trois del’organisation, également responsable de l’administration, de l’informatique, des services comptables.Dans L’Engrenage, Jérôme Kerviel, l’ancien trader de la Société Générale, évoque le laxisme desprocéduresprévalantà la tourde laDéfense :«Labanquenousavait sibienconvaincusdesa toute-puissance qu’elle n’avaitmême plus besoin de revenir à la charge, de nous rappeler au respect d’unquelconquerèglementoudenousremonterlesbretellesencasdenégligence.»Pareilledescriptionesttout simplement inimaginable chez Goldman Sachs. À l’inverse de ce qui se passait à la SociétéGénérale,lepatrondelasalledesmarchésdel’établissementaméricainparleconstammentàsestraders,lesquelsviventdanslemêmemondequeleurscontrôleurs.

Toute organisation a ses failles. Le système coupe les professionnels de la réalité, de la viequotidienne.CarGoldmanSachs,cen’estpasseulementunemachineàproduiredesprofits,c’estaussiunemanière de vivre. Dans son livreWhoRuns Britain ?, le chroniqueur financier star de la BBC,RobertPeston,parlecarrémentdesecte.L’expressionBigBrotherchèreau1984d’Orwellsembleplusappropriée. La police de la pensée, la novlangue, la primauté du collectif sur les convenancespersonnelles : tout est là. Les employés sont surveillés dans leursmoindres faits et gestes.Un ancien

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directeurracontequevousêtesencouragéàdéjeuneràlacafétéria–sushi,salade,etc.–oùvosachatssont réglésparcarteélectronique,cequipermetdecontrôler l’équilibrediététiquedes repas.Sivousalleztropsouventvousapprovisionnerdansl’unedesnombreusessandwicheriesdeWallStreetcommedeFleetStreet,unexpertdeladiététiquevouscontacteenvous«proposant»sonaideafinderetrouverledroitchemin…

Lecultedusecretestunelonguetradition,héritéesansdoutedusystèmedepartenariat.Oninculqueàchacunlesvertusdeladiscrétionetlesrisquesdubavardage,particulièrementdanslesavionsoudanslesbarsd’hôtels.Ilestinterditdeparlerd’undossieràsonépouse.

Alorsqu’àManhattanoudansleWestEndlondonien,lesuccèsdesbanquess’affichejusquedanslescouloirsdumétrosurdespanneauxracoleurs,LABanque,elle,nefaitjamaisdepublicité.Riennedoitfiltrer d’une institution qui se contente d’un unique partner porte-parole… chargé de parler le moinspossible!Pourunjournaliste,obtenirunrendez-vousaveccedernierrelèvedelagageure.Entermesdetransparence,lasociétésecontentedevantersonrôledanslesgrandesopérationsfinancières,depublierses résultats ou les études de ses analystes stars.Alorsmêmeque laBanque est cotée enBourse, lesassociésdistillentlesinterviewsaucompte-gouttesetfuientcommelapestelescontactsaveclapresse.CequisetrameausommetestmieuxprotégéquedanslaCurieromaine.

Cecultedelavictoireàtoutprix,cetuniversoùtoutestpermissaufl’échec,cethéâtredelafinanceoùlesspectateurscommelescomédiensn’ontquefairedesbonssentimentscréentuneculturedumépris,un sentiment de supériorité à peine dissimulée.Les croisés deGoldman sont restés cette armée qu’unhebdomadairebritanniqueacomparéeauxpuritainsdeCromwell,sérieux,pasdrôlespourunsou,maistoujoursvainqueurs.«Jenesuisqu’unbanquierfaisantletravaildeDieu»:mêmes’ils’agissaitd’uneplaisanterie,laremarquedeLloydBlankfeinenpleindébatsurlamoralitéducapitalismefinancieretsurl’aviditéprésuméedesbanquiersd’affairesconfirmecettearrogancede«premierdelaclasse».

Ainsi, lors de la réunion, le 13octobre2009, entre le gouvernement travailliste britannique et lesdirigeantsde filialesdesétablissementsétrangers londoniensàproposde l’encadrementdesbonus, lereprésentant deGoldman Sachs arrive en retard – c’est presque un rite sinon unemanie –, semontredésagréableenverssesconfrèresetsecomportecommeenterrainconquis.Arrogance?Non:absolueconfiancedanscequ’ilreprésenteetsentimentd’impunitéquoiqu’ilfasse.

Est-ce un hasard si Goldman Sachs est le grand gagnant de la crise financière ? Le numéro unplanétairedusecteuratisséunréseaudepouvoiruniqueauseindescerclesdirigeantsmondiaux.C’estunevéritabletoiled’araignéequiunitlecœurdelahautebanqued’affairesauxdécideursdeWashington,Paris,BruxellesouPékin.OudeLondres,lecentredecettenébuleusequ’estlaCity.

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4.Prédateursetproies

Pour LA Banque, tout commence le 18 janvier 2006. Ce jour-là, sur l’héliport de Battersea, àLondres, lemagnatde l’acierLakshmiMittal appelleLloydBlankfein, lui-mêmeen traind’embarquerdansunavionàNewYork:«Lloyd,j’aimeraisqueGoldmansoitmonprincipalconseillerpourmeneruneopérationdeMittalSteel.»CecoupdefildéconcerteunrienceluiquiestalorslenumérodeuxdeGoldman.Ilestincapablededireexactementquiestcesidérurgisteindien,pourtantl’undesindustrielslespluspuissantsdusecteur.

À l’époque, l’intéressé n’est qu’un petit client de la banque. Goldman Sachs a joué un rôlesecondairedanslafusion,en2004,entreIspat,LNMetl’InternationalSteelGroupdonnantnaissanceàMittalSteel.

–Lakshmi,ceseraitunplaisirdevousrendreservice.–J’aimeraisexplorer lesoptionsstratégiquesetanalyser la faisabilitédepareille transaction. J’ai

besoindevotreaidetrèsrapidement.–Aussivitequevouslesouhaitez.Quelleestlacible?–Arcelor.–Pardon?Comments’épellelenomdecettesociété?LloydBlankfeinappelleimmédiatementRichardGnodde,lecodirigeantdeLondres:«CeMittalest

intéressant.Maisquiest-ilexactement?»Lesanalystesmaisondumarchédel’aciersemobilisentpourdresserleprofildusidérurgisteindien.

L’armée Goldman se déploie. Accompagné de Shahriar Tadjbakhsh, codirecteur de la filialefrançaise,RichardGnodderencontrelegéantdel’acierâgéde56ansausiègedeMittalSteel,nichéauseptièmeétaged’unimmeubledeverredeBerkeleySquare.L’influenceduRajasthan,laprovincenataledece résidentbritannique,estbienprésentedans lesbureaux,auxmursd’unocreviolentoù les spotsdorésetlestableauxcontemporainsilluminentlehalld’entrée.

Le maître des lieux est un personnage insolite. Cet industriel de taille moyenne, au physiqueordinaire,avecunfortaccentindien,necherchepasàimiterl’anglaisd’Oxford.C’estunself-mademanquiasuividescoursdecommerceetrépondauxquestionsdemanièrelapidaire,sansarrogancenieffetsdemanches. Le boulimique des hauts-fourneaux se dit homme d’affaires, pas technicien. L’acier – dusolide – l’a toujours fasciné. La suite est légende. L’empireMittal se construit sur des usinesmal enpoint,souventenEuropedel’Est,rachetéesàdesgouvernements,tropcontentsdes’endébarrasser.Cesabreurdecoûtsredressecescanardsboiteuxàlahache.

Le tycoon de nationalité indienne est résident àLondres depuis 1995.Troisième fortunemondialederrière Bill Gates et Warren Buffett, il occupe un immense manoir victorien à Kensington Palace

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Gardens–l’alléedesmilliardaires–quicomprendunepiscinedemarbreetungaragepourunevingtainedevoitures.

Pourl’amourdesesenfants,LakshmiMittalestprêtàbeaucoup.Jeuneambitieux,AdityaMittal,sonfilsetdauphin, tout juste30ans,estdirecteurfinancieretprésidentdugroupe.C’estcediplôméde laWharton School qui a poussé son père à attaquer Arcelor. Comme bon nombre d’industriels indiens,Mittalsenioraunevisiondynastiquedesasociété.SafilleVanisha,àquiilaoffertunmariagedesMilleetuneNuitsdansleschâteauxdeVersaillesetdeVaux-le-Vicomte,faitpartiedesagarderapprochée.

LapropositionfaiteàGoldmanSachsestalléchante.Àpartirdedeuxgroupescomplémentairesentermesdeproduitsetdecouverturegéographique,cettemégafusiondoit créerunmastodonte trois foisplusgrandquesonpremierconcurrent,apportantunenouvelledimensionàunsecteurfragmentéenpleinerestructuration. Surtout, LakshmiMittal a fait appel à Goldman pour lui demander d’être sa banque-conseilnuméroun.Imbuedesasupériorité,lafirmedétestejouerlessecondscouteaux.

–Pourquoinepasluiproposerunefusionamicale?L’interrogationdeRichardGnoddeestdepureforme.Celafaitdeslustresquelamaisonarenoncéàsonrefussystématiquedeprendreenchargedesoffrespubliquesd’achat(OPA)hostiles.

– Parce qu’Arcelor ne veut pas demariage, répondMittal dont la voix résonne comme un cri deguerredanslapetitesallederéunion.

Depuis un an, l’entrepreneur indien a plus d’une fois – notamment lors s dîner à Londres, le13janvier2006–faitdesavancesauP-DGd’Arcelor,leFrançaisGuyDollé.Arcelor,quipensebarrerlaroutedel’attaquantendevenantaussigrosquelui,estalorslenumérounmondialdel’acierenchiffresd’affaires.MaisMittal,leaderentonnesproduites,letalonnedeprès.

–Jeveuxcréeruneentreprisedufuturàl’échellemondiale,poursuitLakshmiMittal.Une bagarre est en route. Un mariage à l’amiable ? Non, un raid, une attaque surprise. Dans ce

contexte,lerôledubanquierd’affairesestdécisif.Audépart,ilestentremetteur.Ouplutôt«spécialistedes fusions-acquisitions », ce qui est beaucoup plus chic. Cet homme-là aide un chef d’entreprise àgrossirenavalantunrivalpourbénéficierdeséconomiesdecoûts,améliorersapositionconcurrentielleetvaloriserl’investissementdesesactionnaires.Sic’estluil’agresseur,ill’aideàfourbirsesarmes.Sileclientestattaqué,sonbanquier-conseildoittrouverlaparadepourpréserversonindépendance.

Quellequesoit l’issueducombat, lescommissionsempochéesparcesVRPd’éliteducapitalismemondialisé sont gigantesques. Et laBourse adore ces bataillesmédiatisées sous la houlette de grandsrequinsenquêtedemoutonsàtondre.

Nedit-onpasd’unexpertenoffrespubliquesd’achatetencoupsdeBoursepréparésdansl’ombrequ’ilaunmorald’acier?Commelasidérurgie,labanque-conseilestunmétierd’alchimiste,unartfin,subtilmaispérilleux.Etdansl’artdufléau,delabalanceetduglaive,lesmoinesbanquiersdu85BroadStreetpassentpourlesmeilleurs.LaréussitedecetteOPAhostiledeMittalsur legroupesidérurgiqueluxembourgeoisArcelor(l’entitéissuedelafusionentreleLuxembourgeoisArbed,l’EspagnolAceraliaetleFrançaisUsinor)vaparticiperàlalégendedelamaisonGoldman.

DansuneOPAhostile–uneoffrepubliqued’achat–, laconfidentialitén’apasdeprix.Toutvasedéroulerensecret,enpetitcerclerestreint,auQGlondoniendeMittalSteel.Leconseild’administrationdeGoldmann’estmêmepasaucourant.Toutdoitêtrecodé.L’opérationestbaptisée«ProjetOlympus»–résidencedesdieux–allusionaussiauxJOetàlaragedevaincre.LenomdecodedeMittalSteelest«Mars», ledieude laguerre,de labravoure,dotédesurcroîtd’uncasqueetd’uneépéedumeilleuracier. Arcelor est baptisé « Atlas », le titan qui perdit contre Zeus (le roi de l’Olympe…) qui lecondamnaàporterlemondesursesépaulespourl’éternité.

GoldmanSachssortalorsdesamanchesonatoutmaître:YoëlZaoui.Réputépoursoninventivitéetsaréactivité,lecodirecteurdelabanque-conseilàLondresestlastardesfusionspaneuropéennes.NéàCasablanca,élevéàRome,mouléàHECetàlaStanfordBusinessSchool,ilarejointlabanqueen1989

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àNewYork.Les«coups»sontuneaffairedegènes:sonfrèreaîné,Michael,exerceàl’époquelamêmeprofessionchez legrandconcurrentdeGoldman,MorganStanley.Ondoit au«petit frère» le succèsd’opérations boursières spectaculaires : HSBC-CCF, Italenergie-Montedison, Pechiney-Alcan ouAventis-Sanofi.Leregard intérieurduprofessionnel trahitunappétitdevictoire totale jamaisrassasié,commedanslesportdehautniveau.

L’OPA est une guerre sans concession au cours de laquelle les deux camps – le prédateur et savictime – se battent à coups d’arguments politiques,médiatiques et économiques.On ne part pas à lachasseaucrocodileavecunfiletàpapillon.AutourdeZaoui,Goldmanconstitueuneéquipedechocavecnotamment Pierre-Yves Chabert, principal associé au cabinet juridique parisien de Clearly, Gottlieb,Steen&Hamilton. Il fallait en effet un juriste européen attaché à un grand cabinet américain afin decouvrirpasmoinsdeseptjuridictionsconcernées:Luxembourg,Belgique,France,Espagne,Pays-Bas,Union européenne etÉtats-Unis.Vu le nombre d’autorités de régulation impliquées, cette opération serévèled’uneincroyablecomplexitésurleplanlégal.

Quatre banques commerciales sont appelées en renfort pour aider à financer l’opération : CréditSuisse, Citigroup, HSBC et la Société Générale. Contrairement à la plupart des magnats prédateurs,LakshmiMittalestàl’écoutedesesbanquiers.

Enfin est engagée l’une des communicantes les plus réputées de la place de Paris, AnneMéaux,présidente-fondatricedel’agenceImage7.Ex-collaboratricedulibéralAlainMadelinquandilétaitauministèrede l’Industrie,ellesesentnaturellementprochedeMittalqui incarne lemythedupatrondespaysémergents.

Lecabinetdeguerreestdèslorsconstitué.«C’estGoldmanquimèneleshow»,ditd’embléeMittal.Paupièresmi-closes,visageimpassible,

YoëlZaouineditmot.Quefaired’autre,aprèstout,lorsquelesélogessuccèdentauxéloges?Àl’inversedutradingsansfoiniloi,danslabanque-conseil,c’estlarelationdeconfianceétablieavecleclientquicompte. Le reste consiste finalement à dominer les bases élémentaires de la division et de lamultiplication.C’estunmétierdeseigneur.

25janvier2006:surlesconseilsdeGoldmanSachs,LakshmiMittaltéléphoneàGuyDollépourluiproposer la fusiondesdeuxgroupes.Autermed’uneconversationcourtemaispolie,cedernier refuseunenouvellefois.

Les hostilités sont déclenchées deux jours plus tard à Londres quand le groupe indien annoncepubliquementsonintentionderacheterArcelor.Laveilledel’offensive,l’actiondelaproieselanguit.Le groupe estmal aimé d’une Bourse qui le sous-évalue. Les spéculateursmaltraitent sa cote depuisnovembre2005.

Pourtant,lapremièreoffredeMittallaisselesmarchéssceptiques.Leprixbasetlafortecomposanteenpapier,autrementditenactions,offerteauxactionnaires,sontjugésinsuffisants.Deplus,l’emprisedelafamilleMittalsurungroupeimmatriculéauxPays-BasetcotéàLondrescontrevientauxrèglesdelabonne gouvernance d’entreprise. Perçue comme ne créant pas de valeur immédiate, l’OPA paraîtmalpartie.Avecsuperbe,Arcelorrepoussel’offre.

L’offensivenerencontrepasunefranchesympathiedel’autrecôtéduChannel,danslesquatrepaysd’opérations.TrèsattachéàArcelor,dontilaccueillelesiègesocial,leLuxembourgserangerésolumentdanslecampdel’agressé.Quelquesjoursaprèsl’annonceduraid,legrand-duchétransposeàlahâteunedirective européenne sur les OPA qui renforce les moyens de défense de la cible. Quant auministrefrançais de l’Économie, Thierry Breton, proche de Jacques Chirac, il affirme avec une touche dexénophobie–surprenantechezcetancienprésidentdeFranceTelecom–quecetteOPAhostileposeàlaFrance«unproblèmedegrammairedumondedesaffaires».

Au départ, Goldman peut compter sur le soutien de la City qui apprécie l’outsider Mittal, et dugouvernementbritannique.L’industrielaeneffet susemontrergénéreuxenvers leparti travailliste.Le

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PremierministreTonyBlair luia renvoyé l’ascenseuren favorisant ses intérêtsdans lespaysde l’ex-bloc soviétique. A priori, la commission de Bruxelles n’est pas hostile à une OPA qui ne peut querenforcer l’Europe industrielle.LaWallonie et l’Espagne se déclarent neutres. Et JacquesChirac, quiprépareunevisiteen Inde,ademandéàsonministrede l’Économiedebaisserd’un ton.L’heureestàl’apaisement.LaFrance,quin’estpasactionnaire,serésigneàlaisserfaire.

Début février, l’offensivedeMittalparaît toutefoissérieusementembourbéequandGuyDollé,qui,d’entréedejeu,aqualifiéMittalde«grouped’Indiens»etsonoffrede«monnaiedesinge»,ajouteunecouchedeméprisenaffirmantqu’Arcelorfaitdu«parfum»quandMittalfaitde«l’eaudeCologne».

Le franchouillardDolléaoubliéqu’à laCitycommeàWallStreet travaillentdenombreuxcadressupérieursoriginairesdusous-continentindien.Desurcroît,lemodedeviemodestedeDolléquivitdansunappartementàLevallois,aunemaisondecampagneàDunkerqueettouchel’undesplusbassalairesduCac40,faitsourirelesAnglo-Saxons.Ilsportentauxnuesmagnatsetoligarquesdontlegoûtduluxeetlafoliedesgrandeursalimententleursprimesdefind’année.

Sobreetmaîtredelui,Mittalsedéclareseulement«attristé»parcespropos.Etc’estàcestadequelefameuxréseaus’active.LesattaquesdeGuyDolléetdesesacolytesontoffusquénombredepatronsfrançais.EnparticulierFrançoisPinault qui vient de transmettre les clés de songroupe à son fils.LeBreton se trouve bien des points communs avec cet Indien dont le parcours professionnel ressembletellementausien.LefondateurdePPRs’enouvreàAnneMéaux.Ensemble,ilsorganisentundînerluipermettant de rencontrer les grands pontes de l’establishment français des affaires. En lui donnant lalégitimitéquiluimanquait,l’entrée,quelquessemainesplustard,dePinaultauconseild’administrationdeMittalSteelfaittairelescritiquesenFranceetenBelgique.«FrançoisPinaultestunvisionnaire,quej’appréciebeaucoup.Ils’agitd’unerelationd’industrielàindustriel»,déclareMittalensachantquesonnouveaucompèreplaiderasacauseàl’ÉlyséeauprèsdesonamiChirac.LegestedePinaultestd’autantplusdésintéresséqu’àl’époque,legroupePPRn’estpasclientdeGoldmanSachs.Parallèlement,AnneMéauxobtientdeCarlosGhosn,lepatrondeRenault,d’originelibanaiseetélevéauBrésil,d’écrireunelettreouvertedéfendantladiversitéculturelle.

Fervent partisan de lamondialisation, défenseur du libéralisme sans entraves autant que des grosbonus,YoëlZaouiestpersuadéqu’auboutducomptelesactionnaires–60%ducapitald’Arcelorestaux mains de fonds de pension – vont balayer les États. Le patriotisme économique n’existe plus. Ilpersuadedoncsonclient,LakshmiMittal,qu’ilesttempsdereleverconsidérablementsonoffre,de35%.Parallèlement,lemilliardairerenonceauxdroitsdevotedoublesenacceptantdepassersouslabarrede50%desactionscommedessuffragesdanslenouvelensemble.Cetteconcessiondoitentermineravecladécoteboursièreprovoquéepar l’absencedebonnegouvernance.Soucieuxdenepas accroître sonendettement,LakshmiMittaletsonfilsrésistentavantdeserangeràl’avisdeGoldmanSachs.L’euphorierègneauquartiergénéraldeMittalSteelàBerkeleySquare.Lapeaudel’oursestvendue,resteàtuerlabête.Zaouiestcertainqu’ilnes’agitqued’uneformalité.

C’estalorsque,pouréchapperàMittal,GuyDolléjouesonva-tout.Ilsetrouveunchevalierblanc,Severstal,premierfabricantrussed’acier.Maisl’allianceavecl’oligarqueAlexeïMordachovserévèleà double tranchant. Le nouvel allié, proche du Kremlin, n’apparaît pas très fiable. C’est un hommearrogant.L’opinionrechigneàlamainmised’unoligarquesurArceloràl’heureoùMoscounecachepassesambitionsenmatièred’énergie.QuantàlaCity,ellen’atoujourspaspardonnéledémantèlement,en2004,surordreduKremlin,delamajorpétrolièreIoukos,auméprisdelaréglementationinternationale.Lesfinanciersontlamémoirelongue.

PoursauverArcelordesgriffesdeMittal,sonP-DG,GuyDollé,doitabsolumentgagnerlesfaveursdesonpremieractionnaire,leFranco-PolonaisRomanZaleski,grandconnaisseurdumarchédel’acier,quin’apaschoisisoncamp.C’estl’hommeincontournable:ildétientleplusgrospourcentageducapital

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d’Arcelor. Heureusement pour Mittal, l’oligarque russe Alexeï Mordachov, autoritaire, grossier, s’yprendtrèsmal.Vexé,Zaleskidécide,le14juin,d’appuyerl’entrepreneurindien.

Il ne reste plus qu’à persuader les hedge funds (les fonds d’investissement), autres actionnairesimportants d’Arcelor, du bien-fondé du projet industriel Mittal. Pour Goldman Sachs, c’est un jeud’enfant. En effet, la banque administre toutes leurs transactions. Enfin, le Luxembourg, principal Étatactionnaire,seralliedanslafoulée.

Le 25 juin 2006, à l’issue d’une guerre de cinqmois sans concession, le conseil d’administrationd’Arcelorrecommandeàl’unanimitéàsesactionnairesd’apporterleurstitresàMittal.Lesinvestisseursinstitutionnels ont forcé les dirigeants à accepter les conditions de l’assaillant. Sous les auspices deGoldman Sachs, Arcelor-Mittal, un nouveau groupe fort de 320 000 employés, s’impose commechampionmondialincontestédel’acier,loindevantsesprincipauxconcurrents.Leclanindiencontrôleleconseild’administration.LakshmiMittal,vice-président,etsonfils,directeurfinancier,tiennentaussilesrênesstratégiques.Ilsontlesmainslibresenmatièrederestructurationsetdeplanssociaux.«Au-delàdusuccèsd’unhomme,dudynamismedugroupequ’ilacrééetdesmutationsindustriellesmondialesdontiltémoigne, cette bataille de l’acier s’est soldée par une victoire écrasante des marchés et une défaitehumiliante des politiques », écrit Le Monde. En fait, le grand quotidien du soir rend implicitementhommageàlavictoiredeGoldmanSachs.

Lakshmi Mittal obtient alors une consécration inattendue : il est invité à rejoindre le conseild’administration deGoldmanSachs.La banque a besoin de lui pourmettre le paquet sur lesmarchésémergentsasiatiques.Elleamarquéunnouveaubut.

Lors de la conférence de presse finale sous les lambris dorés de l’hôtel Lanesborough, àKnightsbridge,lenouveaumaîtredelasidérurgieeuropéenneestheureuxd’enavoirfini.IlfaitleVdelavictoire.Audernierrang,bienenretraitderrièrelesjournalistes,ondistingue,latêtelégèrementrentréedanslesépaules,unpetitmonsieurencostumepasse-muraillequitenteunsouriretimide.YoëlZaouisuitsesclientsàlatrace,gardanttoujoursunœilsureux.

Deux ans plus tard, en pleine crise financière, nous nous retrouvons dans une salle de réunion deGoldmanSachsInternational,danslecadred’uneenquêtesurlafirme.YoëlZaouidégageunetoutautreallure. Le voici dans son fief, direct, spontané, l’œil incisif de l’homme pressé et de l’infatigabletravailleur, leportaltier.Contentde lui,desonsortetdesabanque.Malgré la tourmenteéconomiquemondiale, lemarieur d’entreprises affirme que tout va bien dans lemeilleur desmondes. De la purelanguedebois.

MaisYoëlZaoui saitaussi semontrercolérique.Quelquessemainesplus tard, ilm’appelleàmondomicileunsamedisoirpourseplaindredenepasavoirétémentionnédansunarticle.Ils’agissaitd’unportraitcritiquedeGoldmanSachspubliédansLeMondedu31octobre2008.Sousl’écorcerugueuse,lebanquiersesent fragile,conscientqu’annéeaprèsannée, lapartde labanqued’investissementdans lechiffred’affaires totaldeGoldman recule sous l’envolée inexorabledesactivitésde trading.Mais lesmariagesdecegenreontencoredebeauxjoursdevanteux.

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5.LejeuneFrankensteinestfrançais

Cematindu27avril2010,devantlessénateursmembresdelacommissiond’enquêteaméricaine–etleschaînesdetélévisiondumondeentier–,FabriceTourreestsurladéfensive.Carsonprocèsestaussi,surtout,celuidelamaison.Cejour-là,lesraidsréussis,lesparisgagnés,lesfusionsmenéesàbiensouslefeudel’ennemi,riennecompteplus.LABanqueestl’accusée.EtdevantleCongrèsdesÉtats-Unis,cequin’estpasrassurant.

L’objetducourrouxdessénateurs?LeFrançaisafaçonnédansleslaboratoiresdesonemployeurunproduitfinanciercomplexe,bourrédecréditshypothécairessubprimestoxiques,qu’ilarecommandéàlahausseàsesclients.Parallèlement,letraders’estalliéensecretavecunsulfureuxhedgefundpourjouerlemêmeproduit…àlabaisse.Maisilatravaillésesréponsesfaceauxenquêteurs:«Àaucunmomentnosclientsn’ontétéleurrés.Noussommesàleurservicemaisnousnesommespasleursconseillers.»Minutieusement préparé par une armée d’avocats, le professionnel au cœur de la tourmente pèsesoigneusement sesmots.Le forten thèmeadevant luiune liassededocumentsaussiépaissequedeuxannuairestéléphoniques:iladumalàs’yretrouver.Letradernielesfaitsquiluisontreprochésd’unevoix assurée,dansunaméricain au fort accent français.Sonaplomb frise l’effronterie. Il use et abused’un jargon technique pour esquiver le feu roulant des questions sur les allégations de fraude. Cesmanœuvres plongent dans un océan de perplexité et de scepticisme le président de la commission, lepugnaceCarlLevin,sénateurdémocrateduMichiganetjuristeréputé.

«Jeregrettecescourriersélectroniquesquidonnentunemauvaiseimagedelafirmecommedemoi-même, poursuit FabriceTourre. J’aurais préféré ne pas les avoir envoyés. »Évidemment, il n’est pasquestiond’amuserlagalerieetdedonnerdanslestylegoldenboy!Lejeunehommelajoueantihéros.Queceuxquifantasmaientsurlesloopingsd’unvétérandelacabriolefinancièrechangentdechaîne.Ilya eu erreur de casting. Au-delà des apparences, le Frenchie cultive le genre « meilleur employé deGoldmanSachs»quiagacel’hommedelarue.Pourunpeu,cegourmandréussiraitàfaireoublierlerôlecléqu’ajouécetteinstitutiondansledéclenchementdutsunamifinancier.

Deuxjoursplustard,le29avril2010,àl’aube,FabriceTourreestallongédanssachambred’hôtel,tripotant son Blackberry bourré de messages de félicitations dithyrambiques de collègues sur saprestation au Capitole. Puis, un rien agacé, il jette un œil sur la presse américaine, beaucoup pluscritique:«Fablefabuleuxaoubliédes’excuser,maispasd’êtrearrogant»,tonneleWashingtonPostenbrocardant« lemillionnaire incompris».Le tabloïdDailyNews cloue au pilori « ce pleurnichardapeuré».L’intéressé fermeun instant lesyeuxetse replongedans lepassé.Les imagesdesacarrièrerepassentaurythmeduticker, labandeélectroniquesur laquelledéfilent les indicesboursiersduNewYorkStockExchange.

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Ce Rastignac transplanté dans le nouveau monde est sorti tout droit de Centrale, l’une des plusprestigieusesgrandesécolesfrançaises,dontraffolent lessallesdesmarchésde la terreentière.AprèsunejeunessepasséedanslabanlieueOuestdeParis,duPlessis-RobinsonàSceaux,dansdesquartiersrésidentielsunbrinaisés,entreunpèrecadreetunemèrepodologue,FabriceTourreaenchaînésurlescélèbreslycéesHenri-IVetLouis-le-Grand.Précoce,ilestreçuàCentraleà19ans.Fabricead’ailleurstoutdupremierde laclasse : sagecommeune image,bienélevé,àdesannées-lumièrede lamoindrefantaisie.Ilyauncôtégendreidéalchezcetétudiantambitieuxassezfacileàcerner.

Après une année à la Stanford Business School, l’une des meilleures écoles de management desÉtats-Unis,l’aspiranttraderaucursusexemplairedécrocheunentretiend’embauchechezGoldman.Pourle jeune candidat, c’est un vrai parcours du combattant. Il doit se plier au petit jeu d’une vingtained’entretiens rondement menés par associés et directeurs. On l’interroge sans relâche. Au bout duprocessus,leshiérarquesdel’établissementn’ontrien,non,vraimentrientrouvéquileurdéplaisechezleFrançais.À leurs yeux, le jeune loup a tout pour lui : intelligence, autorité naturelle, soif de réussiteprofessionnelle,bossedesmathématiquessophistiquées,maîtrisedelanovlanguefinancière.Fabricen’apasbesoindebeaucoupdesommeil.Disertetcharmant,unpeunerveux(maisquineleseraitpas?),ilcachemalunvifsentimentdesupérioritéintellectuelle,cequiestunbonpointpourlabanque.C’estuntennismanchevronné,hyperconcentré,quis’adonneavecbonheuraujogging,doncprêtauxlongsefforts.LesrecruteursdeGoldmanensontpersuadés:FabriceTourreestleurhomme.

Lecœurbattant lachamade, levoilàquipassepar laporteduparadis,celledu85BroadStreet–l’austèretourdebétonàl’architecturepasse-partoutquiaccueillaitalorslesiègedeGoldmanSachsInc.Danslemagnifiquehalld’honneurtoutenmarbrebrun,aprèslecontrôledesécurité,uneréceptionnistesans charme lui adresse un sourire contraint et appelle la division des crédits hypothécaires – lemortgagedesk.Unesecrétairevientlechercheretluiremetsacartemagnétique.Premierfrisson,dèslasortiedel’ascenseur:unerumeurvaguesourddelaportedelasalledesmarchés–unblocd’unseultenantéclairédemauvaisnéons.Lebrouhahaenflealorsqu’ilgagnesadivisionaufondduvasteespacedécloisonné où s’alignent des rangées de bureaux remplis d’ordinateurs, de batteries de téléphones,d’annuairesspécialisésetdepetitsdrapeauxaméricains.«HelloFabrice,bienvenue,jesuiscontentquevous soyez des nôtres ! », lance le directeur dumortgage desk, Daniel Sparks, un Texan loquace etsympathique,enluidonnantunepuissanteetrapidepoignéedemain.Lesyeuxrivéssurleursécrans,lemicroauborddeslèvres,lestraderssonttropoccupéspourremarquerlenouvelarrivant.IlestaffectéàunesectioncomposéedesixopérateursdirigéeparJonathanEgol.Desgrossestêtesquiontencommunla passion de l’analyse financière et des algorithmes et quimettent tout en équations. Fabrice, qui seconsidèrecommel’êtreleplusdouéaumonde,trouveimmédiatementsaplace.Ilarevêtuunecottedemailles face à tous ces ambitieux qui se poussent du coude. Il a fait sienne la fameuse remarque deGekko-MichaelDouglasdanslefilmWallStreet:«Sivousvoulezunamidansunesalledesmarchés,prenezunchien.»

Letravailquiconsisteàvendreetàacheterpourlecomptedesonemployeurdesproduitsdérivéscomplexes auxacronymesbarbares est certes fastidieux.Le salairedebasen’est pas terrible,mais larémunérationauchiffrevialaprimedefind’année–lefameuxbonus–prometd’êtrerondelette.FabriceTourresesentbienàNewYork,ombilicdelaplanètefinancière.Centraleetl’universitédeStanfordsontàdesannées-lumière.LegroupeBouygues,oùilaétéstagiairependantdeuxmoisavantdepartirétudierauxÉtats-Unis,estsuruneautreplanète.Lepasséestloinderrière.Ilestarrivé.Ila22ans.

Grâceàlacroissanceéconomique,àlacourseaugigantisme,maissurtoutàlapolitiqueexubéranted’argentbonmarchémenéeparAlanGreenspan,présidentde laRéserve fédérale (laBanquecentraleaméricaine)entre1987et2006,lesecteurfinancieraméricainestdevenuuneextraordinairemachineàfabriquer des profits : à lui seul, ce pôle représente 40 % du total des bénéfices des entreprisesaméricaines.

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Au cœur de cet essor sans précédent se trouve l’explosion des produits dérivés de crédit, enparticulierceuxquisontfondéssurunmarchéimmobilierquicroîtjusqu’àlafolie.Décortiqués,traqués,décomposés par les petits génies des salles des marchés, ces nouveaux instruments financiers sontrecombinésdansdecomplexeséchafaudages«algorithmiques».Àforced’emprunterlessensinterdits,les traders franchissent les murailles de la réalité. Sabre au clair, ces jeunes gens exceptionnelsdéconstruisentlesproduits,lesregroupentpuislesrevendententranches.

ChezGoldmancommeailleurs,leseffectifsdeladivisioncréditshypothécairesgonflentdemanièremétastatique, dépassant bientôt 400 personnes. Les neurones de Fabrice Tourre tournent sans arrêt.Épuisante course d’obstacles, jalonnée de nuits écourtées, de week-ends sacrifiés, de trop raresdistractions.Danscettecocotte-minute,ilfautapprendrelesficellesdumétiersurletas.Lessupérieurshiérarchiquessontconstammentdébordés,entredeuxavionsettroisréunionsauxquatrecoinsdumonde.«Jebossedepuissixansàcerythmed’enfer.Jesensquejeperdslatête»,commenteFabriceTourredans l’undesesmailsàsa jeuneamie.Maisqu’importe l’épuisement, legarçongagnesesgalonsà lavitessed’uncourrierélectronique.Levoici«vice-président»,lapremièremarchemenantaupinacledelagloireetdelafortune:lestatutdepartner,d’associé.

JonathanEgoletFabriceTourreformentl’undecesbinômestypiquesdeGoldmanSachs.Lesdeuxpersonnalitéssecomplètent.Lepremier,introverti,estl’hommedesconcepts;lesecond,extraverti,estunvendeur-né.En2005,lesdeuxcompèresmettentaupointunproduitfinancierbasésurunportefeuillede créances comprenant essentiellement des subprimes, des crédits hypothécaires à risques.CesCDO(collateralizeddebtobligations)sontaffublésd’unnomdecodelatin:Abacus.Enfrançais,l’abaque,lebouliercompteur…

L’heureestcertesàl’euphorieboursière.Maisaumêmemoment,lespremièreslézardesapparaissentsurlemarchéhypothécaireaméricain.Derrièrelacourseaurendementfacilecommenceàs’introduireledoutesurlapérennitéduboomimmobilier.FabriceTourres’interrogeenparticuliersurlesmanœuvresdecertainsdesesclients, leshedgefunds, lesfondsd’investissement,quiparientmassivementsuruneprochaine chute dumarché hypothécaire.Mais le flibustier du risque préfère ne pas confier ses étatsd’âmeàsahiérarchie,persuadée,elle,delapoursuitedelahaussedumarchédulogement.Qu’importentlesdoutes,eneffet,tantquelesventesdecesproduitssophistiquésremplissentlescaissesetalimententlesprimesdefind’année.D’autantqu’àWashington,laSEClaissefairelesspéculateurs.Lerégulateurnecomprendpasgrand-choseàtouscesMeccanofinanciers.

Puis, en cette fin d’année 2006, les contrôleurs des risques de Goldman Sachs tirent la sonnetted’alarme:depuisdixjours,ladivisiondescréditshypothécairesaffichedespertes.Àl’échelledubilanglobal, rien de bien grave : seule une poignée demillions de dollars s’est envolée, une paille. Plusquestion,toutefois,dejoueraveclefeuencontinuantàparieràlahaussealorsquelemarchédescréditsàrisques(subprimes)semetàbaisser.«Attentiondanger.»

À l’issue d’une réunion au sommet en décembre 2006, Goldman Sachs prend la décision de sedélesterprogressivementdesesavoirsencréditsimmobiliers.Pourfaireavalerlapiluleàsestraders,adeptesdumaintiendecap,ledirecteurfinancier,DavidViniar,leurenvoieune-mail:«Ilvayavoirdebonnes occasions, lorsque les marchés [subprimes] iront vers ce qui semble être de plus grandesdifficultésetnousdevonsêtreenpositiond’enprofiter.»

Le 28 décembre 2006, Ownit Mortgage, une petite caisse hypothécaire américaine, fait faillite.L’informationmériteàpeineunentrefiletduWallStreetJournal,maiselleestprisetrèsausérieuxparGoldman Sachs, qui s’empresse de se débarrasser de ses subprimes toxiques. Alors que d’autresétablissements – Bear Stearns, Lehman, Merrill Lynch, Citigroup et AIG notamment – continuent àaccumuler des portefeuilles toxiques qui vont atteindre plusieurs centaines de milliards de dollars,formantainsilabasedecequivaéclater:lacrisefinancièremondialedeseptembre2008.

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Pendantce temps, lacréaturedeGoldmanSachs,Abacus,unhabilemontage,prospère.D’après laSEC,endécembre2006déjà,lefondsd’investissementaméricainJohnPaulson&Co.–trèsgrosclientdeGoldmanSachs–indiqueaujeuneFrançaisqu’ilsouhaitepariercontrelessubprimes.Toujoursselonle gendarme de la Bourse américaine, Fabrice Tourre aurait alors autorisé John Paulson – un requincomme on n’en fait plus – à sélectionner personnellement, en secret, certaines valeurs du portefeuilleAbacus, les plus « pourries » possible. De leur côté, innocentes, la caisse régionale allemande IKB,spécialiséedanslesprêtsauxPME,etlabanqued’affairesnéerlandaise,ABNAmro,s’intéressent,sanstrop poser de questions, à ce même Abacus qui semble bien présenté et attrayant. Contrairement àPaulson, confiantes dans le marché immobilier américain, elles veulent le jouer à la hausse. FabriceTourreleurauraitd’ailleurslaisséentendrequeJohnPaulsonmisaitsurlahaussed’Abacus.Alorsquec’étaitexactementl’inversequiétaitentraindeseproduire…

Aujourd’hui, la défense de Goldman Sachs est très simple : les acheteurs d’Abacus sont restésjusqu’auboutoptimistesquantà l’évolutiondumarché immobilieraméricain :àquel titreunbanquierrefuserait-ildeleurvendrecequ’ilsréclamaient?

ÀNewYork,début2007,touts’étaitpourtantaccéléré.Au siège de GS, 85 Broad Street, le trader français est soumis à d’intenses pressions pour se

débarrasserdel’investissementfaitparGoldmanSachsenfondspropresdansAbacus.LeP-DGLloydBlankfein en personne descend le voir à plusieurs reprises pour l’encourager à céder au plus vite ceproduittoxique.MaislesacheteurscontactésparFabriceTourren’enveulentpas.D’autantque,fidèleàsaréputationdeduretéenaffaires,labanquerefusedebradersesprix!

En avril, Goldman décote deux fonds spécialisés dans les investissements hypothécaires de BearStearns–qu’ellegèredirectement.Unedécisionquifaitfuirlesinvestisseurs.

Puis,enaoût2007,c’estlepremiertremblementdeterre:lemarchédessubprimess’effondre,signeavant-coureurdelagrandecrise.

EnvéritéWallStreetestassissurunbarildepoudre!GoldmanSachsvaperdrel’équivalentde75millionsd’eurosdansl’opérationAbacus.Peudechose

pourl’empireGoldman.EtFabriceTourrefaittoutdemêmebanco:sarémunérationtotaleen2007estde1,5milliond’euros.

Promuaurangdedirecteurexécutif,Tourreestdépêchéennovembre2008àLondres.Samission?AdapterAbacus aumarché européen !LaquêteduGraalmythique, de lapierrephilosophale, peut sepoursuivre.Avecsonamie,uneFrançaiserencontréeausiègenew-yorkaisde lafirme, il loueunpetitappartementdansunbeausquaredeClerkenwell,unquartierboboducentre-ville,prochedesontravail.«Untypemesuré,typiquementCity,trèspoli,trèsclassemoyenne,standard»,soulignelepropriétaire.Enexpertdumarchéimmobilier,FabriceTourreréclameetobtientuneréductionde20%duloyerencestempsderécession.

Mais le bonheur est de courte durée. En décembre 2009, leNew York Times révèle le subterfugeAbacus,consistantfinalementàvendreàdesclientsdescréditsentranchesdontGoldmansedébarrassaitendouce.L’affaireestsuffisammentsérieusepourquelaSECs’emparedudossieretouvreuneenquête,endécembre2009.

Sous des allures distinguées, sous un air beau parleur et chaleureux, Fabrice Tourre a un péchémignon, dangereux dans son univers professionnel : la vantardise. Le jeune homme aime afficher sesbonnes fortunes, vraies ou supposées.Ainsi, en janvier 2007, le fanfaron a-t-il envoyé à son amie cefameuxcourrieldanslequelilaffirmeavoiranticipél’effondrementdumarchéimmobilier:«Lebâtimenttoutentierestsurlepointdes’effondrer,àn’importequelmomentmaintenant.Seulsurvivantpotentiel,Fab le fabuleux, droit debout au milieu de toutes ces transactions complexes, à fort effet de levier,

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exotiques, qu’il a créées sans forcément comprendre toutes les implications de ces monstruosités. »Frankensteinestlà,plusquejamais.

Rendupublicle16avril2010,cecourrielviendraalimenterledossierd’accusationcontreGoldmanet Fabrice Tourre constitué par la SEC, qui dénonce notamment « des déclarations trompeuses et ladissimulationdefaitsessentiels»surcertainsproduitsfinanciersliésauxcréditshypothécairesàrisques.C’est lecoupdethéâtre.LecoursdeGoldmanchutede12,8%,entraînantcelledelaBoursedeNewYorkpuisdesplaceseuropéennes.GoldmanSachsetsontradersaventqu’ilspourraientêtrepoursuivisau civil comme de vulgaires escrocs par des clients s’estimant plumés. Immédiatement prié par sonemployeurdeprendredesvacances,letraderrépondparunsilencehautainauxaccusationsdelapresseinternationale.Leséditorialistesévoquent lespectrede la failliteducabinetArthurAndersenoude labanqueDrexelBurnhamLambert,prisdans lesmêmes retsde la justice, avantdedisparaître corps etbiens.

Malgrélesdémentisdelabanqued’affairespourquiledossierestvide,lescandaleauneffetbouledeneigeenEuropeoùsapositionestsérieusementmenacée.LaFinancialServicesAuthorities(FSA)–la tutelle desmarchés britanniques – ouvre à son tour une enquête. Fabrice Tourre se voit retirer salicencedetraderdanslaCity.MaisleFrançaisn’estpasjetéenpâtureàl’opinionetauxmédiascommeunvulgaireJérômeKerviel,letraderfoudelaSociétéGénérale.Àl’évidence,cetorfèvreensubprimesest au courant de trop de choses sur lemodus operandi de la banque, sur lesmille et une façons decontournerlespratiquesofficielles,surlesresponsabilitésdesunsetdesautres.

L’affaire a également des répercussions enAllemagne où la banque IKB prépare une demande dedommages et intérêts à la suite d’une perte colossale enregistrée après ses achats d’Abacus. Lachancelière,AngelaMerkel,n’exclutpasun recours juridiquepour récupérer lemanqueàgagner.Desmembres de la coalition gouvernementale exigent le gel des transactions entre Goldman et l’Étatallemand.

Sursonsiteinternet,GoldmanSachsleproclamehautetfort:«Lesintérêtsdenosclientspriment.»Or, aujourd’hui, ces derniers se rebiffent contre une institution qui semble jouer double jeu. LesbritanniquesLloydsBankingGroupetRoyalBankofScotland,l’allemandeIKB,legouvernementgrecetlesgroupesénergétiqueschinoissontquelques-unesdesmultiplesvictimesdelastratégiedel’enseignevisantparfoisàprivilégiersesopérationsencomptepropreavantcellesdesesclients.

CommentGoldmanSachsest-ellepasséeendeuxdécenniesàpeinedu statutvénérabledebanqued’affairestraditionnelle,réputéepoursonserviceàlaclientèle,àceluid’unvastecasinospéculatifoùtouslescoupssontpermis?Lemétierdutrading–poursesclientscommepoursoncomptepropre–aprisledessusaprèslaretraiteduprudentJohnWeinbergen1990.Sessuccesseursàlaprésidencedelabanqueontprivilégiélesactivitésdemarché,plusrentablesquelesmandatsdeconseilauxentreprises.Avec l’actuelprésidentLloydBlankfein,ancien traderenmétaux, forméà ladureécoleducourtierenmatièrespremièresJ.Aron,latransformationdel’entrepriseenunvastesupermarchédelafinances’estaccélérée. Par ailleurs, Goldmanmet l’accent sur le service aux hedge funds et, de surcroît crée sespropresfondsd’investissement…concurrentsdeceuxdesesclients.Enparfaitelégalité,lesinformationsobtenuesauprèsdeceux-cipermettentdenourrirsesautresactivités.

Ce 27 avril 2010, après Fabrice Tourre, c’est au tour de Lloyd Blankfein d’affronter l’ire dessénateurs. Sa défense : juridiquement, rien ne peut lui être reproché. Reste que le dialogue entre lebanquier et ses accusateurs rappelle les fameux dialogues d’Harold Pinter : une question, une longuepauseetuneréponselapidaire.

LesénateurLevin:–Votreemployélui-mêmeditqueceproduitestmerdique.Vouslesvendezàvosclientssansleseninformer,puisvousmisezcontre.N’ya-t-ilpaslàconflitd’intérêts?

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LloydBlankfein :–Dans lecontextedesmarchés, iln’yapasdeconflit.Chacunchoisit le risquequ’ilprend.

Àpeineunsouriredecourtoisiequiseveutcharmeuretdéjàl’onsentqueLloydBlankfeinestpartiailleurs,aufirmamentdelagloire,sansdouteentreDieuetMammon,làoùpersonneneviendrachicanerles lauriers de sa chère entreprise.On croit deviner ses pensées.CommentGoldmanSachs, reine desmétiersfinanciers,a-t-ellepuenarriverlà?Commentsonpatron,sacrépersonnalitélaplusinfluentedesÉtats-Uniset«hommedel’année2009»parleFinancialTimes,a-t-ilpuainsitomberdesonpiédestal?Etsurtout,commentGoldmanSachsa-t-ellepus’enfermerdansunetellebulle?EnfaitLABanqueaunsecretquel’onfinirapardécouvrir.Unsecretquin’apasgrand-choseàvoiraveclesproduitsdérivésouleshedgefunds.

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6.Conflitsd’intérêts

Levisiteurdusiègeaméricainoudel’unedesfilialesdeGoldmanSachssevoitsouventoffrir,enguisede cadeaudebienvenue, le dépliant ivoire intituléOurBusinessPrinciples (« nosprincipes enaffaires»)publiéaudébutdesannées801.Lepréceptenumérounproclame:«L’intérêtdenosclientsestprimordial.»Maisaufait,dequelsclientss’agit-il?

Banque d’affaires, comme on dit en Europe, ou banque d’investissement pour reprendre laterminologieanglo-saxonne, lacompagnieest ladernièresurvivanted’uneespècehybrideapparueauxÉtats-UnisaprèslaGrandeDépressiondesannées30.Aiderlesplusgrandesentreprises,lesconseillantdans leursacquisitionsetdans leursappelsaumarché–émissiond’actionsousouscriptiondecréditsobligataires–alongtempsétésaprincipaleraisond’être.Lamatièregrisedugroupenes’adressaitpasseulement au monde des affaires mais aussi aux gouvernements, qu’il s’agisse d’emprunts ou deprivatisations,ainsiqu’auxgrossesfortunes.Aunomdelaprééminencedel’intérêtduclient,l’institutionévitaitsoigneusementd’êtreassociéeauxOPAhostilesdesraiders,lanouvelleracedeprédateurs.Ellesevoulaitau-dessusdelafoired’empoignedesraidssauvages,avecsoncortèged’abusetdescandales,quiadéferléàpartirdesannées80.D’ailleurs,lesiègedelafirme,au85BroadStreet,n’avaitniplaqueàlaported’entréenilogopublicitairedanslehalld’honneur.

PourquoietcommentGoldmanSachsest-ellepasséeentroisdécenniesdustatutdebanqued’affairestraditionnelle–réputéepoursaprudence–àcequiressembleàunvastecasino?

Lemétier du négoce pour compte propre, c’est-à-dire au profit de la banque elle-même, a pris ledessusaudébutdesannées90avecl’arrivéedenouveauxdirigeants,tradersdeformation.RobertRubin,puisJonCorzineontprivilégiélesactivitésdemarché–obligations,devises,matièrespremièrespourlecomptedesaclientèle,maiségalementpourlesien–plusrentablesquelesmandatsdeconseil.Parvenuaux commandes en 2000, Hank Paulson, pourtant issu des activités traditionnelles, a accéléré lemouvement,enadeptedunouveaucommandementdeWallStreet:«Ceuxquidétiennentl’ordictentlesrègles.»

En 2006, Paulson démissionne pour devenir secrétaire au Trésor (ministre des Finances). Sonsuccesseur, LloydBlankfein, ex-courtier enmatières premières, abat les dernières barrières. La firmen’est plus qu’un vaste supermarché de la finance. Et comme à LasVegas, certains joueurs gagnent lejackpot,laplupartyperdentgros,maislepropriétaireesttoujoursgagnant.

Désormais,Goldmanmet l’accentnonseulementsur leserviceàsesclientsmaiscréesespropresstructuresconcurrentes…unedémarcheoriginale.Entoutelégalité,lesinformationsobtenuesauprèsdeceux-cipermettentdenourrirlesautresactivitésdelabanque.Quantauxcomptes,bienquelamaisonsoitcotéeenBourse,cequientraînenombred’obligations,ilsdeviennent,selonl’analysteréputéBradHintz,«unevastebouillabaisse»oùilestimpossibledetrierlebongraindel’ivraie.L’évolutiondesrevenus

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aufildesansillustrelatransformationdeGoldman.En1999,letradingreprésentait43%durevenunet,les activités de banqued’investissement 33%et celles de gestionde patrimoine24%.En2006, cespartssontrespectivementde68%,15%et17%.En2009,77%10%et13%.

Commentexpliquercettenouvelledominationdu trading?Toutd’abord, laconcurrenceférocequioppose les banques dans le conseil ou la gestion de fortune réduit lesmarges alors que le négoce –acheter,vendre–estguidéparlesvolumes,le«chiffre».Ensuite,laculturemaisontrèsparticulière–esprit d’équipe, pression constante, culte de la victoire à tout prix, arrogance – fait merveille dansl’universsauvagedutrading.Enfin,grâceàsonréseaud’influenceuniquedanslescerclesdupouvoirdela planète, jusqu’à la crise financière de l’automne2008, lemastodonte a pu tirer profit de l’absenced’uneréglementationfinancièredignedecenom.

À la fois juge et partie, la banque joue sur tous les tableaux pour en tirer profit à bon escient.«GoldmanSachsestessentiellementmotivéeparsesintérêts,cequiestétrangepourunebanque-conseil.Le client doit toujours être sur ses gardes, ce qui finit par être énervant », souligne un entrepreneurbritanniquequiaeurecoursàl’institutionnew-yorkaisepours’introduireenBourseauxÉtats-Unis.

Lesexemplesdecesmultiplesconflitsd’intérêtsinhérentsàlabanquelaplusadmirée,maisaussilaplus détestée de la planète, abondent. La pollution dans le golfe du Mexique, l’avenir des banquesnationalisées britanniques et l’éclatement de la bulle Internet aux États-Unis témoignent de cesdysfonctionnements. Ces trois cas ont bien sûr leur lot de trahisons, de tractations secrètes, de luttesd’influencesdenatureàfairepasserlesMédicispourdesenfantsdechœur!

LesanalystespétroliersdeGoldmanSachs,lesplusréputésdelaprofession,nesontpasvraimentdugenre à s’affoler. Le sang-froid qu’ils affichent en toutes circonstances est légendaire. Étant donné lacomplexitédeleursituation,c’estpréférable.LepétrolemeteneffetGoldmandansunesituationdélicate.

QuandlestélévisionsrepassentenbouclelesimagesdelagigantesquemaréenoirequidéverseunenappedepétroledanslegolfeduMexique,cesexpertscommencentàs’inquiéter.Ledésastredelaplate-forme d’exploration Deepwater Horizon, de la multinationale britannique des hydrocarbures BP(l’ancienneBritishPetroleum),couléele22avril2010,faitdramatiquementchuterlecoursenBoursedelamajorpétrolière.«BPestresponsable,BPpaiera»:celeitmotivrépétéparlesdirigeantsaméricains,jusqu’auPrésidentBarackObama, fait trembler lesmursdePeterboroughCourt, le siègedeGoldmanSachsInternationalàLondres,oùestconcentréel’énormeactivitépétrolièredelabanque.

«Laréactiondesmarchésestexagéréeetnousréitéronsnotreconseild’acheterdestitresBP.Nosestimationsetnosobjectifsdecours[deBP]sontinchangés»:dansuneétudepubliéele30avril,unesemaine àpeine après la catastrophe, labanque s’efforce, avecun incroyable aplomb,de rassurer lesmarchésparuneadmirable sérénitéde façade.Unemaréenoire?Quellemaréenoire?Lacompagniepétrolièreramedanslefioul,maissic’estbiendupétroleBP,cen’estpasuneplate-formeBPetainsidesuite…Unaveuglementsurprenantchezcesprofessionnels.

LaCity etWallStreet ne sont pourtant pasdupes.La languedebois des spécialistes deGoldmancachemallecordonombilicalquiliecelle-ciàBP.Labanquereconnaîtd’ailleurscelienenpage2del’étude, conformément aux exigences réglementaires : banquier-conseil, tradingde l’action commedesproduits dérivés, présence d’un directeur de Goldman au conseil d’administration de BP…À lire lanotice,lesdeuxmaisonssontvraimenttrèsprochesl’unedel’autre.

Ilyad’abordlecasdel’IrlandaisPeterSutherland.AnciencommissaireeuropéenàlaConcurrence(dans les années 80), il a ensuite présidéBP, de 1997 à 2009 – il en est d’ailleurs toujours l’un desdirecteurs.Mais parallèlement, depuis 1995, Peter Sutherland dirige Goldman Sachs International, lafilialeeuropéennebaséeàLondres.Voilàdoncunmanagerauxgrandescapacités.

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IlyasurtoutLordBrowne,encoreun«Roi-Soleil»chezBP:directeurgénéralde1995à2007,ill’atransforméeenmastodontemondial.Parallèlement,ilsiégeaitauconseild’administrationdeGoldmanSachs durant la même période. Sa banque-conseil favorite a d’ailleurs été associée à la boulimied’acquisitionsdelamajorpétrolière.

D’unmagnatdupétrole,lesstéréotypesvoudraientqu’ilfûtuncolosseauxmainslarges,àlagrandegueuleettrimbalantunelourdebedaine.LordBrowneesttoutlecontraire:cegéophysiciendeformationest menu, svelte, élégant, toujours vêtu d’un costume strict taillé sur mesure à Savile Row et d’unechemiseàsesinitiales.Enmai2007,ilestcontraintàunedoubledémission–deBPetdeGoldman–aprèsavoirmentidevantlajustice(infractiontrèsgraveauRoyaume-Uni)àproposdesavieprivée,dontlapressevoulaitrévélerdesdétails.

Auconseild’administrationdeGoldmanSachs,lepatrondeBP,fascinéparlesmontagesfinanciers,sesentenparfaitesymbioseaveclaculturedes«moines-banquiers».Legoûtdurisqueetdutravail,lecultedusecretetlesliensaveclasphèrepolitiquecadrentparfaitementaveclaphilosophied’actiondecepatronambitieuxpassionnéparlesaffairespubliques,mûparunemissionquasidivine:supplanterlenumérounmondial, legéantaméricainExxonMobil.Souslahoulettedelabanque,cethommerudeetintransigeantsousdesdehorspolicésmetl’accentsurlerenforcementdesonbilan.Laspéculationsurleshydrocarbures, lasévèrechasseauxcoûtset lerecoursauxsous-traitantsconduiront indirectementà latragédiedelaplate-forme.

Motivées par le souci de bonne gestion de leurs ressources, toutes les compagnies pétrolièreseffectuentdutrading.Ils’agitdesuppléeraumoindrecoûtlesdéficitsd’approvisionnementspoursouderlesmaillonsdelachaîne,delaproductionàladistributionenpassantparleraffinage.

Toutefois,à l’inversedesesconcurrents,Brownecréeunénormecasinospéculatifspécialisédansl’énergie.Ses tradersont recoursauxproduits financierscomplexespourpariersur lebaril-papier,unmarché sur lequel onmanipule des productionsoudes cargaisonsvirtuelles.Leurs plafondsde risquesontdeuxoutroisfoisplusélevésqueceuxdesrivaux.LesbonussontparmilesplusgrosdeWallStreetetdelaCity.CommechezGoldmanSachs,le«parrain»decetteopération,lesconflitsd’intérêtssontlégion.Les traders deBPutilisent les informations tiréesdes activités productivesde leur société, enparticulier les opérations des raffineries et des entrepôts, pour alimenter la « bête » spéculatrice. En2009,cetteactivitédemarchésreprésenteuncinquièmedesprofitsdeBP.

Parallèlement,aucontactdescaciquesdeGS,LordBrownedevientobnubiléparlabaissedescoûts.S’il crée de la valeur à l’actionnaire, son zèle puritain de sabreur dans les dépenses de sécurité,particulièrementauxÉtats-Unis,jettelesprémissesdelacatastropheàvenir.Eneffet,envertudecettepolitiqued’austéritésansétatsd’âme,Brownesacrifieingénieursettechniciensdelavénérablemaisonauprofitdesous-traitantsàquiilestexigédegrosrabaisdeprix.Résultat,«DeepwaterHorizon»estunmécano d’une incroyable complexité. Principal propriétaire du gisement d’hydrocarbures, BP,l’actionnaire majoritaire, est associé au Japonais Mitsui et à l’Américain Anadarko. La plate-formeconcernéeestlouéeàunecompagniesuissebaséeàHouston,Transocean,dontleséquipessechargentdela production et de la sécurité. De plus, quatre sociétés parapétrolières américaines ont fourni leséquipementsdesondage.

Surtout,nepass’arrêteràlafaçade!ChezGoldmanSachs,celafaitpartiedelaculturemaison.Dansuneanalysepubliée le17 juin2010, l’établissement« lâche»apparemmentsonclienten invoquant lapossibilitédedommagesplusimportantsqueprévudanslegolfeduMexique.Maissileséconomistesdelabanqued’affairesprennentleursdistancesaveclanoteoptimistedu30avril2010,c’estpourmieuxmasquer leurs liens étroits avec BP. Ainsi, l’enseigne a été sélectionnée pour protéger le groupebritannique,désormaisfragilisé,d’unraidhostile.

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Trois mois plus tard, l’ancien pétrolier rejoint le fonds de capital-investissement américainRiverstoneHoldings.CettefirmeaétéfondéepardeuxancienstradersenpétroledeGoldmanSachs.LeduoafaitlaconnaissancedeJohnBrownequandcederniersiégeaitencoreauconseild’administrationde la banque d’affaires. Riverstone et Goldman Sachs, c’est à nouveau cousin-cousine. Une sociétéprivéed’oléoducsbaséeàTulsa,dansl’Oklahoma,vaenpayerlesconséquences.

Le22juillet2008,Semgroupestmiseenfaillite.Enquelquessemaines,satrésorerievientdeperdrel’équivalent d’un sixième de son chiffre d’affaires annuel, en pariant sur une baisse du pétrole. Àl’époque, Goldman Sachs table, elle, sur une hausse de l’or noir. La banque, au cœur de la toiled’araignéedutradingdupétrole,estaucourantdesdifficultésdeSemgroup.Etpourcause:lafilialedeGoldmanspécialiséedanslestransactionssurlesmatièrespremières,J.Aron,estleprincipalcourtierdelasociétédeTulsa.

En jouant double jeu,GoldmanSachs accélère donc la faillite du pétrolier.Comme toujours, riend’illégal n’a été commis.Mais, sur le plan éthique, c’est bien différent : après la faillite, le fonds decapital-investissement Riverstone de Lord Browne acquiert à bas prix les actifs les plus juteux de…Semgroup.

DanssesMémoires,BeyondBusiness,publiésaudébut2010,LordBrownenementionnejamaissesrelationsavecGoldmanSachs.Toutauplusapprend-ondansunentretienauTimespublié le6 février2010quelepairduroyaumepartagesavieavecunanciencadredelabanque,NghiNguyen.«Maisnousnenoussommespasrencontréslà-bas»,insisteLordBrowne.

Unebanqued’affairesapportesonaideauxentreprisesmaisconseilleégalementlesÉtats.GoldmanSachs,dontleréseaud’amisenEurope,auseindesministèresdesFinancesetdesbanquescentrales,faitjaser,estànouveauaucentred’uneimmenseopération.C’esteneffettoutnaturellementverslafirmeques’esttournélegouvernementbritanniqueauplusfortdelacrisefinancièredéclenchéeen2008.

Malluienapris.Car,unenouvellefois,labanqueadémontréqu’elleressembleàunrapacepromptàclouerdubectoutcequipasseàsaportée.Ilyadel’aigledanssamanièredeporterlatête,defixerleregardavecunemorgueimpériale.Seulementvoilà,faceàsonclient,leTrésordeSaMajesté,GoldmanSachsestunaigleàplusieurstêtesquelaFirmenemontrejamaissimultanément.

Premierépisode:lesimagessontàpeinejaunies,c’étaithier,enseptembre2007.Cesontdesfilesd’attente de clients venus de toute urgence retirer leurs économies des coffres d’une obscure caissehypothécaire : Northern Rock. Au bord de la faillite, le groupe basé à Newcastle, dans le nord del’Angleterre,devient lapremièrebanquebritanniquedepuisplusd’unsiècleà faireappelà l’aidedespouvoirs publics. Goldman Sachs est mandatée pour trouver des investisseurs privés mais doit jeterl’éponge:uneoffrederepreneurspotentielsestjugéeinsuffisante.Le17février2008,l’établissementestfinalementnationalisépouréviterundépôtdebilan.

Malgrécerevers,labanque-conseilfactureauxpouvoirspublicsuneprimedesuccèsquidoublelecoûtde saprestation. Ignorancede l’hostilitédupublicenvers lesbanques,aveuglementoucupidité?Quels qu’aient été les motifs, le « roi de Wall Street » est contraint d’abandonner cette tentatived’extorsiondesdenierspublics.

Deuxième épisode, fin 2009 : le Lloyds Banking Group (LBG), autre enseigne partiellementnationalisée,estàsontourdanslatourmente.Colosseauxpiedsd’argiledelabanquededétail,ildoitserecapitaliser,autrementdittrouverdel’argentfrais.Unenouvellefois,Goldmanplacesesintérêtsavantceux de son client en étant à la fois preneur d’ordre et investisseur. Agissant comme un rouleaucompresseur, lamaisonobtient«demanièredictatoriale et à ladernièreminute», selon leFinancialTimes, des changements qui la favorisent dans l’accord de refinancement. Cette modification, qui lui

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permetd’améliorersapositiond’investisseurentitresLBG,faitleverdessourcilsausommetdel’État,mais,enmêmetemps,cetteopacitéconsubstantielleàlafinancen’étonnepersonne.

Troisièmeépisode:RoyalBankofScotland(RBS).Latopographied’ÉdimbourgaservidecadreaucélèbreDocteur Jekyll et Mister Hyde de Robert Louis Stevenson. Et, ces jours-ci, la capitale del’Écosse est une cité schizophrène, hantée par les chimères perdues de laRoyalBank of Scotland.Àl’automne2008,latempêtefinancièreetlacrisedesproduitsdérivésetautrescréditsàrisquesontfaittomber de son piédestal ce monument de la haute finance, sauvé in extremis du naufrage par lanationalisation partielle décidée par Londres. RBS paie son OPA ruineuse en 2007 sur la banquenéerlandaiseABNAmro.Pressé,l’état-majorécossaisn’avaitalorspasprisletempsdepasseraucribleles comptes de son acquisition qui dissimulent des avoirs toxiques colossaux via des montagescomplexes. Parmi les actifs vérolés figurent les fameux produits financiers Abacus. On l’a vu, leportefeuilledetitressuspectsvendusparGoldmanSachsetsontraderstarFabriceTourreauNéerlandais–etàlabanqueallemandeIKB–motivera,enavril2010,laplaintedesautoritésaméricaines.LabanqueaméricaineaeneffetadosséAbacusàdesprêtshypothécairespourriscontractéspardespropriétairesinsolvables.LesNéerlandais,toutcommeleursrepreneursécossais,n’yontvuquedufeu.«ABNAmroétaitunorganismeprofessionnelconfirmé»,sedéfendaujourd’huilevendeurendémentantavoirpariécontrelemarchédulogementaméricain.

Depuis,danslavieillevilled’Édimbourgauxmuraillesnoircies,ons’attendàtoutmoment,souslespaquets de pluie froide, à voir jaillir de l’un des pubs accrochés à l’arc-boutant de la cathédrale lefantômedudocteurJekyll–Goldman,mi-aristocratedelahautefinance,mi-banditdegrandchemin!

Sous les travaillistes, l’enseigne avait été l’interlocutrice privilégiée des pouvoirs publics.Ainsi,entre le 1er octobre et le 31 décembre 2009, le chancelier de l’Échiquier (ministre des Finances)britannique avait-il reçu à quatre reprises les représentants de Goldman pour discuter des conditionsd’émissiond’unnouvelempruntd’État.Mais,enpleinefièvredesélectionslégislativesdemai2010,lacolèrefinitparmontercontreGoldmanSachs.L’autoritédesmarchésbritanniquesaimitésonhomologueaméricaine en ouvrant une enquête.Alors que le Premierministre sortant, GordonBrown, qualifie labanquenew-yorkaisede«faillitemorale»,seschallengersconservateuretlibéral-démocrateréclamentqu’ellesoitdésormaisexcluedesfutursmandatsdel’Étatbritannique,qu’ils’agissed’émissionsdetitressurlemarchéoudeprivatisations.Unedangereusepolémiquepourlabanque?

Et puis d’un seul coup, plus rien. Silence radio. Les couteaux rentrent au vestiaire, les fracasd’armures cessent et les soupçons disparaissent comme par enchantement. Et que fait le nouveaugouvernement de coalition conservateur-libéral-démocrate à peine installé au pouvoir ? L’équipe dunouveauPremierministre,DavidCameron, confie àGoldmanSachsunepartiedumandatd’uneventemassivedebonsduTrésorbritannique!Raisoninvoquée:cesontlesmeilleurssurcecréneau.

L’éclatementdelabulleinterneten2001aillustréunenouvellefoiscesconflitsd’intérêtsinhérentsaumodèledebanqueuniverselleoffranttoutelapalettedesservicesfinanciersqu’estdevenul’enseigne.Outreleconseilauxentreprisesetauxgouvernements,GoldmanSachsinvestitauxcôtésdesesclients.Businessangels, incubateurs, capital-investisseur ou risqueur : lamaison new-yorkaise a été l’un desgrandsartisansdelanouvelleéconomie.

Celle-cirevientunpeuàprendreunanimalquelconque–lapin,sanglierouautre–,àluipeindredegrossestaches,àluimettreuncostumetroispiècessurledosetàl’introduireenBoursesansprécautionniscrupulesexcessifs,parexemplesouslenomdegirafe.com.Etd’attendrelechaland,enfin…lepetitporteurconfiantdansl’humanitéet…lesinstitutionsfinancières.Qu’importequel’entrepriseenquestionait des comptes virtuels ! L’essentiel est que la bulle Internet enfle jusqu’à obtenir des rendementsabsurdes.Tout lemonde y gagne.D’abord, l’entrepreneur binoclard à l’air d’étudiant à peine attardé,

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apôtredunouvelévangilelibérateurqu’estleWeb.Puis,l’Amérique,quiaimeseshéros.Enfin,lesroisdeGoldman,l’undescréateursdelabulle,quijubilent!

La société girafe.com n’existe que sur le papier. Elle n’a pas dégagé le moindre bénéfice et sespatronssonttotalementinconnus.Etalors?PourintroduireenBoursecettefirmevirtuelle,onbousculeallégrementlesconditions.Onsejoue,toujoursentoutelégalité,durèglementboursier.Làoùilfallaitaumoins trois ans de profits successifs pour être coté, il ne suffit plus que d’un an, voire d’un simpletrimestre.

C’est ainsiqu’en1996,GoldmanSachs réussitunbeaucoupenobtenant la cotationd’une sociétédont personne n’a entendu parler alors, Yahoo. Un an plus tard, la banque se charge de 24 sociétésinternet,chiffrequipasseà47en1999,ausommetdelabulle.Rienquepourlesquatrepremiersmoisdel’année 2000, la progression est fulgurante, avec 18 PME nouvellement immatriculées au Nasdaq, laBourse des valeurs technologiques. La majorité des compagnies qui se bousculent au portillon destemplesde laNet-économiesontdéficitaires,mais leurvalorisationestphénoménale.Qu’importe!DuNet,encoreduNet,toujoursduNet.

CommentGoldmanSachs parvient-elle à des résultats aussi spectaculaires ?La folie douce de latechnologiedoitêtreentretenue.Touslesmoyenssontbonspourfairegonflercettebullesirémunératriceen commissions. Le cours des actions est dopé artificiellement, ce qui vaudra àGoldman une lourdeamende.Parailleurs,lafirme,quisous-estimeleprixinitial,offreauxcadresdessociétésclientesdesactions préférentielles en échange de mandats futurs. Ces titres vont rapidement monter. Parmi lesbénéficiairesdecetraitementdefaveurfigurentnotammentJerryYang,cofondateurdeYahoo,maisaussidespersonnagesmoinshonorablescommeKenLay,leprésidentd’Enron,ouDennisKozlowski,deTyco,quiaurontmailleàpartiravec la justice.Deplus, l’établissement faitbénéficieruncercle restreintdenouveaux clients de tuyaux boursiers, pratiquant le favoritisme en coulisse. Pour cette deuxièmeirrégularité–lespinningdanslejargon–,l’établissementdoitrégleruneautreamende.Maisenréalité,c’est une somme dérisoire à la lumière des profits tirés de l’aventure. Pour éviter l’ouverture d’uneenquête du régulateur de l’État de New York préjudiciable à sa réputation, le prix à payer estridiculementbas.

«Cesméthodesfaisaientpartieintégranted’unschémafrauduleuxdeGoldmanSachsdestinéàgagnerdespartsdemarché», affirmeà l’époque leprocureur justicierde l’ÉtatdeNewYork,EliotSpitzer.Combleducynisme,legouverneurduNewJersey,JonCorzine,quiaprésidéGoldmanSachsentre1994et1999,affirme,en2002,avoirdécouvertcestechniquesfrauduleusesd’ingénieriefinancièreenlisantlapresse!

Leresteestentrédansl’histoire:l’explosiondelabullespéculativeàfragmentationquifaitmortsetblessésparmilesépargnants,etenvoieautapisnombredepetitesentreprisesencorefragiles.

Et quand les investisseurs institutionnels comme les petits porteurs hésitent sur l’évolution del’économievirtuelle,ilyatoujourslesassurancesdelapythiedeGoldmanSachs.L’économisteenchefAbbyCohenest,durantcesannées,lagrandefiguredel’euphorieboursière.Cepetitboutdefemmeauxtailleursmodestesatoujourssuapaiserlesinquiétudesdesépargnantsdésorientés.Àl’entendre,grâceàl’Internet et aux nouvelles technologies, les États-Unis sont entrés dans une ère nouvelle. Le regardpétillant, ellen’a jamaisdémordude la soliditédu supertankeraméricain– sonexpression favorite–,arguant que « en fin de compte, ce qui conduit les marchés, ce sont les faits ». Intarissable sur lerenouveauéconomiquedelafindusiècle,ellen’acesséd’être«taureau»,c’est-à-direhaussièredanslaphraséologiedeWallStreet.

Lors d’une rencontre avec l’auteur en octobre 2008, celle qui présidait alors le Global MarketsInstitute, l’institutd’observationdesmarchésde labanque,a refuséde fairesonmeaculpapouravoircontribuéàfausser lemarchéparsesprédictionsoptimistesalorsquelesbulles,paressence,finissenttoujoursparsedégonfler.«D’unpointdevueéconomique,iln’yapaseudesurprise.GoldmanSachs

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avaitprévuunerécessionmodéréeetunecrisetrèsduredel’immobilier.»C’estcequis’appellegagnersurtouslestableaux.

1-Voirannexe1,p.279.

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7.Le«p’titgarsdeBrooklyn»

Impressionnantes,lesimagesontoccupéunebonnepartdesjournauxtélévisésdu27avril2010.Sansdoute l’imaginaire collectif a-t-il besoin d’un bouc émissaire. Et s’il fallait mettre un visage sur lesmaléfiquescréaturesquesontdevenuslesbanquiers,unhommepourraitprêterlesien.

Face auxmembres – très hostiles – de la commission d’enquête du Sénat américain, le P-DG deGoldmanSachss’accrocheauxbranchesautantqu’il lepeut.Chaquemot,chaquetremblementdevoix,estsoupeséparl’opinion,lajustice,lesmédias,lesvictimesdelacrise,autorisésàtournerautourdela«bêteimmonde».Chacunaunevueimprenablesurlaméchancetéhumaineconcentréeenunhomme.

Labêteenquestionréagitàpeinefaceauxattaquessouventexcessives,auxcalomniescruelles,auxparolesparfoishaineuses.Commesiderienn’était,ilcitedeschiffres,rectifielesensd’unprêt,rétablitune opération dans la hiérarchie comptable. Ce jour-là, la vraie personnalité de Lloyd Blankfein sedérobeàtous.

Pourtant,l’homme,loind’êtreévanescentcommeleprétendentsesdétracteurs,estsubtil.Ilalegoûtdel’histoire,parexemple,qu’ilauraréussiàmasquerderrièrecelui–toutaussiréel–del’argent.S’ilfaitsesaffairesunpistoletenpoche–c’estuneimage!–,iltientsouscléseslivresfavoris.Dansl’avionendormi, la dernière place éclairée est souvent la sienne. Toujours entre deuxméridiens, le banquierpressé ne travaille pas sur un dossier ; il ne visionne pas un film ; il lit une biographie. Les destinstragiques,lesdramesdupasséquireflètentlepoisondescomplots,constituentlerefugedecetamateurdegrandesbatailles.L’Histoirepeuplesavie.Auxpiresheuresdelacrisefinancièredel’automne2008,àl’issued’unmarathonderéunions,unjeunecollaborateurépuiséluilance:«Pasquestiondemetaperuneautrejournéecommecelle-ci.»SongeantausacrificedesGI’slorsdudébarquementdeNormandie,le6juin1944,leprésidentrétorque:«Relativisez;vousnevousretrouverezpasdemainsurlesplagesd’OmahaBeach!»

C’estaussiaccessoirementuncroisédubonmot,unasdespirouettes,déclarantauSundayTimes–pours’enrepentiràjamais:«Jenesuisqu’unbanquierfaisantletravaildeDieu.»Lacouverturedusupplémentencouleursjuxtaposaitd’ailleurssaphotoetcelleduRoi-Soleil.

CertainsretrouventdanssondestindeséchosdeCoriolan,latragédiedeShakespeare.Cupidité,luttepour le pouvoir, réseau d’influence, rébellion de la plèbe contre les puissants : tout y est sauf ledénouement de la mort. Coriolan, lui aussi, avait la démarche d’un robot, la voix qui sonne le glas,l’amertumedanslevisage.

MaisquelhommeLloydBlankfeinest-ildoncvraiment?Envérité,c’estuneréussitesocialetypiquementaméricaine.C’estl’histoired’unpetitgarçonquia

grandi dans la banlieue deNewYork. Le « p’tit gars de Brooklyn qui est allé à l’école publique »,commeilaimeàseprésenter,afranchitouslesobstaclesavecacharnement.

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LloydBlankfein est né en 1954 dans le Bronx, à l’époque un quartier 100% blanc où vivent enharmonie les descendants d’immigrés est-européens, irlandais et italiens. Il est lui-même issu d’unefamillejuiveayantfuilespogromsrussesàlafinduXIXesiècle,établiedanslaconfectionavantd’êtreruinée par la Grande Dépression de 1929. Son père, Seymour, est employé des postes. Sa mère estréceptionniste.Progressivement,lesPorto-RicainsetlesNoirss’installentàBrooklyn,cequiprovoquel’exode des petits Blancs. Ses parents quittent cette partie de l’ancien NewYork communautaire dèsqu’ilsenontl’occasionpours’installerdansunquartierrésidentieldeBrooklyn.LepetitLloydfréquentelaThomas JeffersonHighSchool, d’un excellentniveau.Lesmots«vacances» et «week-end» sontrayésdesonvocabulairelorsdesonadolescencestudieusederrièrelerempartprotecteurdesafamille.Poursefairedel’argentdepoche,legarçonnetvenddescanettesdesodalorsdesmatchsdesYankee,l’équipemythiquedebase-ballduBronx.

Lepèreadegrandesambitionspourl’étudiantlemieuxnotédeterminalequiprononce,en1971,lediscoursd’adieudesapromotionlorsdelacérémoniederemisedesdiplômes.À17ans,unebourseenpoche, le brillant sujet entre à Harvard pour étudier l’histoire. Lloyd est le premier de la famille àfréquenterlesbancsdel’université.Ilfaitensuiteunemaîtrisededroit.

Ordre,rectitudeetfortune:toutjustediplômédelaHarvardLawSchool,LloydBlankfeinestdestinéà un bel avenir. Il accepte un poste d’avocat fiscaliste dans un grand cabinet, Donovan, Leisure,Newton&Irvine(DLN&I).C’estsaterrepromise.Dansundécordeclubdegentlemanbritannique,lesélégantesdactylosmarchentàpasfeutrés.À16heurestapantes,onsertdansdelajolieporcelaineduthéetdesbiscuits–duthéenfeuilles,surtoutpasensachet!

Maiscemasquededilettanteàl’anglaiseesttrompeur.Aprèssapérioded’essai,ilestenvoyéàLosAngeles pour aider les studios d’Hollywood à réduire leurs impôts tout en leur facturant lemaximumd’heures.Auservicedecesbroyeursd’hommes,lejuristen’aguèreletempsdeprofiterdelaCalifornie,desesespacespourcow-boysMarlboro,desesplagesinterminablesetdesfillesquiycherchentlemariidéal.

Detempsentemps,onsedéfouleavecquelquesheuresd’escapadeàLasVegas.Danslescasinos,LloydBlankfeinpeutlaisserlibrecoursàsonamourdujeu,dublack-jackenparticulierquiopposetouslesjoueurs…àlabanque.Lessouvenirsdecesquatreansserésumentcependantenunseulmot:travail.L’étoilemontantedel’évasionfiscalelégaleestappeléeàdevenirassociéducabinetjuridique.

Maissurmené,fatiguéparlesincessantsallersetretoursentreNewYorketLosAngeles,sûrdeluien façademaisécorchévif, ilcraqueen1981.FiancéàLaura,uneavocate installéeàNewYork, ilabesoind’exister.Mettresonsavoir-faireanalytiqueetmathématiqueauserviced’unmétierexcitant: ilsera trader. Au désespoir de sa future femme qui rêvait d’épouser un sage fiscaliste, il fait acte decandidature auprès de plusieurs établissements renommés – dont Goldman Sachs –, sans succès. Unchasseurdetête luidénicheunemploidevendeurdepiècesetde lingotsd’orchezJ.Aron,unepetitesociétédecourtageenmatièrespremières.«Lloydaétéengagé,carladirectionestimaitquelesavocatssontdegrosbosseurscapablesd’expliquersimplementauxclientslesnouveauxinstrumentsfinanciersetlesstratégiesdeplacementcomplexes»,sesouvientleresponsabledurecrutement.Unreprésentantdecommerce!Mêmes’iln’yadebonnemonnaiequed’or,LaurafondenlarmesquandelleapprendsonembauchecommeVRPdumétalfin.

Latransitionestrude.ChezlesjuristesdeDLN&I, iln’yavaitpasuncheveudetravers,pasunetachedetranspirationsurlachemiseblancheinvariablementamidonnée,pasdecravatebariolée,pasunsigned’irritation.Encomparaison,J.Aron,c’estunecageoùs’exacerbelafoliedunégoce.Untradern’apas vocation à la discrétion. Pour obtenir la meilleure cotation, tous les coups sont permis. Lesconnaissancescomptentmoinsquelaforcedecaractère.Dansunvacarmeincroyabledehurlements,dejurons et d’insultes, on s’égosille à longueur de journée à passer et repasser des ordres de vente etd’achat.Quand,habituéeàl’universtrèshiérarchisédesbureauxd’avocats,lanouvellerecrues’enquiert

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desontitre,sonsupérieurluidéclared’unemanièrecinglante:«Situytiens,onpeuttoujourst’appelerMadamelamarquise.»

Àlasurprisegénérale,LloydBlankfeinsefonddanslemouleetfaitsontrou.«Lloydétaittrèsdrôle.Il avait les pieds sur terre et prenait les bonnes décisions rapidement. J’étais conscient qu’il était lemeilleurd’entrenous»,affirmel’undessesancienscollègues.

Mais, en octobre 1981, Goldman Sachs acquiert J. Aron. Spécialisée alors dans les billets detrésorerie, lesobligationsmunicipales et le conseil auxentreprises, enparticulier lesPME, labanqued’affaires se lance dans le négoce de matières premières. Elle s’achète non seulement une équipechevronnée de traders spécialisésmais aussi une filiale à Londres, où est fixé le prix de l’or et desmétaux.Cettepetitestructureserviradetremplinàl’expansioninternationaledelabanque.

En attendant, l’intégration des « camelots » au sein d’une firme très collet monté, gardienne duTemple, se passemal. Parler désormais toujours à la première personne du pluriel – le « nous » demajesté –, au lieu d’utiliser le singulier, ne vient pas naturellement aux croisés de l’individualisme,fonceursàlamanièred’unbulldozer.D’autantqu’aprèslepicde1980provoquéparlaguerreIran-Irak,l’ordégringolepourselanguir,augranddamdesspéculateurs.Deslicenciementsmassifssontannoncés.

Lloyd Blankfein échappe aux multiples charrettes. L’arrivée de Goldman Sachs est pour lui unebénédiction. En effet, pour remettre de l’ordre dans sa nouvelle filiale, Goldman dépêche son seulassociéétranger,MarkWinkelman,unNéerlandaisimpassibleaumasquedesphinx.Accueilliavecunefranchehostilitéparlavieillegarde,leparachutérepèrerapidementBlankfein,cetterecrueactive,bienélevée,dontlesensdelanégociation,l’intelligenceracéeetlecharismedissimulentlarudessedumétier.

J.Aronest intégréàGoldman.Aprèsuntransfertautradingdesmétauxen1982,Blankfeinsevoitconfier, deux ans plus tard, la direction d’une petite équipe chargée des transactions en devises desmultinationales.C’estlegrandtournantdesacarrière.

Songoûtdujeuetdurisque,sesréactionsultra-rapides,sesnerfssolidessontautantd’atoutsquandilfaut manipuler en quelques secondes des millions de dollars qu’on ne voit jamais en téléphonantsimultanémentauxquatrecoinsdumondepourobtenirlemeilleurtauxpoursonclientousonemployeur.Latensionnerveuseestintense,lapressionconstante.Soitonnage,soitoncoule.Blankfein,quin’enfinitpas d’étonner ses supérieurs, assied définitivement sa réputation. Et, nouvelle surprise, il est aussi àl’aisedans lesgrandesstructuresquechezlefranc-tireurducapitalismequ’étaitJ.Aron.Lloydsefaitfacilementdesamis.Ilévitelesintriguesetlesluttesaucouteausalissantes.

Lachancenelequitteplus.Goldmanentendmettrelepaquetsurletrading,quiestconfiéàl’undesfutursdirigeantsdelafirme,RobertRubin.Lorsdespremièresrencontres,cedernier,quiaseshumeurs,commenceparbougonner:«Vousmanquezdebouteille…»Quelquessemainesplustard,ilproposeà«l’espoir»deprendrelatêtedecetteactivitéenpleinessor:«Vousvieillissezvite.»Sansfracas,sansriendemander,leplusmodestedestradersdelamaisonimposesacompétenceetsontranquillesavoir-faire.Et sa pointe enjouéed’accent deBrooklyn, dont il joue à l’occasion, lui permet de déminer lessituationsexplosives.

En1988,ilestnomméassocié-gérant,partner.C’estlachevaleriedelacompagnie.Encasdeperte,chacundesmembresestresponsablesurl’intégralitédesesavoirspersonnels,maisaccapareunegrandepartdesprofits,s’ilss’enprésentent.Etc’estlecas.En1993,les161associéssepartagentl’équivalentduproduitnationalbrutdelaTanzanie,unpaysquicomptealors26millionsd’habitants!

RestequeGoldmanestalorsungéantauxpiedsd’argile.En1994,lafirmetraversedesturbulencescomme elle n’en a jamais connu depuis 1929. Cet établissement orgueilleux, certains diront vaniteux,tombe de haut, etmêmede très haut : chute dramatique des profits en raison de lourdes pertes sur lemarché obligataire ; démission d’une quarantaine d’associés-gérants ; fusion annoncée (quoiquefinalementavortée)entreMorganStanleyetSGWarburg,premièrebanqued’affairesbritannique.

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Et voilà que Robert Rubin accepte de devenir le secrétaire au Trésor de Bill Clinton. Seul auxcommandes, soncompèreSteveFriedmanplongedansunegravedépression. Il est remplacépar l’ex-marineetex-stardebasket,JonCorzine,épauléparHenry(Hank)Paulson.

Maislatraditiondeprésidencebicéphale–undémocrateetunrépublicain,untraderetunbanquier-conseil–seheurteviteauxréalitésd’unrafiotquiprendl’eaudetoutesparts.Victimed’unputsch,JonCorzineest limogéen1999.HenryPaulsonapparaîtcommeleseulcapabledegalvaniserunéquipagepassablementrétifàl’autorité.Ilcommencepardébarquerlescontestatairespuismusellesesconcurrentsaupostesuprême.ÀWallStreetcommedanslaCity,lepouvoirestàceluiquil’aimeetledésireleplus.EtPaulson,outrequ’ilestungestionnairehorspairetunebêtedetravail,estfoudepouvoir.Aveccestroisatouts,onvaloin.L’intérimairetientlepouvoir.Ilnelelâcheraplus.

Jusque-là,LloydBlankfeinestparfaitement inconnuaubataillondesstarlettesmaison.Sonnomnefiguremême pas dans le livre complaisant publié en 1997, intitulé, comme il se doit,TheCulture ofSuccess (La Culture de la réussite). Un an après, le voici patron de toute l’activité négoce. La criseasiatiquede1997et,l’annéesuivante,lafaillitedelaRussie,oùGoldmanestfortementexposée,ainsiqueleplongeondumarchéobligataire,glissentsurl’établissementsansl’atteindre.

Dans l’organigramme, John Thain et John Thornton tiennent la corde pour détrôner Paulson. Lepremier,froid,analytique,alegravedéfautauxyeuxdesassociésdeprendrecinqsemainesdevacancesenétéetd’étalersarichesse.Lesecondestl’artistedeGoldmanSachs,unasdel’ingénieriefinancière,maisilserévèlepiètregestionnaire.C’estaussiuncoureurdejuponsinvétéré,cequiestmalvudansuneentreprise empreinte d’un réel puritanisme. Le duo complote pour écarterHenry Paulson. Ce dernier,avecunehabiletéredoutable,s’endébarrasseen2003,enjouantsuccessivementl’uncontrel’autre.Lavoieest librepourLloydBlankfein, sacrénumérodeuxetdauphinpotentiel.L’entrepriseestunevraieméritocratie,maisausensétroitduterme.Lescréateursderichessestiennentlesleviersdecommande.«Historiquement,celuiquicontrôlelesbénéficestientlafirme.C’étaitlecasdeLloydBlankfein»,écritCharlesEllisdansThePartnership,labiographieautoriséedelasociété.Entre2002et2004,c’estsondépartementquifournitlegrosdesprofitsrecordsdeGoldmanSachs.

En 2006, quand Henry Paulson devient secrétaire au Trésor du Président George W. Bush, sonpremierlieutenantluisuccèdetoutnaturellement.Lloydperdvingt-cinqkilos,seraselecrâneetcessedeporterd’affreusescravatesetdescostumesd’apparatchikssoviétiquestropgrandspourlui.

Àcestade,onnepeutsedéfendred’unaprioridesympathieàl’égarddunouveauP-DGquiadûtraversertantdedéserts.Avecsonsouriresardonique,ilressembleàunjeunegrand-pèrequiraconteàmerveille des histoires. Mais son côté rigolard, son don pour le comique troupier, la mobilitéextraordinairedesonvisagesont trompeurs. Ilestdésopilantmaisneritpas.C’estd’abordunhommesérieux qui fait les choses sérieusement. Il est moins extraverti qu’on ne le croit. Selon ses propresconfidences,c’estungrandangoisséquimélangelegoûtdurisqueàunesprittrèsmathématique:d’oùson admiration sans borne pour l’univers des hedge funds, générateurs, de surcroît, des plus grossescommissions.Cetadeptedesproduitsstructuréscomplexesestégalement,auseindesafirme,unpionnierde la finance islamique, composée de produits qui respectent les principes duCoran en interdisant leversementd’intérêts.

Àl’évidence, lepersonnageprendlatêtedel’entreprisecommeonentreenreligion,sanshumilitéexcessive.Maisonpardonneraàcepécheursonambition.C’estunbûcheur inébranlablecommeseulssaventl’êtrelesgoldmanienstravaillantdix-huitheuresparjourenignorantlesommeil,lesmondanités,lafamille.Lorsdelacrisede2008,ilsacrifiesesdeuxsemainesdevacancesannuellesdansunecabanesurlaplage,malgrélapromessefaiteàsesdeuxfils,quiquittentàlarentréeletoitfamilialpouralleràl’université.

En tant que patron, « Lloyd the Knife » (Lloyd le couteau) veille impitoyablement à l’équilibrebudgétaire,mûparunzèlepuritaindesabreurdedépensessuperflues–bolsdefruits,bouquetsdefleurs

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fraîches, voitures de fonction…Sous sa houlette, l’entreprise dégage des profits fabuleux et offre desbonus astronomiques. Lui-même est multimillionnaire grâce au bas de laine constitué d’actions de sasociété. Cette fortune, il n’en fait aucun usage extravagant. Le couple Blankfein possède certes unappartement luxueux surCentral ParkWest – l’adresse des stars –, une résidence secondaire dans lesHamptons–leDeauvillelocal–etunejoliecollectiondetableaux.Maisdeyacht,pasquestion!

Depuisl’automne2008,lescritiquespleuventsurceprédateur.Sesdétracteursluireprochentd’avoiraccentué ladérivede laculture traditionnellemaisonenprivilégiant lesprofits rapidesdu tradingauxgainsàlongtermedelafidélitéàlaclientèle.Eninterne,onreprocheàcetacticienbrillantdenepasêtreunstratège.Deplus,àl’heuredel’informationenboucleetduboomdelablogosphère,Blankfeinnesaitpas communiquer.Lesmémorables coups de gueule de ce grand gaffeur, notamment pour défendre lesbonus,passentmal la rampe.Toutcommela réponsedecethommedecommandementauxaccusationsd’autoritarisme:«Onnegouvernepassansingratitudeoumauvaisefoi.»

Malgrésessuccès,l’hommeestrestéméfiant.Déléguantmal,LloydBlankfeinnes’entourequed’unepetite coterie d’hommes liges, anciens traders de J. Aron, et new-yorkais de préférence. Parmi lesnombreuxfidèlesissusdecevivierfiguresonnumérodeux,GaryCohn,personnageincontournabledontlebonusestégalausien.Lesdeuxhommesontlacalvitierassurante.Maislàs’arrêtelacomparaison.Pugnace,houspillantsessubordonnés,leshumiliantsouvent,Cohn,«grognard»maussadeetmordant,estunesortedeBlankfeinàrebours.Autantleprésidentjouedesoncharmeetdesonhumour,autantsonbrasdroit compte sur son punch. C’est Robert DeNiro – le sourire enmoins – dans Il était une fois enAmérique, le gangster sans foi ni loi opérant dans le ghetto juif duLowerEast Side new-yorkais desannées 20. Sauf que Gary accepte de travailler à l’ombre de Lloyd et n’a jamais paru rechercher lepouvoirpourlepouvoir.

LloydBlankfeinrépèteàl’enviqu’ilaimel’Histoire.Sil’Histoiredistribuaitleslauriersaumérite,leP-DGdeGoldmanSachsn’auraitrienàcraindre,puisqu’ilaatteintlesommetdesaprofession.Mais,malheureusementpourlui,leJugementdernierpourraitêtremoinsfavorablequ’ilnel’espère.

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8.UnparadoxenomméObama

Oligarchie:régimepolitiquedanslequellasouverainetéappartientàunpetitgroupedepersonnes,àuneclasserestreinteetprivilégiée.Lemotaétéremisaugoûtdujourpourdéfinir le«capitalismedeCosaques»quiafaitmainbassesurlaRussieaprèsl’effondrementducommunisme.Maisaufond,lesoligarquesdeGoldmanSachssont-ilstrèsdifférents?

Dans la soirée du jeudi 15 avril 2010, avant d’aller se coucher,LucasVanPraag jette un dernierregardausiteenligneduNewYorkTimes.Aprèstout,ilestaussipayépourça:ilestledirecteurdelacommunicationdeGoldmanSachs.Cequ’il lit alors l’abasourdit.Le journal annonce à la unede sonéditiondulendemainquelaSecuritiesandExchangeCommission,legendarmedesmarchésaméricains,adéposéuneplainteaucivilpour«fraude»contresabanque,sonP-DGetl’undesescollaborateurs,leFrançaisFabriceTourre.LedélitconcernedonclacommercialisationduproduitdérivédedetteAbacus.

L’accusation est gravissimemais surtout, laméthode est très inhabituelle. Certes, la SEC enquêtedepuisdesmoissurLABanque.Celle-ciadûrégulièrementfourniràl’autoritédecontrôledelaBoursedesdocuments,enparticulierdescopiesdecourriersélectroniques.Maisdelàànepasêtrelapremièreinformée du dépôt de la plainte et surtout découvrir celle-ci sur Internet ! Impensable ! L’honneur del’établissementestbafouéetVanPraagmettradutempsàseremettredececamouflet.

La SEC a tout simplement traité le numéro unmondial desmétiers financiers comme un vulgairevoleurdepoules!ÀWallStreet,un jeudemotscourtalorscommelafoudre :neditesplusGoldmanSachs,ditesGoldmanSacks.Celaseprononcedelamêmefaçon,maisleverbesacksignifie«piller»,«mettreàsac».Goldmandépouillesesvictimes,pillesesclientsàl’instardepirates.LaBourseoulavie!

Pour ajouter à l’humiliation, le lendemain, la banque d’affaires inaugure en grande pompe sesnouveauxbureauxtoutenverredanslebasManhattan.Coût:2,1milliardsdedollars1.Unefoislaplainteannoncée, lenouveaupalaisGoldmandevient l’objetd’uneaigrerisée :bienqu’assisesurunbarildepoudre, l’institution affiche devant la terre entière son faste et, du coup, involontairement, sonméprispourlespoursuitesquiviennentdetomber.

Danslalimousinenoire«KingSize»auxvitresfuméesquileramèneaprèslafêteàsonappartementde Central ParkWest, les pieds sur le reposoir, le président Lloyd Blankfein est d’humeur plus quemorose.Ilsouffre,c’estévident.Sesyeuxfatiguésparaissentencorepluspetits.LeP-DGsesentsinontrahi,dumoinsméprisé.Ilestsurtoutincrédule.

Lorsdesonentréeenfonction,le20janvier2009,lequarante-quatrièmePrésidentdesÉtats-Unisluiavaitpourtantdonnédesgages.BarackObamaavaitinsistésurl’importancedeWallStreetpoursauver

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l’Amériquede la débâcle économique.Alors, que s’est-il passé ?Entre l’administrationdémocrate etGoldman Sachs, le désamour a été lent et progressif.À partir de quand le charme s’est-il brisé pourlaissergermerl’hostilité?Etcommentlasuspicions’est-elleenkystée?

Aprèstout,GoldmanSachsaétélepluslargecontributeur,côtéentreprises,àlacampagneélectoraledu candidat démocrate. Lui-même démocrate, Blankfein a fait son choix très tôt : Obama. Sur lesquestionséconomiquesetfinancières,l’adversairerépublicain,JohnMcCain,luiparaissaitdépasséparlesévénements.LesattaquesdeBarackObamapendantlacampagnecontrelesfatcats–lesgrosmatoustrop gras –, autrement dit les financiers de Wall Street, ne semblaient être que de la gesticulationélectorale.

Durant lesdeux journées fatidiquesdes14 et 15 septembre2008, lorsque leTrésor et laRéservefédéraledeNewYork laissent labanqued’affairesLehmanBrothersdéposersonbilansans luiportersecours – événement perçu a posteriori comme l’étincelle qui amis le feu aux poudres –,Obama estencore à six semaines de l’élection présidentielle. Il se tient néammoins informéde l’avancement desnégociationsentrel’ÉtatetlesbanquiersviaJamieDimon,leP-DGdelabanqueJPMorganqu’ilconnaîtdeChicago,etRobertWolf,patrondelafilialeaméricainedelabanquesuisseUBS.LloydBlankfeinestplus à l’écart : l’entourage du candidat démocrate le juge trop proche de sonmentor, le secrétaire auTrésordeGeorgeW.Bush,Henry(Hank)Paulson,àquiilasuccédéen2006àlatêtedelafirme.Maisun autre ancien patron de la firme,RobertRubin, et son fils Jamie, cadre deGoldman, font partie del’équipedetransitionmiseenplaceaprèsl’électionprésidentielledu4novembre2008.RubinavaitétésecrétaireauTrésorsousBillClinton,entre1995et1999.Encetemps-là,lalignedirecteetprivilégiéeentreLABanqueetlaMaisonBlancheétaitunsecretdepolichinelle.

Le20 janvier2009,donc, lapageBushestofficiellement tournée.Durant lespremiersmoisde lanouvelleprésidence,lepatrondeGoldmann’apasdemotifsdeplainte.LenouveausecrétaireauTrésor,TimGeithner,choisitcommebrasdroit (directeurdecabinet)MarkPatterson,unavocatd’affairesquivenaitdepasserdixanscomme…principallobbyistedeGoldmanSachsdanslescouloirsduCongrèsàWashington!LesuccesseurdeGeithneràlatêtedelaRéservefédéraledeNewYork–quicouvreWallStreet–n’estautrequeWilliamDudley:vingtetunansdemaisonchezGoldman.

Lanouvelleéquipedémocrateestonnepeutplusdifférentedel’administrationrépublicainesortanteenmatièredepolitiqueétrangère.Maisenéconomie,lacontinuitédemeurelanorme.Obamarecrutesescollaborateurs pour les affaires financières dans le vivier de Wall Street et chez les anciens del’administration Clinton. Hormis la création d’une nouvelle Agence de protection financière duconsommateur (ConsumerFinancialProtectionAgency)qu’ellesn’aimentguère, lesbanquessesententtranquilles.LeministredesFinances,TimGeithner,fréquenteplusassidûmentlesnotablesdeWallStreetque les parlementaires de son parti. Comme le précédent, le nouveau pouvoir estime que le mot« nationalisation » est tabou, que des banques solides sont synonymes de croissance, que l’État doitintervenirlemoinspossible…MichaelLewis, l’auteurdePokermenteur, l’indique :«Onaeuvingt-cinqansaveclesGoldmanSachsdecemonde.Lesgensontdumalàimaginerununiversfonctionnantautrement.»

LecordonombilicalentreWallStreetetWashingtonestdoncapparemmentplussolidequejamaisencedébutd’année2009.Visiblement,Obamaapréférénepasreleverlacréation,le13novembre2008–unmoisàpeineaprèsl’octroidefondspublicspourrenflouerlesecteurbancaire–d’unnouveaulobby,leCDSDealersConsortium,quiréunitlesneufplusgrandesbanquesdeWallStreetetdontl’objectifestclair:garantirquel’activitéreprenne«commeavant»,unefoispassélegrosdelacrisefinancière.

Peu après son investiture,Obama organise un dîner avec ses plus proches collaborateurs et leursconjoints.Àl’apéritif, l’épousedudirecteurdecabinetdelaMaisonBlanchedemandeàTimGeithners’illuiarrivedepenseraufauteuilcossuqu’ilaoccupéchezGoldmanSachs.OrTimGeithner,bienqueprochedeLloydBlankfein, n’a jamais travaillé pour la firme !Cette anecdote est révélatrice.Tout le

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monde est sincèrement convaincu que l’homme choisi par Barack Obama pour surmonter la pire descrisesfinancièresnepeutqu’êtreissudusérail.D’ailleurs,Obamalui-même,sansprivilégierenaucunefaçonunlienparticulier,semontretrèsprévenantàsonégard.Ilnemanquejamaisl’occasionderappelercombien son aide et ses compétences lui seront «nécessaires »pour relancer lamachine économiqueaméricaine.

Les premiers nuages apparaissent toutefois dès la mi-mars 2009. L’affaire des bonus exorbitantsversésparl’assureurAIGàsesdirigeantsmetàmallaproximitéentrelatoutenouvelleadministrationetsesamissupposés.LaMaisonBlancheestà juste titreexaspérée.Maisbienque l’État soitdésormaisl’actionnairemajoritairedecettecompagniequ’ilarenflouéeàhauteurde173milliardsdedollars–unesommeuniquedanslesannalesdubudget–,lesecrétaireauTrésor,TimGeithner,avaliselepaiementdesprimesenprétextantqu’iln’aaucunmoyenjuridiquedes’yopposer.L’opinionestprisedenausée.LePrésidentsefâchetoutrougeetdemandeauCongrèsdevoterenurgenceuneloitaxantceslargessesà90%.LeSénats’exécute.EtObamatancesonministre,jugétropprochedeWallStreet,etdeGoldmanSachsenparticulier.

Quelques jours plus tard, le Président reçoit les présidents des treize plus grandes banquesaméricaines.LloydBlankfein éprouvealors sonpremiermauvaispressentiment.Revenant sur l’affaireAIG, Obama insiste sur sa volonté de réduire drastiquement le montant des bonus offerts aux cadresdirigeantsdusecteurfinancierengénéral,etàceuxdesentrepriseslourdementdéficitairesenparticulier.PlusieursP-DG,dontBlankfein,tententdeleconvaincreden’enrienfaire,usantdurefrainhabituel:siles banques sont privées de bonus, elles ne seront plus en mesure d’attirer les meilleurs cadres.«Messieurs,vousdevriezfaireplusattentionàcequevousdites.L’opinionpubliquen’achètepasvotrepointdevue»,rétorqueunPrésidentvisiblementexcédé.

Partouchessuccessives,lesrelationsvontalorssedégraderentrel’administrationdémocrateetlesbanquiersengénéral–etGoldmanSachsenparticulier.Celle-cijoueaveclefeu.Samorguereprendledessus.Enseptembre2009,endépitdurespectqu’ilaffichepourlafonctionsuprême,LloydBlankfeinboycotte ouvertement le discours que prononce Barack Obama sur Wall Street. Celui-ci saura s’ensouvenir.

Ladéconfitured’unanciendelafirmeauraitpuluimettrelapuceàl’oreille.PatrondeGoldmande1994à1999,JonCorzineaétésénateurduNewJersey,ÉtatindustrielausuddeNewYorkavantd’endevenir gouverneur. Sous l’étiquette démocrate, cet ancien Marine, fils de fermier désormaismultimilliardaire,affronteàchaquescrutinlesquolibetsdesesdétracteursquil’accusentd’«acheter»lesrésultatsgrâceàsonimmensefortunepersonnelle.Iln’enacurecar,àl’époque,lesmots«GoldmanSachs»agissentcommeunsésameélectoral.

Maislorsdesélectionspartiellesdu3novembre2009,patatras!Sonancienemployeuraperdudeson lustre et de la fascination qu’il exerçait. Le chômagemonte en flèche. L’Amérique, de droite, degauchecommeducentre,s’estmiseàdétestersesbanquiers.Tousenbloc–maisceuxdeGoldmanplusencore.Pourgagnersonsecondmandat,JonCorzine,inquiet,dépenseplusencorequ’àsonhabitudefaceà un adversaire républicain dépourvu de tout charisme, d’expérience politique et surtout d’argent.«CorzineagéréleNewJerseydefaçonaussicatastrophiquequesesamisbanquiersàWallStreet»:ceslogan simplepermet à l’outsider républicainde l’emporter largement. «Quand jeme suis présenté àl’élection sénatoriale, être l’ancien patron de Goldman Sachs était un énorme plus dans un parcours.Maintenant,lesgensontvulesexcès[delafinance].Leurattitudeesttrèsdifférente»,déclare,dépité,levaincu.

Sentantlarepriseéconomiquepoindre,LloydBlankfein–qui,parailleurs,n’ajamaisaiméCorzine–ignore l’avertissement. Il se sent de plus en plus en confiance. Le 10 novembre 2009, il déclare àl’agencedepresseBloomberg,spécialiséedans la finance :«Changer lanaturedesactivitésdenotrefirmeneserapasunebonnechosepourlemondeoulesystèmefinancier».Loind’«aider»laMaison

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Blancheàmettreaupointlarégulationquiassainiralespratiquesfinancières,l’établissementmobiliseaucontraire en sous-main tout ce qu’elle compte de lobbyistes pour faire capoter toute initiativeprésidentiellecontraireàsesintérêts.Obamaestdésormaisconsidérécommeunennemi.

Les fêtesde find’annéeapprochent.L’activité financièrese ralentit.LesChristmasparties battentleur plein. Lloyd Blankfein se laisse aller en petit comité à des commentaires assassins, personnels,inhabituellementbrutaux,surlePrésident.Desproposquiserontrapportésdanslebureauovale…

Encedébutd’année,çatanguepolitiquementàborddunaviregouvernemental,encoremalmenéparledébatsurlaréformedelasanté.Aprèslagiflereçueenjanvier2010lorsdeladéfaitedémocrateàl’électionsénatorialeduMassachusetts,BarackObamadoitreprendrel’initiative.

L’hommeal’aird’unprésidentcool,d’espritouvert,toujourssoucieuxdeconsensus.Mais«c’estunmecquipigevite»,commeauraitditBorisVian,dansuncomplimentquel’ex-sénateurauraitpréféréàtout autre. Son laxisme enversWall Street devient un handicap de plus en plus lourd. Obama est untacticienaviséquin’abat jamaistoutessescartes,évitedeseprécipiter–«Pasdedrames»avaitétél’un des slogans les plus percutants de sa campagne victorieuse. Il écoute, arbitre les points de vue,résumeetprendsadécisionavecprudenceetpragmatisme.Enmêmetemps, l’ancientravailleursocialdesquartierssuddeChicagodanslesannées80estcapabled’initiativesaudacieuses.

S’il veut préserver ses chances pour une réélection en 2012,Obama doitmaintenant savoir aussi«cogner».EttouslessondagesquelaMaisonBlanchecommandeledémontrent:laréformefinancièreest le terrain quimènera à la reconquête politique. Fin connaisseur desméandres électoraux, l’ancienprésidentClintonpousseObamaàmontrerlesdents:«VouspourriezcoincerBlankfeindansunealléesombreet lui trancher lagorge,çasatisferait lesgenspendantdeux jours,maisensuite lasoifdesangreprendraitledessus.»

Qu’a constaté Obama ? Massivement renflouées, les grandes banques, Goldman Sachs en tête,renouent avec des bénéficesmirobolants.Main Street (littéralement la «Grand-Rue », c’est-à-dire lepeuple) se sent, avec raison, flouée.LePrésident estdonculcérédevantcesbanquiers ingrats, sauvésgrâceàl’aidedel’État.Ilconfieàunami:«Laplusgrandecolèrequej’aieressentieestlorsquej’aientenduBlankfeinprétendrequeGoldmann’ajamaisétémenacéedes’effondrer.»

Finjanvier2010,devantlacommissionindépendantechargéeparleCongrèsd’analyserlesmotifsdudéclenchementde lacrise financière,Blankfein,unenouvelle fois, invoque lesvoies impénétrablesduSeigneurpourtouteexplication.Leprésidentdelacommissiond’enquêtesénatoriale,PhilAngelides,ex-responsable des finances de l’État de Californie, a beau le rabrouer de façon cinglante – « NousexempteronslesactescommisparDieu.Nousdébattonsicideserreurscommisespardeshommesetdesfemmes»–,auxyeuxduBoss,laparoledeGoldmanSachsesttoujoursd’Évangile.

L’affrontementannoncéestinéluctable.LafirmeestmaintenantdansleviseurdelaMaisonBlanchequis’appuiesurl’opinion.Désormais,lePrésidentestconvaincuque«lesbanquierssontincurables».Ilss’imaginentprotégésparleurpuissance–quandcen’estpasparDieului-même,commel’alaissétrèsimprudemmententendreBlankfein.Ilssontincapablesdesehausserau-dessusdeleurcupidité.Obamaacomparélesgrandsbanquiers–etcen’estpasuncompliment–àdes«seigneursdeguerreafghans».Etpour lePrésident,Goldmanest lepremierdeces«affreux».Si l’administrationparvientàfaireplierBlankfein,lerestedusecteurfinanciersuivra,telestlecredodelaMaisonBlanche.

Aux yeux d’Obama, Goldman Sachs n’est qu’un clone de la maisonMorgan que Roosevelt avaitdémantelée en 1934. Un passage de The Coming of the New Deal : 1933-35 de l’historien ArthurSchlesingerJrluirevientàl’esprit:«Dansl’administrationprécédente,exauçantlesmoindressouhaitsdeWallStreet,lesbanquiersprochesdupouvoiravaientaccèsàtouteslesinformationsconfidentielles.Lanouvellefroideurqu’ilsrencontrentdenosjoursàWashingtonestlapluscruelledespunitions.»

LloydBlankfeinnevoittoujoursrienvenir,sourdauxbruitsdeguerrevenusdelaMaisonBlanche,bienquedesalliésdans laplace l’aientalerté. Ilneveut rienvoir.Riennedoitchanger.Levoilàqui

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déversedesdizainesdemillionsdedollarssurdesparlementairesdémocratesetrépublicainsdanslebutdefaireéchecàtoutetentative,mêmelimitée,duCongrèsvisantàmieuxcontrôlersesactivités.

Pan !Dans le ciel serein d’un printemps américain, le coup de feu est parti.Obama a dégainé lepremierdanscewesternpolitico-financier.Enannonçantengrandepompe,le3mars2010,sonprojetderéformedesmarchés,lePrésidentasortisonrevolversansenpâtir,aucontraire.Lewesternasesbonsetsesméchants.LeBien,c’estlePrésidentdesÉtats-Unis.LeMal?LloydBlankfein,symboledetouteslesprévaricationsdeWallStreet,biensûr!Lecastingestenplace.EtsionestleBien,onaledroitdetirer sur leMal, non ? «Hemakes the shot » (il marque au moment crucial), selon le vocabulaireempruntéaubasket,unsportquelePrésidentalongtempspratiqué.

Lamachine infernaleest lancée.Le16avril2010, laSECdéposesaplaintecontreGoldmanpour« fraude ». Quatre jours plus tard, le procureur de New York, Andrew Cuomo, ouvre une enquêtecriminellecontre lesdirigeantsde labanque.Le22,BarackObamasermonneànouveau lesbanquiersdansleurantredeWallStreet:«Unmarchélibren’ajamaisvouludireunpermisdeprendretoutcequevouspouvezprendre.»LloydBlankfeinestcettefoisauxpremiersrangs.Ilenprend«pleinlagueule».Lavoixdebassed’Obama,digned’unorateurimpérial, luiinterdit touteréplique:«Messieurs,faitesbien attention »… Le 27 a lieu l’épreuve de la commission d’enquête sénatoriale. Et, en mai, aprèsl’accorddelaChambre,ObamaobtientduSénatqu’ilvoteuneloiréformantlahautefinanceaméricaine.LePrésidentpeutclamervictoire.L’influencelégendairedeLABanqueàWashingtonapparaîtbienmalenpoint.

DanssesrapportsavecBarackObama,LloydBlankfeinacommisdeuxgraveserreurs.Lapremièreestd’avoirestiméqu’Obamaétaitsonobligé:iln’yaqu’àattendreledéroulementdutapisrougedelapart d’un gentil garçon qu’il juge manipulable et redevable. De là à considérer que la nouvelleadministrationn’estqu’unpantinetqueGoldmanvacontinueràjouird’uneinfluenceprédominante,iln’ya qu’un pas. Son P-DG l’a trop rapidement franchi.MaisBlankfein ne sait pas comment le Présidentfonctionne.Obama,à l’inversedeClintonoudeBush,estunpoliticienatypique,difficileàdéchiffrer,imprévisible, inclassable, et qui ne doit rien à personne. Il sait être impitoyable pour préserver sonautorité,surtoutsiellechancelle.LedossierGoldmanSachsestarrivésursonbureauaumomentoùsacote partait en vrille. L’occasion de faire vibrer la corde populiste était trop belle. D’autant que lepécheurGoldman,arrogant,impudent,leverbehaut,refusaitdeserepentir.

La seconde erreur de Blankfein est d’avoir sous-estimé le bouleversement provoqué par la crisefinancièrede2008.L’enseigneGoldmanSachsdoitaffronterlaconcurrencedesgagnantsdelacrise–enparticulierJPMorgan,CréditSuisseetBarclaysCapital,adossésàdesbanquesdedépôtréputées.Subir,aussi,lemilitantismed’actionnairescontrelediktatdesbanquiers-conseilsetlanouvelleimportancedelamorale–l’équivalentduconceptd’abusdedroitàlafrançaise–danslapratiquedubusiness.Lutter,enfin,contrelavolontéderéguleraffichéeparlesgouvernementsduG20ouleFMI,leFondsmonétaireinternational.

Maisc’est surtout le cadre réglementairequi a évolué.Que laSEC,uneagenced’État–etquelleagence ! –, ait pu traiterGoldman demanière si cavalière a fait brutalement prendre à ses dirigeantsl’ampleurdeleurperted’influence.Ilsn’avaientpaspasmesurél’effetdel’arrivéechezlerégulateurdeprocureursopiniâtres.Cesnouvellesterreursontremplacélesgrandscommisrépublicainsquiétaientdesspécialistesdel’artdel’esquive.MaryShapiro, lapatronnedelaSEC,afficheunedéterminationsansfaillepourramenerdanslerangcesgentlemenunpeutroparrogants.LloydBlankfein,lebanquierlepluspuissantdupays,l’empereurducapitalismeaméricain,unefiguredel’oligarchiefinancièrequijusque-làbénéficiaitd’unestaturede«vice-roi»desÉtats-Unis,n’impressionneguèrecettefemmedetête,deferetdefeu.

Quepeutleréseaud’influencedeGoldmanSachs,naguèrejugé«lemeilleurdelaplace»,lorsqueles sondages montrent que les banquiers d’affaires et leur « rapacité » sont unanimement perçus par

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l’opinion – de la gauche démocrate jusqu’au mouvement réactionnaire des tea parties2– comme lespremiers responsables des déboires économiques de l’Amérique ? Pour une fois, c’est l’opinion quidéterminelesrapportsdeforceetpaslesgroupesdepressionfinanciersdanscettebataillequipourraitse résumerpar lacélèbrecitationdeRaymondAronàproposde laguerre froide :«paix impossible,guerreimprobable».

1-100$≈83€

2-Mouvementpopulistetrèsancréàdroite,partisand’unultralibéralisme,ilsemontreparticulièrementcritiqueenversleCongrès.

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9.L’argentroi

En 2004, Scott Mead, un banquier d’affaires de la filiale londonienne de Goldman Sachs, vaconnaîtreuneétrangeexpérience.CetAméricainde49anspossèdeune immensefortune,une luxueusemaisonàNottingHilletdeuxvastesappartementsàNewYorketàParis.Avocatdeformation,passéparHarvard et Cambridge, il peut également se targuer d’avoir une femme adorable et intelligente, cinqenfants,etsesentréesdans lebeaumondede laCity.ScottMeadest l’incarnationd’unegénérationdegagneursàl’alluresvelteetdynamique.C’estunjoueurdetennischevronnéquisèmelaterreursurlescourts.C’estaussiunmauvaisperdant.

ScottMead a été victime d’une vaste escroquerie organisée par sa secrétaire anglaise, Joyti De-Laurey, qui l’a grugé de 3,3 millions de livres (environ 4 millions d’euros), après avoir détourné1,2millionde livres (quelque1,45milliond’euros)appartenantàsapremièrepatronnechezGoldmanSachs.Avecl’aidedesonmari,JoytiDe-Laureyaélaboréuningénieuxréseaudeblanchimentdel’argentvolé via Chypre. En prélevant à sa guise dans le compte de ses deux patrons successifs entre 1998et2002,lajeunefemmeapus’offrirquelquesplaisirs:unevillaavecpiscineàChypre,unemaisonpoursamère,unyacht,uneAstonMartin,desmeublesd’époque,desbijouxCartier…

Le plus incroyable ? Les deux victimes ne se sont jamais aperçues de la disparition de plusieursmillionsdelivressurleurcomptecourant!Tropoccupésparleurvieprofessionnelleetmondaine,ilsontjetéuncoupd’œildistraitauxextraitssoigneusementsélectionnésparlasecrétairequidisposedudroitde signature.À ce niveau de richesse, un zéro de plus ou demoins ne fait pas grande différence. Leservicedecontrôleinternedelabanqueadécouvertlepotauxrosesparleplusgranddeshasards.Autermed’unprocèstrèsmédiatisé,lasecrétaireaécopédeseptansdeprison.

Cetteescroqueriel’atteste,l’argentestlaclédusystèmeGoldman–cequiestégalementvraidelaplupart des banques d’affaires et pas seulement américaines. Il circule comme le sang dans lesmannequins transparentsdesdémonstrationsscientifiques.Enéchanged’émolumentsconsidérables,cesprofessionnelspassentunaccorddetypefaustienaveclacompagnie.Leurcarrièretranscendelaviedesproches, lesvacances, les loisirs.La firmedevient une famillede substitution.Lavraie famille ?Lessacrifices,entoutcas,sonténormes.L’argentestlemoteurd’unmétierextrêmementstressant.

CommeentémoignentlesdéboiresdeScottMead,uneclochedeverrerecouvrelaviequotidienne.Pas uneminute à perdre !Une batterie d’assistants est présente, jour et nuit, pour organiser l’agendasaturéetréglerlespetitsetgrandsproblèmesd’intendance.Lesbanquiersseniorsneprennentjamaislemétro,maislestaxis,limousinesdelocation,hélicoptèresoujetsprivéspoursedéplacer,mêmepourdessautsdepuce.

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Money,money,money.L’heuredesbonusestarrivée.AuretourdesvacancesdeNoël,l’atmosphèredessallesdesmarchésdeGoldmanSachsestgénéralementplusélectriquequed’ordinaire.Chacunestsurlescharbonsardents.Lesnerfssontàfleurdepeau.Lesemployéssontirascibles,certainspètentlesplombs.GoldmanSachs a des vapeurs, si l’on peut dire, s’offrant un coup de blues prolongé qui faitdouterdetoutetdetous.Débutfévrier,l’attentedevientfranchementinsupportable.Unedizainedejoursplus tard, lesuspenseest terminé.Soulagementet libération : lebonusestenfinannoncé,généralementlorsd’un tête-à-têteavecsonsupérieurhiérarchique.Lebonus,c’estdix,vingt foisplusque lesalaireannuel–voireau-delà.Auxgagnants le jackpotet lacarottede lapromotion.Auxperdants lamiseauplacardprécédantl’éjectiondelasociété.

Pourlesvainqueurs,ilesthorsdequestiond’exprimerlamoindreémotion.Cesbienheureuxcachentleur joie derrière un sourire discret. Ils n’ont pas la victoire exubérante, hochantmodestement la têtecommeunjoueurd’échecsquivientderemporter lapartie.L’étalagedesrichessesestmalvu.Leluxeostentatoireestprohibé.GoldmanSachsassureque,contrairementàl’idéereçue,onn’entrepaschezellepourfairerapidementfortune.

Certes,l’employeursegarderadeprétendreque,sisescadrestravaillentjusqu’àdix-huitheuresparjour,c’estsans arrière-pensées.Mais à l’entendre, ceuxqui sont uniquementmotivéspar la feuille depaienefontpasdevieuxos.D’ailleurs,pourunbanquier,lebonushonnêtementgagné(laspéculationestpeut-être amorale, mais ce n’est pas un crime) est considéré comme l’équivalent de l’à-valoir pourl’écrivain, le tarif horaire d’un avocat ou la prime d’un agent de footballeur. C’est lamesure la plussimpleetlapluséquitabled’unsavoir-faireunique.

Commentexpliquercetteobsession?Danscemétier,oùlesacteurssontinterchangeables,avoirdel’argent, c’est « être ». Cette valeur existentielle est concrétisée par la prime de fin d’année. C’estpourquoil’objectifd’unopérateurdeGoldmanSachsn’estpasd’égalerlarémunérationduP-DGmaisdeseplacerau-dessusdesespairs.

C’est particulièrement le casdes traders, qui souffrent souventd’uncomplexed’infériorité.Qu’onpense un instant aux images que ces professions renvoient : le banquier-conseil (le seigneur), legestionnairedefortunesprivées(l’establishment),l’analyste(l’intellectuel),lecontrôleurdesrisques(unagentderenseignement).Faceauxautresdisciplines,letradingfaitbasdegamme.Aumieux,ils’agitdematheuxdoux-dingues, aupire d’autodidactes formés sur le tas, s’enivrant au champagne et roulant enPorsche.Pourcesgars-là, les sallesdesmarchéssont,avec laguerreou les sportsextrêmes, l’undesderniersterrainsoùl’agressivitéetlaviolencesocialementrépriméespeuventencores’exprimerentoutelégalité.

ConstituéeàforcedecompétencesetdetravailchezGoldmanSachs,lafortuneoffreuneviefacileetsanshistoire.Un tel viatiquegomme l’effet des coupsdurs.C’est réconfortant de savoir qu’en cas delicenciement,letraindeviedesprochesnesouffriraguère.

Pour justifier l’octroi de bonus faramineux aux plus performants, Goldman, à l’instar de sesconfrères, invoque d’abord la nécessité d’attirer et de conserver ses talents dans un environnementinternationaltrèsconcurrentiel.Cequiestimportant,affirmelabanque,c’estqu’ellesoitdirigéepardesgenscompétentspoursatisfairelesbesoinsdelaclientèleetassurerdebonsdividendesauxactionnaires.Lesactivitésdemarchésontdesmétiersàhautevaleurajoutéequiseronttoujoursbienpayés.Et,danscecontexteconcurrentielimpitoyable,leprincipequisous-tendlesprimes,selonlequellarémunérationdoitdépendredelaperformance,estsolide.Defortesrécompenses,enliquidecommeenactions,favorisentlacréationderichessesetdynamisentlesopérateurs.

Mais ilnesuffitpasde recruter lesmeilleurs,encore faut-il lesgarder.Lebonus reste lemeilleurmoyendelierl’employéàsonemployeur,affirmentsesdéfenseurs.Danslabanqued’affaires,oùl’argentestl’étalonderéférence,lelienentreleprofessionneletsonentrepriseesttrèsténu.MêmechezGoldmanSachs,pourtantdotéed’unetrèsforteculturemaisondeloyauté.Lesrivauxs’efforcentdedébaucherles

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stars de la place. Sur le marché du travail, les gens de Goldman sont très recherchés. Ils peuventfacilementdoublerou triplersalairedebaseetprimeschez leconcurrent.Ainsi,CréditSuisseàNewYorkaengagéunancienresponsabledelagestiondepatrimoinedelabanqueenluioffrantunbulletindepaie total à dix chiffres, supérieur à celui deLloydBlankfein !Hormis celles de laCity, les banqueseuropéennessontbienincapablesdeverserdetelspontsd’or.

Pourcesvedettes,latentationestdoncgrandedepasseravecarmesetbagagesdansunhedgefund,unesociétédecapital-risque,unepetitebanqueprivée,où lapolitiquesalarialen’estpassoumiseauxmêmescontraintesquecellesdesmastodontescotésenBourse.L’idoledesGoldmanboysn’estpasleurP-DGmaisDavidTepper, fondateurdu fonds spéculatif américainAppaloosa, dont les4milliardsdedollarsgagnésen2009 luiontouvert lesportesduclassementdescinquanteplusgrosses fortunesdesÉtats-Unis.

C’estensongeantàcesprimesqueLordGriffiths,ancienconseillerdeMargaretThatcheretvice-présidentdeGoldmanSachsInternational,ademandéaucontribuablebritannique–venuausecoursdusystèmefinancier–de«tolérerl’inégalité,dansl’intérêtdubiencommun».

C’estaussi lapréservationdecettepartvariablede la rémunérationquiexpliqueunemalheureusetentative de chantage exercée par Goldman Sachs au lendemain de l’imposition par le gouvernementtravaillistedeGordonBrownd’unetaxede50%surlemontantdesbonusversésparlesbanquesdelaCity (locales comme étrangères). La Banque a alors carrémentmenacé de transférer certaines de sesactivités londoniennessousdescieuxfiscauxpluscléments.Avantde fairepiteusementmarchearrièrequandParis a suiviLondres.Depuis,on la soupçonne, commesesconcurrents,d’avoirdéveloppédesdispositifscomplexesetlégauxdecontournementdelanouvellerégulationbritannique,parexempleen«prêtant»del’argentàceuxquienontbesoinpourconserverleurtraindeviefaceàl’alourdissementdelafiscalité.

Pour filmerWall Street Never Sleeps, le cinéasteOliver Stone a refait le parcours initiatique del’éterneljeuduviceetdelavertuquiavaitinspiréWallStreet,soncontemoralàl’usagedesenfantsdukrachboursierde1987.«RetourneràWallStreetaprèsvingt-troisansaétéunchocculturel.Unmillionde dollars est devenu un milliard. Les gens de poids ont été remplacés par des créateurs d’argentanonymes,couleurpasse-murailleetobsédésparl’enrichissementpersonnel.»Lefondduproblèmen’apaschangédepuis1987,ajouteOliverStone:laloidelajungle,lacupidité,lesbonusastronomiques.Saufquelesbanquesontdésormaisremplacélesraidersd’antan.

ChezGoldmanSachs,larémunérationtotaleannuelled’unassocié-gérantpeuts’éleverà5millionsdedollars.Danslessallesdesmarchés,untraderpeutfacilementgagnerledouble.Unmembreducomitédedirection,entre15et25millionsdedollars.En2008,LloydBlankfeinaperçu60millionsdedollars,dont40%ennuméraire.L’exerciceprécédent,ilavaitreçu68millionsdedollars.Et53,4millionsen2006.

Résultat,lamaisoncomptepléthoredemillionnairesendollars.IlsnefigurentpasdansleclassementForbesdes400plusgrossesfortunesaméricaines,dontlabarred’entréeestfixéetrophaut–aumilliarddedollars.Enrevanche,unequarantainedecadresdeGoldmanSachsInternationaldeLondres,passésouprésents, figurent dans la liste des 1000 plus gros patrimoines britanniques répertoriés par leSundayTimes.Etencore,«leurrichesseestsous-évaluéecarcesontdesmaîtresdeladissimulation»,affirmePhilipBeresford,l’auteurdecehit-parade.

À ce rythme d’enrichissement, il n’est pas difficile d’agrémenter une maison de quelquesimpressionnistes, d’être le mécène d’une troupe de ballet ou d’un musée, de collectionner les livresancienslesplusrares,deparraineruneuniversitéetdecontribueràd’innombrablesœuvrescaritatives.Il est courant d’atterrir inopinément en hélico sur le gazondu country club, sans oublier, bien sûr, lesinévitablescontributionsàdesélus,démocratescommerépublicains.

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Quefairedelapartiedubonusquiestverséeencashetvoustombesoudainduciel?Grossomodo,unbonquart,l’équivalentd’unandesalaire,estmisdecôtésuruncomptebloquéunanpourlesmauvaisjours : problèmes de santé, licenciement et surtout divorce. Il faut aussi payer le coût exorbitant del’écoleprivéeparcequelesenfantsdesbanquiersnepeuventévidemmentallerailleurs.ÀLondresparexemple, celui-ci peutmonter jusqu’à 30 000 livres (36 350 euros) par an et par enfant.Des travauxd’entretienoud’extensiondesnombreusespropriétés–domicileprincipal,résidencesecondaire,chalet–doiventaussiêtrecouverts.

L’heure est également à l’achat d’hôtels particuliers, d’appartements de luxe, de manoirs à lacampagneaveccourtdetennisetpiscine.Ilfautaussiplanifierdesvacancesdanslesendroitsàlamodedeshappyfewenvuededécompresseraprèsl’insupportableattentedubonus!Enfin,ilestdebontondesefairecescadeauxquientretiennentlemoraletlestanding–bateauxdeplaisance,voituresanciennes,livresprécieux,œuvresd’art.

Lesprimesdefind’annéefonttournertouteuneséried’industries,dubâtimentauxloisirsenpassantpar lesproduitsdegrandeconsommationou leconseil enplacements.Denombreuxmétiersviventdecette manne – gardiens de sécurité, chauffeurs, jardiniers, traiteurs, domestiques, paysagistes,décorateurs, restaurateurs,marchandsd’artetpersonneldenettoyage.Enretapantdegrandesfermesetdeschâteaux,lesfinanciersparticipentaussiaumaintiend’unevieruraledignedecenom.

Lebonus joueun rôlemacroéconomiquesubstantielet,d’unecertaine façon,positif.Le recoursausecteur privé réduit les pressions sur les budgets publics de l’éducation et de la santé. Via lesinvestissementsmassifsdanslesplansderetraite,lesgoldmaniensœuvrentaurenforcementdel’épargnenationale.ÀLondres,NewYorkouParis, laplacefinancièrereprésentedesemplois.Chaquenouveauposteencréeindirectementtroissupplémentairesdanslesservicesd’appui, lalogistiqueet lesloisirs.Le retour aux primes élevées a atténué l’effet de la récession et des compressions d’emplois surl’économiedesmunicipalitésconcernées.

L’argent, c’est à la fois des actions et des obligations. Des actions pour créer des profits, et desobligationsmoralesimposéesparcesbonuscolossauxquipermettentdejouirdesbonneschosesdelavie. Résultat, les associations caritatives sont principalement entretenues par les banquiers. Ceux deGoldmanSachsnesontpasenreste,donnantdel’argentàtoutessortesd’institutions–musées,théâtres,hôpitaux,orphelinats.Maisnombred’entreeuxpensentaucontrairequ’onen faitdéjà suffisammentetquetropd’assistance,c’estmauvaispourlespauvres.Ilsneculpabilisentpasd’êtredesnouveauxriches,entendentenprofitermaisaussienfairebénéficierlesautresselonlesacro-saintprincipequelafortunedoit–aussi–créerleBien.

Mêmesicertainesdépensesphilanthropiquessontdéductiblesde lafeuilled’impôts, lesbanquierssonttaxésaumaximumdesdeuxcôtésdel’Atlantique,contrairementàcequ’affirmentcertainsclichés.LagentcossuedelaCitycommedeWallStreetdoittravaillersixmoispourlefiscavantdecommenceràgagnersavie.

Depuis la crise, lesbonusne sontplus cequ’ils étaient.LesbanquiersdeGoldmanSachs se sontretrouvésaurégimesec…sil’onpeutdire.ÀcommencerparLloydBlankfein,quiaréduitsaprimede80%,etuniquemententitresàversementdifférédecinqans.Cebonuss’ajouteàunbulletindesalaireannuellimitéàsixchiffres,unemisèrevulesresponsabilitésdel’intéressé,disentsesthuriféraires.

Aujourd’hui,larémunérationtotaleduP-DGestdoncdeuxfoismoindrequecelledesonconfrèredeJPMorgan,alorsqueBlankfeinaobtenuunerentabilitéexceptionnelle,deloinsupérieureàcelledesongrandrival.Mêmelesdirigeantsd’institutionsfinancièressousperfusionétatique,qui,eux,ontessuyédelourdespertes,gagnentdésormaisdavantagequelepatrondel’établissementfinancierlepluspuissantdela Terre. De surcroît, Goldman a mis en place un nouveau mécanisme obligeant ses employés àrembourserunepartiedubonusencasdepertesprovoquéesparunepriseexcessivede risqueouunequêtedeprofitsàcourttermequidéraperait.

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L’institution new-yorkaise affiche ostensiblement sa nouvelle vertu comparée aux bonus délirantsdistribuéspendantlesannéesfolles,entre2000et2007.Lemontanttotaldesesbonus–16,2milliardsdedollars(contre2milliardsd’eurospour les tradersdetoutes lesbanquesfrançaises !)–estdésormaisinférieuràlamoyennedelaprofession.

Lesdixadministrateursindépendantsquiconstituentlecomitédesrémunérationsonttenucompte«duclimatgénéral».Comprendre : ences tempsdedisette, ledivorceconsomméentreWallStreetetuneopinion publique prise d’une envie de casser du « bankster » – le banquier devenu gangster ! Ils ontégalement inscrit leur action dans la ligne des recommandations du G 20 – le groupe des paysindustrialisésetémergents–,toutentenantcomptedesappelsàlamodérationduPrésidentObama.

Pourleursdétracteurs,lesbonus,enencourageantlescomportementsàrisques,poussentaucrime.Cesymboleparexcellencedesexcèsetdesdérivesdelahautefinanceincitelesfinanciersàprendredesparisexagérés.Lesbonussontaussiunmanqueàgagnerpourlesactionnaires.Orc’estavecleursfondsquelestradersspéculent.MêmesiGoldmanSachsaffirmeavoirchoyésesactionnairesaufildesans,lesprimessontverséesaudétrimentdesdividendes.

L’autreproblèmeestquecemodedefonctionnementestàsensunique.LorsquelesmarchésmontentouquelesOPAsemultiplient, tradersetbanquiersd’affairess’enmettentpleinlespoches.Lorsquelaconjoncture se retourne, en revanche, les intéressés ne sont pas tenus pour responsables.Tout au pluspeuvent-ils perdre leur emploi. Il est hors de question pour l’employeur de récupérer les perteséventuellessurlebonuspasséousurlesavoirspersonnelsdufautif.

Il envademêmepour les dirigeants.Si les affaires sont bonnes, la valeur de leurs stock-optionsgrimpe.S’ils sont licenciés pourmauvaise gestion, un parachute doré les attend de toute façon. Cetterentedesituationconsisteà jouerà la rouletteen raflant lesmises,quelquesoit lenumérogagnant…«Ceuxdu sommet veulent s’enmettre plein les poches et, pour y parvenir, ils doivent surpayer leurscollaborateurs.Lebonusestuneformeélégantedevol»,écritl’essayisteMichaelLewisdanssonlivreconsacréàlacrisedessubprimes,TheBigShort.InsidetheDoomsdayMachine.

Autrecritique:lesbonusengendrentlajalousieetlesdérapagesdanslesentreprises.«Denombreuxcadresmoyensinvoquentlessommesinduesverséesàleurssupérieurspourmettrelamainàlacaisse»,s’alarmelecabinetcomptablePricewaterhousedevantlahaussedelacriminalitéencolblanc.

Parfois,lesGoldmanBoystrouventplusfortsqu’eux.Cefutlecaslorsdelabataillequi,en2000,aopposé deux caïds de la roulette de Las Vegas, la capitale mondiale du jeu et du divertissement. Leprésident des casinosMGMGrand envoie un courrier à SteveWynne lui proposant de racheter songroupeconcurrentMirageResorts.Reniflantunebonneaffaire,GoldmanSachsdépêcheimmédiatementune délégation de banquiers d’affaires à Las Vegas pour rencontrer SteveWynne. Tel unmafieux, cedernierestentourédesesgardesducorps,enl’occurrenceplusieurspitbulls.Lesbanquiersproposentàl’homme à l’œil de verre leurs services, pour 25 millions de dollars. Furieux, le maître des lieuxexplose:«L’acheteurpotentieladépenséuntimbreposteetvousosezmedemanderunefortunepourluirépondre!»

Les crisdeWynnepaniquent les chiens. Ils attaquent, labaveaumuseau, àhauteurdubas-ventre.WynnearrachelesbanquiersauxcrocsdesesmolossesaprèsavoirobtenudesreprésentantstremblantsdeGoldmanSachsderéduireleursémolumentsdemoitié.Àcausededeuxchiens,lerêvedubonusestbrisé.Cavecanem,«Prendsgardeauchien»,commeleditlafameuseinscriptiondePompéi.

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10.Chiensdejournalistes!

Lessalopards!Lesmédiassontdevenusun«nouveaufacteurderisque»pourunemaisondésormaisplongéedansunegravecrise.C’estécritnoirsurblancdanssonrapportannuel.Pourlapremièrefois,LA Banque consacre un passage entier aux changements intervenus dans le regard que les médias etl’opinionpubliqueportentsurelle:«Lapresseetlesdéclarationspubliquesquiévoquentdesméfaitsdenotre part, même dépourvues de fondements factuels, provoquent souvent des enquêtes par lesrégulateurs,législateurs,juges,ouencoredesprocès.Répondreàcesenquêtesouprocès[…]coûtedutempsetdel’argentetempêchelesdirigeantsdeconsacrerleurtempsetleurseffortsàlacompagnie.»L’assautmédiatiqueauraitdoncun«impactnégatif»surla«réputation»,le«moral»desemployésetdoncsurla«performance»del’enseigne.L’écartentrelamanièredontlafirmesevoitetlaperceptionqu’alepublicestdevenuungouffre.

Ondécouvreainsi,ahuri,quesilesbanquiersdelafirmesont«moralement»fragiles,c’estlafauted’unemeutedejournalistesrelayéeparunefouledepoliticiensetderégulateurs,quionttransformédepetitsennuisenunfeuilletoncroustillantetvendeur.Etc’estl’argent,cesprimesetbonusentousgenresdistribuésgénéreusement,quiamislefeuauxpoudres.Chaquesemaine,iln’estquestionqueduculteduveaud’oretdelacupiditéd’uneinstitutionquialongtempsfascinélapresse.Depuislacrise,àcausedesscribes, volaille babillarde et écervelée qui, par définition, ne sait pas de quoi elle parle, la firme aquitté les pages de la pure chronique financière, aseptisée etmortellement ennuyeuse, pour celles desfaitsdiversetdel’émotionbrute.Lapestesoitdesmédiasetdeleursturpitudes,préjudiciablesaucoursenBourse,aumoraldestroupes,aurecrutementdecollaborateursdetalent,commeauxrelationsaveclaclientèle!Quantauxvieuxcompagnonsderoute–agencesdenotationfinancière,bureauxcomptables,cabinetsjuridiques–,ilss’interrogent:etsilabanqued’affaireslapluspuissanteduglobeavaitperdulamain?LavertuaffichéehierparGoldmanSachs–lesavoir-faire,l’assiduitéàlatâche,ladiscrétionetl’influence politique – est désormais un vice. En vérité, lemessage au ton geignard, vindicatif, portémaintenantparlafirme,estàlafoisdéplacéet,aufond,profondémentmaladroit.

Lamontéedupérilmédiatiquecommenceàl’automne2008aprèsl’effondrementdelagranderivale,Lehman Brothers. Les commentateurs relèvent alors que La banque s’est débarrassée d’un concurrenthistorique grâce à l’aide d’Henry Paulson, le secrétaire au Trésor, véritable bras droit de GeorgeW.Bush.C’estunancienprésidentdeGoldmanSachs…cequ’ignoraitjusque-làlegrandpublic.

Après ces premières égratignures, pas de quartier ! En juillet 2009, un journaliste du magazineRollingStone,MattTaibbi,spécialistedesenquêtesaulongcours,publie«GoldmanSachs, lagrandemachineaméricaineàbulles».L’impactesténorme,nonàcausedesrévélationsqu’ilcomporte(iln’yena pas), encore moins pour son ton, acrimonieux et par endroits presque nauséabond, faisant de cesbanquiersd’affairesdescomploteursâpresaugainetpeuhonorables.Lafirme,décritecommelepire

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monstrede la financedepuis lanuitdes temps,aurait-ellealorsexistéqueTaibbi l’eutaccuséd’avoirvenduleSeigneur…Lesuccèsesténormecar,auxyeuxdel’opinion, le lienestfaitentrelesdiversescomposantesdelacrise:l’effondrementdumarchéimmobilier,lasoudainemontéeenflècheduprixdubarildepétrole,lesdécisionsdel’ÉtataméricainderenflouerAIGoude«tuer»Lehman…GoldmanSachsestresponsabledetout.L’opiniontientsongrandméchantloup.

Lesmanchettesindignéessesuiventetseressemblentcontrelavilainebanque.Pourlesalimenter,onpeuttoujoursfaireconfianceàquelquesadversairesnotoirementremontésdanslesmilieuxfinanciersquiont toujours vu « ce qui se passait là-bas », àWall Street, avec suspicion. On s’acharne à diffuserrumeursetperfidiesavecdélectation,cequilaissepeudeplaceauxnuances.Etlesrelaisnemanquentpas.

Cette situation est aggravée par l’aveuglement de Lloyd Blankfein et de son entourage face àl’apparitiondenouveauxmédias.C’estqu’àWallStreet,désormais,investisseursetacteursfinanciersnese nourrissent plus seulement des grands journaux new-yorkais, leWall Street Journal, leNew YorkTimes,Forbes,Baronouleslettresspécialisées.Lemust,poursetenirinformé–pasdesgrandsenjeux,bien sûr,maisdubruit de fondde laprofession–, et aussi pour semêler aux jeuxd’influence, est deconsulter et d’agir à travers les blogs financiers. Dealbreaker.com est l’exemple type de ce à quoiGoldman n’est pas préparée. Affaire d’état d’esprit, de puissance, de génération… L’établissement anégligél’impactdecesnouveauxvenus.Danslacrise,dealbreaker.coms’estviteinstalléaucarrefourdubuzz:ilbénéficied’unesommed’informations,petitesougrandes,avéréesouinvérifiables,maisquionttoutespourparticularitéd’êtreissues«del’intérieur».

Anonymement,banquiers,tradersetautresgestionnairesdefonds«balancent»surcesitetouteslesvéritésguèrebonnesàdirequeleurspatronsetemployeurs tiennentàcacher.Leurfiabilitéestparfoistrèsrelative,maislesuccèsleurestassuré.CommetoutsiteInternet,dealbreaker.comproposediversesentrées. Lorsque, à la mi-2009, il rajoute aux usuels mots clés (banques, sujets du jour, ou fondsspéculatifs)celuideGoldmanSachs,ondevinequel’affaire,pourlafirme,estmalengagée.

DeuxgrandesplumesduNewYorkTimes,GretchenMorgensonetJoeNocera,vontcreuserlesillonsansrelâche,portantuntortconsidérableàl’imageimmaculéeduTempledel’argent.Lapremière,prixPulitzer 1998 pour sa couverture tranchante et incisive de Wall Street, enchaîne les scoops sur lesturpitudes de Goldman semaine après semaine. Souvent menées avec sa consœur Louise Story, sesenquêtes plongent dans les eaux troubles et enfoncent le clou. Après avoir démonté méthodiquementl’affaireAIG,JoeNocera,lui,découvrelerôlesecretqu’ajouélafirmedanscetteterriblecrise.

Faceàlatornademédiatique,quefaitGoldmanSachs?Ellesoufflelechaudetlefroid.D’uncôté,ladirection de cette cathédrale du silence descend enfin de l’Olympe pour porter la bonne parole auxanalystes et aux journalistes, en s’efforçant de renouer les fils de la confiance. De l’autre, la sociétédément avec acharnement tout ce qui passe à sa portée et dénonce les fausses nouvelles, les sourcesapproximatives,l’absencedeconditionnelsdanslacopiedesjournalistesfinanciersennemis,parl’odeurduscandalealléchés.«Ilyaspéculation[médiatique],[etcelle-ci]transcendelasimplestupiditéetlaporteàunniveausupérieur»,ditlabanqueàproposduscoopavortéduTimessurles«100millionsdedollars»queLloydBlankfeinestcensé toucherau titredesarémunérationen2009.(Enréalité,ceneseront«que»9,6millionsdedollars.)Quand,àlafindecettemêmeannée,leWallStreetJournal faitétat d’une rumeur annonçant la démission imminenteduP-DG,Goldman sort carrément son revolver :«Publierunetelleboueestunevéritablehonte.»

Pour contre-attaquer, ces messieurs battent le rappel des relais – ils sont puissants – dont ilsdisposentdans lesmédias influents.Des chroniqueursbancaires, desdirecteursdegrands journauxoudesanimateursdetalk-showsfinanciers,chargésdelesdéfendretoutenfaisantminederesteràdistance,sontappelésen renfort. Ilscritiquent,certes, la firmesurdespoints importants,maisc’estpourmieuxpréserver l’essentiel : son intégrité. Dans leWashington Post, le chroniqueur réputé Fareed Zakaria,

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s’exclame:«Assezdelarageanti-Goldman!»DansdestribuneslibresenvoyéesauTimeetauNewYork Times, William Cohan, un ancien banquier d’affaires chez Lazard puis chez JP Morgan devenu«expert»,sedémènerégulièrement.Sathèseestsimple:certes,lesproblèmesdeGoldmansontapparuslorsquelabanques’estmiseàprivilégierlesactivitésdemarchésaudétrimentdesonmétierhistorique,maisilnefautpasjeterlebébéavecl’eaudubain.Sielles’enestmieuxsortiequelesautres,affirme-t-il, c’est simplementqu’elleétait« lameilleure», et sonpersonnel lepluscompétent.«Pour avoir lemoindreespoird’éviteruneautrecalamitéfinancière,lerestedeWallStreetvadevoirsuivrel’exemple[deGoldman]»,écritparlasuitel’intéressédansleFinancialTimes.Legrandquotidiendesaffaires,dont l’édition américaine est très lue àWall Street, parraine, au côté deGoldmanSachs, leBusinessBookoftheYear.LejurydeseptmembrescomprenddeuxreprésentantsdeGoldmanSachs,l’undéclaré,Lloyd Blankfein, l’autre caché, Mario Monti, présenté comme « ancien commissaire européen etprésidentdel’universitéBocconi».Etlelauréat2007duprixn’estautreque…WilliamCohan.Onresteenfamille.

Quand laSecurities andExchangeCommission (SEC), legendarmedesmarchésaméricains,porteplainte contre la banque pour « fraude », le 16 avril 2010, leWall Street Journal défend celle-ci :«Goldman fournit unméchant très facile.Mais au vu des attendus de la plainte, la vérité est que lesenquêteursonttrouvébienpeudevilenies»àluireprocher.Beaucoupcroientvoirlàl’influencesurlespageséditorialesdunouveaupropriétaire,RupertMurdoch,clientdelonguedatedelabanque.

Par sa culture, Goldman Sachs est cependant très mal armée pour lancer une contre-offensivemédiatique.Avantl’introductionenBoursede1999,lesjournalistesnefranchissaientd’ailleursjamaisleseuil de l’une des dernières banques d’associés-gérants deWall Street. Les contacts avec lesmédiasétaient tout simplement inexistants. Vivons heureux, vivons cachés : Goldman Sachs se retranchaitderrièresonstatutdecompagnieprivéepourfuirtoutcontactaveclapresse.Nerienvoir,neriendire.Laisser écrire, sans commentaires d’aucune sorte.Business first ! Toute indiscrétion d’un cadre étaitpassiblede renvoipour fauteprofessionnellegrave,cequimontrequ’en réalité, lamaison se souciaitplusdesonimagequ’ellenelemontrait.

Dans la première moitié des années 90 a lieu une timide tentative de perestroïka.Mais on restefrileux,surlemode:«Unpasenavant,deuxpasenarrière.»Unconsultantextérieur,EdNovotny,estrecruté,davantagepourfairebarragequepourcommuniquer.CetancienreporterdeChicago,spécialisédans l’information locale, ignore d’ailleurs tout des arcanes de la banque d’affaires, ce qui convientparfaitementàsespatrons.Toutvamieuxquebiendanslemeilleurdesmondes.

L’entréeenBourseobligelesapparatchiksenplaceàallerplusloin.Cettedécisionhistoriqueleurpermetcertesd’accroîtreleursmoyens.Etlesassociésnesontdésormaisplusresponsablessurlatotalitéde leur fortune.Maisparallèlement, leNewYorkStockExchange imposeunecertaine transparence. Ilfautdésormaisinformerenbonneetdueformeactionnaires,analystes,régulateurs,médiasetemployés.Lesassociésélevésdanslesérailrechignentàl’ouverture.

En2000,lenouveauprésident,HenryPaulson,créeunvraipostededirecteurdelacommunication.SontitulaireestLucasVanPraag,unBritanniquequiofficiaitjusque-làcommeporte-paroleàLondres.Les deux hommes partagent cemélange d’insolentes certitudes et demodestie insolite. Van Praag estanglaisetnonpashollandaisousud-africaincommesonnompourraitlelaissersupposer.Aucundoutelà-dessus:del’Anglais,ilalafinesse,ladistanceetla…perfidie.CetanciendirigeantdeBrunswick,leplusprestigieuxcabinetderelationspubliquesdelaCity,estunvieuxroutierdumondedesaffaires:ilaétésuccessivementbanquier,patrond’unePMEindustrielleetdirecteurd’unemaisond’édition.Lalignemédiatique à laquelle le pugnace soldat consacre son savoir-faire est simple : le succès parle de lui-même,regardeznosrésultats.Unproblèmesurgit?Onl’interrogesurlesmauxdelabanque?Ilrépondinvariablementpartroisinitiales,NFN,«NormalforNorfolk»,l’expressionqu’utilisentbonnombrede

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médecinsbritanniquespourdécrireunbobosansgravité(l’hommeestd’ailleursoriginaireduNorfolk,comtéagricoledel’estduRoyaume-Uni).

La crise de 2008 porte un coup fatal à cette communicationminimaliste. Pour tenter d’atténuer larigueurdujugementdesAméricainsàsonsujet,LloydBlankfeindoitprésenterdesexcusesenbonneetdueforme.Ennovembre2009,unanaprès lachutedeLehmanBrothers, lerenflouementde l’assureurAIGetl’octroidel’aidedel’État,leP-DGbatsacoulpeensignedecontrition:«Nousavonsparticipéàdesactionsquiétaientfoncièrementmauvaises,etnousleregrettons.»

Pourprononcercemeaculpaà l’ancienne,cerepentirquiseveutsincère, lepatronadûforcersanature. Cette réticence à faire repentance fait partie des gènes des «Maîtres de l’Univers » selon laformuledeTomWolfedansLeBûcherdesvanités.Àcetégard,lecomportementdesbanquiersesttrèsdifférent de celui des industriels, plus facilement enclins à reconnaître publiquement leurs erreurs. Lacomplexitédesproduitsfinancierscréeunsentimentdesupérioritéchezles«véritablesanimauxmâlesquiselançaientdansl’investissementfinancier»,pourreprendrel’expressiondeWolfe.L’agressivité,laforcebrute,l’exaltationdelavirilitéetlavoracitésontdesvaleursreconnuesdanscetunivers.Présenterdesexcusesdonneuneimagedevulnérabilitéetd’incompétenceincompatibleavecledésirdepuissanceet de réussitematérielle illimitée. L’autoritarisme, l’aveuglement et, parfois, le népotisme qui règnentdanslessallesdesmarchésn’incitentpasàlacontrition.Etlesmirobolantesrémunérationssoutiennentunmode de vie propice à une certainemorgue. Enfin, il y a la terreur qu’inspirent les class actions(plaintes collectives), en vertu desquelles des clients s’estimant lésés peuvent, aux États-Unis, seregrouperpourfairereconnaîtreleursdroits.

Malgré tout,LloydBlankfein n’avait guère le choix. Ses excuses étaient nécessaires.Auxyeuxdel’opinionpublique,setaireauraitétéunaveuimplicitederesponsabilité.Danslafoulée,labanqueoffre500millionsdedollarsenvued’aider10000PMEsurcinqans.L’investisseurWarrenBuffett–grosactionnairedeGoldman–présidelacommissionchargéed’attribuerlesdons.Ceprogrammedesoutienàl’économieparaîtmodeste,maissesmodalitésmontrentqu’ilestmotivéparautrechosequelasimplenécessitédesoignersonimage.Surleplanmédiatique,Buffettestunatout :c’estunestarmondialeetl’undesraresfinanciersàavoirlacoteauprèsdel’opinionaméricaine.

Lasituationdélicatedanslaquellesedébatl’enseignevautuntroisièmeaccommodement.Dansune-mail interne, Lloyd Blankfein demande à ses cadres d’adopter un profil bas, d’éviter d’étaler leursrichesses.LesassociéssontpriésdeneplusroulerenFerrari,decesserdecourirlesrestaurantshuppés,derefuserdefairelaunedesmagazinesdedécorationintérieure.Lechepteldeslimousines,lalocationd’avionsprivésetlesbilletsdepremièreclassenevontplusdesoi…

Résultat?Lesubtilplanmédiasestunécheccomplet !Dans lesenquêtesd’opinion, lacotede labanquenecessedechuter.JournalistesethommespolitiquesfustigentlacéléritéaveclaquelleGoldmanarenouéavecdesprofitsfaramineuxet lesbonusgénéreux,unanàpeineaprès l’unedespériodes lesplus calamiteuses de son histoire. Elle a beau insister, preuves à l’appui, et se prétendre moinsirresponsable que les autres établissements, personne n’écoute. L’institution concentre sur elle tout leressentimentd’unpublicvictimedelarécessionetduchômage.

Troptardives,lesexcusesduBossn’ontpasconvaincu.Etsurtout,enrefusantdereconnaîtrequesonrétablissementvigoureuxdoitbeaucoupàl’interventiondel’État,GoldmanSachspassepouruneingrate.Carlegouvernement,auplusfortdelacrise,enseptembre2008,abeletbiensauvélacitadelleenluiconférant le statut de « compagnie bancaire holding », ce que ni Bear Stearns ni Lehman Brothersn’avaientpuobtenir.Desurcroît,GoldmanaétérembourséedesesengagementscolossauxdansAIGenrecevant 13 milliards de dollars. Dans ces circonstances, mettre ensuite l’accent sur l’actionphilanthropiqueapparaîtcondescendant,tardifet…pingre.Aprèstout,l’enveloppetotaleconsacréeàlacharitéparLABanquen’estquel’équivalentd’unejournéemoyennedetrading…

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Par ailleurs, unevaste campagned’explicationdumétierdebanquierd’affaires se retourne contrel’intéressée.Quelleest la raisond’êtreéconomiquedeGoldmanSachs?Quelleestsonutilitéciviquepour la société en général ?Le problème est que l’on peut voir le résultat tangible de l’activité d’unindustriel (sa production), d’une star du foot (les buts), voire d’un banquier commercial (le guichet,l’agence,lagestiondecomptescourantsoud’épargne).Àl’inverse,fairecomprendreaugrandpubliclefonctionnement des bénéfices collectifs d’une banque d’affaires aussi complexe relève de la missionimpossible.Cetyped’établissementnecollectepaslesdépôts,n’accordepasdecréditsauxménagesetnerecueillepasl’épargnedesparticuliersàl’exceptiondesgrandesfortunes.Letempledescapitauxn’apasdecontactdirectavecleconsommateur.GoldmanSachsestenferméeàdoubletourdanssaprisondel’invisible.Pourl’hommedelarue,sonidentitéestinsaisissable.

Enmatière de relations publiques, Goldman Sachs est en réalité un nain richissimemais fragile.Isoléeensonbunker,elleest incapabledemesurerl’ampleurdel’exaspérationenverslahautefinancealorsquelemondeoccidentalconnaîtsaplusgraverécessiondepuislaSecondeGuerremondiale.Pourprendrelepoulsdelasociété,ellen’aquel’actionphilanthropique,unétalondemesurepourlemoinssurprenantetaléatoire.

L’établissementpaieaussileprixdesaculturemaisonintrovertie,fondéesurl’entre-soi.Avecunegestionpresquekolkhozienne,cetteatmosphèredetravailtrèsparticulièrecréeunespritdecastefaceauxdétracteurs. Lesmoines banquiers chantentmâtines sur l’air de : «Nous sommes lesmeilleurs. » Laversion hooligan de cette philosophie est celle des teigneux et racistes supporters du club de footlondoniendeMillwall:«Onnousdéteste,maisons’enfout.»

Toutexpertencommunicationvousledira:laquestionn’estpasd’enfairetropmaisdefairebien,deprivilégierl’actionàlongterme,enprofondeur.Or,laviedestradersestrythméepardesmarchésquines’arrêtentjamais.WallStreetn’estpasleroyaumedelapatiencemaisdel’instantané.Etenroulant,onpassesouventàl’orange!C’estaussi,pourlescommunicantsdelafirme,laquadratureduverbe.

Le2mai2010,lorsdutraditionneldînerduPrésidentaméricainaveclapresse,oùlarègledujeuestque ce dernier parsème son intervention de bons mots et d’allusions, Barack Obama a déchaîné lesapplaudissements:«Cesoir,lesblaguessontsponsoriséesparGoldmanSachs.Etnevousenfaitespaspoureux:quelesgagsvousfassentrireoupas,ellegagneradel’argent.»

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11.LamaisondesBRICs

Il reste qu’au fil du temps la force de la maison a été de savoir se renouveler. En pressentantl’existencedemarchésprometteurs,elles’estrévéléepluscréativequesesconcurrents.D’autantqu’ellearéussiàfaireadoptersesdécouvertespardesmédias,àl’époquebiendisposésàsonégard.

En forgeant, dès 2001, le concept de BRICs, acronyme désignant les marchés émergents à fortpotentieldecroissance,àsavoirleBrésil,laRussie,l’IndeetlaChine,GoldmanSachsestentréedanslalégende.

Dans le bureau de l’économiste en chef de la banque à Londres, Jim O’Neill, les quatre petitsdrapeaux brésilien, russe, indien et chinois paraissent écrasés par lamasse des journaux, rapports etdossiers.Deson«pays»,leLancashireouvrier,JimO’Neillagardél’accentrugueux,lecoupdegueulefacileet lediscours invariablementchaleureux.Cefilsdepostierau laisser-allervestimentairequi luipermetdenepasavoir la raideur typiquedesgensde laCity,a rejoint le templede l’argenten1990.Aprèsundoctoratenéconomieàl’universitédeSheffield,ilsespécialisedanslesmarchésdesdevisesavantdedevenirnumérodeuxdudépartementderechercheéconomiquedirigéparGavynDavies.Quandce dernier quitte Goldman Sachs pour la présidence de la BBC à l’été 2001, le chantre des devisesexotiquesluisuccède.

Les attentats du 11 septembre 2001 contre les tours jumelles duWorld Trade Center servent derévélateur:«J’aicomprisalorsquelamondialisationneseraitpasaméricaine.Pourlafaireavancer,ilfallaitouvrirlaporteàd’autres,maissansleurimposerlapenséeuniqueanglo-saxonne.»Àsesyeux,endépitdeleursdisparitésculturelles,religieuses,politiques,leBrésil,laRussie,l’IndeetlaChineontencommununepopulation trèsnombreuse,uneéconomieaupotentielénormeet lavolontédesdirigeantsd’embrasserlamondialisation.

La réflexion de Jim O’Neill triomphe avec la publication, le 30 novembre 2001, de son rapportintituléGoldmanSachsGlobalEconomic,Papernuméro66:BuildingBetterGlobalEconomicsBRICs.Sonpronostic:d’ici2041(ramenéensuiteà2039puis2032),cesquatrenationsvontdépasserlessixplus grosses économies d’aujourd’hui. Son verdict fait l’ouverture du journal du soir de la BBC. Saprévisiond’unrattrapagedesÉtats-UnisparlaChinedès2027provoquelapolémiqueàWashington.Ledocument s’arrache comme un best-seller. Les clients de la firme en redemandent. Les BRICs sontdésormais la grande affaire, le discours à lamode.Le logo est à l’affichepartout, unpeu commeunemarqueplanétairestyleCoca-ColaouMcDonald’s.

«LesBRICs,c’estuneappellationneutre,noncondescendanteetpolitiquementcorrecte»,dit,nonsans fierté, O’Neill, devenu la nouvelle coqueluche des conférences internationales et autres grand-messes de la finance. La crise des subprimes de 2008 lui donne l’occasion de tester son analyse. Àl’exceptiondelaRussie,cespaysrésistentmieuxàlatempêtequeleséconomiesoccidentales.

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Maispourunéconomiste,devenirunoracleestrisqué.Laspécialitéquecemissionnaireprovocateurs’estcrééeluivautdesjoutespastoujoursamicalesavecsespairspeuconvaincusoujaloux.EncoreungadgetdeGoldmanpourattirerlechaland!Untrucdemarketing,disentsesdétracteurs.Ilsremettentencause la prédiction d’une croissance exponentielle à si long terme ou s’interrogent sur les critères desélection.Lapythie des économies émergentes crée d’ailleurs unedeuxièmedivision, baptiséeN-11 :Bangladesh,Égypte,Indonésie,Iran,Corée,Mexique,Nigeria,Pakistan,Philippines,TurquieetVietnam.

Diableoubondieu,c’estselon,JimO’Neilln’aquefairedescritiques:«Ceconceptpeutbâtirunmondemeilleur,c’estcelamamotivationprofonde.»

Leschiffressonttêtus.En2010,leproduitintérieurbrutdelaChineadépasséceluiduJaponetsesexportations ont détrôné celles de l’Allemagne. Bien avant la trouvaille de son brillant économiste,Goldman Sachs a pris lamesure du formidable potentiel de l’empire duMilieu, désormais deuxièmeéconomiedelaplanète.Aujourd’hui,sesrésultatssontexceptionnels.

Deux caciques de la banque d’affaires ont fait de laChine le nouvel eldorado : JohnThornton etHenry Paulson. Le premier peut s’enorgueillir d’avoir bâti en partant de rien le pôle asiatique d’uneinstitution jusque-là prisonnière de son tropisme américano-britannique.D’ailleurs, quand il claque laportedelabanque,en2003,JohnThorntondevientlepremierétrangeràdécrocherunechairedansl’unedesécolesdecommercechinoiseslesplusréputées.

Le secondavait été responsablede la régionavantdegagner, en2000, le sommet.DevenuP-DG,HenryPaulsonpassealorsbeaucoupdetempsenChine,dontlepotentiell’obsède.Cebanquiertrèsfinsous des allures rudes a compris instinctivement les mystérieuses manières d’opérer de l’ex-empirecommuniste.Fidèleàlastratégievisantàseconstituerdesréseaux,ilselied’amitiéavecsesconfrèreschinoiscommeaveclesdirigeantspolitiquespourmieuxasseoirsacrédibilité.

Dansunpremiertemps,GoldmanSachsaidelesentrepriseschinoisesàémettredesactionsauniveauinternational,enparticulierauxÉtats-Unis,etàleverdescapitauxsurlesmarchésfinanciersétrangers.Elle est aussi très active dans les privatisations. Enmarge des commissions traditionnelles tirées desprestationsdeconseil, l’établissementsecréedesopportunitésd’investissementsdirects,àcommencerpar le secteur financier.Elle s’assureainsiuneparticipationdans lecapitalde lapremièrebanquededétail chinoise, l’Industrial Commercial Bank of China, qui se révèle très rémunératrice. UnecoentrepriseestétablieaveclamaisondecourtageGaoHuaSecuritiesquel’associéaméricaincontrôlemalgrésapartminoritaire.GoldmanSachsPrivateEquity,safilialecapital-investissement,selieàdespartenaireschinoispourinvestirdanslapharmacie,l’automobile,l’électroménager,lessemi-conducteursou l’Internet. Par ailleurs, l’institution new-yorkaise sponsorise une business school formant les futurscadresde…GoldmanSachsChina.

Maislà-bas,rienn’estjamaissimple.Legouvernemententendprotégersesentreprisespubliquesdelamainmisedesintérêtsétrangers.Lesautoritésfontdoncdessecteursjugésstratégiques–l’énergie,lesmédias,lesminesoulestélécomsquicomptentparmilesspécialitésdelabanque–leurchassegardée.Enrevanche,lesdomainesouvertsauxétrangers–lesindustriespropresoulehigh-tech–negénèrentpasautant de commissions. Par ailleurs, la règle du jeu change constamment enmatière de privatisations,autrecréneautrèsporteur.

Les placements à l’étranger des ressortissants chinois sont strictement contrôlés. Les réseaux dupouvoirfinancierdemeurentopaques.Leparticommunisteetlerégulateursontreprésentésauseindeladirection des dix-sept banques chinoises dépositaires de 80% des dépôts du pays le plus peuplé aumonde. La corruption, le trafic d’influence, les prêts soumis aux considérations politiques sontendémiques.Ledroitdesaffairesestembryonnaire.

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Malgrécespointsnoirs,lamaisonprospèreenChine.Saufquelesconflitsd’intérêtssemultiplient,mettantàmal labienveillance initialedesautoritésderégulationchinoises.En janvier2008,Goldmanpublie un rapport sur l’économie chinoise prédisant une baisse des prix des actifs du pays. À cetteépoque, l’économie nationale est en plein boom. Après la publication du document, la Bourse chutebrutalement,commel’avaitprévulafirme.Pourlesautorités,furieuses,Goldmanajouéaveclefeuenprovoquantparsesprévisionsalarmistesunmouvementdepaniqueboursière.

Parailleurs,lacommissiondecontrôledesavoirsdel’Étatreprocheàsestradersenpétroled’avoirvendudesproduitsfinancierstropcomplexesauxentrepriseslocales«avecdesintentionsdiaboliques».Ainsi, l’électricien ShenzhenNanshan Power a perdu des sommes colossales après avoir acheté à lafilialespéculativedeGoldman,J.Aron,descontratsdedérivésd’ornoir.Affirmants’êtrefaitgrugersurlemarchéspéculatifdubaril-papier,Pékinainterditauxcompagniesénergétiqueschinoisesconcernéesd’honorerleursdettesvis-à-visdeGoldmanSachscommedesesrivaux.Leclimatsetend.

Aussi la réputation de la maison auprès du pouvoir a-t-elle pâti de l’échec en 2005 de l’offrepubliqued’achathostiledugroupepétrolierpublicCnooc(ChinaNationalOffshoreOilCompany)surlaseptièmecompagnieaméricained’hydrocarbures,Unocal.MalgrésonemprisesurWashington,labanquen’apassusurmonterunelevéedeboucliersàlalimitedelaxénophobie,dansl’opinionetchezlesélus,contrecetteopération.LaCnoocaétécontraintede renoncerà sonoffre, auplusgrandbonheurde lamajoraméricaineChevronTexacoquiafinalementmislamainsurUnocal.

Enfin, la citadelle souffre toujours de sa culture anglo-saxonne. Malgré son expansion àl’internationaletendépitdelaprésencedenombreuxassociésétrangers,ausommetelleresteunefirmeaméricaine.Lesadministrateursétrangersnesontpaslégion.CetteomniprésencenepeutqueheurterlessusceptibilitésdelaChinepourquilamondialisationdoitêtreàdoublesens.

Au printemps 2010, la nouvelle terre promise de Goldman Sachs place une deuxième fois JimO’Neillsouslesprojecteursdel’actualité.LecroisédesBRICsestunsupporterferventdeManchesterUnited,leclubdesonenfance,dontlamajoritédesfansétrangerssontasiatiques.Inquietdel’explosiondeladettedontleserviceabsorbelatotalitédurésultatopérationnelduclub,JimO’Neills’enprendàlafamille américaine Glazer, propriétaire des « Diables rouges ». Pour racheter l’affaire, il forme unconsortiumde financiers comptant denombreuxmagnats chinois.Passiondu sport, pouvoir et argent :touslesingrédientssontréunispourfairedecettesagauneconfrontationhautementmédiatisée.

Envued’acquérircefleurondelaPremierLeagueanglaise,lesGlazersesontendettésjusqu’aucou.Pourrenflouerlescaisses,ilslancentuneémissionobligataireenjanvier2010.EnvoyageenChine,JimO’Neilldénoncepubliquementcetteopérationpilotéeparlabanque-conseilduclanaméricain.Orcelle-ci n’est autre que Goldman Sachs elle-même, qui prie son augure de faire profil bas ! Tels sont lesrisquesetaléasdumétierd’économisteenchefdansuneserretraverséedeconflitsd’intérêts.

Dansleurconquêtedumonde,entremégalomanieetsensdesopportunités,lesseigneursdeGoldmanse sontattaquésàunnouveaupays-continent.Pour réussirdanscette jungledesaffaires,deux facteurssontnécessaires:lemomentidoineetsurtoutlesalliésadéquats.Là,dansl’ex-URSStriompheceluiquiparie sur les bonnes relations avec leKremlin et sait naviguer dans un univers politique, juridique etcomptableauxrèglesmouvantes.Businessetpolitiquesontinextricables.Laplupartdesoligarquesontoccupédespostesgouvernementauxdanslesannées90etlesdécideurspolitiquesontbiensouventdesintérêtsdirectsdans lesgrandesentreprises,viadeshommesdepailleoudessociétés-écrans.Commel’attesteledémantèlement,en2003,dugéantpétrolierIoukos,leKremlinamisbanquiersetindustrielsaupas.

Apriori,lefragileédificeissu,en1992,desdécombresde«l’empiredetouteslesRussies»atoutpour plaire à Goldman Sachs. Le formidable potentiel de croissance, les opportunités offertes par la

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grande braderie des privatisations de l’ère Eltsine au milieu des années 90, les valeurs boursièreslargementsous-évaluéesetleclimatd’affairestrèsprometteurnepeuventqu’attirerLABanque.Contratsetmandatssontnégociéstranquillementdansl’ombre,cequin’estpaspourdéplaireàuneenseignequicultive le secret.Quant à la presse russe, elle a peur dupouvoir.De surcroît, l’économiste star de lafirme, JimO’Neill, a inventé le conceptdeBRICs,dans lequel lapatriedePierre leGrand figure enbonneplace,mêmes’ilnes’agitpasd’unepuissanceémergenteàproprementparler.Enfin, lepétrole,activité souveraine de laRussie etmoteur essentiel de sa croissance, ne peut qu’attiser l’intérêt d’unétablissementquijoueunrôledepremierplandansletradingénergétique.

CommentexpliqueralorsladéroutesubieparlabanquelapluspuissantedelaplanèteenRussie?Tout d’abord, trop préoccupée par la Chine, Goldman Sachs a raté sa percée historique en ne s’ydéployant qu’en 2006.Auparavant, la firme avait tâtonné : un bureau de représentation en 1998, à laveilledelacrisefinancièrerusse,puisunelonguepérioded’hibernation.Unefilialededroitrusseavaitsuivien2006puisunelicenceavaitétéobtenuepourconstitueruneholdingbancairediversifiéeen2008.Lamêmeannéeavaiteulieul’achatdelabanquededétailTinkov,sansgrandsrésultats.Danslesfaits,lesgrandestransactionssontpilotéesdepuisLondresetNewYork,cequiheurtelenationalismelocal.

Ce tropisme américain décourage les grandes figures de la finance russe de siéger au sein de ladirection moscovite de Goldman. Celle-ci n’a donc jamais réussi à se constituer une équipe forte etstable. Autre contretemps, Goldman pilote de main de maître l’OPA réussie du sidérurgiste LakshmiMittal sur Arcelor, en 2006, en torpillant la tentative de Severstal – le champion national de l’acierpousséparleKremlin–dejouerauchevalierblanc.Lepouvoirpousselesoligarquesàprocéderàdegrosses acquisitions à l’étranger pour renforcer l’influence du pays. Pour Vladimir Poutine, la fusionArcelor-Mittalestunsoufflet.Etl’ex-colonelduKGBestdenaturerancunière.

Le contentieux avec le Kremlin s’aggrave quand les analystes de Goldman Sachs annoncent enfanfare, en mai 2008, que le marché russe va grimper de 20 % dans les huit mois à venir. Mais, àl’échéance,c’estlecontrairequiseproduit:l’indiceboursierRTSdeMoscouplongede80%…Badluck.Pourgagnerenvisibilité,GoldmanSachsmisesurOlegDeripaska,tsardel’aluminium,P-DGdelasociétéRusAl.L’homme leplus richedeRussie estunprochealliédeVladimirPoutine.Ex-directeurd’unefonderiedeSibérieetancientrader,ilestassociédansl’aluminiumauxoligarquesdeLondreslesplus en vue,RomanAbramovitch, Eugene Shvidler etViktorVekselberg, une clientèle potentiellementintéressante.

La banque lui promet que grâce à son réseau d’influence àWashington, Deripaska deviendra unhommehonorable.Eneffet,leFBIrejetterégulièrementsesdemandesdevisad’entrée.Deripaskatraînederrièreluiuneréputationdouteuseliéeàlaguerreféroceengagéepourlecontrôledel’aluminiumdanslesannées90,danslafouléedel’effondrementdel’Unionsoviétique.Rienn’yfait.MalgrélespressionsdeGoldmanSachssurl’administrationBush,DeripaskarestepersonanongrataauÉtats-Unis.Furieux,l’hommed’affairessesépareavecfracasdesonnouvelallié.

Après tant de déconvenues, celui-ci rase les murs et utilise souvent les services de banquesd’investissement locales, beaucoup mieux introduites qu’elle dans les hautes sphères du pouvoir. LamaisonRussie,oùleslendemainsdéchantent,estrestéejusqu’àprésentuneaventureratée.Cequiarrivemêmeauxmeilleurs.

L’implantationenIndeacommencémodestementparletruchementd’ungroupefinancierprivé,KotakMahindra,danslequellabanquepossédaituneparticipation.Outresesactivitéstraditionnellesdebanqued’affairesetdecourtage,Goldmanamis l’accentsur lecapital-investissementens’associantavecdesstructures familiales qui jouent un rôle moteur dans cette nation émergente. À l’heure de la

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mondialisation,cesentitésontdesrèglesquel’oncroyaitrévoluesfondéessurlesliensdusang,avecsonlotdedétestationsetdetrahisons.

Parallèlement, Blankfein joue de son réseau d’influence. La nomination comme administrateur deGoldmanduroidel’acier,LakshmiMittal,doitrenforcerl’expansionattendue.

BienqueGoldmanSachssoitprésentesurlemarchébrésiliendepuis1994,etqu’elleaittenté,sanssuccès,deprendrepositionlocalementenrachetantdemultiplesopérateurslocaux,elleavraimentmisl’accentsur lapuissanceémergente lorsdu lancementdesBRICsen2001.Lacréation,en2002,de laGoldmanSachsdoBrasilBancoMultiplo,unebanquediteuniversellebaséeàSãoPaulo,doitassurersesambitions.

Pendant la guerre froide, les États-Unis et l’Union soviétique se sont combattus férocement pourdominer le tiers-monde, comme on disait à l’époque. Point de passage obligé entre les économiesémergentesetlesressourcesminièresetenhydrocarbures,labanqueestpartieàlaconquêtedepositionssur lecontinentnoir.LeNigeria, l’AfriqueduSudet l’Angola, richesenmatièrespremières,sontplusparticulièrementvisés,commel’attestentderécentsévénements.

Enmars 2010,OlusegunAganga est nomméministre de l’Économie du nouveau gouvernement duNigeriamis en place par le président,Goodluck Jonathan.OlusegunAganga est un bon contact : il adirigé le service de conseil aux hedge funds de Goldman Sachs International. Bonne intuition ! Enmai 2010, Tito Mboweni, gouverneur de la Banque centrale d’Afrique du Sud entre 1999 et 2009,devient, lui, conseiller international de Goldman Sachs. Cet ancien ministre du Travail de NelsonMandela est une vieille connaissance de la banque, où il avait effectué un stage après ses études àl’universitéGeorgetown.

Enmai 2010 toujours,GlobalWitness dénonce les liens entre la compagnie pétrolière américaineCobalt International Energy et certaines personnalités politiques angolaises. À en croire cette ONGbritanniquerenommée,Cobaltaconfié l’explorationdenouveauxgisementsoctroyéepar lacompagnienationale des pétroles à deux sous-traitants totalement inconnus – des coquilles vides présumées,réceptaclespotentielsdecommissionsoccultes.Or,GoldmanSachsestactionnairedeCobaltetsiègeàsonconseild’administration.

Balkanisée, parcellisée sur le plan ethnique, victime d’une corruption endémique, l’Afriquesubsaharienne se prête mal au type de transactions auxquelles la banque est habituée, en Europe parexemple. Celle-ci peut pourtant s’enorgueillir d’avoir organisé l’une des rares fusion-acquisitions àl’échelleducontinentnoir :Ashanti-AngloGold.Mais làencore, lesrègleséthiquesontétéappliquéesavecuneimmenseouvertured’esprit.

BienvenueàObuasi,lapremièremined’orduGhana.Ilest4h30dumatin.Labennedescendàtoutevitessedans le silenceet les ténèbres, avecà sonbordunecinquantainedemineurs, levisageencoregonflé de sommeil. Le voyage dans les entrailles de la terre, qui dure quelques minutes, paraît uneéternitéetsetermineauniveau-1600.Unebouteilled’eauàlamain,bottés,gantés,casqués,toujourssilencieuxdansleurscombinaisonsimmaculées,lesmineursmarchentencolonnesdansunlabyrinthedegaleriesmaléclairéesquivontserétrécissantpourprendreleurposte.Partrois,accroupisouassisdansdesboyauxd’unmètredehauteur,leshommespercentlarochedequartzrenfermantlemétaljaune.Lescercles de lumière des lampes frontales trouent l’obscurité, comme des projecteurs deDCA dans lesvieuxfilmsennoiretblanc.

Situéà200kilomètresaunord-ouestdelacapitale,Accra,cegisementalongtempsétéleprincipalactif d’AshantiGoldfieldsCompany, établie à Londres en 1897.À l’époque, laGoldCoast est, avec

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l’AfriqueduSud,lapépiteduplusgrandempiredetouslestemps.Avecladislocationimpérialedansles années 60 et les remous provoqués par les déclarations d’indépendance, l’ex-société colonialeprospère.En1986,premierAfricainàdirigerunecompagnieminièreducontinent,SamJonahaccèdeauxcommandesd’Ashanti.Dixansplustard,legroupeprivatiséestcotéàlaBoursedeNewYork.

Largementdéconsidérécommevaleurrefuge,victimedureculdel’inflationquinemenaceplusgrandmondeetdevenuunesimplematièrepremièresoumiseàl’humilianteloidel’offreetdelademande,lemétal fin ne cesse de dégringoler. Les spéculateurs new-yorkais ne sont pas les seuls à constater quel’éclat du métal jaune s’est terni. Les Banques centrales savent elles aussi manier la règle à calcul.Depuis1996,lesinstitutsd’émissionsedélestentdecentainesdetonnesd’or.Le7mai1999,laBanqued’Angleterre annonce son intention de procéder par étapes à des ventes de plus de la moitié de sesréservesenor.Lecoursdel’orplongeautourde260-270dollarsl’once.PourAshanti,quisedébatdansd’énormesdifficultésfinancières,c’estlecoupdegrâce.

Si l’orreste toujoursuneArlésiennepourlesmineursd’Obuasiquin’ont jamaisvuàquoipouvaitressembler un lingot pur, sauf en photo, tel n’est pas le cas de Goldman Sachs. Lloyd Blankfein acommencésacarrièrefinancièrecommevendeurd’orchezJ.Aron,absorbéplustardparlabanque.Sonbrasdroit,RonBeller,estunsorcierdelaconfectiondeproduitsfinancierspermettantauxsociétésdematières premières de se protéger contre la volatilité des cours.De plus, fort de l’excellence de sonéquipeminièrebaséeàLondres,lamaisonauneréputationdesavoir-fairedanslessituationsdifficiles.Sur la foi des prédictions alarmistes de ses analystes chevronnés, la banque persuadeAshanti que lecoursdel’orvacontinueràtomber.GoldmanSachsvendàsonclient,confiant,desproduitsdérivéstrèsrisquéspourleprotégercontreunebaissedescours.Aprèstout,pourquoipas?

Maisenoctobre1999,plusieursBanquescentraleseuropéennesgèlentlaventedeplusde80%desréserves mondiales de métal fin. L’émotion suscitée par la perspective des problèmes sociauxqu’entraînerait,enAfriquecommeenRussie,lafermeturedeminesnonrentables,apesélourddanscettedécision. Les cours remontent alors brusquement. Ashanti, qui, pour rembourser ses créditeurs, doitracheterl’orauplushaut,estpriseàlagorge.Lacompagnieghanéenneestmoribonde.Lesjoursdecettesociétéindépendantesontcomptés.

ÀLondres,au19Charterhouse, superbebâtimentnéoclassique, lesdirigeantsdugéantminiersud-africain Anglo American Corporation se morfondent. AngloGold, la structure regroupant les avoirsaurifères d’Anglo, est rétrogradée au deuxième rang mondial. Face à la concurrence australienne etcanadienne,legroupedoitgrandirpoursurvivre.MandatéeparAngloAmerican,GoldmanSachsdéterrela hachedeguerre.À l’issued’unebataille boursièremémorable,AngloGold etAshanti s’unissent en2004pourformerleleadermondialincontestédusecteur.

Commissionsdunégocedesproduitsdérivés,mandatdeconseil:unenouvellefois,GoldmanSachsgagne sur tous les tableaux.Mais ce n’est pas tout. Enmars 2009, un hedge fund rachète – toujoursconseillé par Goldman Sachs – la part d’Anglo American dans AngloGold-Ashanti. Il en devient ledeuxième actionnaire. L’acquéreur est une vieille connaissance de Goldman Sachs : John Paulson. Ils’agitdel’hommeparquilescandaledesCDO,cestitresobscursaucœurdelacrisefinancièrede2008,estarrivé.Larécidiveestunfiloninépuisable…

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12.LeLundinoir

LesnababsdeGoldmansontainsi:illeurestaussidifficilederésisteràun«coup»qu’àunrequinderesterinsensibleàl’appeldusang.C’estKerryKillinger,patrondelacaissed’épargneWashingtonMutual(WaMu)quil’affirmeaprèsavoirlâchélabanqued’affairesàl’automne2007.«Jenefaisplusconfiance à Golby [Goldman Sachs] sur ces dossiers [les crédits subprimes]. Ce sont des typesintelligentsmaissemettreenaffairesaveceuxrevientànageravecdesrequins.»

Killingeralecœurlourd.WashingtonMutualétaitpourtantunvieuxclientdeGoldmanSachs,quiatrompé sa confiance en lui vendant par paquets des actifs hypothécaires vérolés. Dans le cadre dudélestagedes avoirs immobiliersdécidéendécembre2006, l’établissement s’estdébarrasséendoucedes titres WaMu, pariant sur leur effondrement, tout en continuant à les vendre à ses clients. Enseptembre 2008,WashingtonMutual s’effondre et doit être nationalisée avant d’être revendue pour unfranc symbolique à JP Morgan Chase. Alors que les actionnaires ont tout perdu, Goldman Sachs aencaissédeplantureuxprofitssurcestransactions.

Ces accusations sont contenues dans les documents publiés par la commission d’enquête du Sénataméricain.Ils’agitdumêmecomitéqui,le27avril2010,ainterrogépendantonzeheuresd’affiléehuitreprésentants de Goldman Sachs, dont plusieurs anciens responsables du département des créditshypothécairesvisésparlesallégationsdeduplicité.

L’affaireillustreunenouvellefoislesconflitsd’intérêtsinhérentsaufonctionnementdecettebanque,dontlabiblefaitunelargeplaceaustrictrespectdesrègleséthiques.Laprééminencedutrading,dontlacultureconsisteàréaliseruneopérationleplusrapidementpossiblepourpasseràlasuivante,nelaisse,ilestvrai,guèredeplaceàcegenredeconsidérations.

Depuis la disparition de Washington Mutual, de Lehman Brothers, de Bear Stearns ou deCountrywide, et lesnationalisations trèscontroverséesduplusgrosassureurdumonde,AIG,oude labritanniqueRoyalBank of Scotland, une question se pose clairement : quel a été le véritable rôle deGoldmanSachsdansl’éliminationoulaneutralisationdesesconcurrents?

Lerideauvaselever.Lestroiscoupsontsonné.Acte 1. Le vendredi 12 septembre 2008 en fin d’après-midi, Lloyd Blankfein doit prononcer un

discoursdevant l’Associationdesvolontairesaméricainsqui tient soncongrèsdans la salledebaldel’hôtel Hilton à NewYork. Le patron de Goldman Sachs reçoit un appel sur son portable, de HenryPaulson,lesecrétaireauTrésorenpersonne:«Viensà18heuresdansleslocauxdelaFed.Lasoiréeseralongue.»Lemondefinancierestcertesungrandchaudronoùmitonnenttoujoursrumeurs,pressionsetaccusations.Maisaujourd’hui,àl’intérieurdesempiresébranlés,lafièvres’ajouteàl’effervescence

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desmarchés.Le toutsous le regarddesmédias.Lecontexte?L’électionprésidentiellequia lieudansmoinsdedeuxmois, et qui, comme toujours, échauffe les esprits. «Cegenred’appel à laveilled’unweek-end,cen’estjamaisbonsigne»,seditledestinatairedecetappel.

Laréunioncommencefinalementà18h45,danslagrandesalledeconférencedelaRéservefédéraledeNewYork,aupremierétagedel’immeubledegranitdu33LibertyStreet,aucœurdeWallStreet.Unevingtainedepersonnages légendairesde lahaute financeaméricaine sont assis coudeà coudedansunsilencepesant.LesecrétaireauTrésor,HenryPaulson,etTimGeithner,directeurdelaRéservefédéralede New York, président, aux deux extrémités de la table rectangulaire. « Lehman Brothers doit êtresecouru.Vous devez trouver une solution, parce que le gouvernement ne vous aidera pas. C’est votreresponsabilitédefairevivreoumourirLehman»,annonce,desavoixrauque,unPaulsoncatégorique.

Lesmarchés financiers sont fermés jusqu’à lundi,mais le temps presse. Prise à la gorge par despertes colossales sur ses investissements dans les subprimes « vérolés », la quatrième banqued’investissement américaine ne peut plus lever de fonds.Dans lamatinée du vendredi, la situation deLehman s’est aggravée d’heure en heure. JP Morgan Chase, principale chambre de compensation deLehman,ageléendébutd’après-mididesactifsdetrésorerieappartenantàLehmanqu’ellepossédaitengarantieduremboursementd’unepartiedesprêtsoctroyésàlabanquechancelante.LedéficitestdevenuungouffreàlaclôtureofficielledelaBoursedeNewYork,à17heures.

Washington exclut tout sauvetage public. La semaine précédente, le Trésor a dû secourir les deuxgéantsdurefinancementducréditimmobilier,FreddieMacetFannieMae.Iln’estpasquestion,pouruneadministrationrépublicainepardéfinitionlibérale,derépéterl’opération.

LloydBlankfein est en terrain familier. Paulson, trente-deux ans demaison chezGoldman, qu’il amêmeprésidéeentre1998et2006,estsonmentoretTimGeithnerunevieilleconnaissance.Parmi lesgrandsfauvesdelajungledeWallStreetréunisdanscettesallemodestefigurentaussiplusieursautresanciensdeGoldmanSachs,toujourstrèsinfluents.

Créée non pas sur les bancs de l’université, mais lors de formidables batailles boursières, cettefraternitébancaireentretientdesrelationsincestueusesquitranscendentlesétripagespublicsetleshainesà peine réprimées. Les étranges créatures qui peuplent cette ménagerie se ressemblent : machistes,sexistes,directes,brutalesetlejuronfacile.L’atmosphèrealphamale(lesfemmessontlàpourservirlecaféoupasserlesmessages)neportepasàladécisionrationnelle.

Acte2.Uneenseigneillustreàvendre,deuxrepreneurspotentiels–BarclaysetBankofAmerica–,le soutien des autorités : sur le papier, l’opération de sauvetage de Lehman est bien partie. Mais ilmanquedeuxingrédientsessentiels:letempsetlabonnevolontédesparticipants.

LehmanestlecadetdessoucisdeLloydBlankfein.Lesretombéesfinancièresd’unefaillite,pourlui,seraientminimes.Seséconomistes,quipassentpourlesmeilleursdelaplace,luiontassuréquelerisquesystémique d’une telle banqueroute serait limité. Enfin, Blankfein se souvient de la conversationtéléphonique très déplaisante avec Dick Fuld, patron de Lehman Brothers qui l’avait appelé enjuillet2008,trèsremontécontrelui:

–Lloyd,onmeditquel’offensivedeshedgefundscontrenousestdirigéeparGoldmanSachs.–Dick,jenesuispasaucourant,calme-toi.–C’esttotalementfaux!Çafaitlongtempsquevousattisezl’attaqueenmeutedecessalopardsqui

fonttombermoncoursenBourse.FuldraccrocheaunezduP-DGaprèsl’avoircouvertd’injures.Durantlesjoursquiontprécédéla

crisedeLehman,PaulsonademandéàGoldmanSachsd’aiderl’institutionenperdition.MaisDickFuldarefuséd’ouvrirseslivresdecomptesàsonconcurrent.

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Au 33 Liberty Street, la réunion continue. Dans le courant de la soirée, Hank Paulson décide deséparerlesbanquiersentroisgroupes.LepatrondeGoldmanSachss’arrangepourseretrouverdanslegroupechargéd’évaluerlesavoirstoxiquesdeLehman.C’esttypiquedelatactiquemaisonenmatièrederenflouement de firmes en difficulté. Sous couvert de leur prêtermain-forte, la firme semble chercherd’abord à racheter à bas prix des actifs dont la valeur a dégringolé. L’examen des comptes permetégalement,aupassage,dedébaucherdesclients.

C’est une partie de billard à plusieurs bandes qui, ce soir-là, se joue à la Fed deNewYork. Labanqued’affairesMerrillLynchestégalemententrèsmauvaiseposture.LesecrétaireauTrésorpoussecettedernièreàprendrelangueavecBankofAmericaenvued’unefusion.L’affaireseconclutdansleplusgrandsecret, ledimanche14septembre2008à lami-journée.Àcestadedonc,BankofAmericaétanttropoccupéeailleurs,ilnerestequ’unseulcandidatpoursauverLehman:labritanniqueBarclays.QuandlegouvernementdeLondresrefusedeseportergarantdecettereprise,lesjeuxsontfaits.

EnmariantMerrillLynchàBankofAmerica,Paulsonétait-ilconscientdelaisserlesortdeLehmanentre les seulesmains de la perfide Albion ? Savait-il dans son for intérieur que son homologue, lechancelierde l’ÉchiquierAlistairDarling,n’allait jamaisaccepterd’« importer lecanceraméricain»dansleroyaume,pourreprendrel’expressiondecedernier?Laquestionmérited’êtreposéesachantquePaulson,ex-dirigeantdeGoldmanSachs,atoujourshaïsarivalehistorique,Lehman.

Acte3.«C’estfini»,déclareHenryPaulsonaprèsle«non»définitifdeLondres.Lehmanseplacesous lechapitre11de la loiaméricainesur les faillites.Lundi15septembre,à0h57,heuredeNewYork,labanquerouteestofficielle.

Épuiséparcesnuitsblanchesàrépétition,LloydBlankfeinregagnesonappartementdeCentralParkWest.Dansl’entréeaudallagemarbré, leportier luisouritsoussacasquette.Dansquelquesheures, laplanète entière sera informée.Enpensant au tumultedes jours àvenir, une frayeur subite s’emparedeLloydBlankfein.

ÀWashington, George W. Bush se dit « confiant dans la capacité de résistance des marchés ».Paulsonévoque«unsystèmebancairesain».

MaisladisparitiondeLehmanBrothersprovoquelaplusgrandepaniquefinancièremondialedepuislacrisede1929.LesBoursesdumondeentierdévissentàtout-va.Lesystèmeestmenacéd’implosion.Lesbanquierscroientlafindumondearrivée.Lechocestamplifiéparlefaitquepersonnenes’attendaità pareil cataclysme. C’est un peu comme si en France, la Société Générale disparaissait du jour aulendemain.Laterreentièreestprisedanslatourmenteetlapanique.Lerideautombe.

À l’automne 2009, lors d’un déplacement à Francfort, Lloyd Blankfein va récuser la thèse selonlaquelle lachutedesa rivaleaétéà l’originede lacrise.Lefinancierestimeque,si legouvernementaméricainavaitsauvéLehman,ilseseraittrouvétôtoutardfaceàuneautrebanqueenpéril.«Elleauraitpuêtrebienplusgrandeencore,etlalâcherauraiteudesconséquencesbienplusgraves.»Traduction:mieuxvalaitsacrifierLehmanetvite!

Enmenantcedouble jeu toutau longde lacrise financière,GoldmanSachsaaggravé la situationd’entreprisesendifficultéquiétaient sesclientes.Elle lesaenfoncéesau lieude lesaiderà sortirdel’ornière,commec’estlerôled’unbanquier-conseil.Etsilasociétéaœuvréausauvetagedel’assureurAIG, il ne faut pas oublier qu’elle a contribué à sa déconfiture et a retiré du renflouement par lecontribuableaméricaind’importantsprofits.

Onl’avudanslacrisedelaGrèceetdel’euro,commedansl’affaireAbacus,GoldmanSachsnefaitriend’illégal–lejeun’envautpaslachandelle.Mais,motivéeparlacupidité–lemotn’estpastropfort

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–,guidéeaussiparl’arrogance,ellefranchitallégrementlalignejaune.Sesopérateursdanslessallesdesmarchés sont des joueurs qui rebattent sans cesse les cartes qu’ils ont enmain, à la recherche de lacombinaisonquileurpermettraderemporterlejackpot.

GoldmanSachss’estdurablementinstalléedanscebonheurpermanentdeladuplicité.CommedansPiratesdesCaraïbes,latrameesttoujoursidentique:lavieestuncombat!

Ces baroudeurs, qui sont de tous les coups tordus, se considèrent comme des corsaires, pas despirates. Dans les faits, c’est l’inverse. D’un côté, au service de son client, Goldman Sachs affrète lenavire,remplitsessoutes,engagel’équipage,financelevoyage.Del’autre,enpleinemer,sespropresflibustiersattaquentlemêmebâtiment,lepillent,lecoulent.LenaufragedeBearStearnstémoignedececôtéJanusdelafirme.

Enmars2007, labanqued’affaires lanceunproduit financieradosséàdescréanceshypothécairessubprimes. L’un de ses gros clients, Bear Stearns, en achète un bon tiers. Mais un mois plus tard,invoquant lachutebrutaledumarché immobilieraméricain,Goldmanavertit sesclientsqu’ils risquentd’avoir des problèmes avec deux fonds spécialisés dans les investissements hypothécaires de…BearStearns.Cetavertissementestd’autantplusétonnantqueGoldmanSachsestresponsabledelagestiondecesdeuxfonds.Ceux-cisontobligésderéviserleurbilanàlabaisse,cequifaitfuirlesinvestisseursetentraîneleurfermetureauprintemps2008.

BearStearns est alors, à son tour, dans le collimateur des spéculateurs.Aubord de la faillite, enmai 2007, le courtier est racheté (pour une bouchée de pain), par JP Morgan, avec l’aide de l’Étatfédéral.Goldmanagagnésurtouslestableaux.Lacessiondestitres«vérolés»deBearStearnsluiarapporté gros et elle s’est débarrassée d’un rival très actif dans les opérations de courtage des hedgefunds,quideviennentenquelquesortesachassegardée.

GoldmanSachsseditcorsaireenaidant lesÉtatsou lescollectivités localesàfinancer leurdette.Maisc’estunpirate.Prenezl’exempleduNewJersey,dontlegouverneurn’estautrequeJonCorzine,quia dirigéGoldmanSachs de 1994 à 1999.L’enseigne est donc tout naturellement le principal banquierd’affairesdecetÉtatvoisindeNewYorketgèresadette.En2008,lafirmerecommandeàsesclientsdese prémunir contre une éventuelle cessation de paiement – non seulement du New Jersey mais deplusieursautresÉtatsaméricains.ToutenagissantaunomdecemêmeÉtat,danssondos,l’établissementledénigre!

Le cas de l’assureurAIG est encore plus symptomatique de ces conflits d’intérêts permanents.Lenuméroundel’assuranceaméricaine,quicompte116000employésdans130pays,aperdu60%desavaleuraucoursdelaseulejournéedu16septembre2008,enpleinetourmente.Legouverneurdel’ÉtatdeNewYork,DavidPaterson,autoriseexceptionnellementl’assureuràpuiserdanssesfilialespourserenfloueretfairefaceauxéchéanceslesplusurgentes.SouslapressionduTrésor,JPMorganChaseetGoldman Sachs lui octroient un crédit-relais. Rien n’y fait. L’agence Standard & Poor’s abaisse sanotationauvudesonexpositionphénoménalesurlesmarchésdesproduitsdérivéslespluscomplexes.Lefinancementdelalevéedefondsd’urgences’entrouvebrutalementrenchéri.

Cette crise coïncide avec l’annonce, par Goldman Sachs, de ses résultats au troisième trimestre.Malgréunbénéficenetenchutede70%,et laplongéeduproduitnetbancaire,elle s’ensortbienencomparaison.Maisl’arbrecachelaforêt:unefaillited’AIGauraitdesrépercussionsdésastreusespourlafirme.

En effet,GoldmanSachs est de facto la banque-conseil de l’assureur déchu.Àplusieurs reprises,LloydBlankfeinavaitmêmeenvisagéd’acquérirAIGdansunsoucidediversificationetderenforcementdes fonds propres.Mais à chaque fois, il avait reculé devant la dérive des comptes et l’usine à gazqu’était devenue la compagnie d’assurances, engagée dans une course au gigantisme. Le mythique

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directeurgénérald’AIG,MauriceGreenberg,quiavaitdûdémissionneren2005àlasuitedepratiquescomptables illégales, est égalementunclientde longuedatede labanque.Lahaute financeestun toutpetitmonde.Parailleurs,Goldmanaexécutéunepartiedesordresboursiersd’AIGFinancialProductsCorp., la filialeauxmontages financierscomplexesetàhauts risques installéeàLondres.C’estmêmel’undesesplusgrospourvoyeursencommissionsdetrading.

Malgréceslienssolides,GoldmanSachsa,enfait,pariécontreAIGdès2007.Jugeantinsuffisanteslesgaranties(lescréditshypothécairessubprimes)déposéesennantissementdesprêtsoctroyés,ellen’aeu de cesse de lui réclamer des paiements en liquide additionnels qui grèvent sa trésorerie.Parallèlement, la banque joue en Bourse contre AIG. Sévères, ou lucides, ses analystes baissentrégulièrementsavalorisation.Le28août2008,l’und’entreeuxébranlecequ’ilrestedeconfiancedesmarchés enAIG en émettant des doutes sur sa solvabilité.Wall Street sait queGoldman, en tant quebanque-conseil,aaccèsauxdonnéesconfidentiellesdelacompagnie,enparticulierà l’ampleurdesespertessur lessubprimes.Leproblèmeestqu’enspéculantpoursoncompteproprecontresonclientaulieuderesterneutre,GoldmanSachsestàmêmedemanipulerlesmarchés.Enraisondesonpoids,desoninfluence,ellepeutdistillerledoute.

Dans ce contexte, en quelques jours, le lynchage d’AIG va commencer.Mais cette fois,GoldmanSachs est prise à sonpropre jeu.Anticipant l’effet dévastateur d’unebanqueroute de l’assureur sur labanque, lesspéculateursattaquentégalementGoldmandefront.D’autantquele liquidateurbritannique,PricewaterhouseCoopers, a gelé les actifs des hedge funds confiés à Lehman International basée àLondres.Paniqués,lesfondsspéculatifsaméricainsretirentmassivementleursavoirsconfiésauxautrescourtiersattitrés,Goldmanentête.Lacrisedeconfiances’aggraved’heureenheure.

Inquiet de la chute brutale de son action en Bourse, Lloyd Blankfein appelle en catastrophe leministredesFinances,HenryPaulson,sursonportable:«Parpitié,Hank,faisquelquechose.»

Àcestade,Paulsonestpiedsetpoingsliés.EndevenantsecrétaireauTrésor,pournepasprêterleflancauxcritiquescontrele«gouvernementGoldman»(laprésencedetantd’anciensdelabanqueparmisesconseillers),ilasignéunelettreluiinterdisanttoutcontactavecsonex-employeur.L’hypocrisieesttotale.D’ailleurs,lagravitédelasituationrendcetinterditcaduc,estimePaulson.EnacceptantdeparleràBlankfein, il viole sciemment sespropres engagements.Et lorsde la seule journéedu17 septembre2008,BlankfeinetPaulsonseparlentàcinqreprises…

HankPaulsonetTimGeithner–lepatrondelaRéservefédéraledeNewYork–organisentalorsunerencontre avec Blankfein pour sauver AIG. Une faillite de l’assureur aurait des répercussionsincalculablessurl’activitééconomique.Sid’autresbanquierssontprésentsàcetteréunion,toutsepasseenréalitéàhuisclosentre leTrésoretGoldmanSachs.Et là, lesconflitsd’intérêtssemultiplient.Unnouveau directeur général pour AIG ? Un bras droit duministre, KenWilson (ex-Goldman Sachs !),trouvelaperlerare:EdLiddy,ancienP-DGdelacompagnieAllState.Unhommeparfait.Etenplus,ilsiège comme administrateur indépendant au conseil d’administration de… Goldman Sachs. Lanationalisation d’AIG est-elle inévitable ? Au Trésor, Dan Jester s’en occupe… C’est un ancienspécialistedesinstitutionsfinancièreschezGoldman.

Le17septembre2008,l’Étatacquiert79%ducapitald’AIG.L’opérationsefaitdansleplusgrandsecret.Etpour cause :Geithner etPaulsonontbradé les intérêtsdu contribuable en reversantplusde60milliards de dollars à un consortium de huit banques pour permettre à l’assureur de respecter sesengagementsàleurégard.GoldmanSachsetlaSociétéGénéraleensontlesprincipauxbénéficiaires.Àpeine l’argentdébloqué,Goldmanobtienteneffet les12,9milliardsdedollarsque luidevaitAIG.Leproblème est que la banque profite d’une compensation pleine (100 cents pour un dollar), au lieu desupporter une partie de la perte, comme le veut l’usage dans ce type de renflouement. En clair, lecontribuable américain a sauvé la coquille vide qu’était devenue AIG puis Goldman Sachs – avec

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d’autres – est venue se servir. Washington n’a jamais véritablement expliqué cette décision d’uneexceptionnellegénérosité:rembourseràl’établissementl’intégralitédesespertes.

Transforméeendéchargefinancièreaprèsavoiracceptédeprendreendépôtcertainsdesactifsdesbanquessecourues,laFeddeNewYorkacachépendantsixmoislateneurexactedusauvetaged’AIGaunomdesasacro-sainteindépendance.L’opacitéaététotale.

Comment la firme justifie-t-elle le lâchage de ses fidèles clients ? En fait, à côté des QuatorzePrincipesédictésparlabanque,ilenexisteunquinzième,informel,nonécrit:lesconflitsd’intérêtsnesontpastoujoursdétestables.Ainsi,loind’êtrerépréhensible,latensionentrelabanqued’affairesetsonclientest-ellevuecommeunebonnechose.C’estunsigned’agressivitésaine,devirilité.Aulieud’évitercessituationsconflictuelles,gérons-lesànotreavantage:voilàl’idée.Danscescirconstances,leclientdevient un concurrent qu’on peut tondre allégrement. De toute façon, ce dernier est une entité aussisophistiquéeetcyniquequesabanque-conseil:telestleleitmotiv.

Publiéaufaîtedupouvoirdelabanque,en2007,unmanueldebonnegouvernancedudépartementdes crédits immobiliers proclame : « La loyauté au client n’est pas toujours facile en raison de nosmétiersmultiples.»Cedocument interneexpliquecommentGoldmanSachsutilise les informationsdeses clients, leur vision dumarché, leurs ordres d’achat et de vente. Elle y ajoute les renseignementsfournisparlesbanquesdedonnées,lesautresétablissementsfinanciersetlesBoursesenvued’obtenir« une vision unique du marché qui est une mosaïque de toutes les informations reçues », à partirdesquellessontpriseslesdécisionsstratégiques.

Laformuleestunmodèledesimplicité.Etdefranchise.LABanquen’entendpasrejoindreLehmanouBearStearnsaucimetièredeschersdisparus.

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13.Trèschersamis…

ÀNewYork,surleplusgrandmarchéboursierdumonde,rienneserapluscommeavant.LafaillitedeLehmanBrothersetlanationalisationdel’assureurAIGsonnentleglasd’uneépoqueuniquedanslesannales de la finance. Aveuglée par la politique d’argent peu cher, toute une génération de traders afragilisélemarchésurlequelilsopéraientdemanièrefrénétique.Unepyramidedeprêtshypothécairesàrisque,lessubprimes,s’estmiseàtrembler,provoquantlekrachbancaireleplusspectaculairedepuislaGrandeDépression.Lesbanquesaméricaines,maisaussieuropéennes,menacentdes’effondrercommeun château de cartes. EtWall Street étant le thermomètre de l’économie américaine, sa dégringoladeentraînelarécessionlaplusgravedepuissoixante-dixans.

Lors de la décennie dorée qui vient de s’écouler, au fil des restructurations et des fusions-acquisitions,encouragéspardes tauxd’intérêtbasetpar ladéréglementation,d’énormesconglomératsbancairessesontconstituésdesdeuxcôtésdel’Atlantique.Leursactifssontcolossaux.

Ilyatroisgroupesd’établissements.D’abord,lesbanquescommercialesordinairesquel’ontrouvedanstouteslesgrandesrues.Cesbanquesditesdedépôtsfonctionnentsurunréseaud’agencesetjouentunrôledeconseiller,auprèsdesparticulierscommedesentreprises.C’estlecasdeLCLenFrance(LeCréditLyonnais),oudeBankofAmericaauxÉtats-Unis.

Dans la seconde catégorie figurent des établissements qui combinent les activités des banques dedépôtsetdesbanquesd’affaires.C’estlecasdeJPMorganoudeBNPParibas.

Le troisième groupe est constitué des banques d’affaires pures, qui font appel aux marchés pourfinancerleursopérationsdeconseilcommedetrading:GoldmanSachsenestl’exemple.

Quel que soit le modèle, la stratégie est la même : la prise de risque en vue dumeilleur profit.L’anciennedistinction,datantdes années30, entrebanques commerciales et banquesd’affaires adoncvécu.Lanouvellelignedepartagesesitueentrelesgéants,véritablessupermarchésdelafinance,etlespetitesbanquestraditionnellesdedépôts.GoldmanSachs,quiadécuplésesactifsentre1997et2007,estle leader incontesté des géants. Dans la foulée, tout le monde en a profité : banquiers, industriels,investisseurs,petitsetgros.

Lors de la semaine noire, entre le 15 et le 22 septembre 2008,malgré les appels à la raison desautorités boursières et des gouvernements, la panique s’empare de Wall Street. Les analystes sedébarrassentduvocabulaireternaire:acheter,conserver,vendre.Ilsn’ontplusqu’unmotàlabouche:liquider!

PourLloydBlankfein,leonzièmepatrondeGoldmanSachsencentquaranteansd’existence,lavoieroyalesetransformeenchampdebataille.

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«Denature,jesuisunangoissé»:celeitmotiv,leP-DGlerépèteàl’enviàsesinterlocuteursquidéfilentdanssonbureauencettedramatiquejournéedu16septembre2008.Descinqbanquesd’affairesqui régnaient surWallStreet, il n’en resteplusquedeux :GoldmanSachs etMorganStanley.MerrillLynchetBearStearnsontétérachetées,etLehmanestenliquidation.

Deux joursplus tard,HenryPaulsonetBenBernanke, leprésidentde laRéserve fédérale, laFed,sontauCongrèspouruneréunionavecdouzedeséluslesplusimportantssurlesquestionsfinancières.Leurdiscoursestexceptionnellementalarmiste;ilsévoquent,sirienn’estentrepris,«deseffondrementsspectaculairesdegrandsetcélèbresétablissementsbancaires».C’estArmageddon.Paulsonréclamelespleins pouvoirs pour acquérir enBourse 700milliards d’actifs vérolés : cette intervention directe del’État sur les marchés est totalement inédite dans l’histoire des États-Unis, patrie par excellence dulibéralisme.

Malgrélesauvetaged’AIG,lestitresdeGoldmanSachsetdeMorganStanleycontinuentdeplonger.Les investisseurs – fonds d’investissement, caisses de retraite et grosses fortunes – se délestent desobligationsdesentreprises,enparticulierdesbanquesetdesconstructeursautomobiles,pourseréfugiersurlesbonsd’État.Envuedegonflerleursliquiditésetréduireleurendettement,leshedgefundscèdentencoreplusvitedesactifs.

LesortdeGoldmanhantePaulson.LesecrétaireauTrésoraserviLABanquecommeonsertunpays,quand il la présidait. D’ailleurs, lorsqu’il a prêté serment et a été investi ministre des Finances, le10juillet2006,enprésenceduPrésidentBush,LloydBlankfeinétait leseulbanquierprésent.Dans leplusgrandsecret,leministredemandedoncàlaMaisonBlanchelalevéedel’interdiction–qu’ils’étaitlui-mêmeimposée–deprendrecontactavecGoldman.Ilfautàtoutprixl’aideràsesortirdupétrin.Ledirecteur de cabinet de la présidence, Joshua Bolten – encore un ancien de Goldman –, obtientimmédiatementl’autorisationdeBush.

Telungénéraldansunesalledecommandement,TimGeithner,lepatrondelaFeddeNewYork,sedémène. Dans ce complexe Meccano, le tuteur de Wall Street pousse d’abord Goldman à s’unir àCitigroup,cequipermettraitderenflouersesliquidités.Lespolitiquesetlesmarchésapplaudiraientunmariagecomplémentaireentreunebanqued’affairessansréseauetunétablissementdedépôts.

Lloyd Blankfein, à qui on a pourtant promis la tête de l’ensemble, est hostile à cette fusion.Hétéroclite, lestédedettes, aubordduprécipice,Citigroupestuncanardboiteux.L’autre solutionestl’absorption de Wachovia, quatrième banque américaine par les actifs, en grave difficulté. Basé àCharlotte,enCarolineduNord,cetétablissementestprésidéparunanciendeGoldmanSachsprochedePaulson.Mais le refusd’uneaidede l’État, exigéeparBlankfeinen raisonde l’étatcatastrophiquedeWachovia,faitcapoterleprojet.Onneprendjamaistropdeprécautions.

LeP-DGdeGoldmanaffrontecettecrisecomme lecapitained’unnavireaffronteraitune tempête.Lesvaguesqui déferlent risquent d’engloutir le bateau.Mais le vaisseaun’est pas enperdition car lebarreurBlankfeinestexpérimenté.Ilafermélesécoutilles,aréduit lesvoilesetfaitfront,seul,sur lepont.Obsédée par l’idée de son rang et par son ressentiment envers les spéculateurs qui la joue à labaisse,isoléedupublic,desmédias,desanalystes,samaisonserefermesurelle-mêmedansunesortedebunker,avantlecombatfinal.

Heureusement,Blankfeinnerestepaslongtempsseul.SonamiHenry,lesecrétaireauTrésor,veilleaugrain.EtpuisentreenscèneRodginCohen,l’hommedelasituation.Avecsescostumesclassiques,leprésident du cabinet d’avocats new-yorkais Sullivan & Cromwell ressemble à un fondé de pouvoircourtois, ni nerveux nimême impatient.Ce tireur de ficelles écoute calmement, répond toujours de lamêmemanière,ponctuantchaquephrased’unpetitsourireencoin.Ceconsiglieren’acessédemodelerlepaysagefinancieraméricain:iln’yapasd’affairesàWallStreetquinepasseparcettepersonnalitémarquéeparlaformationtrèsparticulièreducorporatelawyeràl’américaine,quicroitplusauxvertusducompromisqu’à laconfrontation.Véritable sorcier,RodginCohenaété,biensûr, à l’épicentredes

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crisesàrépétitionquiviennentdesecouer lahautefinance:BearStearns,Lehman,AIG.S’iln’ani larobenilavoixduténord’audience,maîtreCohenauncarnetd’adressesétoffé.Ilal’accèsleplusdirectetleplusfréquentàlaFedetauTrésorpuisqueHenryestluiaussiunamidetoujours.

Le21septembre2008,dansuneambiancedefindumonde,GoldmanSachsetMorganStanley,parl’intermédiaire de Cohen, renoncent à leur statut de banques d’affaires en devenant des holdingsbancaires.L’objetdecettetransformation?Elleestcapitalepuisqu’elleleurdonneunaccèsillimitéauxfondsfédérauxencasdegravesdifficultésdetrésorerie.Voilàlesmarchés(unpeu)rassurés.Enéchange,les deux établissements doivent accepter de se soumettre au contrôle de l’État. La bonne nouvelle ?Celui-cineserapastropintrusif.

IssuduGlass-SteagallActpromulguédanslesannées30,le«statutjuridiquespécial»desbanquesd’affaires est mort ce jour-là. Constat amer d’un ex-dirigeant de Lehman : « Ce qu’ils ont fait pourGoldmanSachs,ilsnousl’avaientrefusé.»Eneffet,lagarantiefinancièredustatutdeholdingbancairepermetàGoldmanSachset àMorganStanleyd’emprunterdes fondsà tauxzéro–zéroabsolu–pouracheterdesbonsduTrésoraméricainà3à4%derendement.L’argentcédéainsiparlegouvernementluiestdoncprêtéànouveau,etlabanqueenretireungainnet.C’estcequis’appelleunebonneaffaire.

Les deuxnouvelles holdings bancaires doiventmaintenant trouver des investisseurs. «Parcours lemondes’illefautpourlesdénicher.Retournetouteslespierres»:PaulsonsecoueainsiBlankfein,dontleregardsombretrahitlestress.Onmurmurequecelui-cicouveunedépression.Maisiltiendralecouppendanttoutelacrise.Approchés,desbanquiersasiatiquesrefusentdeluivenirenaide.Endésespoirdecause,LloydBlankfeinsetourneversWarrenBuffett,laplusgrossefortunedesÉtats-Unis.

Pour sesadversaires, c’estunpirate ruséetambitieux.Pour sesadmirateurs,uncroiséde la libreentreprisecommeonn’enfaitplus.WarrenBuffettestunCrésusàl’humourcinglant,unfauxnaïf,unvraigéniedesaffaires.Ilabâtisafortunesuruneidéesimple:acquérirdesactionssous-évaluéesetattendrequ’ellesremontent.

Partidepasgrand-chose,vivantaumilieudenullepart–Omaha,dansleNebraska–,nepayantpasdemine,leprésidentdelaholdingBerkshireHathawayestunpeuleForrestGump–cesimpletgénialinterprétéaucinémaparTomHanks–delafinance.Soussonairpataudsecacheunevraiefinesse.Ilsembledésinvoltemaisilestextrêmementorganiséetrationnel.Selonsonbiographe,RogerLowenstein,Buffettacreusésonsillon«sanstechniqueésotériqueetinaccessibleaucommundesmortels,maisgrâceà un mélange de calcul, de bon sens, de patience et d’analyse que l’investisseur ordinaire peutparfaitementimiter».

L’argentestsonobsessiondepuis l’enfance.Maisce filsd’agentdechangede labonnesociétéduMiddle West n’aime guère Wall Street. Son plus beau coup reste son investissement, en 1963, dansl’AmericanExpress,àl’époqueaubordduprécipice.L’opérationluiavaitpermisd’empocheruneplus-valuede20milliardsdedollars.Depuissonraidplutôtratésurlabanqued’affairesSalomonBrothers,en 1991,Buffett seméfie des établissements financiers. Il préfère prendre des participations dans lesgrandescompagniesaméricainesindustriellesoudanslesmédias.«Lesbonsjockeysgagnent,affirme-t-il,avecdebonschevaux,pasavecdesharidelles.»

WarrenestunclienthistoriquedeGoldman.À10ans,sonpèrel’avaitemmenéàNewYork.Pendantleséjour,BuffettSrluifaitrencontrer,ausiègedeGoldman,lelégendaireSidneyWeinberg.«Pendanttroisquartsd’heure,Weinbergm’aparlécommeàunadulte»,sesouvientlefinancier,restéloyal.C’estPaulson,quandilareprésentélafirmeàChicago,quiatissécesliensd’affairesaveccetaventurierauxdoigts d’or. « Je considère Warren comme un ami. J’ai confiance dans sa sagesse et ses avis,invariablementsensés»,écritHenryPaulsondanssesMémoires,OntheBrink,publiésen2010.

Surlepapier, labanqued’affairesrépondauxsixcritèresd’acquisitiondumilliardaire:unetaillesignificative,unecapacitéprouvéeàgagnerbeaucoupd’argent,unbontauxderentabilité,unendettementfaible,uneéquipedirigeante compétente et une transaction financièrement alléchante.Le24 septembre

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2008,l’affaireestconclueenquelquesheures.L’oracledelafinanceinvestit5milliardsdedollars–pasmoins – dans, selon ses propres termes, « une institution exceptionnelle qui a une présencemondialeinégalée,uneéquipededirectionfournieetaguerrie,etlecapitalfinancieretintellectuelpourdélivreruneperformancesupérieure,commeparlepassé».

MalgrélesconditionstrèsavantageusesobtenuesparBuffett–quinepassepaspourunofficierdel’Arméedusalut–,ils’agitlàd’unsignalmajeurduretourdelaconfiance,nonseulementvis-à-visdeGoldmanSachs,maisaussienverslesvaleursbancairesengénéral.Parailleurs,labanquefaitappelaumarchépourlever5milliardsdedollarssupplémentaires,aisémentsouscrits.LaBourseplébiscitecetteannonce, comme l’atteste le rebondissement immédiat du titre Goldman à Wall Street. Les milliardsinvestisdans labanqued’affairesont rapportéplusqu’unevivesatisfactionàBuffettquisera l’undesraresfournisseursdeliquiditéspendantlacrise.

Aprèsavoirrefusé,le29septembre2008,leplandesauvetagefinancierprésentéparleTrésorvialerachat d’actifs toxiques par l’État, le Congrès en adopte une version amendée. Le législateur ajoutenotammentuneclausepourlimiterlesbonusdistribuésparlesbanquesassistéesparl’État.Entre-temps,auRoyaume-Uni, lespouvoirspublics entrentdans le capital desbanques endifficultépoury faire leménage.SouslapressiondelaRéservefédérale,«Hank»Paulsonserangeàcettesolution.

Le 13 octobre, le secrétaire au Trésor convoque les plus importants banquiers américains àWashington. Au menu : la nationalisation partielle. À l’exception des établissements en difficulté(Citigroup, Bank of America),Wall Street ne veut pas de cette mise sous tutelle forcée de l’État. Àécouter les opposants au projet, menés par Blankfein, l’appel aux fonds publics doit être volontaire,comme au Royaume-Uni. Mais les financiers n’ont pas le choix. S’ils refusent l’argent de l’État, cedernierexigeraunerecapitalisation.

Toussignentdonccommeunseulhomme,sansseposerdequestionssurlacouleurduchevalblanc.Washingtonconsacre125milliardsdedollarsàlaprisedeparticipationdanslecapitaldeneufgrandesbanqueset125autresauprofitdepetitsétablissementsdeprovince.GoldmanSachsreçoit10milliardsde dollars à ce titre.À l’approche de l’élection présidentielle de novembre, qu’il sait perdue par lesrépublicains,Paulsons’assurediscrètementdusoutiendeBarackObama.

Envérité, les conditionsmisespar les anciensdirigeantsdeGoldmanqui sont à la têteduTrésorconstituentunvraibradagedesdenierspublics.Lecoûtdel’argentprêtéestridiculementbasmaisilestvrai qu’il faut à tout prix rassurer les marchés. En outre, les autorités fédérales s’engagent à ne pasintervenir dans la gestion ou dans la nomination des dirigeants des banques aidées. Le gouvernementutilisedoncdel’argentpublicpoursauverunpetitgroupedebanquesaupouvoirpolitiqueénorme:lecynismeduplanPaulsonferadatedansl’Histoire.DanssesMémoires,lesecrétaireauTrésorreconnaîtd’ailleursquel’habillagefinancier luiaétésouffléparWarrenBuffett lui-même.Unsauvetageconduitentreamis,ensomme.

Iln’empêche:danslesmoisquisuivent,mieuxvautnepassouleverlaquestiondelanationalisationdevantLloydBlankfein.«C’estcequ’ilnefallaitpasfaire»,grogne-t-il.Eninsistantsurlanécessitédesanctionnerlamauvaisegestion,leP-DGdeGoldmancondamneimplicitementlesauvetagedescanardsboiteux.

Quelquesmoisplustard,sacompagnieannoncesesrésultats:desprofitsde5,2milliardsdedollarspourlepremiersemestre2009.Enjuillet2009,GoldmanSachsrendles10milliardsqueleTrésorluiaprêtés, augmentés de très gros intérêts. Le contribuable n’a pas à se plaindre. Pourquoi ce geste ?Goldman Sachs a peut-être conscience qu’il lui faut donner des signes au Trésor pour calmer toutevelléitédesapartd’allerfouinerdansunpassérécent.Eneffet,sesdirigeantsontvendudegrospaquetsd’actions de leur propre entreprise – presque 700 millions de dollars –, au moment même oùl’établissement,alorsendifficulté,recevaituneaidemassivedugouvernementaméricain.Toujourscettecupiditédigned’uneRépubliquebananière!

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CespéripétiesontentoutcasgravementportéatteinteàlaréputationdeGoldmanSachs.Touteslesétudesdemarketingconfirmentsapertedeprestige.Lacriseaportéunrudecoupàsonimage–commeàcelledeMorganStanley–,enraisondelapertededeuxélémentsclés:laconfianceetlasolidité.

« Nous n’aurions jamais dû participer à des transactions clairement condamnables et nous leregrettons»:mentionnantainsilerôledeGoldmanSachsdanslachuted’AIGpuisdanssonsauvetage,Lloyd Blankfein a fait son mea culpa du bout des lèvres. Tous ceux qui attendaient du Big Boss unrepentirplusappuyéaurontétédéçus.

Lorsd’unpetitdéjeunerorganiséparlemagazineFortune,ilalaisséentendrequ’ilauraitpréférénepas accepter le TARP (Troubled Asset Relief Program) et la prise de participation de l’État dans lecapitaldesabanque,pourgarder lesmains libresenmatièrede rémunérationcommede stratégie.Cemanqued’humilité,frisantl’arrogance,agace.Aumêmemoment,Citigroupévoquaitson«énormedettedegratitude»àl’égarddel’Étatsalvateur.

CarGoldmanSachsasu tirerprofitde lamanneducontribuable.Primo, lesauvetaged’AIGluiapermisderécupérer12,9milliardsdedollarsquiauraientétéperdusencasdefaillite.Secundo,leTALF(TermAsset-BackedSecuritiesLoanFacility),undispositifdesoutienaucréditgarantipardesactifs,aressuscité la titrisation, créneau très porteur pour la société. Tertio, les marchés sont désormaisconscientsque legouvernement fédéralne laisserapas tomberGoldman.«Quelleautreentreprisesaitqu’elleneserajamaisdéclaréeenfaillite,quoiqu’ellefasse?»,s’interrogeleNewYorkTimes, selonlequelGoldmanesttoutsimplement«tropgrandepourqu’onpuisseenvisagersadisparition».C’estlefameuxtoobigtofail.

Faceàcescritiques,Blankfeinsoutientquelegigantismedesbanquesn’estpasleproblème,qu’uneconstellationdepetits établissementsprésenterait tout autantde risquesquequelquesgéants.Mais cesmonstres agissant en oligopole dérèglent le libre jeu de la concurrence et font grimper les tarifs desprestations. Si, en plus, le soutien de l’État est considéré comme acquis d’avance, ces derniers sontencouragésàaccroître lavoilureens’endettantdavantagepourgrossirprofits,coursboursiersetdoncbonus.C’estgagnantgagnant.Saufpourlecontribuable.

Enfin, de sa dunette de capitaine, Lloyd, tel un officier de marine, peut contempler le nouveaupaysage bancaire avec sérénité. Sa compagnie domine totalementWall Street.Morgan Stanley, l’autrebanque d’affaires survivante, est rentrée dans le rang. Merrill Lynch s’est fait avaler par Bank ofAmerica, une société à la culture plus conservatrice.Ne reste que JPMorgan comme réel concurrent.C’estpeu,trèspeu.

RecalibréeparLloydBlankfein,labanqueestdevenuel’unedesentrepriseslesplusinfluentesdesÉtats-Unis,l’équivalentd’IBMoudeGeneralMotorsaufaîtedeleurgloire.Lacrise?Quellecrise?

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14.GoldmanSex

Warning ! L’avertissement est écrit en toutes lettres comme sur tout paquet de cigarettes. ÀWallStreet, on fuit – désormais officiellement – la misogynie, le racisme, l’homophobie. On parle dediversité.OnglosesurlafameusedéclarationdansleTimond’AthènesdeShakespeare(IV,3):«L’orestundieusensiblequiunit lescontraireset lesforceaubaiser.»Car,derrière l’argent, lesexen’estjamaistrèsloin.

YannSamuelides,unFrançaisâgéde35ans,cadredelafilialeinternationaledeGoldmanSachsàLondres,enestl’illustration.Cethommepassionnévaoffrirl’équivalentd’undemi-milliond’eurosàsamaîtresse,uneex-escortgirlslovaquede28ans,pourqu’ellequittesonmarietl’épouse.Amoureuxfou,cepetitgéniedesmathsappliquéesmenacedesesuiciderencasderefusdeladame,mariéeàunretraitépresque septuagénaire. Pour poursuivre sa relation extraconjugale, le jeune financier submerge samaîtressedecadeauxplussomptueuxlesunsquelesautres:unebaguesertiedediamantsblancs,unsacàmainChanelmatelassédotédechaînesdoréesetuneliassedebilletsengrossescoupures.

En 2009, l’intéressée finit par accepter la proposition de mariage de son chevalier servant.Lorsqu’elle en parle à son époux, ce dernier menace de tuer son jeune rival. Sa jeune femme saisitl’occasion pour réclamer le divorce. « Ellem’a dit qu’elle reste avec lui pour l’argent,mais elle nel’aura pas tant qu’elle ne sera pas mariée », explique l’époux trompé au juge du tribunal deClerkenwell&Shoreditch.

L’histoirede«GoldmanSex»,commelapressebritanniqueabaptiséYannSamuelides,faitletourdu monde. Son scénario n’est pas sans rappeler le film Proposition indécente dans lequel RobertRedfordestprêtàpayerunefortunepourpasserunenuitavecDemiMoore.

Jusque-là,cetingénieurdesMines,passéparBNPParibas,avaiteuunecarrièremétéorique.Ilavaitétépromudirecteuren2007,dernièremarcheavantcelledelagloireetdelafortune:lestatutd’associé-gérant. Pas de chance.Quelques jours avant l’audience, face à la colère de l’opinion et de la classepolitiqueencestempsderécession,LloydBlankfeinavaitpubliquementexhortésesemployésàdépenseravecdiscrétionleursconfortablesrémunérations.L’heureestàlamodestieetàlacouleurpasse-muraille,avaitrépétél’hommefortdeWallStreet.

Un autre banquier de Goldman Sachs, ScottMead, a connu la mêmemésaventure. Cette star desfusions-acquisitions,onl’avu,avaitétégrugéeparsasecrétaire,quiavaitvolé3,3millionsdelivres1sur son compte enbanque sans qu’il s’en rende compte.Lors de sonprocès, la défensede la dame arévélé que Mead était tombé amoureux d’une avocate rencontrée lors d’une opération de fusions-acquisitions.Illuiavaitécritdeslettresd’amourdignesd’uncollégien.Sonassistanteétaitvisiblementaucourantdesaliaisonextraconjugale,d’où,sansdoute, leshésitationsdeMeadàl’interrogersur lessommesmanquantesouàappelerlapolice.Aprèsleverdict,Meadavaitdémissionné.

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Trèstoléranteenverslesconflitsd’intérêts,GoldmanSachsn’aenrevanche,jamaisétépermissiveen matière de mœurs. La banque ne badine pas avec les infidélités ! Une vie personnelle stable estvivement recommandée puisque, c’est bien connu, un banquier heureux enménage et aumode de vieéquilibrétravaillemieux.Lesaffairesdoiventpasseravanttout.CeluideGoldmanbossejusqu’àdix-huitheures par jour, avec seulement une journée de repos leweek-end et encore, pas toujours. La vie defamilleestavaléeparLABanque.Avecsonlotdeconférencesvidéo,dedéplacementsetdeweek-endsderéunions.Lesenfantssemblentavoirétéconçusentredeux«coups»financiers.Lespèresquiratentlanaissance de leur dernier-né sont légion. Et quand ils y assistent, rien n’est simple : l’épouse d’unbanquierracontaitunjourcommentsonmariaassistéàl’accouchementdeleurtroisièmeenfantpenduàsontéléphone,entraindeconclureundeal,malgrélesprotestationsdesinfirmières!

Dînersd’anniversaireetfêtesfamilialessontconstammentannulésàladernièreminute.Unfinanciernousaexpliquécommentilavaitvusonbonusamputédemoitié:pourêtreprésentàsonanniversairedemariage–safemmecraquaitetl’avaitmenacédedivorce–,ilavaitrefusédes’envolerpourMoscou.

Mais,héritagedupuritanismequiimprègnelaculturefinancièreaméricaineoblige,lesconquêtessemènentencouple.Malgrél’évolutiondelasociété,undirigeantdoitêtremariépouravoirdesérieuseschances d’arriver au sommet. Précieux atout, l’épouse, même délaissée, accompagne son époux danstoutesonascension.Etquandlesrôlessontinversés,cequiesttrèsrare,lemariestcontraintderesteraufoyer,d’organiser laviedefamille,entre lesemployésdemaison,filleaupair,gouvernante, jardinier,femmedeménage…Lesconjointsjouentunrôledesoutiensoumisàunstrictprotocole.

Carl’espritmonarchiqueestprésentdanslagrandemaison.L’entourageduP-DGrègneenmaîtresursonroyaume.Bienentendu,sonépousenesauraittravailler–celanesouffreaucuneexception–,mêmedanslecasdeLaura,safemme,uneavocate.Ellen’apasletempsd’êtrel’unedecesAméricainesaufoyerquidépérissentdansl’ennuietlasolitude,lestranquillisantsetl’alcool.Laurareçoitfastueusement,ambitieusepourdeux, lorsdedînersbrillantsquin’ont rienàenvierauxbanquetsroyaux.Dessoiréespréparées avecminutie et force protocole grâce à l’aide d’une arméede serviteurs, grandes toques etmaîtresd’hôtel.LaFirstLadydeGoldmann’officiejamaisdanssescuisinesauxgigantesquesfrigidaireset aux énormes plaques chauffantes. Architectes et décorateurs de renom s’occupent de tout dans lemanoir néogothique ou la villa palladienne aux dimensions ébouriffantes : les meubles, le linge demaison,lestableaux,lescaves,lejardin,lapiscine,etc.«Moneyisnoobject»(l’argentn’estpasunproblème),commedisentlesAméricains.

Ilyaaussilesvisitesrégulièreschezlecoiffeur,l’esthéticienne,leprofesseurdegym;lesdéjeunersentrecopines–enmajorité,d’autresépousesdecadresdeGoldman–,lesvisitesauxgaleriesd’art;lesvirées shopping sur rendez-vousdans lesboutiquesdeMadisonAvenue, deBondStreet, duFaubourgSaint-Honoréoù l’on peut dépenser sans compter. La famille ne compte pas beaucoup sur l’État. LesBlankfeinpaient l’écoleprivéedesenfants, lesmédecins, lescliniques, l’enlèvementdespoubelles, lechauffeur de limousine ou le pilote d’hélicoptère et, bien sûr, la sécurité. Ils ne se déplacent qu’enlimousinesauxvitresteintées–onvoitNewYorkmaisNewYorknevousvoitpas.

Lesépousesdesdirigeantsbaignentdansunréseaudensedesociabilité.Lesamislesplusprochesducouplesontissusdupremiercercle,sortedechevaleriecomposéedescollaborateursdelonguedatedeBlankfeinetadoubéparlui,lesCohn,lesHeller,lesSchwartzoulesFrost.ToutcepetitmondehabitelesmêmesquartiersdeManhattan,l’UpperEastSide,ParkAvenueetlaCinquième,avecdepréférenceunevueimprenablesurCentralPark,l’oasisdeverduredela«GrandePomme»–questiondestanding.

Les étés sont invariablement passés à Long Island, entre les bourgades deBridgehampton et EastHampton,où toutecettepetite coteriepossèdeune résidence. Ils fréquentent lescountryclubs lesplussélectsoùl’onseretrouveentresoi,entremultimillionnaires.

LauraBlankfein suscite parfois l’agacement. Jolie, instruite, élégante, cette femme peut se révélerimprudente.ElleainsiadéfrayélachroniquedespotinsdeManhattaneninvoquantsonrangpourrefuser

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defairelaqueuelorsd’unemanifestationdephilanthropieauprofitdelarecherchecontrelecancerdel’utérus. « Je ne vais pas attendre avec des gens qui dépensent moins que moi », a-t-elle hurlé auxcerbèresquiluiinterdisaientl’entréeprioritaireauxfastesducircuitcaritatif.

Comme une monarchie, l’empire a donc ses rites et ses symboles. Les épouses sont des piècesrapportées. On passe vite du statut de favorite à celui d’exclue (et réciproquement). La moindreobservationiconoclastetombéedansl’oreilledel’épouseduP-DGpeutvaloiràsonauteurunedisgrâceimmédiate.Sil’épouxquitteGoldmanouestlicencié,lesportesdelaCoursefermentaussitôt.

Les femmesqui travaillentdans le sérail sont apparemmentdavantageconsidérées.En réalité,unecertainemisogyniepersiste: lesexismeestsournoisdansl’universinfernaldessallesdemarchés.Lesremarquesdescollèguesmasculinssur lesattributsphysiques fusent, ledoigtestvitedresséencasdedésaccordprofessionnel.Dans lesactivitésdeconseil, labrutalitéestàpeinecachéepar levernisdecourtoisieetdebonneéducation.Laculturedupubenfindejournéeoudesclubsdelapdancing–oùdesuperbescréaturesnues,entrejambeépilé,selaissentglisser,têteenbas,lelongd’unebarrechromée–marginalisent un peu les banquières dans les soirées ! La concurrence à couteaux tirés crée unenvironnementagressif,peupropiceàlacamaraderie.

Certainespratiquesmaisonpeuventaussi retarder l’avancementdes femmes,notamment lanotationannuellequidépenddenombreusespersonnes,doncenmajoritéd’hommes.ÀLondres,lerecrutementalongtemps été double : élitiste pour le conseil aux entreprises, comme l’atteste la prééminence de lafilièreOxford-Cambridge chère à la vieilleAngleterre aristocratique ; populaire dans le négoce : desEssexboysforméssurletas,agressifs,relaientsouventlemachismedelaclasseouvrièredontilssontoriginaires. Dans cette structure duale, que l’on connaît dans une moindre mesure àWall Street, lesfemmessetrouventunpeuperdues,commedansunesortedenoman’sland.

À lire un rapport publié en septembre 2009 par l’Equality and Human Rights Commission – laCommission de l’égalité et des droits duRoyaume-Uni – dans laCity, les primes de fin d’année desfemmes (élément essentiel de la rémunération des employés du secteur) sont en moyenne de 79 %inférieures à celles de leurs collèguesmasculins. La permanence de cette discrimination sexuelle peuvisibleestd’abordlerésultatdel’opacitédeladistributiondecesbonus.Résultat?Lesfemmesrestentminoritaires dans les départements générateurs de revenus, à l’instar du trading ou des fusions-acquisitions,bénéficiairesdesplusgrosbonus.Enrevanche,lesexeditfaibleestmieuxreprésentédansles départements non créateurs de recettes : juridique, ressources humaines, communication,administration et, bien sûr, secrétariat. Les banques commeGoldman Sachs gèrentmal les congés dematernité.Ainsi,enmars2010,CharlotteHanna,ex-employéedelafirmeàNewYork,atraînélabanquedevantuntribunaldeManhattan.Laplaignanteaccusaitlasociétédel’avoirmarginaliséeetrétrogradéepourlalicencieraprèslanaissancedesondeuxièmeenfant.

Les femmes ne sont pas seules à être confrontées à ces barrières. La mésaventure de Jim Currysoulignelesdifficultésqu’éprouventlesminoritésracialesàtrouverleurplacedanscetuniversblanc.CediplômédepsychologiedeHarvard,bienélevé,trèsdroit,n’estpasunvirtuosedelabanqued’affairesmaisunbonvendeurd’obligations,appréciédesesclients.Lecolosseàlafinemoustache,calmejusqu’àl’effacement,a travailléchezChaseManhattan,àNewYorkpuisàLondres,où ilestengagé,en1990,chezGoldmanSachsInternational.

MaisJimCurryestunAméricain…noir,cequiapparemmentdéplaîtàsonsupérieur,TobyYoung,lequel a rang d’associé. Ce dernier le prend immédiatement en grippe en multipliant les remarquesdésobligeantes. Quand Curry pose sa candidature à un poste vacant de responsable des institutionsfinancières,l’Anglaisluirépliquequ’uncollègueblancestmieuxplacé,«carilparleetressembleauxgensdontoncouvrelesactivités».TobyYoungluiprécisequ’iln’estlàquepourfairedelafigurationen

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raisondelacouleurdesapeau,paspourtravailler:«Tusaistrèsbienpourquoiontepaie…»Àceuxquilemettentengardecontrecesdérapages,lebossrépliquequ’iln’estpasracistepuisqu’ilestmariéàuneJaponaise(sic).Leharcèlementfaitchuterlaprimedefind’annéedesdeuxtiers.En1995,dansunecharrette,JimCurryestlicencié.Àsesyeux,pasdedoute,cettemiseàpiedestunacteraciste.

Le 1er juillet 1997, Goldman Sachs est reconnue coupable de discrimination raciale par lesprud’hommes de Londres. « J’espère que cette victoire va promouvoir des conditions de travail pluséquitables au sein deGoldmanSachs », déclare JimCurry qui, entre-temps, a été engagé parMerrillLynch.

« Goldman Sachs est une firme à l’échelle planétaire […]. Elle doit rester pluriculturelle etmultiethnique.Notrediversitéestunfacteuressentielànotreforce»:àl’issueduverdictaccablant,leprésidentdeGoldmanSachsInternational,PeterSutherland,utiliselalanguedeboispoursoulignerque53 nationalités sont représentées au sein de la division internationale. Sous-entendu : racistes, nous ?Jamais.

Heureusement, depuis l’affaire Curry, les choses ont évolué, sous la pression de l’importancecroissantedesmarchésémergents,ducaractèreplanétairedesactivitésfinancièresetdelaconcurrenceexacerbéequelesbanquesselivrentsurtouslesfrontspourattirerlesmeilleurséléments.

Le sort des homosexuels montre aussi le chemin parcouru. La City comme Wall Street ont étélongtemps en retard sur l’évolution de la société envers les gays, lesbiennes et transsexuels. Plus uneculture d’entreprise est « masculine », moins elle tolère les comportements ouvertement déviants.Exacerbéepar l’âpretéaugainet lacourseauxbonus, l’atmosphèredes templesde la financecréeunclimatpeupropiceàlatolérance.S’yajoutelesentimentdiffusquel’idéedupouvoirestassociéeàlavirilité,cequinesemariepasvraimentaveclestéréotypedel’homosexualité.

Lesrapportsprofessionnelsseprolongentsouventdanslasphèreprivée.Lescadres«horsnormes»sontsouventexclusdesretrouvaillesaveclesconjointsaurestaurant,oulorsdesweek-endsdegolfetdechasse entre collègues, ou encore des barbecues en famille. Or, le réseau de relations créé à cetteoccasionjoueunrôleévidentdanslespromotions.

Enfin, nombre d’opérateurs gays demultinationales sont souvent écartés des pays du tiers-mondehostilesàl’homosexualitécommeceuxduProche-Orientoud’Afriquesubsaharienne.Untelostracismejouecontreeuxparlasuite.

À compétences égales, un homosexuel a beaucoup moins de chances d’accéder à un poste dedirection.Celas’appellelepinkplateau,leplafonddeverreversionrose.

Lesmentalitéssontcependantentraind’évoluer, làaussi,et l’homosexualitécommenceàsortirduplacard.Les grandes banques internationales, surtout américaines, se sontmises à courtiser les jeunesbanquiersgays.Àl’instardeJPMorganetdeMorganStanley,GoldmanSachsacrééunréseauinterne,leGALN(GayandLesbianNetwork).

La diversité au travail est devenue un facteur déterminant de l’image de l’employeur.Des cas desexisme, de racisme ou d’homophobie, même isolés, peuvent maintenant coûter cher aux sociétés entermesderéputation.Lesentreprisescraignentd’êtrepoursuiviesoudevoirleurnoms’étalerdanslesjournauxpouruneaffairedediscrimination–unetrèsmauvaisepublicité.LescaissesderetraitesetlesfondsdepensionquicontrôlentlesentreprisescotéesenBourseregimbentàinvestirdansdesentreprisessectaires.Lemondechange,lahautebanqueaussi.

1-Environ4millionsd’euros.

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15.LaTerrepromise

S’ilestuneentreprisequiaprouvé,aufildutemps,sacapacitéàs’adapteràsonépoque,c’estbienl’empiredu85BroadStreet.

La photographie en noir et blanc nousmontre un vieillard à la barbe blanche fournie, d’une tailleimposante,vêtud’uneredingotedelameilleurecoupe.Iltientdanslamaingaucheunlivretandisquesamaindroites’appuienégligemmentsurunetablerondeoùsontposésdeuxautreslivres,probablementdecomptes.Leportraitenpleindanssonépoquerévèleunhommed’ordre,distant,commebeaucoupdesescompatriotesd’AllemagneduSud.Ilestserein.Noussommesen1900,quatreansavantsamort.

Néle9décembre1821,ils’appelleMarcusGoldmanetatraverségaillardementleXIXesiècle.Iln’apasoublié lepetitvillagepauvredeBavièred’oùilvient, lesvicissitudesdes juifsd’Europecentralefuyant par dizaines de milliers les persécutions et la misère, dans une première vague d’émigrationmassiveenAmérique–conséquencedelacontre-révolutionconservatricequidéferlesurlaBavièreetlaPrusse –, ni l’horrible périple dans les soutes du navire dans l’espoir d’être accueillis par la terred’asile. Là, bien plus tard, la statue de la Liberté proclamera : « Donnez-moi vos pauvres, vossurmenés.»

Fils d’un bouvier, instituteur de formation, Marcus Goldman émigre à 27 ans aux États-Unis.Encombré de valises en carton bosselées, bredouillant quelquesmots d’anglais, l’immigré foule avecémotion la terre de la deuxième chance.Ne possédant ni famille, ni relations, le nouveau venu survitcommecolporteurdans leNewJersey.Sonsalutvientdesa rencontreavecBertha, filled’un joaillieroriginairedeBavière,quiaémigré luiaussien1848. Il l’épouse.Lecouples’installeàPhiladelphie.Marcus Goldman parcourt les cités minières de Pennsylvanie avec sa carriole de représentant decommerce,safemmetient lemagasindefripes.Puis la famille–cinqenfantsdéjà–déménageàNewYork. En 1869,Marcus Goldman se lance dans la finance, unmot bien fort pour désigner une petitesociétéd’escomptedestinéeauxbijoutiers,auxconfectionneursetauxmaroquiniers.

L’apprenticourtierentendtirerprofitduvastemarchédel’escomptecrééparlestauxd’intérêtélevésquiontsuivilaguerredeSécessionentreleNordetleSudde1861à1865.L’émissiondecesbilletsdetrésorerie doit permettre aux artisans juifs installés à la pointe deManhattan d’emprunter directementsans passer par les banques. Marcus Goldman porte le haut-de-forme dans lequel sont placées lesreconnaissancesdedettes,ensuiterevenduesauxbanquesavecunpetitbénéfice.

Àl’époque,sil’Amériqueconnaîtunbooméconomiqueprodigieux,lequartierdeWallStreetdanslequell’entrepriseestinstalléenepaiepasdemine.TrinityChurch,l’égliselocale,estlebâtimentleplusélevé.L’uniquegratte-cieln’aquesixétages.Lesruessontmalpavéesetmaléclairées.Trèsvite, lestours sortent de terre comme des champignons après la pluie, écrasant les vieilles maisons. Dans la

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fouléedubooméconomiqueprovoquéparl’industrialisationàmarcheforcée,sesaffairesprospèrent.AupointqueMarcusGoldmandoitembaucheruncomptableetuncoursier.

Les meilleurs amis des Goldman sont les Sachs, encore des Bavarois arrivés en 1848. LouiseGoldman,laplusjeunefilledeMarcusGoldman,épouseSamuelSachs.En1882,lecourtiers’associeavecsongendre,comptabledeformation,pourformer lacompagnieM.GoldmanandSachs.En1885,Henry Goldman, l’un des trois fils de Marcus, rejoint l’entreprise, rebaptisée par la suite GoldmanSachs&Co.,sonappellationactuelle.Larapideexpansiondelafirmelapousseàtraverserl’AtlantiquepourétablirunecoentrepriseàLondresavecunedynastiefinancière juiveallemande, lesKleinwort(àl’originede lacélèbrebanqueKleinwort-Benson,aujourd’huidisparue).Ellecréeégalementuneautresociété en partenariat (50-50) avec Lehman Brothers, fondée en 1844 àMontgomery (Alabama), elleaussispécialiséedansl’escomptedesbilletsàordre.

En1896,MarcusGoldmanprendsaretraite,laissantlescommandesàsonfilsHenryetàsongendreSamuel.Petiteentreprise,GoldmanSachsn’appartientpas, à l’époque,aucerclemagiquedesgrandesbanquesjuives,unenébuleusefondéepardesimmigréseuropéens,essentiellementallemands.KuhnLoebvoitlejouren1867etSalomonBrothersen1910.J.AronestétablieàLaNouvelle-Orléansen1898.Audépart,toutessespécialisentdanslenégocedesdenrées–coton,café,tissus,cacao,fruitssecs–,avantdebifurquerverslafinance.Toutlemondeseconnaîtdanscemilieuferméoùl’onpénètreseulementparliensfamiliauxouparmariageetoùlesdécisionsseprennentparconsensus.

EncettefinduXIXesiècle,faceauxétablissementsjuifsdispersésquisebattententreeux,sedressel’omnipotentemaisonMorgan,etsesacolytesprotestantsbonchicbongenre.J.PierpontMorgan(1837-1913)afondécequifutsansdouteleplusgrandconglomératdel’histoirefinancièremondiale.«CenomareprésentéauXXesièclepourlesÉtats-UniscequelafamilleRothschildavaitsymboliséauXIXesièclepour l’Europe », écrit le journalisteRonChernow dansTheHouse ofMorgan. À coup d’audace, depoigne et avec l’aide de quelques amis puissants, entrepreneurs, financiers et hommes politiques, ceboucanierruséparrainelacréationd’énormestrustsindustriels.GeneralElectric,USSteel,ouAmericanTelephone&Telegraphreprésententalorsl’AmériquedesMilleetuneNuits,maisaussisesexcès,sesabus, ses robber barons (barons voleurs) honnis dont J. Pierpont est le prototype par excellence. Sapuissance repose sur trois banques : JP Morgan à New York, Morgan Grenfell à Londres etMorgan & Compagnie à Paris. Cet univers huppé américano-européen mêle grandes familles Wasp(White Anglo-Saxon Protestant, c’est-à-dire Blancs, Anglo-Saxons et protestants) de la côte Est desÉtats-Unis,LordspassésparEtonpuisOxfordouCambridgeetcontinentauxausangbleu.

J.PierpontMorganestaussiunantisémite…mondain.Ildithautetfortsonmalaiseenprésencedeses confrères juifs. Le magnat s’enorgueillit de faire partie des dix-neuf clubs de gentlemen les plusfermés des États-Unis. Aucun n’accepte de juifs. Sa devise est directe : « On peut faire des affaireséventuellementavecn’importequi,maisilfautêtregentlemanpourfairedelavoile.»Cetaristocrateàl’américaineévoque«cesétrangers»enparlantdesesconcurrentsjuifs.Lescatholiquesnesontguèremieux lotis. Confrontés au même ostracisme, ils se réfugient dans la banque commerciale. La seulebanqued’affaires«papiste»estMerrillLynch,fondéeparunIrlandaiscatholique.

Rienn’illustremieuxcetteanimositéreligieusequelabatailleduchemindefer,entre1865et1895etlecontrôledelaligneNorthernPacificen1901.Avecl’aidedufinancierKuhnLoeb,leraiderEdwardHarriman (unprotestant) rachèteet fusionne lesdeuxprincipalescompagniesdesservant leSud-Ouest.Avecl’appuid’unautrecroiséducapitalismeprotestant,WilliamRockefeller,ilveutmettrelamainsurla Northern Pacific desservant le nord de la Californie. J. PierpontMorgan ne l’entend pas de cetteoreilleetlabatailleboursièrefaitrage.Morganrecueillel’argentanglaistandisqu’enface,KuhnLoeblèvedesfondssurtoutenAllemagneetenFrance.Lapartieseterminesurunmatchnul–lesdeuxclansse partagent laNorthern –,mais, pour la première fois, la primauté deMorgan a été écornée par unebanquejuive.

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Ces fleuronsduprotestantisme–Morgan,mais aussiKidder,Peabody&Co.ouGeorgeF.Baker,fondateurdecequideviendraleCitigroup–refusentdetraiteraveccesnouveauxvenus.Sujetsalorsàune véritable ségrégation, ceux-ci sont systématiquement exclus des grands financements industriels –l’automobile,l’acier,oulepétrole–etdoiventsecontenterdessecteursmoinsnoblesdeladistribution,dutextile,oudel’agroalimentaire.CeseralachancedeGoldmanSachs.L’institutioncompteparmisesgrosclientsdesentrepreneursfabricantsdecigaresoulesgroupesdedistributionbasdegammeSearsRoebucketF.W.Woolworthpourquielleémetdesactions.Snobés,lesétablissementsjuifssemontrentparticulièrementnovateursenmatièredemontagesfinanciers,àl’exempledunégocedesobligationsoudes matières premières. Ils se créent une clientèle fidèle et loyale parmi les nouveaux acteurséconomiques,enparticulierdanslesecteurdesservicesenpleinegestation.Ilss’introduisentauprèsdesinvestisseurs institutionnels comme les caisses de retraite, les fonds de pension ou les organisationscaritatives,dontlescapitaux,considérables,doiventêtreinvestis.

En1890,GoldmanSachsestnuméroundel’escompteet,sixansplustard,estaffiliéeauNewYorkStockExchange(sansyêtrecotéepuisqu’elleestalorsunesociétéprivée):laconsécration,àl’époque.MarcusGoldmanmeurten1904.Lafirmecompteàcettedatetroisassociésprincipauxettroisjuniors.Elle détient un beau portefeuille de clients mais reste dotée d’un maigre bilan, ses capacités definancementdépendantdel’associéLehmanBrothers.

Lors de la Première Guerre mondiale, les clans Goldman et Sachs se déchirent. Les premierssoutiennent l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie, les seconds les Alliés. Admirateur de la disciplineprussienne et de Nietzsche, Henry Goldman, l’expert du financement industriel, refuse, en 1915, departiciperà lasouscriptiond’unempruntfranco-britanniqueorchestrépar l’anglophilemaisonMorgan.Quand l’Amérique entre en guerre en avril 1917, la City de Londres boycotte Goldman Sachs « laboche ». La Banque d’Angleterre interdit à ses associés Kleinwort toute transaction en devises avec«l’ennemie».

Le jourmême oùGoldman Sachs participe – par peur de représailles – à l’émission desLibertyBonds pour financer l’effort de guerre américain, Henry Goldman démissionne, emportant sa part ducapital.CettesaignéeestcompenséeparunapportdelafamilleSachs.Lesdeuxclanshistoriquesneseréconcilierontpas.HenryGoldmanetSamSachsnes’adresserontplusjamaislaparole.

Aprèsl’armistice,fautedecapital,lafirmeselanguitàl’ombredesgrands.L’Amériqueconnaîtunessoréconomiqueetindustrielsansprécédent.Cetteprospéritéquiparaîtéternellevapourtantamenerlabanque au bord du gouffre. Parmi les dirigeants de Goldman Sachs se trouve le dénommé WaddilCatchings,legoldenboydel’époque.Grand,charismatique,natifdusuddesÉtats-Unis,sûrdeluietdeson étoile : celui qui est l’un des principaux associés en impose. Quelle culture, quelle classe, quelpersonnageexquis!L’hommeestundandy:lepantalonrayé,ungiletàdoubluredesatind’oùémergeunemontredegousset,unechemiseblancheàcolcassé,unelargelavallière,unhaut-de-forme.Enclairc’estunbanquierraffinéquibrilleensociétéetsepiquedelittérature,sachantpasseraugrédelaconversationdes règlements duNewYork Stock Exchange à Tocqueville. Ce diplômé de laHarvard Law School,associédel’undesplusgrandscabinetsd’avocatsnew-yorkaisavantderejoindrelabanque,endevientaussileprincipalactionnaire.

Mûparunoptimisme illimitéencette findesannéesfolles,WaddilCatchingsestaussi l’auteurdeplusieurs essais sur la fin des cycles économiques. Il y exprime sa foi dans une croissance continue,l’opulence illimitée, les fruitsgénéreuxde l’expansion,ducrédit,de laBourse…Alorsqu’àcoupsdefusionsetd’acquisitionssecréentdesgéantsindustriels,lesplacementsenactionsfontfureurauprèsdesépargnants. Or, Waddil Catchings est un as de l’émission d’actions, la catégorie d’actifs moteurs del’euphorieboursière.

Cefinancierauxnombreusesrelationsnejurequeparletrustd’investissement.C’est,grossomodo,l’équivalentd’unfondsspéculatifstylehedgefund,quiinvestitenBoursel’argentdesesclients.Soussa

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houlette, la banque d’affaires, alors spécialisée dans le papier commercial, crée une structured’investissement,laGoldmanSachsTradingCorporation(GSTC).Audépart, lecapitalestentièrementsouscritpar lamaisonmère,dont lesassociésprennent10%à titrepersonnel.Les90%restantssontensuite revendusaupublic.Enoutre,Goldmanperçoit20%desprofitsnetsdu trustpour les fraisdegestion.

Le lancement enBourse, le 4 décembre 1928, de laGSTC est un triomphe : initialement cotée à104 dollars, l’actionmonte à 136,50 dollars le 2 février 1929 avant de grimper à 222,50 dollars le7 février. Le seul savoir-faire de l’émetteur, une petite banque à l’époque, ne peut expliquer cetteenvolée. En fait, la compagnie rachetait une grande partie de ses propres titres en utilisant les fondspropresdelabanquepourfairemontersavaleuravantdelesrevendre.Le26juillet,Catchingscréeunesociété financière, laShenandoahCorporation, dont les titres s’arrachent.L’avocat JohnFosterDulles(1888-1959),quideviendralesecrétaired’ÉtatduPrésidentEisenhower,faitpartiedesadministrateurs.Lepremierjour,l’actiondoubledevaleur.Danslafoulée,unesecondesociété,BlueRidgeCorporation,estfondéele20août.LecapitalestdétenuenmajoritéparlaShenandoah.BlueRidgerachètedeuxjoursplus tard une autre compagnie d’investissement de la côte Ouest. Celle-ci chapeaute une kyrielle desociétésfinancièresetunebanquededétailcaliforniennes.Chaqueentitésertdefaçadeàunepyramideinfinied’investissementsderrièrelaquellesecachel’ombretutélairedeGS.Lepublic,quiignoretoutdecemécanismebasésur l’endettement(lefameuxeffetde levier),enredemandeetcontinueàdélier lescordonsdesabourse.

Le château de cartes s’écroule brutalement lorsqueWall Street est frappé par un séisme financierinégalé, le 24 octobre 1929. L’action de la société, qui ne dégage plus assez de ressources pourremboursersescréditeurs,dégringoleà1,75dollar.Illuiestimpossibledestopperlaréactionenchaînequis’estdéclenchéeaprès leJeudinoir.C’est la fin.Lachutede laGSTCmanquedepeud’emporterGoldmanquinedoitsasurviequ’àuneinjectiondefondsdedernièreminutedelafamilleSachs.Ruiné,Catchingsestlimogécommeunmalpropre.

Sur cette période, John Kenneth Galbraith (1908-2006) a écrit l’ouvrage de référence intituléLaCrise économique de 1929. Un chapitre entier, « Nous faisons confiance à Goldman Sachs », estconsacré à ce naufrage. À lire l’un des économistes les plus doués de sa génération, ces trustsd’investissement hasardeux sur fond d’euphorie boursière et de spéculation effrénée ont joué un rôlecentraldanslekrach:«Ilestdifficiledenepass’émerveillerdel’imaginationquiavaitprovoquécettegigantesquefolie.S’ildoityavoirfolie,ilvautmieuxluidonnerdesdimensionsquasihéroïques.»

Auseindelafirme,WaddilCatchingsavaitunprotégé,SidneyWeinberg.CegamindeBrooklynestentréchezGoldmanen1907,aubasdel’échelle,commeassistantduconcierge.PaulSachs,l’undesfilsducofondateur,remarquesonassiduité,sonflair,sadébrouillardiseetsamaîtrisedeschiffres.Illeprendsoussaprotection,lepropulsantresponsableducourrieretluipayantdescoursdusoirpourparfairesonanglais et perdre son affreux accent prolétaire de Brooklyn. Après avoir été mobilisé dans la Navy,SidneyWeinberg réintègre la firme comme trader en obligations. À force de travail, de chutzpah –expressionyiddishsignifiant«leculot»–etdepistons,levoilànomméassociéen1927etbrasdroitduprésident,Waddil Catchings, peu avant le Jeudi noir et l’effondrement de la Goldman Sachs TradingCompany.

Aprèsladéroute,lafamilleSachslaisselaplaceàcetautodidacteaumorald’acierquiafaittouslesmétiers.L’employécourageuxs’estforgéunevisionpasforcémentrosedel’âmehumaineetdelasociétémais a accumulé des trésors d’anecdotes précieuses.La finance, ce vendeur-né l’a apprise au ras desguichets.Sanouvelledevisevaguiderlafirmependantdeslustres:«Latortuequisehâtelentement.»Surtout,lenouveaupatronimposela«règledeWeinberg»:laprioritéauclient,l’interdictiondeparlerauxmédias, laprimautéde l’éthiqueetde lamoraleenaffaires.Unenouvellevertuaprès le scandalefinancierde1929,queviendrontreniercertainsdesessuccesseursindignes.

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Lors de la Grande Dépression, le Boss éprouve à son tour l’antisémitisme de l’establishmentprotestant qui ne recule devant rien. Dans les cercles bancaires patriciens, on l’appelle délibérément«Weinstein », art coutumier des antisémites pur sucre consistant, pour l’abaisser, à déformer le nom.Vieuxprocédéd’hiercommed’aujourd’hui.

À l’inversedesonpère,unantisémitemondain,auquel ila succédéen1913, JackMorgan (1867-1943)distillesahaine.Le11décembre1930,laBankoftheUnitedStatesfaitfaillite.Laclientèledelaquatrième banque de dépôts new-yorkaise est essentiellement juive.Malgré les appels à l’aide de laRéserve fédérale et des autorités de l’État deNewYork, JackMorgan, dont la banque tient alors lesficelles du marché de détail aux États-Unis, refuse de secourir son concurrent. Cette banquerouteprovoquelapaniquechezlesdéposants.«Lesclientsenquestionsontdepetitesgens,desboutiquierspeuéduquésdeconditionmodeste.Etlesdirigeantssontissusdumêmemilieu»,écritJackMorgandansune lettre adressée au patron deMorganGrenfell à Londres pour justifier son inaction. En revanche,quelques semaines auparavant, sous la houlette de Jack Morgan, le noble agent de change KidderPeabody,bastionprotestants’ilenest,aétésauvéinextremisdunaufrage.

EtquandGoldmanSachs,enpleinecriseaprèsl’effondrementdelaGSTC,veutadhéreren1932auNew York Clearing House par souci de protection, les dirigeants de cette chambre de compensationexigentetobtiennentlanominationd’unprotestantàlatêtedelasociétéfaillie.

Enpublic, JackMorgancritique lapersécutiondes juifsdans l’Allemagnenazie.Maisenprivé, ils’accommode très bien d’un régime qui, à l’écouter, combat le même ennemi que l’Amérique : lecommunisme.C’est un partisan inconditionnel de la politique d’apaisement enversHitler. L’entrepriseMorgan, enparticulier àLondres, espèrequece soutiendiscret au IIIeReich lui permettra de se fairerembourser l’énorme paquet de dette allemande liée aux réparations de la PremièreGuerremondialequ’elledétient.

Maissurtout,cerépublicaindedroitedétestelePrésidentdémocrateFranklinRooseveltéluen1932.JackMorganneluipardonnepasd’avoirpromulguéleGlass-SteagallActde1934séparantlesfonctionsdebanquecommercialeetdebanqued’investissement.L’empireMorgandoitalorsêtrepartagéentroispartiesdistinctes:unebanquededétail,JPMorgan,etdeuxbanquesd’affaires,MorganStanleyàNewYorketMorganGrenfellàLondres.JackMorganvomitdonc«labandedejuifs»à l’origineduNewDeal(baptiséaudemeurant«JewDeal»parsescritiquesconservateurs).

Weinberg, lui, est un fidèle. Hier, il y avait Paul Sachs etWaddil Catchings ; aujourd’hui, il y aRoosevelt. Sidney est l’un des rares supporters du locataire de la Maison Blanche au sein de lacommunautéfinancière.Ildevientsonconseilleréconomiquedel’ombre.

L’élite protestante n’était pas uniformément antisémite, comme on l’a vu avec Harriman etRockefeller. Le meilleur ami de Sidney Weinberg, Paul Cabot, appartient à l’une des plus grandesfamillesWaspdeBoston.Quand le secrétaire général du clubprivéBrookprendCabot à partie pouravoirinvitéàdînersonamiWeinberg,laveille–«Voussaveztrèsbienqu’onn’acceptepasdejuifsdansla salle à manger » –, le Bostonien démissionne sur-le-champ du club. Trois décennies plus tard,apprenantque sonclubd’Omaha refusait les juifs,WarrenBuffett, futurpartenairedeGoldmanSachs,ferademêmeenlequittantpouradhéreràuncountryclubdelacommunautéisraélite.

Aprèsl’attaquejaponaisecontrePearlHarboren1941etladéclarationdeguerre,RooseveltchargeWeinbergdeformer leComitédesconseillers industriels.CettepositionpermetaupatrondeGoldmanSachsd’établiraupassagedes lienssolidesavec lagénérationmontantedes industriels.Weinberg faitnotammentlaconnaissancedeHenryFordII,dontlegrand-père,tribunantisémite,avaitinspirélesécritsd’AdolfHitler.Paramitiéoumauvaiseconscience–voirelesdeux–,HenryFordIIconfieraparlasuiteaupatrondeGoldmanSachslaplusgrosseoffrepubliqued’échange(OPE)del’histoiredesÉtats-Unis.L’opérationauprofitdelaFordMotorCompanypropulselabanqued’affaires,quipeinaitjusque-làfaceàsesrivaux,auxpremièresplacesduhit-paradedumétierdeconseilauxentreprises.

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Fidèle, SidneyWeinberg a aussi la mémoire longue. Quand l’amiral Darlan, ancien président duConseil dePétain, fervent partisan des lois antijuives rallié en 1942 auxAlliés, est reçu à laMaisonBlanche, il tend lamain àWeinberg. Celui-ci lui remet sa carte de visite et lui lance : « Tiensmongarçon,vamechercheruntaxi.»D’ailleurs,ilsabreralechampagneenapprenantl’assassinatdeDarlanendécembredelamêmeannée.

MaiscethommequialadentdurenepardonnerajamaisàRooseveltsoninactionfaceaumartyredesjuifsdansl’Europeoccupée.Bienquedémocratedetoujours,ilsoutienten1952eten1956lecandidatrépublicainàlaprésidence,DwightEisenhower,lelibérateurdel’Europe,quilenommetrésorierdesacampagne.Aprèslavictoirede«Ike»,Sidneyleconvaincdenommerdesbusinessmendontilestprocheauxdeuxpostes lesplus importantsdugouvernement : leTrésoret laDéfense.Revenantdans legirondémocrate en1960et 1964, il place égalementdeshommes à lui dans les administrationsKennedyetJohnson.CommeMonsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, le patriarche est l’inventeur du«gouvernementSachs»quidéfrayeralachroniquedesdécenniesplustard.

Jusqu’à la finde savie, en1969,SidneyWeinbergmènerauneexistence simple. Ilprend tous lesjourslemétropourserendreautravail.«Vousapprenezdestasdechosesenregardantlespassagersdelarameetlespublicités,disait-il.Bienplusqu’enfixantlanuqueduchauffeurd’unelimousine.»

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16.Lesaffairessontlesaffaires

Ilfutuneépoqueoù,étrangement,lareligiondominaitlaviedesaffaires,auxÉtats-UniscommeenEurope.RichardSylla,professeurd’histoirefinancièreàlaNewYorkBusinessSchool,estcatégorique:«Aujourd’hui,àl’heuredelasociétémulticulturelle,cescritèresnesontheureusementplusdesaison.»Sous les coups de la déréglementation et de lamondialisation, ce facteur a perdu sa place de valeurdominante.Seulerestelacompétence.UnesalledesmarchésestunetourdeBabel(…maisoùtoutlemonde parle anglais !). Tout se ramène au triptyque-roi :buy, sell, hold (acheter, vendre, conserver).C’est un village « global », cosmopolite, transfrontalier. La Bourse deNewYork a fusionné avec lagrande Bourse européenne Euronext, un Français est à la tête de celle de Londres, un Indien dirigeCitigroup…

Depuislongtemps,iln’estplusnécessaired’êtreprotestantpourfairecarrièrechezJPMorganoujuifchez Goldman Sachs. L’hostilité entre les deux confessions concurrentes qui se partageaient la hautebanqueanglo-saxonnejusqu’auxannées60,enraisonnotammentdelapudeurducatholicismeàl’égarddel’argentoudel’hostilitédel’islamauxprêtsàintérêt,apresquecomplètementdisparu.

Ladernièrecitadelledespréjugésantisémites,leNewYorkStockExchange,esttombéeaudébutdesannées70quandleP-DGdeGoldmanSachs,GusLevy,devintlepremierjuifàprésiderleConseildesgouverneurs de laBourse new-yorkaise. Si parmi les vingt-quatre agents de change deNewYork quisignèrent, le 17mai 1792, « l’accord de Buttonwood » – il s’agit du platane sous lequel ils avaientl’habitudedeseréuniràWallStreet–figuraientplusieursopérateursjuifs,lesposteshiérarchiquesdelacélèbreinstitutionleurdemeurèrentparlasuitelongtempsinaccessibles.

En apparence, le professeur Sylla a raison. Les traces de l’antagonisme d’antan sont aujourd’huisuperficielles.S’ilrestedessignesdupasséreligieux,ilssontplutôtculturels.ChezGoldmanSachs,toutaspirantaustatutd’associé-gérant,departner,doitavoirun«rabbin»,selonl’expressionconsacrée,enl’occurrenceunassociéquivousforme,vousaidedansvotreprogressionetvousprotège.LesQuatorzeBusinessPrinciples1quiguidentlestransactionssemblentvenirtoutdroitdesDixCommandements.Etlaméritocratieenvigueurplongesesracinesdansleparcoursdesimmigrantsjuifs,allemandsd’abord,est-européensetrussesensuite.

Autresignedereculdecefacteurreligieux,lafirmeseveutau-dessusdelamêléeauProche-OrientcommelemontrelaprésencedeGoldmanSachsàlafoisenIsraëletdanslespétromonarchiesduGolfe.Dèslepremierchocpétrolierde1974,l’établissementnew-yorkaisaaidélespaysduGolfeàrecyclerleurspétrodollarsouàinvestirdansl’immobiliercommercialaméricain.Plustard,l’actuelP-DGLloydBlankfeinseraunpionnierdelafinanceislamiqueauseindelabanque.

IlenvaapparemmentdemêmechezJPMorgan,oùseulssubsistentquelquessignesd’appartenanceàune tradition. Au siège de Park Avenue, à l’étage des salles àmanger est exposée lamémoire de la

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maison : un scriban antique, des portraits du Commandeur, J. Pierpont, des livres rares et des titresanciensd’émissionsd’actionsdecompagnieferroviairescommémorentl’âged’ordelacompagnie.

Cettetendanceàl’antisémitismedanslesmilieuxd’affairesseretrouveaussienEurope.EnFrance,laparticipationd’unepartiedesbanquiers(SociétéGénérale,Banquedel’Indochine,banqueWorms…)à lapolitiqueantisémitedu régimedeVichyetà l’«aryanisation»desétablissements juifsen1941aprofondémentmarquélesesprits.Aujourd’hui,cetteintolérancen’estplusdesaisondanslescerclesdepouvoir.ÀlaCity,lespréjugésquiavaientaccueillil’arrivéed’unSiegmundWarburgfuyantlenazisme,issud’unetrèsanciennefamilledebanquiersjuifsallemands,ontbeletbiendisparu.Parfoisressortentcependantdevieuxréflexes.Parexemple,danslesannées80,lesscandales(Guinness,MorganGrenfell)danslesquelsdespersonnalitésjuivesontétéimpliquéesontvularéapparitiondeclichéscolportésparla presse de droite. Finalement, il n’y aurait qu’à Genève où la distinction banques juives/banquesprotestantesserait toujoursclairementprésente.Est-ce laconséquencedessympathiesd’unepartiedesbanquiersducru,protégésparlaneutralité,pourl’Allemagnenazie?En1997,lacontroverseopposantles banques suisses, héritières des huguenots, au Congrès juif mondial à propos des comptes endéshérenceavaitrouvertlesplaiesdel’antisémitismed’unepartiedel’establishmentfinanciersuisse.

Aujourd’hui,plusieursévénementssurvenusdanslafouléedelacrisefinancièreetdesdéboiresdeGoldman Sachs apparaissent suffisamment significatifs pour que l’on puisse émettre l’hypothèse d’unretourenforcedecertainspréjugéssurlesplacesboursières.

Onadumalàimaginerunbanquier«faireletravaildeDieu»,commeLloydBlankfeinl’adéclarédansuneinterviewauSundayTimes–pours’enrepentiràjamais.Unebellegaffe,cetteremarque,quipermet à lapressede ranimer levieux fantasmed’unaxeDieu-Mammon, termeutilisépar Jésuspourindiquerlafortunemalacquise.Parlasuite,iljurerasesgrandsdieuxqu’iln’yavaitdanssaremarqueriend’important,qu’ilnes’agissaitqued’une«blague».

Lerapportentrereligionetargentresteuncocktaildétonnant.«Pourquoidit-ondeGoldmanSachsquec’estunebanquejuivealorsqu’onneleditplusdeRothschildoudeLazard?»,glisseunbanquier.Lesblogsanti-Goldmanquifleurissentserventundiscoursfortementteintéd’antisémitisme.

Leproblèmeestquecescritiquesneviennentpasseulementdelablogosphère.Référenceenmatièredemusiqueetdephénomènesdesociété,lemagazineRollingStoneapublié,enjuillet2009,unarticleauvitriolexposant lerôledeGoldmanSachsdanspresquetoutes lescrisesfinancièresdepuisplusdequatre-vingts ans. L’auteur,Matt Taibbi, un journaliste d’investigation, décrit la banque comme « uneformidablepieuvrevampireenrouléeautourdel’humanité,enfonçantimplacablementsonsuçoirpartoutoù il y a de l’argent ».Cette description pourrait sortir d’un pamphlet antisémitemême si lemot juifn’apparaîtjamais.Letextecirculed’ailleurssurtouslessitesWebmontantenépingleunpseudo-réseaujudéo-sionistequidirigeraitl’établissementfinancieraméricain.

LeNewYorkTimeslui-mêmen’échappepastoutàfaitàcettehystérie.«Lesbanquiersquiontprisde l’argent de l’État et se sont accordé ensuite des bonus obscènes sont les mêmes qui, uniquementintéressésparleurpetitintérêt,ontétéexpulsésduTempleparJésus»:cettemalheureuseimagepubliéedans le quotidien de référence de la plus grande ville juive aumonde a valu à son éditorialiste star,MaureenDowd,d’êtreaccuséederelentd’antisémisme.Lemoindreparadoxedecettecontroversequiencomptetantestquelabanque-conseildugroupeNewYorkTimesn’estautrequeGoldman!

Enfin, les attaques de certains hauts responsables politiques européens contre les spéculateursinternationauxprovoquentuncertainmalaisequandellesévoquent,parmétaphoresetsous-entendus,lesaccusationsdesannéesnoirescontrelesfinanciersapatridesetcosmopolites.

Mapropre expériencem’amontré combien la question des liens entre finance et religion reste unsujetsensibleàWallStreetcommedanslaCity.DansunarticlesurlafaillitedeLehmanBrotherspubliédansLeMondedu8octobre2008,j’avaisévoquélesaccusationsduSundayTimesselonlesquellesJPMorganavaitprécipitélachutedeLehman.Dansunencadréintitulé«Unevieillerivalitéentrebanque

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protestanteetbanquejuive»,j’avaisrappelél’antisémitismeaffichédelamaisonMorganauXIXesiècle,etsesattaques,jusqu’àlaSecondeGuerremondiale,contrelesbanquesjuivescommeLehman,GoldmanSachs ou Salomon Brothers. JP Morgan avait réagi comme tous ceux qui refusent de revenirobjectivementsurleurpassétrouble:«Pourquoiremuercesvieilleshistoires,monsieur?»Depuis,jesuisdevenupersonanongrataauprèsdeJPMorgan.Lamémoireflanche.

Pourtant, il y a beaucoup à dire. En 1948, JPMorgan participe au boycott arabe d’Israël, afin deprofiterdelamannedespétrodollars.Sapremièreopérationdansl’Étathébreuneseferaqu’en1996.Ilfaudraattendre1984pourqu’undirigeantjuifaccèdeàlavice-présidencedelasociété,commenumérodeux. À Londres,MorganGrenfell (aujourd’hui intégrée à la Deutsche Bank), qui tirait 70% de sesrevenusdespétromonarchiesduGolfe,n’employaitpasdejuifsàl’international.

QuandfinalementMorganStanley–autreexcroissancedel’enseigne–nommesonpremierassociéjuif,LewisBernard,en1973, l’undesescollèguesseprécipitechez leplusgrosclientde la société,StandardOil,pourluidemandersiunetellepromotionluiposedesproblèmes.«Pasdutout.JecroyaisquevousétiezaucourantquenotreP-DGlui-mêmeestjuif»,luirétorque-t-onsèchement.LepatrondeGoldmanSachs,SidneyWeinberg,abeaujeud’ironiser:«Ahbon?ChezGoldman,onenatoujourseu,desjuifs!»

Les vieux réflexes reviennent parfois à la surface. Après sa tentative avortée d’unir son groupeTravelersàJPMorgan,SandyWeills’exclame:«Morgannesevendrajamaisàunjuif.»Iln’ajamaisoublié samésaventure de 1982, quand il avait pris la tête de Shearson American Express, l’une desforteressesde l’establishmentWasp. Il avait été la cibled’attaquesantisémitesde lavieillegardequil’avait rapidement poussé vers la sortie. Plus récemment, Larry Fink, le fondateur de la sociétéaméricainedegestiond’actifsBlackRock,l’aaffirmé:lorsqu’ilestentréchezFirstBoston,une«boîte»protestante,lestradersjuifsetcatholiquesétaientcantonnésaumarchéobligataireimmobilier,lebasdegamme. Même si les faits sont sans doute plus compliqués que cela, ces remarques soulignent lapersistancedevieuxréflexes.

Enaffaires,lesintérêtsdeGoldmanSachsonttoujourstranscendésesracines.Danslesannées80lesliens étroits entre la banque etRobertMaxwell l’attestent. Toute sa vie, cemagnat de la presse a dûaffronter l’hostilité à peine déguisée de l’establishment britannique à son encontre. La soif dereconnaissancedel’immigréparvenuauxsommetsdupouvoirneluiavaitjamaisouvertlesportesdelagentry.Auxyeuxdesaristocrates, lenouveaurichen’ani lepedigree,ni lesmanières,ni la réputationmaison. Milliardaire juif et travailliste, sujet britannique venu d’ailleurs mais citoyen du monde,l’insatiablecolosse,jovialetsecret,avaitédifiéunpuissantempiredepresse.

Àlafindesannées80,«CitizenBob»estàlatêted’unconglomérat, laMaxwellCommunicationCorporation(MCC),cotéenBourse,dontlaperleestlegroupedejournauxbritanniquesMirror.LaCityse méfie de cet ensemble hétéroclite aux montages et comptes byzantins qui tourne autour d’un seulhomme.

ArrivealorsEricSheinberg, l’associéprincipaldeGoldmanSachsresponsablede l’ensembledesopérationsdemarchéàLondres.EntrelebanquieraméricainexpatriéetceP-DGhorsnormes,lecourantpasse.Aprèsavoiracquislamaisond’éditionaméricaineMacMillanen1989,RobertMaxwellacceptel’offredeGoldmanSachsdelancerl’écoledelanguesBerlitzoutre-Atlantique,opérationàl’occasiondelaquellelepapivoredevientl’intimedeSheinberg.

Cesdeuxfortespersonnalitéspartagentlegoûtdujeu,larouerieets’accommodentmaldusnobismearrogantdelaCity.Sheinberg,juifluiaussi,estfascinéparlepassétourmentédeMaxwell,survivantdelaShoah,etparsonappartenancesupposéeauxservicessecretsisraéliens.DanssabiographieautoriséedeGoldmanSachs,ThePartnership,CharlesEllis écrit : «Sheinbergpartageait l’intérêtdeMaxwell

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pour tout ce qui concernait Israël. » Aussi, les liens étroits de Maxwell, dans le passé, avec lesdinosaurescommunistesdespaysde l’Est–Honecker,Ceausescu,Brejnev– intriguent-ils le financiernew-yorkais.

Àl’ombredelacathédraleSaint-Paul,Sheinbergestl’outsiderparexcellence.Cepersonnagevenud’ailleurs est parti à l’assaut du sanctuaire du capitalisme européen.Dans la foulée du big bang – ladéréglementationtotaledelaCityen1986–,ilyaurgenceàfrapper,àétonner,àdécontenancer.Pourétablir son leadership, Sheinberg brûle de zèle et fonce sans retenue dans la brèche.Goldman Sachs,l’unedes institutions lesplusvénérablesde la financemondiale, réputéepour saprudence, devient leprincipal bailleur de fonds de la galaxieMaxwell. Subjugué, Sheinberg s’affranchit des contrôles entenantsessupérieursdansl’ignorancedel’ampleurdesprêtsavancésàsonami.Tantquelaboulimiedutycoon remplit lescaisses, labanquefermelesyeuxsur lessignesannonciateursdelacrisefinancièrequimenacelegroupe.MCCestl’undecestitresvolatilsquipermetauxbanquiersspéculateursdegagnerbeaucoup d’argent. Dans son best-seller, Maxwell : The Outsider, Tom Bower juge que« l’hyperactivisme de son principal client enchantait Sheinberg.Maxwell, bien sûr, exigeait d’obtenirquelquechoseenéchangepourlesaffairesqu’ildonnaitàSheinberg,enclair:unsoutienautitreMCC».

Maisàl’automne1991,letitreplongeetladetteenfle.Maxwelln’amêmepasremboursédesprêtsàseptjoursconsentisenmars1991.Débutoctobre,GoldmanSachsdessaisitSheinbergdudossieretserrelavisencoupantlecréditpetitàpetit.Finoctobre,sansavertirsonclient,elleprocèdeàundélestagedestitresMCC,accélérantladégringoladeducours,etleharcèle.Le5novembre1991,pouréchapperàsescréanciers,GoldmanSachsen tête, lemagnatde lapressese jetteà lameralorsquesonyacht, leLadyGhislaine,croiseaulargedesCanaries.

Àcemoment-là,RobertMaxwellétaitencoreunpatrondepresserespecté.Unmoisplustard,ilestdevenuunhommehaï:aprèssamort,onapprendeneffetqu’ilavaitdilapidélesfondsdepensiondessalariésduMirrorGroup.Détournementsdefonds,manipulationsboursières:ladécouvertedelavraienature de l’escroc Maxwell est catastrophique pour la réputation de la banque qui avait offert àl’entrepreneurdéchutoutelapalettedesesservices.Commeàsonhabitude,lafirmeavaitréclamésondû à Bob le menteur, faute de quoi elle précipiterait la banqueroute de son empire. Le suicide estl’explicationlapluscrédibleet laplusréalistedesamort.Maxwellsavaitqu’ilétaitengagédansunebatailleperdued’avanceavecGoldmanSachsàqui ildevaiténormémentd’argentetqui insistaitpourobtenirunremboursementimmédiat.

GoldmanSachsInternationalafaitl’objetd’uneenquêtesurd’éventuellesmanipulationsdecoursenfaveurde l’industrieldéfunt.Sheinbergavaitvendudes titresMCCàdes sociétésoff-shorebaséesauLiechtensteinetenSuisse–enfaitdescoquillesvidescrééesparMaxwelluniquementpoursoutenirlescoursdesesactions.L’enquêten’aurafinalementpasdesuites.

Enavril1992,EugeneFife,P-DGdeGoldmanSachsInternational,medéclaraitàproposdel’affaireMaxwell : «Contrairement à cequ’affirmeunecertainepresse, nousn’avons jamais étéun conseillerstratégique deRobertMaxwell. Nos relations étaient purement commerciales… cette affaire n’affectequ’unepartieinfimedenosactivités,maisc’estpénible.»Voilàtout,eneffet.Pouréviterundéballagepublicetêtreaccusédecomplicitédefraude,Goldmanaccepteradepayer254millionsdedollars–unebellesomme–auliquidateurdessixfondsdepensionsdesretraitésdeMirrorGroupNewspapers.

Commeonlevoitaujourd’huiaveclesscandalesquinourrissentlescritiques,laredoutablemaisonprouvequ’elleaenréalitétoujoursaiméjoueraveclefeu.

1-Voirannexe1,p.279.

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17.Aucasino

Cegoûtdurisqueest,delonguedate,associéàunphénomènedésormaisbienconnudesmarchés.Ilporte le nom barbare de hedge funds, ce sont les fonds d’investissement qui animent la spéculationinternationale.

Embarquonsdansunpetit trainfantôme,unpeuàlamanièredescircuitsdesstudiosd’Hollywood,pourparcourircetunivers.L’excursiondébuteàSt. JamesSquare,aucœurdeLondres.Sesportillonss’ouvrent,auchoix,surPallMalletsesclubsdegentlemen,KingStreetetsesmarchandsd’art,JermynStreet, le temple des chemisiers,Regent Street et ses grandsmagasins chic.Lamarée de badauds quidéambulentàPiccadillyCircusignorentquec’estici,danscetteenclaveluxueuseetdiscrète,quebatlecœurdel’industrieeuropéennedelagestionalternativedupatrimoine.Lesgrossesfortunescommelescaisses de retraite préfèrent le style feutré des quartiers sélects du centre de Londres – Mayfair,Belgravia,Knightsbridge–oudeSt.JamesSquareauclinquantdesgratte-cieldelaCityoudeCanaryWharf.

Quesontleshedgefunds,cesfondsdésignéssystématiquementàlavindictepubliqueàchaquecrisefinancière ? Un hedge fund est une structure qui investit les capitaux de clients en leur offrant unevéritable alternative à la gestion traditionnelle des banques. Ces clients sont essentiellement desinvestisseurs institutionnels– fondsdepension, compagniesd’assurances, fondationsphilanthropiques,universités…–,maisaussidesparticuliersaisés.Parletruchementdestratégies,cessociétésenmajoritéprivées visent à obtenir une performance déconnectée de l’évolution globale desmarchés. Les hedgefundsrecherchentdesinvestisseursàlongtermeetimposentengénéraluneduréeminimaledeplacement.Ilsbrassentdesmilliards,maisreprésententàpeine2%delacapitalisationtotalemondiale.Ilsontdoncbeaujeuderappelerqu’ilsnepeuventenaucuncasêtreresponsablesdelacriseactuelle.

Retour à St. James Square. Le choc est assuré pour celui qui s’imagine retrouver l’atmosphèreélectriquedessallesdesmarchés.Lehedgefundtypeestunhavredepaixdanslequel les traderssontsagement assis devant des écrans affichant les cours boursiers. Aucune tension n’est perceptible. Lesopérateursseparlentnormalement,sansjamaishausserletonniutiliserunlangagecodé.Onapeineàlecroire:lafacecachéedelaluneabriteunmondedemurmures.

Pourattirerlesfondsdesparticulierscommedesinvestisseursinstitutionnels,onfaitappelauboucheàoreille,auxconférencesd’investisseursetauxintermédiairescommelesbanqueset lesavocats.FortKnox?Pasdutout:unesimplehôtessevousaccueilleàl’entrée.Lesoleilprintanier,débitéenlamellesparlesstoresmétalliquesquibarrentlesfenêtres,frappelesmursblancs.Niobjetssouvenirs,nimélodurétro:l’universchaotiquedelagestionalternativeestceluid’unecliniquesuisse.Mêmesipersonneneportedecravate,c’estcleanetneutrecommeunepageblanche.

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Terminus,toutlemondedescend.LesiègeArts-DécodeGoldmanSachs,àFleetStreet,pourraitêtreladernièrehaltedecetteexpéditionaucœurduroyaumedelaspéculation.Eneffet,pourbeaucoup,LABanque, qui a ses propres fonds, est devenue un vaste casino de l’argent vite gagné où le croupierdistribue les cartes tout en maniant les dés et en jouant contre les parieurs. Lors des auditionsparlementairesdeGoldmanSachs,le27avril2010,unsénateurs’estécrié:«Cen’étaitpasWallStreetmaisLasVegas!»,àquoiunédiledelacapitaledujeuarépliqué:«Aumoins,cheznousilyadesrègles!»L’unetl’autreonttoutfaux:lesjoueursdecasinoaimentlesjeuxdehasard,leshedgefunds,eux,détestentlachance.PourGoldman,parexemple,cetteactivitéestmêmetoutlecontraireduhasard.Fondées sur la lecture desmarchés, les stratégies d’investissement au profit de ses clients ou en nompropresontmûrementréfléchies.C’estsonsavoir-faire,savaleurajoutée.L’imageestforcée,mais,danscedomaine,labanqued’investissementestàlafoisl’œiletlaserred’unaigle.

D’uncôté,GoldmanSachsagit commeconseillerde sesclients spéculateurs,par le truchementdeson activité de courtage, appelée primary brokerage dans le jargon. De l’autre, la même firme lesconcurrenceeninvestissantdirectementdansdeshedgefunds.

Premier volet donc, le courtage. Moyennant commissions, la banque « prête » son infrastructureadministrativeauxhedgefundsquiensontdépourvusfautedetaille.Elleorganise,financeetexécutelestransactionsdecesinvestisseurstrèssophistiquésquicherchentàtirerpartidesanomaliesdesmarchés.Accessoirement,lecourtierpeutaussileurprêterdesactionsetdesobligations.Lesclientsontégalementaccès aux travaux de recherche et aux analystes de lamaison. Et le prime broker peut jouer un rôled’intermédiaireentresesclientsetdesinvestisseurs,privéscommeinstitutionnels.Desurcroît,leshedgefundspeuventdéposerleursavoirs–liquideetactions–danslescoffresdelabanque.«Goldmanesttoutsimplementincontournable.Sescadressontefficaces,intelligents,ayantréponseàtoutpoursatisfairenosbesoins» :c’estun leitmotivdusecteur,quelquesoit l’interlocuteur.C’estune tâchedeplombierzingueur, de tuyauteries, de robinets, pas très glorieuse mais très rémunératrice. Les hedge fundsfourniraientjusqu’àlamoitiédesrevenusdesopérationsdetradingetdesprofitsdesbanquesd’affairesdelaCitycommedeWallStreet.

Jolimétier,surtoutquandleditplombierzingueursetransformeenartisteplombier.C’estledeuxièmevolet:unformidableréseaudefondsspéculatifsdanslesquelsGoldmanestpartieprenante,laplupartdutempsentantqu’actionnaireminoritaire.Cetteactivitéestattachéeàlagestiondepatrimoine,totalementséparée,donc,ducourtagequidépend,lui,deladivisionactions.

Grâceàsaformidableexpertise,labanqueoffreauxfonds–lessienscommeceuxdetiers–toutelagamme des stratégies, depuis l’approche dite « systématique » – le prêt-à-porter –, qui laisse auxordinateurslatâchedesélectionnerlesplacements,jusqu’auxformulessurmesure.

ChezGS,onadorecetteactivitédehedgefund,intellectuellementtonifianteetquirapportegros.Laspéculation est dans l’ADN des gens du siège.Même pour ses activités philanthropiques : aides auxhôpitaux, universités, jeunes en difficultés, enfants séropositifs en Afrique… Pour accroître lesrendementsdesplacementsdesaFondationGoldmanSachs,ellearecoursengrandepartieàsesfondsspéculatifs!

Son savoir-faire, dans ce secteur, est édifiant.La preuve : nombreux sont les fondateurs de hedgefunds qui en viennent. C’est une véritable confrérie des deux côtés de l’Atlantique. Après avoir faitfortune, ils ont quitté la compagnie pour semettre à leur propre compte dans unmétier où l’absenced’entravesbureaucratiquesoudecomptesàrendrechaquetrimestreauxactionnairesdébridelacréativitéfinancière.Lesuccèsappellelesuccès.Cettecartedevisiteaideàleverdescapitaux.Lesinvestisseurspotentielssaventqu’ilsontaffaireauxmeilleursdelaplacequisaventgérerlesrisquestoutenassurantlerendement.

DavidTepperincarnecorpsetâmecette«GoldmanConnection».Unvisageavenantunpeugras,unregardfroiddepassionnédemathématiques,uncrânechauve,unebouchecharnueprompteàlaraillerie,

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leP-DGduhedgefundaméricainAppaloosaestlenumérounauhit-paradedesgagnantsdelacrise.«Jen’aijamaisperduensuivantmoninstinct»:toutcequetouchelenouveauCrésussetransformeenor,àcommencerparlastatueenbronzereprésentantdestesticulestrônantsursonbureau.C’estletalismandunatifdePittsburgh,quicaresse longuementcetéternelsymbolede lavirilitéavantd’investir.Tepperafait ses premières armes chez Goldman Sachs dans le négoce impitoyable des « junk bonds », lesobligationspourries.CetteécolesanspareillequiformelejugementsurlasoliditéetlasolvabilitédesentreprisescommedesÉtatsainsiquelacompréhensiondesrapportsdeforceestlameilleurequisoit.Grâceàcesparentspauvresdesinstrumentsfinanciersdontils’étaitfaitunespécialité,Tepperagagnébeaucoupd’argentpourlabanquecommepourlui-même,avantdesemettreàsoncompte.

Un autre exemple estEricMindich, as de la finance, au flair inégalé sur les sociétés susceptiblesd’être la cible d’OPA. Il lance son propre hedge fund en 2004 sans stratégie d’investissement biendéfinie.Pourdevenirclient,ilfautluiconfier5millionsdedollarsminimumpendantaumoinscinqans.Enquelquesmois,l’ancientraderlève3milliardsdedollarsetrefusedumonde.Commentexpliquercetengouement?Lacartedevisite,encore:en1994,l’intéresséétaitdevenu,à27ans,leplusjeuneassociédel’histoiredeGoldmanSachs.Quelmeilleurgagepourlasuitequecetteréussiteprécoce?

LeproblèmeestqueGoldmanSachslecourtiers’opposeàGoldmanSachslehedgefund.D’uncôté,ilagitcommecourtierpoursesclientsdeshedgefunds…Del’autre,enayantsespropreshedgefunds,ilconcurrencedemanièreimpitoyablecesmêmesclientsdanslarecherched’investisseurstrèssollicités.La firme répliqueque sesopérationsde courtage et cellesde sespropreshedge funds sont totalementséparées,qu’enaucuncaslesinformationsdétenuesd’uncôtédecemurinvisiblenedoiventêtreportéesàlaconnaissancedesprofessionnelssituésdel’autre.Transgressercetteséparationseraitunsuicideentermesderéputation.Unetelleviolationdefrontièrefiniraitinévitablementparsesavoir.Lalégislationencourage désormais la dénonciation des manquements aux règles de bonne conduite financière. Parailleurs,sidanslesecteurdeshedgefunds,leprincipedelibreconcurrenceétaitviolé,lesautoritésderégulationn’hésiteraientpasàpunirlesfautifs.Or,lesenquêtesdeBruxellescommedeWashingtonpourabusdepositiondominantepeuvententraînerdessanctionstrèspréjudiciablesàl’imaged’uneentreprise.Microsoftensaitquelquechose.Maisoùsontcesterriblesenquêtesquisontcenséesfairetremblerlesbanquiers?

Jusqu’au début des années 90, Goldman Sachs s’était voulue vertueuse. On parlait demorale, onprétendait garder lesmains propres en toutes circonstances. La banque semontrait fière de préserveravant tout les intérêts de ses clients. Les investissements dans les hedge funds étaient par exempleprohibés.Contreventsetmarées,endépitdespressionsdejeunesassociésimpatients,JohnWeinberg–quiavaitdirigél’établissemententre1976et1990–étaitparvenuàlimiterlesactivitésdelabanqueàsesdeuxmétiershistoriques,leconseilauxentreprisesetl’arbitragedesactions.Lorsquelevieilhommepart à la retraite, ses successeurs foncent dans la brèche du trading. La tentation est trop grande. Lafinance américaine vit à l’heure de la dérégulation en tous sens. On vend, on achète, on échange lesinstrumentssanscontrainteoupresque.L’argentn’ajamaistournéaussivite.Pasquestiond’ignorercesbouleversements, d’autant que la banque dispose de l’outil nécessaire pour se lancer dans les hedgefunds, à savoir les salles desmarchés, la capacité de distribution, le savoir-fairemathématique et latechnologiequ’onpeutainsirentabiliser.Alors,l’établissementsediversifieloindesabasededépart,serépandanttousazimutsdanslasphèrespéculative.

AinsilesecteurdelagestionalternativeauRoyaume-Uni(hedgefundsetcapital-investissement)vit-il une révolution en 2006. Goldman Sachs lance alors son premier hedge fund, Art (Absolute ReturnTracker).Sapuissancefinancièrepermetdediminuerlescommissionspayéesparleclientdecefondsspéculatifbasésurunmodèlemathématiquepermettantdepondérerlesindicesdesgrandsmarchés.Deplus,Artcombineunemeilleureliquidité,lapossibilitéderetirersesbillesquotidiennementetnonplus

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chaquesemestre.Goldmann’hésitepasàempiétersurledomaineréservédesesclients.C’estlepremieractedetrahison.Ilyenaurad’autres.

Le cas de John Paulson est exemplaire des conflits d’intérêts. Comme en témoigne le scandaleAbacus,lefondateurduhedgefundnew-yorkaisPaulson&Co.estl’undesplusgrosclientsdeGoldmanSachs. Dans les mois qui précèdent la crise de 2008, le spéculateur a fait fortune grâce aux ventesmassives à découvert contre les banques. Ces opérations consistent à vendre à terme et à un prixdéterminéuntitreouunemarchandisequ’onnepossèdepasdansl’espoirdepouvoirlesacheteràunprixinférieur avant d’avoir à les livrer au prix fixé. Paulson a simplement anticipé la chute du marchéimmobilierrésidentielauxÉtats-Unis.Cecoupdepokergagnantaétécomparéàl’attaquedupatriciendesfondsspéculatifs,GeorgeSoros,sonmodèle,contrelalivresterlinglorsduMercredinoirde1992.

CiblesdePaulson,lesbanquesbritanniquesontobtenudeleurrégulateur,le18septembre2008,laFinancialServicesAuthority, l’interdiction, jusqu’au16janvier2009,decettepratiquedéstabilisatricede vente à découvert, mesure touchant les titres des 32 sociétés financières cotées à Londres. ÀWashington,GoldmanSachsad’abordtentédes’opposeràunemesuresimilaire:legigantesquehedgefundqu’estdevenuelabanqued’affaires tireà l’époquegrandprofitdecettespéculationeffrénée,soitcomme acteur, soit comme intermédiaire. Ce n’est que lorsque son propre cours en Bourse se met àdégringoler que Goldman réclame le bannissement des ventes à découvert ! C’est chose faite le19 septembre 2008 par la Securities and Exchange Commission. Cette décision, qui concerne 799établissementsfinanciers,aétéabrogéedèsle8octobresuivant,quandlepireducyclonefinancierestpassé.Goldman,dontlecourss’estentre-tempsredressé,n’aplusbesoindecetteprotectionfédérale.

Lemélange des genres ne se limite pas aux hedge fundsmais concerne l’ensemble de la gestionalternative.C’estégalementlecasdanslecapital-investissement,uneactivitédanslaquellelamaisonabeaucoupprogressécesdernièresannéessouslabannièredeGoldmanSachsPrivateEquity,unedivisionàpart.Cesecteurcollecte l’argentauprèsdes investisseurs institutionnelspourprendrepartaucapitaldes entreprises afinde les revendre avecuneplus-valuequelques annéesplus tard.Avec le temps, legroupeaconstituéunportefeuillediversifiédemarques–prestigieusesouinconnues–enbonnesanté,mais sous-évaluées. Elle agit comme actionnaire minoritaire aux côtés d’investisseurs extérieurs. Leconflitd’intérêtsestpatent.D’uncôté,moyennantdeplantureusescommissions,lesanalystesaidentlesstructuresdecapital-investissementàrepérerlescibleslesplusintéressantes.Mais,d’unautrecôté,labanqueestimpliquéedanscettemêmeactivité,enconcurrencedirecteavecsesclients.

En2006parexemple,GoldmanSachsselieàCarlyle,leplusgrandfondsd’investissementmondial,et à sa filialeRiverstone, pour retirer de laBourse – et faire revenir à la sphère privée – une firmeénergétique américaine, Kinder Morgan. Les autres compagnies de capital-investissement pourtantclientes deGoldman Sachs sont écartées de l’opération sansménagement. Dans l’esprit deGoldman,cettetransactiondoit,aupassage,luipermettredeserapprocherdugéantCarlyle,bienimplantédanslesmétauxetqui,luiaussi,cultivelesaccointancesavecleshommespolitiqueslesplusinfluents.ÀbiendeségardsprochedelaBanque,Carlyle,puissancedelapolitique,dupétroleetdel’armement,combineàlafoissystèmed’influenceetmachinedespéculationfinancièreavecungoûtconsommédusecret.SevoirsilaidedanslemiroirCarlylenesembleguèretracasserGoldmanSachs,aucontraire!

Endépitdecestrahisons,laplupartdesexclusdecettetransactionontgardéGoldmanSachsentantquecourtier.«Malgré sonarroganceet cesmultiplesconflitsd’intérêts, j’utilise toujours ses servicesnonpasdemonpropregrémaisparceque jen’aipas lechoixsi jeveux lesmeilleurs», souligneunprotagonistedecetteaventurequi,pourtant,digèremall’ostracismedontilafaitl’objetdansledossierKinderMorgan.

L’OPAratéesurlachaînebritanniquedepubsMitchells&Butlersoffreundeuxièmeexempledecesconflits d’intérêts. En 2006,Goldman Sachs pilote l’offre d’un consortium, dans lequel la banque estactionnaire,menéparlepromoteurimmobilierbritanniqueRobertTchenguiz.RogerCarr,leprésidentde

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la cible, s’étrangle devant cette action « hostile et inappropriée ». Cette colère est compréhensible.Goldman est également… le courtier du gazier Centrica dont Carr est président, et du chocolatierCadbury dont il est administrateur.Menacée de perdre cesmandats, Goldman jette l’éponge, laissantTchenguizaumilieudugué.

Aujourd’hui, grâce à sa formidable force de frappe, en particulier aux États-Unis, le départementcapital-investissementdeGoldmanSachsestaussibienarméquesesconcurrentspourraflerlesbonnesaffairesencapturantdesactifsbradéspardesinvestisseurscroulantsouslesdettes.Outrel’effetdirectqu’elleasurlesbénéficesd’unmétiertrèsrémunérateur,cetteactivitépermetderenforcerlebilan,departiciperauMonopolydesfusions-acquisitionsoudecollecterdesrenseignementssurdesmilliersdecompagniesdeparlemondepouralimentereninformationslesplusdiversessesautresactivités.

S’ilscollectentdel’argentauprèsdesmêmesinvestisseurs,lesentreprisesdecapital-investissementet leshedge fundsont longtemps travaillé trèsdifféremment.Sous lapressionde l’empire, la frontièreentrelesdeuxmétiersdevientdeplusenplusténue.Lespremiersrevendentdésormaisleurssociétésdeplus en plus vite tandis que les seconds tentent parfois de prendre position au capital d’entreprisescotées.EtGoldmanSachs,undeces«trousnoirs»del’économiemondiale,gagnesurtouslestableaux.Lacompagniesedéplaceaveclamobilitéd’unhors-bordquilaisseunsillonmaisjamaisd’écume.

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18.Unmondedebrut

Debienmauvaissouvenirs…Lorsque,le11juillet2008,justeavantquelacrisefinancièreéclate,lebarildebrentdelamerduNordatteint147dollars,ArjunMurti,expertpétrolierchevronnédeGoldmanSachs,expliquequelecourss’emballecommelecadrandespompesenraisondelademandecroissantedepétroled’Asie.Cettepousséemenacedeprovoquerunepénurie.Enréalité,lemarchésubitalorslapuissance des énormes volumes de liquidités déversés par des fonds spéculatifs sur les matièrespremières.Àcommencerpar l’undesacteurs lesplusactifsdumarchéquecet expert connaîtbien, etpourcause.

Laparoled’ArjunMurtiestd’or (noir), si l’onpeutdire. Il suffitque l’analystevedettehausseunsourcil,esquisseunemoueouanticipeunévénementgéopolitiquepourqueleprixdubarils’enflamme.Àpeine l’intéresséa-t-ilprévu le7mars2008,une fantastiquehausseduprixdubaril à200dollars, etvoilàquelecoursestprisdeladansedeSaint-Guy!Lesangoissesdesprofessionnelsdel’énergiesesoignentaveccetéconomisteàquil’ondéroulepartoutletapisrouge.Letsunamideseptembre2008etleressacéconomiquequis’ensuitmettenttoutefoisàmallesprévisionsapocalyptiquesdel’oracle:lebrentchuteà33dollarsendécembre2008pourremonterà70-80dollarsaucoursdel’année2009.

Lespécialisteanticiperégulièrementdesalertesdemanquedeproductionàl’échellemondiale.Lesprixàlapompesonttropélevés?Lafauteenincombe,selonlui,àl’automobilisteaméricain,tropgrosconsommateur. Pour appuyer son propos, Arjun Murti possède non pas une mais deux voituresélectriques.Quelsymbole!

JeffreyCurrie ne partage pas cette coquetterie.Après avoir disséqué et scruté les entrailles de laterretoutesavie,l’autregouroupétrolierderenomdel’établissementestarrivéàlaconclusioninversequele«picdupétrole»,lemaximumdelaproductionmondialed’ornoir,n’estpaspourdemain.«Ilexiste des réserves inexplorées, certes limitées, mais indisponibles en raison de barrières fiscales,nationalistes ou de protection de l’environnement. La quantité de pétrole produit continue d’êtreremplacée.»

Cette confrontation à fleurets mouchetés entre deux des experts les plus réputés de la matièrepremièrelapluséchangéeaumondeillustrel’énormebusinessdematièregrise–àbutlucratif–qu’estGoldman Sachs. Les travaux ne sont pas accessibles au public, comme marqués du sceau « secretDéfense».Lesanalyses,dontlesrecommandationsmettentenjeudesmilliardsdedollars,sontréservéesauxclients:multinationalesdupétrole,gestionnairesdepatrimoine,caissesderetraiteouhedgefunds.Laqualitédesrecherchesn’arienàenvieràunegrandeuniversité.Outrelesanalystes, l’informatique,lesbanquesdedonnéesetlestélécommunicationssontégalementlaclédevoûtedecetteénormeusineàidées.

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Parallèlement à cette activité de recherche, un autre département fait du conseil aux entreprisesénergétiques :augmentationdecapital, fusions-acquisitions, introductionenBourse,privatisations.Sonsavoir-faire dans cette activité est reconnu. Quand le géant franco-américain de services pétroliersSchlumbergerjettesondévolusursonconcurrentSmithInternational,c’estversGoldmanqu’ilsetournepourmeneràbiencerachatconcluenfévrier2010.Labanqueaideainsilenumérounmondialdusecteurà conforter sa position de leader, avec un chiffre d’affaires deux fois supérieur à celui de son rivalhistorique,Halliburton.

Enfin, la banque d’affaires agit comme investisseur direct, soit seule, soit en association, dans ledomainedeshydrocarbures.Uneactiviténonnégligeable.LeGoldmanSachsCommoditiesIndex,quisuitlesprixdevingt-quatreprincipalesmatièrespremièresmaisdanslequellepétroleestsurpondéré,resteune référence. Elle possède ici et là des parts minoritaires dans des juniors pétrolières et dans desraffineries.

L’éthique?Àcestade,rienàdire.GoldmanSachsagitcommesimpleintermédiairepourlecomptedesesclientsenleuroffrantrecherche,conseilsenvuedegrossiretprospéreroulesaideàinvestir.Cesactivitésrespectenttouteslesrèglesdebonnegouvernance.

Làoùleschosessecompliquent,c’estque,parallèlement,lamaisonestl’établissementfinancierlepluspuissant aumondedans le tradingénergétique.Quece soitpour le compted’unclientoupour lecomptedesonemployeur,l’opérateurachèteetvenddupétrolecommeilleferaitd’actions,dedevises,d’obligations.Cemétier réclame du flair, des nerfs solides et un tempérament d’acier.La gestion despositions,quidoiventêtreconservéesouvenduesrapidement,esttrèsdynamique.Lamaîtrisedurisqueestessentielle.Lesmontantsenjeusonteneffeténormes.

Letraderenornoircommencedoncsajournéeàl’aubeenvérifiantsespositionsdelaveilleàlaclôturesursesmultiplesécrans,jetteuncoupd’œilrapideauxprixdumarchéélectroniquedeSingapouretfeuilletteleFinancialTimes,leWallStreetJournaletlessitesspécialisésPlatt’setEnergyCompass.Ilpassetoutesajournéeetparfoissasoiréeautéléphone.Acheteretvendredesbarilsdebrent,c’esttoutunart.Leprofessionneldoitavoirlabossedesmaths,celavadesoi.Ildoitaussisavoirjongleravecdesproduitsfinancierspluscomplexescommelesoptionsetautreinstrumentsdeprotection.Contrairementàl’idéereçue,sonactiviténeselimitepasàspéculersurlesprixfuturs.L’opérateurdoitaussiprendredespositions«spread»entrelesdifférentesqualitésdebrut,entreleprixdupétroleetdesautresproduitsd’hydrocarbures.Ilpeutpariersurlefioulaérien(pourlesavions),toutenseprotégeantavecdudieselet ainsi de suite. Acheté, vendu, adjugé, vive la différence… C’est la règle du jeu et les traders laconnaissent.

GoldmanSachss’estlancéedanscetteactivitédunégoceénergétiquevial’acquisitionducourtierenmatières premières J. Aron en 1981. À la suite de gros investissements en hommes, le tradingd’hydrocarburessedéveloppepourconcurrencerdirectementlessociétésdenégoceindépendantesdontlapluscélèbreappartientàl’entrepreneuraméricainMarcRich.Lesannées80-90sontl’âged’ordelaspéculation pétrolière, marquées par des cours en dents de scie, une grande volatilité, comme lesaffectionnentlesopérateursentousgenres.

Àécoutersesdétracteurs,cenégocesymboliselesconflitsd’intérêtdeGoldmanSachs,àlafoisjugeet partie. Elle utilise ses propres ressources pour spéculer sur le cours des hydrocarbures. Or cetteactivitépeutalleràl’encontredel’intérêtdesesclients.

Toujoursselonsescritiques,l’établissementestl’undesprincipauxresponsablesdela«bulle»dupétrole-placementde2008.Savisiondumarchéest,disent-ils,omniscienteetamorale.Enaffirmantquelepétrolefranchiralabarredes200dollars,ellecréeunesurchauffedescoursquiluipermetdeliquiderdespositionsenencaissantladifférence.Bref,lescommentairesvonttoujoursdanslemêmesensquelastratégiedetrading.«Silesspéculateursavaientprisdespositionsàlabaissecommeàlahausse,vousauriezvulesprixmonteretdescendre»,ditMichaelMasters,gérantdehedgefundsetpourfendeurdes

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banques d’affaires impliquées dans le négoce pétrolier. « Mais ils poussent les prix dans une seuledirection, vers le sommet. » En d’autres termes, le bonheur de Goldman Sachs, accessoirement desroughnecks – les « nuques » de cuir des compagnies pétrolières – et des membres de l’OPEP –l’Organisation des pays exportateurs de pétrole –, fait lemalheur des autres, les automobilistes et lesindustriels.

Certes, il n’est pas question d’utiliser les informations obtenues de ses clients pour nourrir sesactivités spéculatives à compte propre. Ce serait une faute disciplinaire aux yeux des régulateurs.S’estimant lésés, des clients seraient en droit de lui réclamer de gros dommages et intérêts. Despoursuitesaupénalneseraientpasàexcluresicettetransgressions’apparentaitàundélitd’initiés.C’estpourquoi une armée de déontologues passent au peigne fin vingt-quatre heures sur vingt-quatre lesopérationsde trading sur lesmatières premières, unmarchéqui, compte tenudes fuseauxhoraires, nefermejamais.Ilss’assurentquelestradersneparlentpasauxanalystesetviceversa.Maisqu’enest-ildeleurs patrons qui sont membres du comité de management, où se prennent les grandes décisionsstratégiques ? L’ordre du jour de ce cénacle est obligatoirement administratif – bâtiment, personnel,filiales – et stratégique, à savoir la distribution d’actifs ou les grandes affaires en cours ou à venir.L’évaluationdansledétaildespositionsdemarchén’estpasofficiellementaumenu.Deplus,lecentred’intérêt des analystes et des traders est différent. L’économiste a une vision macroéconomique dumarché, basé sur les fondamentaux de l’offre et la demande. Les traders quant à eux s’intéressentégalementà lamicroéconomie : inventaires, stocks, capacitésdeproduction, transport,demanded’unecatégoriedeproduit,etc.

Leproblèmeestque les accusationsdesunscomme lesdénégationsdes autres sont impossibles àprouversansl’examendesbordereauxdetransactions,unetâchematériellementimpossible.Ilfautdoncrenvoyerlesdeuxcampsdosàdos.

Quelques chiffres s’imposent pour mesurer l’ampleur du négoce pétrolier. Ces transactionsreprésenteraient plusd’un tiersdesordrespassés sur leNymex (NewYorkMercantileExchange)desmatières premières à terme, contre 15% en 2002. Les volumes en question défient l’imagination.Aucoursdecertainesséancesdel’été2008,ils’estéchangésurlesmarchésplusde150millionsdebarils,c’est-à-dire le double de la demandemondiale quotidienne de pétrole de l’époque. En chute lors dudeuxièmesemestrede2008enraisondelarécession,laspéculationsurl’ornoir,anticipantlareprise,aredémarrédeplusbelleen2009.Rienn’illustremieuxlarentabilitédutradingquelescolossalesprimesdefind’annéequetouchentlestradersspécialisésdanslenégoced’hydrocarburesàterme.Cesontlesroisdesbonus!

Les traders de Goldman Sachs opèrent donc sur les deux principaux marchés pétroliers. Sur lemarché physique, le spot, s’échangent le brut et les produits pétroliers. Les transactions, elles,correspondentàdesopérationscommerciales(impliquantcompagniespétrolières,transporteursaériens,sociétés d’électricité, de gaz, gros consommateurs industriels…), c’est-à-dire à des achats ou à desventes de pétrole couvrant les besoins. L’exemple type d’acteur de ces marchés est la compagniepétrolièretellequeExxon,TotalouBP.Elles’adonneaunégocephysiqueparsoucidebonnegestiondeses ressources ou pour les besoins de ses clients, en brut comme en essence, gazole, fioul ou naphte.Plutôtquedefaireraffinerlatotalitédesaproduction,lacompagniepeutseprocurerlepétrolebrutsurlemarchéinternationalpourdesraisonsdequalitéoudeproximitégéographique.Elledoitneutraliserlesfluctuations de prix entre l’ordre d’achat ou de vente et la livraison.GoldmanSachs fait demême enachetantde laproductionphysiqueà sonpropreusageenvuede la faire fructifier.Ceshydrocarburessontstockésenattendantdesjoursmeilleurs.

Surlemarchéfinancier,celuidu«baril-papier»,lesopérateursdeGoldmanSachsmanipulentdesproductionsoudescargaisonsvirtuelles. Il s’agitaussidecontratsà termestandardisésquipermettentauxintervenantsdes’entendreaujourd’huisurunprixdelivraisonàplusoumoinslongterme.Labanque

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concentresonactivitédanslesdeuxplusgrandesplacesfinancièresaumonde,NewYorketLondres,oùsont installéesdesBoursesspécialisées.AuxÉtats-Unis,premierconsommateurd’hydrocarburesde laplanète,leNymexestlemarchéderéférence.Premièreplacebancaireeuropéenne,centredenégocesurle Proche-Orient et QG du transport maritime international, la City possède, avec l’InternationalPetroleumExchange,l’autregrandeBourseàtermedel’énergie.EnAsie,Singapourrègnedésormaisenmaître,éclipsantHongKongetTokyo.

Fortdesontrésordeguerre,GoldmanSachspeutprendredespositionshyperspéculativessur touslessecteursdumarchédanslaseuleperspectived’ungainrapidemaisenprenantdesrisques.C’estleB.A.BAdumétierdetrader.

La spéculation tant décriée est-elle oui ou non responsable de la volatilité des cours ?De l’avisgénéral, les paris augmentent l’instabilité naturelle des cours de l’or noir en créant un énorme climatd’incertitude pour tous les secteurs de l’industrie pétrolière, brouillant l’horizon des entreprises, desÉtatsproducteurs,duconsommateur.Si, individuellement, lesopérationsdes institutions financières seperdentdanslamassedespétrodollars,ensemble,ellespèsentlourds.Attaquantenmeute,lestradersontsouvent la même façon de raisonner, la même expérience, les mêmes réflexes. C’est pourquoi lescritiques appellent de leurs vœux une réglementation du marché du baril-papier. À l’heure de laglobalisation desmouvements de capitaux dans l’espace et dans le temps et au vu de la puissance deGoldmanSachs,unepareilletentativederégulations’esttoutefoisrévéléeillusoire.

En décembre 2009, après bien des tergiversations, la Commodities Futures Trading Commission(CFTC),laCommissionaméricainesurlesmarchésàtermedesmatièrespremières,aannoncélamiseenplace de plafonds sur le nombre de contrats d’option portant sur les produits énergétiques – pétrole,essence,fiouldomestiqueetgaznaturel.Auxyeuxdel’administrationdémocrate,lesystèmeenvigueurd’autoréglementation par les Bourses de matières premières a montré ses limites. Invoquant « laprotectiondupublicaméricain»,denouvellesrestrictionsontétémisesenplace.Ellessontcependantpeucontraignantes.

LaCFTCajustifiécetarsenalminimalisteparlemanquedesoutieninternational,enparticulierduRoyaume-Uni et duFondsmonétaire international, en faveur d’une approche plusmusclée.Ce dernieravaitd’ailleursexonérélesspéculateursdetouteresponsabilitédansl’envoléedesprixdel’été2008.Enoutre, leTrésoraméricainredoutaitunexodedesopérateurspétrolierssousdescieuxplusclémentsetmoinsréglementéscommelaSuisse,DubaïouSingapour.Quantauprincipalcroisédelarégulation,lefinancieraméricainMichaelMasters–coauteurd’unrapportauvitriolsurlerôledelaspéculationdansla hausse des prix de l’essence –, il a dû en rabattre. La presse a découvert que son fondsd’investissement était essentiellement composé de valeurs de compagnies aériennes, constructeursautomobilesettransportroutierdontl’essorestliéàunprixbasdupétrole.

Silesbanquierss’accordentàreconnaîtreàGaryGensler,lepatrondelaCFTC,autorité,sérieuxetcompétence, beaucoup l’accusent de complaisance enversGoldmanSachs.Dans les faits, il a acceptésanscillerlesargumentsdelafirme:lesspéculateursapportentdelaliquiditéetdoncdelatransparenceàunmarchéplanétaire.Les rigidités du secteur des hydrocarbures (investissements insuffisants,main-d’œuvrevieillissanteetmonopolesd’exploration-productionétatiques)seraientbienpluspréjudiciablesqueleursactivités.

LesdétracteursdeGenslerpointentdudoigtsonappartenanceaugouvernementGoldman.LepatrondelaCFTCyaeneffettravaillédix-huitans,notammentcommetraderélevéaurangd’associé.C’estunprotégédeRobertRubinquil’aappeléàsescôtésauministèredesFinances,entre1994et2000.Uneréputationdecroisédeladéréglementationlepoursuit.Ainsi,auxcôtésdeRubin,Genslera-t-ilétrilléavec fougue un projet de régulation des produits dérivés de crédit générateurs de dangereuses bullesspéculatives.Ilafavorisélalibéralisationdutradingélectroniquedel’énergie,responsable,entreautres,delachute,en2001,d’Enron,leplusgroscourtierdusecteur.Présentantlesswapsdecréditcomme«un

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symbolepuissantdu typed’innovationetde technologiequia transformé la financeaméricaineenunesuperpuissance », il les a exemptés de tout contrôle ce qui a conduit à l’effondrement, en 2008, deplusieursmastodontesdelafinance.Pasétonnant,danscesconditions,quesonplandelimitationdelaspéculation pétrolière soit un robinet d’eau tiède. L’impétrant se considère comme un arbitre, pas unréformateur.SonprédécesseurrépublicainàlaCFTC,ReubenJeffery–encoreunanciendeGoldman!–fut le bras droit dePaulBremer, le premier envoyé spécial deGeorgeW.Bush en Irak– une épongeimbibéed’ornoir–chargédelareconstructionmanquée,entre2003et2004.

Mais, pour les matières premières, l’événement majeur ces dernières années est le marché deséchangesdequotasdegazcarbonique,l’undesoutilsmisenplacedanslecadreduProtocoledeKyotovisantàendiguerlesémissionsdeCO2,l’undesprincipauxgazàeffetdeserre.Sonprincipe?Chaqueentreprise se voit attribuer un quota d’émissions. Si elle le dépasse, il lui faut acheter des créditsd’émissionauprèsd’uneautreentreprisequi,elle,ayantémismoinsquesonquota,disposed’unexcédentàvendresurlemarché.Celui-cisedéclinesousplusieursformes:spot(aujourlejour),àtermeoupartransactionsdegréàgré.Lamajoritédessociétéspassentpardes intermédiaires,banquesetcourtiersspécialisés. C’est un marché normal de matières premières qui existe déjà à l’état embryonnaire enEuropeetquidoitvoirlejourauxÉtats-Unissousl’appellationcapandtrade.

L’enjeuesténorme.Selonl’administrationObama,rienqu’outre-Atlantique,646milliardsdedollarsdecréditsdecarboneserontmisauxenchèresdanslesseptprochainesannées,unchiffrequipourraitêtredeuxoutroisfoisplusélevé.LevolumeenvaleurdecettenouvelleBourseducarbonepourraitdépassermillemilliardsdedollarsparan.

Biensûr,GoldmanSachsnepouvaitpaslaisserpasseruntelpactolepotentiel!Ellejoueetmobiliseses meilleurs experts pour inventer de nouveaux produits. Pour l’épargnant, le marché des carbonescumuletouslesavantages: liquidité,sécurité,rendementetéthique.Lesinvestisseursinstitutionnelsenredemandent.

En2005,HenryPaulson,quiseveutmilitantdel’environnement,déclareque«l’actionvolontairenepeutrésoudreseuleleproblèmeduchangementclimatique»etenappelleàdesinvestissementspublicsenrechercheetdéveloppement.Horreur!Depuis, labanquedéfendbecetongleslecapand trade.Etpourcause,laformidablemachineàspéculers’estplacéetrèstôtsurleterrainducombatcontrel’effetdeserre.Goldmanainvestimassivementdansl’éolien,lebio-dieseletl’énergiesolaire.Lafirmeaprisune participation minoritaire dans la Bourse d’échange de Chicago où sont aujourd’hui négociés lescréditsdecarbone,ainsiquedansuneentreprisespécialiséedans leurvente.Etonnecompteplus lesfondsd’investissementlancéspardesanciensdeGoldmanquiplacentleursavoirsdanslestechnologiespropres.

Pour les espritsmal tournés, adeptes des théories du complot, il y a quelque chose de pernicieuxderrièrecettesuccessstory.Aulieud’imposersimplementunetaxegouvernementalefixesurlapollutionpar le carbone et obliger les pollueurs à payer, le capand trade revient à transformer unmarché dematièrespremièresenunsystèmedecollecteprivéedel’impôt.

Ironiedusortoufoliedeshommes?Aprèsuntravailacharnépourrendreàlalumièreleprécieuxornoir,voilàquelesbarilssontdevenusdesproduitsfinanciersetrenvoyésauroyaumedesombres.Lescréditscarbonelesyrejoignent.Des«placements»,dit-on.LaFontaineauraitpuenfaireunefable.

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19.Troishommesetuntrône

Désormais, elles ne sont plus que trois :GoldmanSachs, JPMorgan etBarclays. Troismachinescolossales, sorties renforcées de la crise, qui dominent la finance mondiale. Malgré le marasmeéconomique,ellesaffichentaujourd’huiunesantéinsolente.Présentsdanstouslesmétiers,cesgroupesrègnent. Les seigneurs qui les dirigent, Lloyd Blankfein, Jamie Dimon et Bob Diamond, passionnentdésormaislapresse.

Remplidecertitudes,cetriumviratentretientuneconcurrencefarouchequ’alimentetoutnaturellementla mondialisation. La course à la première place sur le podium est lancée, une foire d’empoigne àcouteauxtirés,oùtouslescoupssontpermis,danstouslespays,danstouslesmétiers.Uneluttequitientdel’hypnose:fixerl’ennemijuréjusqu’àcequesesyeuxclignent:«Theotherguyblinked»,l’autreabaisséleregard,commedisaitlehérosdewestern.

Lloyd,JamieetBobsontd’abordaméricains.Pourlereste,lestroismembresduclubleplusexclusifdeWallStreetetdelaCitynepourraientêtreplusdifférents.Augrédeschapitres,leparcoursdeLloydBlankfein, le«p’titgarsdeBrooklyn»,estmaintenantbien fléché.Tournons-nousdoncvers sesdeuxvaleureuxchallengers.

Voulant diminuer les mérites de Jamie Dimon, le patron de JP Morgan, un concurrent jaloux l’aqualifiéun jourd’«hommedepetitedimension».WallStreetétaitpliéderire : l’hommeestgrandetélancé.Deface,cefilsetpetit-filsdebanquieroffreunvisageaffable,unpeulas.Silesourcilgaucheselèvesouvent,toutestdansl’œilvif,pétillant,amuséouglacial.Deprofil,lefinancierressembleàl’undecesgentilshommesduXVIesièclepeintsparHolbeinetpendusauxcimaisesduchâteaudeWindsor.

Il est pourtant issu de la haute bourgeoisie grecque de Smyrne, l’actuelle Izmir, enTurquie, qui alongtempsdominélavillemarchandedesesrichessesetdesacultureraffinée.Paradoxalement,l’hommen’apashérité,decetteascendanceorientale,demanièrespolicées.Aucontraire.

NéàLongIslandle13mars1956,cefortenthèmechercheàfrapperplusqu’àséduire.Ilcomptesurson punch pour s’imposer. Jamie Dimon a bénéficié d’une éducation parfaite. Venu à la finance paratavisme,ilposesacandidaturechezGoldmanSachs,quileprendcommestagiaire.MaisDimonpréfèretravaillerauxcôtésdeSandyWeill, amide la familleet légendede la financeaméricainequiprésideShearson Lehman Brothers. Quand Weill est remercié, Dimon le suit dans sa traversée du désert.Ensemble, ils rebondissent à la tête de la Commercial Credit Corporation – devenu Primerica puisTravelers.Maisen1998,après la fusionavecCitigroupdont ilestundesarchitectes,Dimon,victimed’une révolution de palais, est brutalement limogé par Weill, jaloux de l’ascendant qu’il prend. Enmars2000,enquêtederevanche,lefinancierauchômageaccepted’enrabattreenprenantladirectiondeBank One, une banque de détail régionale en pleine déconfiture basée à Chicago. Sur le papier rien

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d’exaltant. Ce sabreur de coûts, fin et acéré comme une lame, redresse le canard boiteux. Enjanvier2004,le«sauveur»vendl’établissementàJPMorgandontilprendladirectiongénérale…unanplustard.

Ce manager à l’intelligence racée hérite d’une maison sclérosée qui dort sur ses lauriers et samorgue.LescandaleEnronetl’éclatementdelabulletechnologiqueontd’ailleursfortementdéstabiliséuneenseignequiaperduduterrain.

Passer de la très prolétaireBankOne aux sphères de la haute finance deWall Street : le défi esténormepourJamieDimon.SonparcourschezJPMorganestalorsspectaculaire.Soussadirection,lescadresdisentaurevoirautraindevieprofessionneletauxnotesdefraistropgénéreuses.Enluiassignantunplande travailprécis etméthodique– le renforcementdubilan, le refusdu risque, la réductiondel’expositionaumarchéhypothécaire–,lenouveauvenu«muscle»lafirme.Encettepériodedeboom,lesanalystescritiquentsévèrementsonmanqued’audace.EnBourse,letitreronronne,etlesactionnairesronchonnent.JamieDimonn’enacure.Pasd’étincelles.Lagestionbling-bling,illaisseçaauxautres.

LeP-DGsaitmotiversescadres.Cen’estpasunhommederéseaux–pasdecoteriesnidedînersenville –mais d’équipes. Il prend les dossiers cruciaux à bras-le-corps. Rapide dans ses décisions, cematheuxhorspairn’apassonpareilpourdécortiquerlescomptesdessociétés.Deformation,Dimonestun banquier commercial à l’ancienne et non pas un trader. Prudent, l’intéressé se méfie des produitsfinanciersmiracles inventés par les petits génies des salles desmarchés. Sa philosophie est simple :donner aux clients les conseils que l’on appliquerait soi-même. En vertu de ce principe, il liquide leportefeuilledecréditsàrisquesubprimesdèsledébut2007–concurrentenlucidité,surceplan,durivalGoldman–et réduit lavoiluredu tradingencomptepropre,et l’utilisationàdes finsspéculativesdesfondsdel’établissement–cequ’onappellelagestionpourcomptepropre.

Ce décideur ne doute jamais de lui-même. Tout au plus accepte-t-il quelques conseils. Pourcompensersonabsenced’expérience internationale,Dimoncopréside le fameuxforumdeDavos. Ilvaaussis’attacher–àprixd’or!–lesservicesdel’ancienPremierministrebritannique,TonyBlair,aprèsledépartdecedernierdu10DowningStreet,en2007.

Ce n’est pas un tendre. Son équipe avoue filer doux devant ses colères.Ce fils de bonne famillepasséparuneécoleprivéeetl’universitéhuppéedeHarvardpeutparlerunlangagedecharretierdignedesbas-fondsdeBrooklyn.N’a-t-ilpaslancéenpublicàVikramPandit,patrondeCitigroup:«Arrêtedejoueraucon!»,sansjamaiss’excuser?Classédémocrate,ilselied’amitiéàChicagoavecl’undesdeux sénateurs de l’Illinois, un certain Barack Obama, qui reçoit son soutien dès le lancement de sacandidatureàlaprésidence.

Quandlatourmentes’abatsurlaplanètefinancièreen2008,JPMorganestbiensûrenpositiondeforce grâce à la prudence de Dimon et… à son intuition politique. Dotée d’un formidable bilan,l’institutionsurfesurlacrise.Inconnudupublicaméricain,leP-DGquisemblaitprogrammépourjouerleséternelssecondsseretrouvepropulséaurangdestar.

Dèsmars2008–enquarante-huitheures!–,JPMorganrachètepourunecroûtedepainlecourtierBearStearnsenbanqueroute.Obtenueavecl’aidedugouvernementfédéral,cetteacquisitionluipermetd’ajouteràsonportefeuilleleprimebrokerage(courtagedebase),activitétrèsrémunératricedeserviceauxfondsspéculatifs,etdedévelopperlenégocedematièrespremières.

Parlasuite,cetanimalàsangfroidn’hésitepasàprécipiterlafaillitedeLehmanBrothers.Carc’estlui, en fait, et nonGoldman,qui assène lepremier coupmortel àDickFuldengelant17milliardsdedollarsd’actifsenliquiditéettitresappartenantàl’entrepriseenquasi-faillite,le12septembre2008ausoir,etenexigeantderigoureusesgarantiessupplémentairesjusteavantledépôtdebilan.

Exorbitantes, ont dit certains. Avec le recul, elles ne l’étaient pas tant que cela. « Il s’agit depréserver l’intérêt de mes actionnaires », répond invariablement celui qui reste de marbre face auxcritiques.

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Alors que la plupart de ses concurrents luttent pour leur survie, le 25 septembre 2008, Jamie leconquérantreprendlesrestesd’uneautremaison,labanquecommercialeWashingtonMutual,enfailliteaprès des pertes colossales dans les crédits immobiliers. Cet achat le conforte dans sa réputation depompierduplusgrandincendiedusiècle.

Certes,iln’apasquedesamis.Certainsluireprochentsesemportements,soncôtéimprévisible,savanitéetsasusceptibilité.D’autresnes’émerveillentpasdesonintelligence,montrantdudoigtcequ’ilsjugentêtre son inculture.Sabrutalitédans ladéfensedesbonus luiauraitbarré la routed’unposteaugouvernement,commel’avaitenvisagé,semble-t-il,untemps,lePrésidentObama.JamieDimonn’enacurepuisqu’ilestsur«letoitdumonde»,commedisentlesAméricains.

Bob Diamond, le P-DG de Barclays Capital, est lui aussi sur un nuage. Né en 1951, cet ancienprofesseurdebusinessàl’UniversitéduConnecticutafaittoutesacarrièredebanquierdanslesecteurobligataire,chezMorganStanley,CréditSuisseetBZW–l’éphémèrebanqued’affairesdelaBarclays.En1997,personnen’auraitpariéunpennysurlaréussitedeBarclaysCapitallancéesurlesdécombresdeBZW.Audépart,BarCapestunemaisonmoyenne,spécialiséedanslemarchédeladette.Diamondsaitsaisirlesoccasions:en2002,aprèssafaillite,ilrecrutelesmeilleurstraderslondoniensdugéantaméricaindel’énergieEnronafindeselancerdanslenégocedematièrespremières.Restequejusqu’àlacrisefinancièredel’automne2008,labanqued’affairesdelaBarclaysvivote.

L’acquisitiondesactivitésaméricainesde ladéfunteLehmanBrothersbouleversedéfinitivement ladonne.Durant leweek-end noir des 14 et 15 septembre 2008, Barclays Capital est à deux doigts dereprendre les activités « saines » de Lehman-États-Unis. Mais le veto du gouvernement de Londresconduitàl’échecdecettepremièremanœuvreetàlabanqueroutedeLehmanBrothers.

Juste après, lors de la liquidation,Barclays se retrouve en pole position pour rafler les restes deLehman Brothers, à moindre prix, auprès du liquidateur. Au cours des premières négociations desauvetageavortées,elleavaitpulonguementexaminerlescomptes…Lagrandebanquebritanniquefaitune affaire en or en déboursant 1,75milliard de dollars. Le seul siège de Lehman, en plein cœur deManhattan,serévèleleplacementimmobilierdusiècle!

La reprise deLehman-USAcombine les points forts de cette dernière – le négoce d’actions et defusions-acquisitionsauxÉtats-Unis–avecceuxdeBarclaysCapital,àsavoir:lesmarchésd’obligations,de devises et de matières premières. Trop heureux de conserver son emploi, l’ancien personnel deLehman plébiscite son sauveur. La structure de direction est mise en place en un tournemain. Dèsjanvier2009,l’intégrationestbouclée.

Teigneusecontrelaconcurrence,JPMorgans’efforcedesoncôtédetorpillerleprojetdereprisedeLehmanparBarclays.Leplande rachatbritanniqueest sauvé inextremisgrâceauxbonsofficesde laRéservefédérale, le22septembre2008,malgré lacampagnemenéeencoulisseparJamieDimon.Cetépisodene fait qu’entretenir l’inimitié entre les deuxhommes, deux crocodiles qui nagent, aux aguets,danslemêmemarigot.

Grâce au sens du timing et à la ténacité de BobDiamond, Barclays est ainsi redevenue l’un desétablissementsfinancierslesplusimportantsaumonde.Justeretourdeschosespourcettehéritièred’unetradition vieille de plus de deux siècles. L’enseigne à l’aigle blanc joue à nouveau dans la cour desgrandsàl’échelleplanétaire.

SiBobDiamonda réussiun fantastique rétablissement, JamieDimonaaussi,parfois, commisdeserreurs.Le18septembre2008,troisjoursaprèslachutedeLehmanBrothers,letéléphoneduP-DGdeJPMorgansonne.Auboutdufil,catastrophé, lesecrétaireauTrésor,HenryPaulson:«Jamie, je t’enprie,faisquelquechose…AchèteMorganStanley…Elleestaubordduprécipice.»

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Petit rappelhistorique.LaGrandeDépressiondesannées30et leGlass-SteagallActde1934,quiimpose la séparation des activités de banque commerciale et de banque d’investissement, font alorséclater lamaisonMorgan.Un groupe de directeurs dissidents,mené par le propre fils de J. PierpontMorgan,lanceunebanqued’affairesaunomdeMorganStanley.Lafilialeanglaise,MorganGrenfell,faitsécession. Rabaissée à un rang ordinaire, JP Morgan vivote pendant des décennies en milieu declassementauhit-paradebancaire.EnrachetantMorganStanley,commeleluidemandeHenryPaulson,JamieDimonrendraitsonrayonnementpasséàl’enseignemythique.Untelactesouderaitànouveaulesmaillonsdelachaînefinancièreàtraverslesâges.«TheHouseofMorgan»renaîtraitdesescendres.

Pourtant, après quelques heures de réflexion, Dimon décline l’offre du ministre des Finances. Ilestimequ’une telle fusionnepeutqu’aboutir àuneépouvantableusineàgaz : tropdedoublons.C’estdoncuneinjectiondecapitauxjaponaisquivafinalementsauverMorganStanleydelafaillite.

Aufinal,HenryPaulsons’estlourdementtrompésurlavéritablepersonnalitédesonami.LegrandargentieraméricainpensequeDimonsevoitendignesuccesseurdeJ.PierpontMorgan.Peut-êtrea-t-ilmanquéàcesurdouéledésird’undestinhistorique?ÀécouterlejournalisteDuffMcDonald,auteurdelabiographieautoriséedeJamieDimon,TheLastManStanding(LeDernierHommedebout),l’intéressén’ajamaisétéhabitéd’unteldessein:«Cen’estpasunaffectif.C’estunanimalàsangfroiddépourvud’émotionsquandilprendunedécision.Iln’apasd’egosurdimensionnéetn’ariend’unvisionnaire.»Ilœuvreenpraticien,toutsimplement.Cequitémoigne,aussi,d’unsolidebonsens.

Un Européen – même Britannique – ne peut mettre les pieds àWall Street sans être la cible deperfidies:c’estleprixàpayerpoursonaudace.«Ah!Barclays…DesdépeceursquiontfaitmainbassesurLehmanpourunebouchéedepain»:lapiqueestd’HenryPaulsonenpersonne,quiétripel’intrus.CeluiquiaétéministredesFinancesduPrésidentBushentre2006et2009lèvelesbrasauciel,horrifiélorsquelenomdel’enseigneanglaiserevientsurletapis:«Unebanded’arrivistes…»

JPMorganvoitaussid’unmauvaisœill’irruptionsursonpropreterritoired’unconcurrentdotédesmêmes atours : une banque d’affaires soutenue par une banque de détail, une direction musclée, unformidablebilan,etunsavoir-fairehistorique.JamieDimonaimeseprésentercommeun«patriote».Ledéfi lancé par l’ex-puissance impériale à son ancienne colonie est dès lors une agression patente. Latentativederepoussercetteattaquefrontalecontreunmonumenthistoriquedelabannièreétoiléevaau-delàduressentimentpersonnel.

JamieDimonaégalementtrèsmalvéculanationalisationforcéedesamaisonparl’Étataméricain.L’obligation faited’accepter l’aidepubliquealorsquesonétablissementenexcellentesantén’enavaitnullementbesoinaétéperçuecommeunevraiehumiliationparcepersonnagesi imbudesalégitimité.Mêmes’iln’enavaitpasvraimentbesoin, iladûfairecommesicettedécisionluiconvenait.Quitteàfulminerenprivé!

En revanche,Barclays a échappé à « l’ignominie » de la nationalisation partielle décrétée par lePremierministrebritanniqueGordonBrown.Aulieudepasserdanslegirondelapuissancepublique–commelaRoyalBankofScotland,RBS,ou leLloydsBankingGroup,LBG–,Barclaysa faitappelàdeux fonds souverains du Proche-Orient pour se recapitaliser. Dans des circonstances proprementincroyables…

Pourséduirelescapitauxdespétromonarchiesd’AbouDhabietduQatar(aprioriplutôtenclinesàlaphallocratie…),Barclaysafaitappelà…deuxfemmesdechoc:AmandaStaveleyetDianaJenkins,quiontdescontactsauplushautniveauauseindesfamillesprincièresdesémirats.Volontiersmisogynesetaustères,lesrichesfortunesduGolfesesontentichéesdecesdeuxfemmesd’affairesanglaisesaulooklongiligneetàlavoixsuavecommeunbonbonQualityStreet.

Malgré son jeune âge, Amanda Staveley a une longue expérience des affaires au Proche-Orient.Après des études bâclées de langues modernes à Cambridge, elle ouvre un restaurant huppé àNewmarket,hautlieudel’élevageanglaisdepur-sang.Saclientèlecomptelafinefleurdespropriétaires

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dechevauxdecourse,àcommencerparladynastieMaktoumdeDubaï.Ceclanintroduitaussilafemmed’affairesauprèsduroideJordanie,soucieuxd’attirerlesinvestisseursétrangers.

Amanda est ensuite chargée du rachat – avorté – du club de football deLiverpool parDubaï. Enseptembre2008,c’estellequiorganise,avecsuccèscettefois,larepriseparlecheikhMansourd’AbouDhabideManchesterCity,autreclubpharedelaPremierLeague.Sa liaison,en2003,avec leprinceAndrew,filscadetdelareineElizabethII,etVRPhonorifiqueducommerceextérieurbritannique,luiapermis,aupassage,d’étoffersoncarnetd’adressesdestêtescouronnéesproche-orientales.

LesrelationsdeDianaJenkinsavecleQatarpassent,elles,parsonépoux,RogerJenkins,chargédelazoneauprèsdeBarclaysCapital.CetÉcossaiss’estenrichigrâceàsonexpertisedel’évasionfiscalequipermetauxgrossesfortunesdepayermoinsd’impôtsentoutelégalité.Surnommée«l’impératricedubikini » en raisonde sa participationmajoritaire dans une firmedemaillots de bain,Diana s’est liéed’amitiéavecl’épousedecheikhHamad,présidentdufondssouveraindel’émiratgazier.

Au-delàdu«coup»de la recapitalisation inextremisdeBarclayspar lespétro-émirats, lesdeuxfemmes ont connu un parcours très différent.Amanda Staveley incarne le vieil argent britannique, lesmilieuxéquestres, ladiscrétionalliéeà la tradition.DianaJenkins,elle, symbolise lapersévérancedel’outsider.Cette immigréeestuneréfugiéebosniaque,arrivéedémunie,en1993,auRoyaume-Uni.Uneself-madewoman.

Les liaisons sentimentales se sont donc glissées dans les affaires au plus haut niveau. Ce qui estamusant, dans ce contexte riche en pièges et enmanœuvres en tous genres, c’est queBarclays entends’inspirerdel’éthiquedesesfondateursauXVIIIesiècle,desquakers!Cettedissidenceduprotestantismeàlamoralerigoureuses’endifférencieparl’absencededoctrine,l’importancedel’Espritsaintetlegoûtdel’entreprisecitoyenne.Parallèlement,labanqued’affairesentendpromouvoirunespritdepartenariatressemblantétrangementàceluiprévalantchezGoldmanSachsavantl’introductionenBoursede1999etquireposesurlaprimautéducollectifsurl’individualisme,unehiérarchieplateetl’assiduitéàlatâche.

La guerre entre les trois puissances de la mondialisation qui viennent de surgir promet d’êtreacharnée.

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20.CasserGoldman?

«Unchefdoittoujoursêtreunpoète.Ildoitparleraunomdesdieux,desgéniesetdesespritsdesmorts », philosophait le sergentLearoyd, héros deL’Adieuau roi, de Pierre Schoendoerffer.Dans lajungledeBornéo,lemercenairefouauxyeuxgriss’étaittailléunroyaumeàsamesure.LloydBlankfeinn’a probablement pas une telle ambition.À la tête d’une sorte de pieuvre auxmultiples tentacules, ilpoursuitsongranddessein:êtreleroidelahautefinance.Maiscepassionnéd’histoiresaitaussiquelesrêvesd’empirefinissenttoujoursmal.

Depuis la chute de Lehman Brothers, le 15 septembre 2008, le sien est justement dans l’œil ducyclone. Jamais l’orgueilleusebanqued’affairesn’apris autant de coups.L’année2009est àmarquerd’unepierrenoiremalgrélesexcellentsrésultatsdelafirme.Lemillésime2010,seméd’écueils,n’estpasmeilleur.LePrésidentObamaaannoncélaréformefinancièrelaplusambitieusedepuis laGrandeDépression, avec l’intention de limiter la taille des établissements et leurs activités spéculatives. LesrégulateurssemobilisentpourréduirelamargedemanœuvredecesP-DGtroppuissants.Leshommespolitiques – toutes tendances confondues – relaient l’exaspération de l’opinion publique en dénonçantdans la plus grande tradition populiste les fat cats (les gros matous) jugés responsables de la pirerécessiondepuislesannées30.Àl’échelleinternationale,leG20–legroupereprésentantlespayslesplusindustrialisésetlesgrandesnationsémergentes–annonce,aprèslekrachdeseptembre2008,qu’ilva instaurer desmécanismes de régulation pérennes pour empêcher que lesmarchés ne reprennent ledessusavecleurloisauvage.

Parmi les initiatives visant à améliorer la transparence du système et àmettre fin aux dérives dupassé figurent, pêle-mêle, la taxation des marchés de gré à gré, l’encadrement de la titrisation,l’améliorationdelalégislationsurl’attributiondescrédits,laréglementationdesfondsspéculatifsetducapital-investissement, le resserrement des contrôles internes ou le renforcement du Fonds monétaireinternational…

Plusjamaisça!crie-t-ondepartout.Carsilebaindesangbancairequeprédisaientquelquesespritschagrins ne s’est pas produit, le paysage a été profondément bouleversé. Les banques ont allégé leurendettement–lemoteurdesopérationsàrisques.Lesbonusenliquide–autreincitationàlaspéculation–serabougrissent.Lesproduitsfinanciersproposésauxclientssontsimplifiés.Lenégocepourcomptepropre permettant aux banquiers d’affaires de spéculer sur les marchés avec leur propre argent estrestreint.L’accentestànouveauplacésurleserviceauclient,legrandabsentlorsdecesannéesfollesduboomfinancier.Unenouvellegénérationdedirigeantsestentrainderedessinerlacarted’état-majordelafinance,enassurantlarelèvedes«éléphants»deWallStreetetdelaCity,tombésendisgrâce.Chacunatrouvésaplace.Dumoinsprovisoirement.

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Le traumatisme du tsunami financier de septembre 2008 paraît exorcisé même s’il y a des«répliques»,commeonleditdestremblementsdeterre.L’histoiredeWallStreetcontinueàsedérouleràlavitesseduticker,leserpentindescotationsboursières.Sisdansla«RueduMur»,lemuséedelafinanceaméricaineexposelaphotod’unemaisonaumilieud’unepelousedevantlaquelleaétéplantéunénormepanneau:«Saisie».LamanchetteduWallStreetJournaldu16septembre2008,aulendemaindel’effondrementdeLehmanBrothers,arejointenvitrinelesunesde1929etde1987.Lessubprimesetautrescreditcrunch(contractionbrutaleducrédit)sontentréesdanslabible,leConciseOxfordEnglishDictionary.

Unesecoussedel’histoirefinancièrecommelemondeenatantconnues?Lesdictionnaires,commechacunsait,sontfacétieux.Lerideautenduesttrompeur.Quandils’entrouvre,cequinefaisaitquefiltrerprend de l’éclat. Dans l’ancien décor partiellement debout, un autre s’est levé, révélant un paysagefinancier enpleinemutation, plus complexe, plus compliqué à saisir, donc, aussi, potentiellement plusdangereux.

Premièreconstatation:unnouvelordremondialdelafinances’estmisprogressivementenplace.Delacriseestsortieunesuperligue,plusmuscléequejamais.Unclubdecaïdsplusquecoriaces:GoldmanSachs, JPMorgan,Barclays,Crédit Suisse etDeutscheBank.De véritables supermarchés de l’argent,offrant toute la gamme des services vingt-quatre heures sur vingt-quatre sur les cinq continents. Unedeuxième division garde, elle, les survivants du ressac. Y figurent quelques banques françaises,espagnoles,allemandes,canadiennes,australiennesouscandinavesauxquellesilfautajouterungroupedenouveauxvenusdespaysémergents.Quantauxautres, les éclopésde la troisièmedivision, ilsont étécondamnés à réduire considérablement leur voilure, en abandonnant souvent le développementinternational pour se concentrer sur le marché domestique. La fameuse coupure « en deux nations »évoquéeauXIXesiècleparl’ancienPremierministrebritanniqueBenjaminDisraelidanssonromanSybils’applique parfaitement à cette nouvelle donne financière : «Deuxnations entre lesquelles il n’y a nirelation,nisympathie,etquinesontpasgouvernéesparlesmêmeslois[…].Cesdeuxnationssontlesrichesetlespauvres.»

Decetteredistributiondescartesestné,danscertainssecteursd’activité,unoligopole,unevéritablerentedesituationtrufféedeconflitsd’intérêtsdontprofitentlesseulsclubsdecettepremièreligue.Lejeudelaconcurrences’émousse,letarifdesprestationsaugmente,lechoixdesclientsdiminue.

Encouragés à emprunter de l’argent bonmarché, lesmembres de cet oligopole peuvent prendre ànouveaudegrosrisquesentoutequiétudepourfairemonterlesbénéfices,lescoursenBourseet…lesfameux bonus. Ils savent qu’en cas de nouvelle catastrophe, le contribuable sera toujours là pour lessortirdel’ornière.Ouilsl’espèrent.L’incroyablerebonddecesétablissementsestaussi,ilestvrai,lerésultatdel’essordunégoce,enparticulierdelaspéculationsurlesmatièrespremières,lavacheàlaitparexcellencedel’activitédetrading.Deleurcôté,lestransactionsdeproduitsdérivéssurdesmarchésorganisésdegréàgréontreprisleurprogressiondansunetotaleopacité.Ellesrestentàrégulerafindelimiter les risques potentiels pour le système financier. C’est le cas, par exemple, des credit defaultswaps(CDS)quipermettentauxbanquesetàd’autresacteursdecouvrirlesrisquespotentielsauxquelsilssontexposésenétantengagéssurcertainsmarchés.Aucœurdeladébâcledessubprimes, lesCDSrestent,aujourd’huiencore,extrêmementdangereux.

Quantàladette,elleaététransféréedusecteurprivé…auxÉtats.Lesvoilàdoncconfrontésunpeupartoutautroubéantdesfinancespubliquesprovoquéparlesauvetagedusystème.Jaugerlacapacitédesentreprises–doncdesbanques–etdespaysà rembourser leursdettes reste,endépitde leursgraveslacunes,l’affairedesagencesdenotation.

Chaque enquête apporte son lot de révélations sur la facilité avec laquelle certains banquiers peuscrupuleuxontmanipulélesmarchés.C’estlecasdurapportpubliéle11mars2010parAntonValukas,l’expertchargéparlajusticeaméricained’étudierlescausesdel’effondrementdelabanqued’affaires

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LehmanBrothers.LedocumentdénoncesonrecoursaumarchéRepo(RepurchasingMarket)pourcachersonendettementabyssal.LedétournementduRepo–uneopérationquipermetauxintervenantsdemieuxgérer leurs liquidités quotidiennes – apparaît comme un jeu d’enfant. Pour l’instant, aucune réformed’ampleurdecesystèmen’aétélancée.

Autreparadoxe,parmitantd’autres,danslarécentecrise:lesbanquesontaidélesgouvernements…à sauver les banques. En effet, le tsunami financier a démontré à la fois leur vulnérabilité et le rôlecrucialqu’ellesjouentpouraiderlespouvoirspublicsàsauverlesétablissementsencrise.Lesexemplesde ce cordon ombilical entre l’État et le saint des saints de la haute banque internationale abondent.Morgan Stanley, Merrill Lynch et Goldman Sachs ont été sauvées, à l’automne 2008, grâce àl’interventionduTrésordesÉtats-Unis.Simultanément,cesmêmesenseignesontétéomniprésentesdanslesopérationsderenflouementdeleursconfrères.

GoldmanaconseilléleTrésorbritanniquepourlanationalisationdelacaissehypothécaireNorthernRock,enfaillite.Elleaaussipiloté–vialesecrétaireauTrésor,HankPaulson,sonex-président,etàsonplusprochecollaborateur,NeelKashkari,autreanciendelamaison–leplandesauvetagebancaireleplusimportantdel’histoiredesÉtats-Unis.

MorganStanley, pour sa part, a sauvé les prêteurs immobiliers américainsFreddieMac etFannieMae tout en secourant le premier assureur au monde, AIG. Elle a joué un rôle clé dans lesnationalisationsdelacaissehypothécaireanglaiseBradford&BingleyetdelaGlitnirBankislandaise,etabouclélafusionentrelesbritanniquesLloydsetHBOS.

AgissantaucôtédeBNPParibas,MerrillLynchaconseillélegouvernementfrançaisdansledossierDexia.

Cettesymbioseentrelapuissancepubliqueetlesspécialistesduconseilauxentreprisess’expliquenotammentpar lemanquedesavoir-fairedeshauts fonctionnairesetdeshommespolitiquesenmatièred’ingénieriefinancière.Lesgrandscommisdel’Étatontbiendesaffinitésaveclesbanquiersd’affaires:mêmegoûtdu travail enéquipe,mêmeméfianceenvers lapresse,mêmeobsessiondusecret.Pour lesprestatairesdeservicesfinanciers,pareilleassociationaveclapuissancepubliquepermetdetisserdesliens pouvant se révéler utiles au cœur de la machine étatique. Un peu partout dans le monde, lesgouvernementscommelesgrandesentreprisesaiments’entourerdesmeilleursbanquiersd’affairesàquil’onprêteunentregentexceptionnel.

C’estlemomentdangereux:celuioùlescomportementsàrisqueseréveillent,commelacourseàladémesure.Alors,desvoixs’élèventdepuisquelquesmoispourisolerlesactivitésdebanqued’affaires–jugées spéculatives et risquées–de celles – plus traditionnelles et socialement utiles – debanquededétail.Dix ans après son abolition, l’idéed’unnouveauGlass-SteagallAct renaît de ses cendres.Lesnostalgiquesdecettelégislationquiséparaitlesdeuxmétierssefontentendre.

AuRoyaume-Uni,lamêmeinterdictionaétélongtempsenvigueur.MaisladéréglementationtotaledelaCitylorsdubigbangde1986apermisauxgrandsétablissements,locauxcommeétrangers,deracheterdes firmes de courtage afin d’offrir la gamme la plus large de services financiers.AuxÉtats-Unis, lalibéralisations’estfaiteparétapes,menant,en1999,àl’abrogationdelaloiparBillClinton.

Pour leurs détracteurs, la taille des banques dites universelles est un grand facteur de risquesystémiqueencasdedéfaillance.Quiplusest,cesmonstresdisposent,enraisondeladiversitédeleursactivités, d’un avantage en matière d’information qui vaut de l’or. Il n’est pas question bien sûr defranchirla«murailledeChine»séparantd’uncôtélesfusions-acquisitionsetdel’autrel’émissiondetitres,mais,danslapratique,lemurresteperméable.Eneffet,lesinstitutionsattrape-toutsontperclusesdeconflitsd’intérêts.Dernièrecritiqueetnondesmoindres:l’oligarchiebancaireopèreenmeutequandils’agitdedéfendresesintérêts.

Unenouvelle loi serait tout simplement irréalisable aujourd’hui, répliquent les défenseurs du statuquo. L’ingénierie financière a brouillé les pistes, ajoutent-ils, en liant des activités de détail à des

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produitsstructuréscomplexes.Lesentreprisesdoiventfaireappelaudépartementnégocedeleurbanquepourseprotégerdesfluctuationsdescoursdesmatièrespremièrescommedesdevises.Parailleurs,ens’adressantàunseulétablissement,lesclientspeuventobtenirdesrabaisdecommissions.Àl’heuredelamondialisation,cesgéantsseraientmieuxarmésencapitauxpourrésisteràunéventuelressac.Defait,lachutededeuxvictimestotémiquesdelacrise,NorthernRocketLehmanBrothers,n’avaitrienàvoiravec la banque universelle. La première était une banque de détail spécialisée dans le marchéhypothécaire,lasecondeunepurebanqued’affaires.

Le retour à un Glass-Steagall Act nouvelle mouture est donc d’actualité, même si personne n’asemblé vouloir s’y atteler… jusqu’à la réapparition du principal partisan de la loi, le vétéran PaulVolcker.AncienprésidentdelaRéservefédéraleaméricainede1979à1987,nomméchefduConseildela reprise économique du Président Barack Obama, il est l’instigateur du plan de réforme bancaireannoncé le 22 janvier 2010 qui s’inspire indirectement de cettemesure jugée surannée àWall Street.Maisuntirdebarrages’estélevépourdiscréditerceplan.

Paul Volcker, octogénaire alerte, imposant personnage de 2 mètres, déplaçant en souplesse ses110kilos,alesépaulesassezsolidespoursupporteravecphilosophielerôled’ennemipublicnumérounquelelobbybancaireluiattribue.LeparcoursdecetancienbanquierdelaChaseManhattan,spécialisédans les problèmes monétaires, et qui a occupé de hautes fonctions au Trésor sous plusieursadministrations,enimpose.Àsesyeux,l’existencedebanques«toobigtofail»(tropgrossespourfairefaillite) est le maillon faible du capitalismemoderne. Selon lui, les banques américaines bénéficientdésormaisd’unevéritable rentedesituation injustifiée :ellessontcertainesdepouvoircomptersur lesoutiendel’État,quoiqu’iladvienne.

SesamisvantentledésintéressementdeVolcker.N’a-t-ilpasdéclaréleplussérieusementdumondequelaseuleinventionutiledel’industriebancaireaucoursdestrentedernièresannéesestledistributeurautomatiquedebillets?LespaillettesdeWallStreetn’ontjamaiséblouicethommesansprétentionquis’estimposéuntraindeviemodeste.Lescigaresquinequittentpasseslèvressontdesgrenadierstrèsbonmarché.EtVolckerestlecontraired’unTartuffe.Desavoixdebasseprofonde,ildithautetfortcequ’ilpense,aveclaconvictiond’unsaintGeorgesprêtàterrasserledragonbancaire.

LorsdelapremièreannéedegouvernementdeBarackObama,sonétoileavaitpâli.Prochesdulobbybancaire,leministredesFinances,TimothyGeithner,etleprincipalconseilleréconomiquedelaMaisonBlanche,LawrenceSummers–ancien secrétaire auTrésordeBillClinton, et, à ce titre, fossoyeurduGlass-SteagallActen1999–,avaient tenu lehautdupavé.Pour reprendre lamainaprèsunesériederevers politiques, Obama s’est rangé aux idées de Volcker : frapper durement les méchants ou lesimprudentsauportefeuille.

Son projet de réglementation ? Draconien, il entend limiter la taille des établissements et leursactivitésspéculatives.Lesbanquesdedépôtsseverraientinterdiredeposséder,d’investiroudesoutenirfinancièrement des hedge funds ou des fonds de capital-investissement. Les opérations pour comptepropreseraientlimitées.

Dansuntelschéma,GoldmanSachsseraitpriseentre lemarteauet l’enclume.Aujourd’huibanqueholding,elledisposedu filetdesécuritéde l’État.Elleadûcréerenéchangedecette aideunepetitebanquecommercialebaséedansl’Utahquicollectelesdépôts,gèredescomptesetfaitdescrédits.Dufaitdecestatut,la«règledeVolcker»l’obligeraitàrenonceràdesactivitéstrèsrémunératricesquiluipermettentderenforcersonbilan,d’obtenirdesmandatsdeconseilsauxentreprisesoud’alimentersesactivitésdemarché.Sesopérationsdetradingpourcompteproprereprésententàl’heureactuelle10%desrevenusdelabanque,l’unedesplusgrossesproportionsdeWallStreet.Seséparerduparapluiedela Fed, abandonner le statut de banque holding et reprendre sa liberté demanœuvre serait tout aussirisqué.Surleplanpolitiqued’abord,unretouraurégimed’avantseptembre2008seraitperçucommeuncamouflet infligéàBarackObamaet, au-delà, à l’opinionpublique.Celaaurait aussiun impact sur le

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coût de financement de la banque : la « couverture » du système fédéral de réserve rassure toutnaturellementlesmarchés.

Dans l’attentede la future réforme, lesappelsaudémantèlementdeGoldmanSachssemultiplient.L’économisteNourielRoubini– l’undesraresàavoirprédit lacrisefinancière–s’est jointauchœurgrandissantdeceuxquiveulentenfinirunefoispourtoutesavecl’omnipotencedumastodonte.Conscientdudanger,LloydBlankfein répète à l’enviqu’uneconstellationdepetits établissements, résultatd’unescissiond’activités,neprésenteraitpasmoinsderisquesqu’unepetitepoignéedegrosétablissements.L’argumentn’estguèreconvaincant : lafaillitedescaissesd’épargneaméricaines,audébutdesannées90,n’a-t-ellepasmontréque l’implosionde centainesdepetitesbanquespeutpurger le système?Enrevanche,pluslesétablissementssontgrands,plusilsprésententdedangers.

Pourtant,malgrécesaléas,GoldmanSachssesentassezcuirasséepourpasseraumilieuducheminderonces.Elles’estadaptéeaunouveaupaysagefinancier.Lesprimessontverséesessentiellementenactions,unepartieestprélevéeauprofitdelafondationphilanthropiquemaison.Lebonusduprésidentaétédélibérémentminoréparrapportàceluideseshomologues,pournepasprêterleflancàlacritique.Enfin,unecommissioninterne,leBusinessStandardsCommittee,aétémiseenplaceauseinmêmedelafirmepourremettreàplattouslesmétiersfinanciersdanslaquelleelleintervient.

Plusquejamais,LloydBlankfeinestconscientdelanécessitépourGoldmanSachsdetirerlesleçonsde la crise économiquemondiale la plus violente depuis 1929. Il n’a pas le choix. Il sait qu’on doits’adapterauxchangementsperpétuelsoudevenirla«tristemèred’unempiremort»,commedisaitLordByron de l’Italie. Dans le bureau de poste du quartier où le père de Blankfein était employé, undistributeuraprislaplaceduguichetdeventedetimbres.Lelycéedesajeunesseaétéferméen2007.Lecabinet juridiquedans lequel ilacommencésacarrièreafait failliteen1998.Nombred’enseignesbancairesprestigieusesquirégnaientsurWallStreetquandilestentréchezGoldmanSachsontdisparucorps et biens : Lehman, Salomon Brothers, Drexel Burnham Lambert, pour ne citer que les plusconnues…

Le temps invente. Entre l’ancien équilibre déjà rompu et lemonde nouveau qui apparaît, les plusgrandesmaisonsvontdevoirs’adapter.OrGoldmanSachs,mêmeblessée,resteunlion.

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Conclusion

Ils sont banquiers d’affaires et traders, mais aussi avocats, experts en technologie ou encommunication,secrétairesouchercheurs.Ilsnesedécouvrentquetrèsrarement,cesfilsetfillesdelaLumière.Ilspoursuiventlemêmerêve:s’enrichircertes,maisaussiédifierlacitéfinancièreidéale.

C’est à la fois un groupe de pression politique, un réseau d’aidemutuelle, unemicrosociété trèsfamiliale. Le cheminement vers le sommet est long et lent, par paliers. Ils règlent leurs différendsdiscrètement,àl’abridesregards,maisavecbrutalitéquandillefaut.Lechoixdesadeptesesttatillon.Après avoir quitté le Temple, ils s’engagent dans de nobles causes : fonction publique, œuvreshumanitaires,organisationsinternationales,ou,souvent,l’université.

SesdétracteursaccusentGoldmanSachsdefonctionnercommeunefranc-maçonnerie.Sesbanquiersseraientcescompagnons,maîtresetgrandsmaîtres,amenésà«répandredansl’universlavéritéacquiseenloge».

C’estsansdoutepourquoi,danslesubconscientdebeaucoup,l’empire–quiestàlafoisunsystèmed’influenceetunemachineàproduiredesbonus–estassociéàunelégendefantasmatique.Wanted!Lemotpourraits’étalerengroscaractèresau-dessusducieldeWashington.

Lemeaculpaduprésidentdelabanque,LloydBlankfein, lesmillionsdedollarsoffertsàdesfinsphilanthropiques, la remise à plat de tous lesmétiers ou la limitation des primes : rien ne parvient àatténuer cette détestation généralisée. Feu à volonté contre l’affreuse, la vilaine, l’âme damnée de lafinance ! Son image est à ce point partie en vrille qu’elle a intégré dans son rapport annuel ces« attaques » qui constituent désormais pour elle « un nouveau facteur de risque » dans les affaires.Pourquoi tantdehaine ?Pourquoi, finalement, cettehostilité qui a fait de labanqued’affaires lapluspuissanteetlaplusadmiréedumondeunesortedeparia?

Toutd’abord,aveccebrindeprovocation,dedistanceetd’arrogancequifaitgrincerlesdents,cettebanque est sortie plus forte que jamais d’une terrible crise. On imagine l’effet produit par cettespectaculaire réussite, surtout si l’on sait à quel point la banque a su tirer profit de la faillite de sesconcurrentsoudelanationalisationd’autres.EtsonP-DGn’ajamaissutrouverlesmotspourremercierl’Étatetlescontribuablesd’outre-Atlantiquedel’avoirsecourue.

Ensuite,poursesdétracteurs, lamachinenew-yorkaiseest la«face inacceptableducapitalisme».Célèbredéfinition,naguèreappliquéepar lePremierministrebritanniqueEdwardHeathau requindesOPA, Tiny Rowlands. Les traders sans foi ni loi ont pris le pouvoir. Et les conflits d’intérêts sontconsanguinsàcesystème.

Parailleurs,cesymboledelabanqued’investissementnedisposenid’agencesnideguichetsaveclesquels le public puisse s’identifier. Pour l’homme de la rue, l’activité deGoldman Sachs reste uneénigmequisculpteenvies,fantasmesetcraintesalorsquelaréalitéestbiensûrbeaucoupplusnuancée.

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Parailleurs,LABanquen’apasjouélejeuaprèssonintroductionenBoursede1999.Ellearefuséles impératifs qui en découlent : transparence et communication aux actionnaires, analystes etmédias.L’institutionacontinuéd’agirdansleplusgrandsecret,commedanslepartenariatprivéd’autrefois,entreassociés-gérants.Ladirections’estcomportéeenpropriétaire–pasenemployéedesactionnaires–avectouteslesdérivesquecelaacomporté.

Autredéclencheurdehaine–etleplusdélicatdetous–contrecetétablissement,fondéen1869parun instituteur juif bavarois, ressuscite parfois un certain antisémitisme. Jusqu’en 1945, il existait uneformede ségrégation àWallStreet entre banques juives et protestantes.Denos jours,GoldmanSachsn’estplusvraimentunebanquejuiveaumêmetitrequeJPMorgannecultivepassesracinesprotestantes.Mais,dansl’opinion,lesfantasmesontlaviedure.

Au-delà de ces controverses, quatre évidences s’imposent. D’abord, un constat dont personne neparle:pendantlacrise,l’empireacontinuéàinjecterdesliquiditésdanslagrandemachinefinancièremondiale,cequiapermisd’empêchersonimplosion.Etdoncd’aggraverlacrise.

Deuxièmeleçon: laGrèceaorchestrédestrucagescomptablesresponsablesdelacrisedel’euro.Goldman n’était qu’un exécutant – ô combien consentant, certes, mais un exécutant. Actif ? Créatif ?Certainement.Maisc’esttoutdemêmel’Étatgrecquiinfinedécidait.Demême,lesclientsquiluiontachetésesproduitsimmobiliers«pourris»baptisésAbacusn’étaientpasdesenfantsdechœur,maisdesinvestisseurssophistiqués,disposantd’équipesdespécialistespourévaluercequ’onleurproposait.

Tertio : le culte de la méritocratie, la formidable capacité de travail des équipes et la culturecollective qui permet de contrôler des ego surdimensionnés constituent autant d’atouts qui expliquentl’incroyablesuccèsdeGoldmanSachs.

Enfin,quatrièmeetdernierconstat, lesaccusationsexcessivespeuventêtreparfoissalutaires.Ellesrenvoient aux réalités. Comment expliquer, sinon, que malgré les scandales, les dérives, les conflitsd’intérêts et cette morgue insupportable, la majorité de ses clients lui soient restés fidèles ? Lesgoldmanienssontpeut-êtreencemomentdétestés,ilsn’enfigurentpasmoinstoujoursparmilesmeilleursetlesplusintelligents.Voilàpourquoi,sansdoute,danscettepériodeincertainedel’après-crise,laplusinfluentebanquedumondeconservesonaura.

Danstoutedramaturgiehollywoodienne,ilfautqu’uncomédiensedévouepourlerôledupetitgéniedumal.Àsoncorpsdéfendant,GoldmanSachsfaitaujourd’huiunassezjoliDarkVador,leméchantdeLaGuerredesétoiles.SiGoldmanSachsn’existaitpas,ilauraitfallul’inventer.

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ANNEXES

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1.GoldmanSachs:NosPrincipes

1.L’intérêtdenosclientsestprimordial.L’expériencemontrequesinosclientssontsatisfaits,notrepropresuccèss’ensuivra.

2.Nosatouts sontnotre clientèle, notre capital et notre réputation.Si l’und’entre euxvient à êtreperdu,ledernierestleplusdifficileàregagner.

3. Nous sommes fiers de la qualité professionnelle de notre travail. Nous avons une farouchedéterminationàatteindrel’excellencedanstoutcequenousentreprenons.Bienquenouspuissionsêtreimpliquésdansunvasteetlourdvolumed’activités,nouspréférerions,s’ilfallaitchoisir,êtremeilleursquegros.

4.Nousmettonsl’accentsurlacréativitéetl’imaginationdanstoutcequenousfaisons.Mêmesinousreconnaissonsquel’ancienneméthodepeutparfoisêtre lameilleure,nousessayonstoujoursdetrouverunesolutionadaptéeauxproblèmesdenosclientsetnousnousflattonsd’avoirsuinitierdenombreusespratiquesettechniquesquisontaujourd’huidevenuesdesstandardsdansnotredomaine.

5.Nous faisons des efforts particuliers afin d’identifier et de recruter lameilleure personne pourchaqueemploi.Bienquenosactivitéssemesurentenmilliardsdedollars,nouschoisissonsnosemployésun par un. Dans une entreprise de services, nous savons que sans les meilleures personnes, nous nepourrionspasêtrelameilleurecompagnie.

6. Nous offrons à nos employés la possibilité d’être promus plus rapidement que n’importe oùailleurs.Nousdevonssimplement trouverdansquellemesurenosmeilleursemployéspeuventassumerleur responsabilité. L’avancement dépend seulement de la capacité, de la performance et de lacontributionausuccèsdelacompagnie,sansconsidérationderace,couleur,croyance,sexe,ouorigine.

7.Nousmettonsl’accentsurletravaild’équipedanstoutcequenousfaisons.Mêmesilacréativitéindustrielleest toujoursencouragée,nous savonsque les résultatsobtenusparuneéquipe sont souventmeilleursquelasommedesesparties.Nousn’avonspasdeplacepourceuxquifontpasserleursintérêtspropresdevantlesintérêtsdelafirmeetdesclients.

8.Nosprofitssontunedesclésdusuccès.Ilsmaintiennentnoscapitauxetattirent[…]nosmeilleursemployés.Ilestdansnotrehabitudedepartagerlesprofitsgénéreusementavectousceuxquiontaidéà

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lescréer.Laprofitabilitéestimportantepournotreavenir.

9.L’implicationdenosemployésdanslacompagnieetl’intensitédeleurseffortsprofessionnelssontplusimportantesquecelleshabituellementrencontréesauseind’autresorganisations.Nouspensonsquec’estl’unedescomposantesprincipalesdenotresuccès.

10.Nousconsidéronsquenotretailleestunavantagequenousessayonsdepréserverenversetcontretout.Nousvoulonsêtresuffisammentimportantspourêtrecapablesd’entreprendrelesplusgrosprojetsden’importelequeldenosclients,maissuffisammentpetitspourmainteniruneloyauté,uneintimitéetunespritdecorpsquenouschérissonsetquiestl’unedescomposantesdenotresuccès.

11.Nousessayonsconstammentd’anticiperlesbesoinschangeantsdenosclientsetdedévelopperdenouveauxservicesrépondantàcesbesoins.Noussavonsquelemondedelafinancen’estpaspaisibleetquel’inactionmèneàl’extinction.

12. Nous recevons régulièrement des informations confidentielles dans nos relations avec laclientèle.Briseruneconfidenceouutiliserdesinformationsconfidentiellesdemanièreinappropriéeouinsoucianteestimpensable.

13. Notre domaine est extrêmement compétitif, et nous cherchons à élargir les relations avec nosclients. Toutefois, nous sommes des compétiteurs loyaux et nous ne dénigrons jamais d’autrescompagnies.

14.L’intégritéetl’honnêtetésontaucœurdenotreentreprise.Nousespéronsdenosemployésqu’ilsmaintiennentuneéthiqueirréprochabledanstoutcequ’ilsfont,quecesoitdanslemondeprofessionneloudansleurviepersonnelle.

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2.Chronologiedelacrisefinancière

20078 février Premier signal de la crise des subprimes, la banque britanniqueHSBC annonce que la

haussedes impayéssursescrédits immobiliersaméricainsamputerasonbénéficede10,5milliardsdedollars.

2avrilNewCentury,numérodeuxducréditàl’habitatauxÉtats-Unis,sedéclareenfaillite.

17juilletL’indiceDowJonesdelaBoursedeNewYorkfranchitles14000points,auplushautdesonhistoire.Le surlendemain, l’agencedenotationStandard&Poor’s abaisse lanotedeprèsde500émissionsobligatairesfondéessurdescréditssubprimes.

18juilletBearStearns,unedesplusvieillesbanquesdeWallStreet,annoncelafaillitededeuxdesesfondsspéculatifs.

31 juillet La banque allemande KfW doit secourir d’urgence IKB Deutsche Industriebank. Lelendemain,l’Étatallemandannoncequ’ilinjecte3,5milliardsd’eurosdanslesauvetage.

6aoûtLabanquebelgeFortissejointàRoyalBankofScotlandetBancoSantanderpouruneOPAsur lanéerlandaiseABNAmro.D’unmontantde71,1milliardsd’euros,c’est laplusgrossefusiondel’histoirefinancière.Barclaysrenonce.

9aoûtBNPParibas annonce legelde trois fonds contenantdes crédits subprimes. Il s’ensuit unepaniquemondiale. Lemarchémonétaire se bloque. La Banque centrale européenne réagit très vite etdéverse94,8milliardsd’eurosdeliquidités.

17août LaRéserve fédérale abaisse son taux de 6,25% à 5,75%, pour la première fois depuisjuin2006.C’estledébutd’unesériedebaisses.

22aoûtActionconcertéedesBanquescentralesaméricaine,européenneetbritanniquequiapportent330milliardsdeliquiditésausystèmemonétaire.

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23aoûtBankofAmericainvestit2milliardsdedollarsdansCountrywideFinancial, lenumérounaméricainducrédithypothécaire.

14septembreRuéeauxguichetsdeNorthernRock,unebanqueimportantedunorddel’Angleterre,fragilisée par l’assèchement du marché interbancaire. Les autorités ont décidé de lui apporter desfinancementsenurgence,maislesdépôtsnesontgarantisquejusqu’à2000livressterling,etlesclientsprennentpeur.L’interventionpubliqueneparvientpasàstopperl’hémorragiedesdépôts.

29octobreDémissiondeStanleyO’Neal,P-DGde labanqued’affairesaméricaineMerrillLynchaprèsl’annonced’unepertede2,24milliardsdedollars.

4novembreDémissiondeCharlesPrince,P-DGdeCitigroup.

20088janvierDémissiondeJamesCayne,P-DGdeBearStearns.

24 janvier La Société Générale révèle qu’un trader indélicat, Jérôme Kerviel, lui a fait perdre

4,9milliardsd’euros,etlacrisedessubprimes2milliards.

11févrierLaFedannoncequelespertesliéesauxsubprimesatteindront400milliardsdedollars,aulieudes50milliardsprévusunanplustôt.

17févrierLegouvernementbritanniquenationaliseNorthernRock.

12marsLespertesliéesauxsubprimessontévaluéesà2000milliardsdedollars.

14marsBearStearnsestàcourtde liquidités.LaFedorganise lesauvetage.JPMorganreçoitunprêtde30milliardsetunegarantiepubliquepourracheterBearStearns.

1eravrilMarcelOspel,quiavaitfaitdelabanquesuisseUBSl’undesgrandsdeWallStreet,doitdémissionner.UBSaperduquelque8milliardsd’eurosàchacundesdeuxtrimestresécoulés.

2avrilLehmanBrotherslanceuneaugmentationdecapitalde4milliardsdedollars.

9juinLehmanBrothersannonce2,8milliardsdedollarsdepertesau2etrimestre.RichardFuld,leprésident,demandeàsondirecteurgénéral,JoeGregory,dedémissionner.

1erjuilletBankofAmericarachèteCountrywideFinancialpour2,5milliardsdedollars.

30 juillet Le Président George W. Bush promulgue un plan de sauvetage de l’immobilier de300milliardsdedollars.

26aoûtLaFDIC(FederalDepositInsuranceCorporation),quigarantitlesdépôtsde8600banquesaméricaines,publieune«listenoire»de117établissementsengrandedifficulté.

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31aoûtEnAllemagne,l’assureurAllianzvendDresdnerBankàCommerzbank.

4 septembre Lancement de l’augmentation de capital de Natixis, la filiale commune aux Caissesd’épargneetauxBanquespopulaires,trèstouchéeparlacrisedessubprimes.

7septembreLaRéservefédéraledoitgarantirladettedeFannieMaeetFreddieMacàhauteurde100milliardsdedollarschacune.C’estpratiquementunenationalisation.

9septembreJPMorganréclameplusdegarantiesàLehmanBrotherspourluiprêteraujourlejour.

10 septembre Lehman Brothers annonce 3,9 milliards de pertes pour le 3e trimestre et cède sadivision gestion d’actifs. La quatrième banque de Wall Street ne trouve plus de financements sur lemarché.

14septembreLabanquebritanniqueBarclaysestàdeuxdoigtsderacheterLehmanBrothers.Elledemande une garantie publique, comme JPMorgan dans le cas de Bear Stearns. La Fed et le Trésorrefusent.Enconséquence,cedimanchesoir,LehmanBrothersestcontraintdesedéclarerenfaillite.

15septembreLehmanBrotherslâchéparlaFed!Cettenouvellestupéfiantedéclencheunepaniquemondialequi dépasse en ampleur celle du9 août 2007.LesBanques centrales injectent des liquiditéssans parvenir à calmer les marchés. Plus personne ne veut acheter ni prêter. Les indices boursiersdégringolent, lemarché interbancaire se bloque. LaBanque centrale européenne injecte 100milliardsd’eurosendeuxjourssurlesmarchéseuropéens.

16septembreL’assureuraméricainAIG,quicouvrelesrisquesdedéfautsurlescréditsdecentainesd’établissementsàtraverslemonde,estàcourtdeliquidités.Considérantquec’estunacteurvitalpourlesystèmefinancier,laFedluiapporte85milliardsdedollarscontre79,9%desoncapital.

18septembreActionconcertéeFed,BCE,Banqued’AngleterreetBanquescentralesduCanadaetdeSuisse.La«venteàdécouvert»estinterditeprovisoirementàlaBoursedeLondrespuisàWallStreetpourenrayerlabaissedescours.

19septembreLesecrétaireauTrésorHenryPaulsonannonceunplande700milliardsdedollarspourracheterauxbanquesleurscréancestoxiques.

21septembreLaFedaccordelestatutdebanquededépôtsàGoldmanSachsetMorganStanleypourleurdonneraccèsauxaidespubliques.

24septembreGoldmanSachsobtient5milliardsdedollarsdumythiqueinvestisseurWarrenBuffett,cequiluipermetd’enlever5autres.

25septembreWashingtonMutual,laplusgrossedescaissesd’épargneaméricaines,faitfaillite.SesactifssontreprisparJPMorgan,quidevientlapremièrebanquededépôtsdesÉtats-Unis.

28septembreBelgique,Pays-BasetLuxembourgserépartissentlesactifsdeFortis,auborddelafaillite,etapportent11,2milliardsd’euros.

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29septembreLeCongrèsaméricainrejetteleplanPaulson.L’indiceDowJonesplongede7%.

2octobreLeRoyaume-Uninationalise lacaissehypothécaireBradford&BingleyetcèdecertainsactifsàBancoSantander.EnAllemagne,HypoRealEstateobtient35milliardsd’eurosd’unconsortiumbancaire.WellsFargorachèteWachovia,laquatrièmebanqueaméricaine.Labanquefranco-belgeDexiadévisseenBourse:Paris,BruxellesetLuxembourgluiapportentuneaidede6,4milliardsd’euros.Leprésident,PierreRichard,etledirecteurgénéral,AxelMiller,démissionnent.

3octobre Le plan Paulson remanié en plan anticrise est adopté par le Congrès et promulgué parGeorgeW.Bush.

5octobreLabanqueallemandeHypoRealEstateestsauvéeinextremisparl’État.

6octobreLesBoursesconnaissentunechutehistoriquequisepoursuivrapendantdesjours.ÀParis,leCac40perd9%encettejournéedelundi.

8octobreBaisse concertéedes tauxd’intérêt enEurope et enAmériqueduNord.GordonBrownannonce un plan de soutien aux banques britanniques qui sera imité ailleurs dans le monde. Legouvernementfrançaiscréeunestructurepourgérerdesparticipationsd’Étatdanslesbanques.

9octobre Le taux interbancaire Euribor à troismois atteint un sommet, 5,39%, ce qui traduit laméfianceréciproquedesbanques.L’Islandeachèvedenationalisersestroisbanquesetdemandel’aidefinancièredelaRussie.AuJapon,l’assureurYamatoLifeInsurancefaitfaillite.

10octobreNouvellechutehistoriquedesindicesboursiers.

11octobreLeG7prenddesmesurespourrassurerlesdéposantsetdébloquerlecrédit.

12octobreSommetréussidelazoneeuro,quiadopteenfinuneapprochecoordonnée.

13octobreLeRoyaume-UnirecapitaliseRoyalBankofScotland,HBOSetLloydsBankingGrouppour 37milliards de livres, soit 46milliards d’euros. L’Allemagne adopte un plan de 500milliardsd’euros(dont400engaranties).L’Italieautoriselaconversionde40milliardsdedettesenobligationsd’État.LesBoursesmondiales,rassurées,rebondissentde10%etplus.

15octobreRechutedesindicesboursiers.

16octobreLaBCEassouplitsesrèglesderefinancementpourlesbanques.LaSuisseautoriseUBSàcréerunestructurededéfaisancepourylogersesactifstoxiques.

19octobreLesCaissesd’épargnedécouvrentunepertede690millionsd’eurossurdesopérationsdemarché.Leprésident,CharlesMilhaud,etledirecteurgénéral,NicolasMérindol,démissionnent.

20octobre Le gouvernement français injecte 10,5milliards de capital dans 6 grandes banques encontrepartied’uneprogressionde3%à4%deleuroffredecrédits.

22octobreLespétromonarchiesduGolfesoutiennentleursystèmebancaire.

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23 octobre En France, René Ricol est nommé médiateur du crédit. Nicolas Sarkozy annonce la

créationd’unFondsstratégiqued’investissementpourrecapitaliserlesentreprises.

24 octobre Le FMI accorde des prêts d’urgence à l’Islande. Suivront l’Ukraine, le Pakistan,l’Argentine,laHongrie.Treizepaysd’Extrême-Orientdécidentdecréerunfondscommund’échangesdedevisespourfairefaceàlacrise.

28octobreLaBelgiqueapporte3,5milliardsd’eurosaubanquierassureurKBC.

3 novembre Barclays refuse de faire appel à l’État britannique, préférant les concours de fondssouverainsduGolfe.

4novembreBarackObamaestéluprésidentdesÉtats-Unis.

9 novembre La Chine adopte un énorme plan de relance de 461 milliards d’euros. Les BRICs(Brésil, Russie, Inde, Chine) adoptent une position commune en vue du G 20 du 15 novembre àWashington.

10novembreL’aidepubliqueàAIGpassede85à152milliardsdedollars.

15novembreAuG20,àWashington,participentdesnationsdetouslescontinentsquireprésententensemble85%duPIBmondial.Lesbasesd’uneréformedelarégulationfinancièresontjetées.

23novembreLeTrésoraméricainapporte20milliardsdedollarsencapitalàCitigroup.

26novembreJoséManuelBarrosoprésenteunplanderelanceeuropéende200milliardsd’euros.

28novembreNationalisationà58%deRoyalBankofScotland.

11décembre BernardMadoff, ancien président duNasdaq, est arrêté àNewYork. Il a escroqué50milliardsdedollars(65milliardsaveclesintérêts)àdesmilliersd’investisseursenAmériqueetdanslemonde.C’estlaplusgrossefraudepyramidaledel’histoire.

16décembreLaFedramènesontauxdirecteurdansunefourchetteentre0%et0,25%.Unplusbashistorique.

19décembreGeneralMotors etChrysler reçoivent unprêt publicd’urgencede17,5milliardsdedollars.

31décembreÀlafindel’annéeterrible,leDowJonesaplongéde33,8%.

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3.Lexique

Banquescentrales.LesBanquescentralesexercenttouteslamêmemission:préserverlastabilitédelamonnaie.Ellesopèrentsurlesmarchéspourinfluencerlescoursdechangeenintervenantdirectement(achatouventededevises),ouindirectementenjouantsurlesniveauxdetauxd’intérêt,c’est-à-direderémunérationdesplacementsàcourttermeeffectuésdansleurmonnaienationale.Lesinterventionssurlemarché monétaire, par le biais des taux d’intérêt, ont notamment un effet direct sur la trésorerie desbanques.

Collateralizeddebtobligations(CDO).L’acheteurduCDSpaieuneprimed’assuranceauvendeursansqueceluiquiassureaitl’obligationdemettredecôtédesfondspourgarantirlatransaction.

Creditdefaultswaps(CDS).Contratsd’assurancesurunedette,quigarantissentaucréancierqu’ilseraremboursémêmesisondébiteursedéfausse.Principalementcontractésentreinstitutionsfinancières,ilsoffrentauxinvestisseurslapossibilitédelimiterlesrisquesassociésàdesobligationsd’oùqu’ellesviennent–Étatouentreprise.Théoriquementdestinésàprotégerundéfautdepaiement,ilssontdevenusdes instruments de spéculation – la probablemise en défaut de l’entreprise ou de l’État auxyeux desmarchésfinancierscréantuneplus-value.Dessituationsextrêmesenrésultent,lemontantcouvertparlesCDSdépassant souvent, à l’instardesobligationsgrecques, lemontantde ladette.Celaprovoquedesmouvementsdepaniquesurlesmarchésfinanciersquiobligentl’Étatoul’entrepriseàemprunteràdesconditionsplusonéreuses.

Fondsdecapital-investissement(privateequity). Ilsprennentdespartsaucapitaldesentreprises,enespérantlesrevendrequelquesannéesplustardavecuneplus-valuecorrespondantàdeuxoutroisfoislamise.

Fonds de pension. Ils placent et collectent l’épargne de salariés pour financer les retraites,améliorant ou remplaçant le système par répartition. Une partie est parfois investie dans des fondsspéculatifsafindedoperlesrendements.

Fondssouverains.Fondsd’Étatcrééspourplacer la trésorerieexcédentairedupays,généralementproducteur de matières premières. Issues de Russie, Chine, Norvège ou des pays du Golfe, leursressourcesproviennentessentiellementdelamannedeshydrocarbures.

Fondsvautours.Fondsspéculatifsspécialiséssurlemarchédeladette,ilsrachètentlesobligationsouproduitsdérivésdecréancedesociétésendifficultéouenfaillite.Ilsseremboursentvialaliquidationdesactionsoularestructurationdelasociété.

Hedge fund. C’est une structure qui investit les fonds de clients – essentiellement investisseursinstitutionnels(fondsdepension,compagniesd’assurances,fondationsphilanthropiques,universités…),ainsi que des particuliers aisés – en leur offrant une alternative à la gestion traditionnelle. Par letruchement de stratégies de placement très complexes, ces sociétés visent à obtenir une performance

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déconnectée de l’évolutionglobale desmarchés.Les hedge funds recherchent des investisseurs à longtermeetimposentengénéraluneduréeminimaledeplacement.

Horsbilan.Lebilandesbanquesn’estpluslaphotographiedeleurpatrimoine.Ladéréglementationetleprogrèstechnologiqueontdonnéauxinstitutionsfinancièresdemultiplespossibilitésd’innoverenmatière de crédit et d’assurance financière, tout en échappant aux règles de prudence classiques enmatièredefondspropres.Celaafiniparcréerunebullefinancièreéchappantàtoutcontrôle.

Injectiondeliquidités.Lorsquelesbanquesnepeuvent–ouneveulentplus–seprêterentreelles,ellessetournentverslaBanquecentrale.Celle-ciprêtealorsàcourtterme(deunjouràtroismois)enéchangedetitres.

Marchédeschanges.Lemarchédes changes est le lieuoù senégocient l’offre et la demandededevisesprovenantdetransactionscommercialesetfinancières.Àl’origine,lesopérationsd’achatetdevente des devises servaient avant tout à régler les importations et les exportations.Aujourd’hui, elless’appliquent, pour l’essentiel, à des mouvements de portefeuilles, des investissements directs et desarbitrages.

Marché interbancaire.Chaque fois qu’une banque prête 1 000 euros, ellemet en réserve, sur uncomptedelaBanquecentrale,2%ducrédit,soit20euros.Siunebanquen’apasassezderéservespourprêter,ellepeutemprunterlesréservesàd’autresbanques.Cesprêtsentrebanquesontlieusurlemarchéinterbancaire.

Marchémonétaire. Lemarchémonétaire est le lieu de rencontre de l’offre ou de la demande defondsàcourtterme.Ilpermetdeplacerdesexcédentsdeliquiditésoudegérerdesbesoinsdetrésorerie.Lesfondssontplacésouempruntéssurdesduréesallantdeunjouràdouzemoismaximum.

Marchésàterme.Ilsfournissentdesinstrumentsdecouvertureoudeprotectioncontrelesvariationsdecoursdematièrespremières,demonnaies,detauxd’intérêt…Leprinciped’uneopérationàtermeestlesuivant:ils’agitd’uncontratd’achatoudeventeoud’uneoptiond’achatoudeventequistipulequela livraison et le paiement auront lieu à une date ultérieure, mais dans des conditions convenuesaujourd’hui.Laquantitédemarchandise,ladateetlelieud’exécutionainsiquelesprixsontfixéslorsdelaconclusiondel’affaire.

Subprime. Aux États-Unis : crédit hypothécaire accordé aux ménages modestes par desétablissementsfinancierssansconsidérationdeleurcapacitéàrembourser.

Titrisation. Montage permettant à un établissement financier de transformer un lot de créances(immobilier,consommation…)entitrescommercialisablesdanslebutdetransféreràuntierslerisquedenon-remboursementducréditinitial.

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4.Quesont-ilsdevenus?

JoshuaBolten. L’ancien directeur des affaires juridiques deGoldman Sachs à Londres en 1994-1999,puischefdecabinetduPrésidentGeorgeW.Bushde2006à2009,estaujourd’huiprofesseuràl’université de Princeton, où il enseigne la régulation financière, le budget fédéral et le commerceinternational.IlcoprésidelafondationClinton-BushpourHaïti.

LordBrowne.L’anciendirecteurgénéraldeBP, associé-gérantdu fondsdecapital-investissementaméricainRiverstone,estprésidentduconseild’administrationdelaTateGallery.

PetrosChristodoulos.L’ex-traderdeGoldmanSachsàLondres,numérodeuxdelaNationalBankofGreece,estresponsabledel’AgencedeladetteenGrèce.

AbbyCohen.ElleprésideleGlobalMarketsInstitutedeGoldmanSachs,l’institutd’observationdesmarchésdelabanqued’affaires.

JonCorzine.Battu en 2010pour un secondmandat de gouverneur duNew Jersey, l’ex-patron deGoldmanSachsdirigelecourtierMFGlobal.

AlistairDarling.Plusieurs foisministre sousTonyBlairetchancelierde l’Échiquier sousGordonBrown,ilaétéremplacéparleconservateurGeorgeOsborneaprèsladéfaiteduLabourauxélectionslégislativesdu6mai2010.

Stephen Friedman. Coprésident de Goldman Sachs en 1990-1994 et président de la Réservefédérale de NewYork en 2008-2009, il est directeur du Conseil sur le renseignement étranger de laMaisonBlanche.

RichardFuld.AncienP-DGdeLehmanBrothers,ilœuvredanslecapital-risque.ReubenJeffery.LedirecteurdubureauparisiendeGoldmanSachsde1997à2001,puisprésident

de la Commodity Futures Trading Commission en 2005-2007, est professeur au Centre des étudesinternationalesetstratégiquesdel’universitédeGeorgetown(États-Unis).

NeelKashkari. Ancien de Goldman Sachs en 2002-2009, nommé directeur du TARP, le plan desauvetagebancairedel’administrationBush,ilarejointlacompagnieobligatairePIMCOen2008.

JacquesMayoux.AncienconseillerinternationaldeGoldmanSachs,ilseconsacredésormaisàlavilledontilestmaire,Yvrac,enGironde.

Stanley O’Neal. Ancien président de Merrill Lynch, il est administrateur dans la productiond’aluminiumetcontinueàs’intéresserdeplusoumoinsloinàl’industriebancaire.

HenryPaulson.AprèsavoirquittésonpostedesecrétaireauTrésor,ilaécritsesMémoirestoutendonnantdescoursàl’universitéJohnsHopkins(États-Unis).

ChuckPrince.AprèssondépartdeCitigroup,ilarejointlasociétédeconseilAlbrightStonebridge.RomanoProdi.Retiréde lapolitique, il enseigne lesaffaires internationalesà l’universitéBrown

(État-Unis)etfaitpartiedupaneldesNationsunieschargédumaintiendelapaixenAfrique.

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RobertRubin.CoprésidentdeGoldmanSachsen1990-1992,secrétaireauTrésorduprésidentBillClintonen1995-1999,ilafinalementquittéCitigroupdontilavaitétél’undesresponsablesdunaufrage.

AlanSchwarz.L’ex-patrondeBearStearnsestP-DGdeGuggenheimPartners.John Thain. Ancien patron de Merrill Lynch et du New York Stock Exchange, ancien directeur

financierdeGoldmanSachs,ilaprislatêtedeCIT,banquespécialiséedanslesPMEenredressementjudiciaire.

JohnThornton.FondateurdeGoldmanSachsInternational,présidentdeGSAsieen1996-1998,ilestmembreduconseilinternationaldufondssouverainchinoisChinaInvestmentCorporation.

JohnWeinberg.Décédéen2006.SidneyWeinberg.Décédéen1969.

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Bibliographie

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Enguisederemerciements

J’exprime toute ma reconnaissance à deux amis journalistes de longue date qui, lecteursparticulièrement éclairés, ont corrigé le manuscrit d’une manière très professionnelle – Jean-HébertArmengaudetFrançoisTurmel.

MesremerciementsvontaussiàmescollèguesduMondepourleursoutienetcompréhension:AlainFrachon et Sylvie Kauffmann, Stéphane Lauer et l’ensemble du service Économie, Sylvain Cypel,VirginieMalingre,MarionVanRenterghem,PhilippeRicard,Jean-PierreStroobants,BenoîtHopquinetBricePedroletti.JetiensaussiàmentionnerEmmanuelGrynspan,deLaTribune,DiemHerbert,CathyBrooks-BakeretPhilippeKelly.

Merci aussi àSébastienCarganico, chef du servicede laDocumentationduMonde et à toute sonéquipe,quim’ontpermisdecorrigerdenombreuxdétailsetinterprétations.Sanseux,cetravailn’auraitpuêtremenéàbien.

ÀParis,lacoopérationd’Image7etdeDGMaétéappréciée.Ilenvademêmedestrèsnombreuxbanquiers,managersdehedgefunds,tradersenpétrole,experts,

associés-gérantsanciensouprésentsdeGoldmanSachsoupoliticiensethautsfonctionnairesquim’ontreçuendemandantàconserverl’anonymat.JetiensaussiàciterPhilipBeresford,DaviddeRothschild,Peter Hahn, Sylvain Hefes, Jean-Luc Schilling, John Shakeshaft, Arnaud Vaissié et Michel VandenAbeele.ÀNewYork,AntoineBernheimAnneRivers,ThomasCooley,RichardSyllaetDuffMcDonald.

JeveuxrendrehommageàPomyVilla,décédédepuis,poursesencouragements.Que mon éditeur, Alexandre Wickham, impérial et impérieux dans ses remarques, trouve ici

l’expression de ma gratitude. Je tiens également à remercier Thibaut Derudder pour son travail derechercheainsiquetoutel’équiped’AlbinMichelpoursonfantastiquetravail.

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Dumêmeauteur

Diana.Unemortannoncée,avecNicholasFarell,Scali,2006ElizabethII,ladernièrereine,

LaTableronde,2007Unménageàtrois,AlbinMichel,2009

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