MASARYKOVA UNIVERZITAFILOSOFICKÁ FAKULTA
Ústav románských jazyků a literatur
Les aspects du roman d´initiation chez Henri Vincenot
Diplomová práce
Autor práce : Vedoucí diplomové práce :
Lucie Smejkalová prof. PhDr. Petr Kyloušek, CSc.
Brno 2010
Tímto prohlašuji, že jsem
diplomovou práci vypracovala
sama a že jsem čerpala pouze
z uvedených pramenů.
V Brně………………………………. ………………………………………..
2
Na tomto místě bych ráda
poděkovala prof. PhDr. Petru
Kylouškovi, CSc. za vedení a
cenné rady, jež mi při psaní
diplomové práce poskytl.
3
LE TABLE DES MATIERES
Avant-propos………………………………………………………………………………………4
I. Les éléments du roman régional dans les œuvres de Vincenot………………………………….8
II. L’initiation et sa présence dans la littérature………………………………………………….12
II.I.Les trois degrés d’initiation………………………………………………………………...12
II. II. Le roman d’initiation……………………………………………………………………..14
III. La quête initiatique du héros………………………………………………………………….21
III. I. Les Yeux en face des trous………………………………………………………………..21
III. II. Le Pape des escargots.......................................................................................................31
III. III. La Billebaude…………………………………………………………………………...41
III. IV. Les Etoiles de Compostelle..............................................................................................47
III. V. Le Maître des abeilles…………………………………………………………………...52
IV. Les spécificités du roman d’initiation………………………………………………………..57
IV. I. Les noms…………………………………………………………………………………57
IV. I. A. Les noms « parlants » des adeptes………………………………………………58
IV. I. B. La triple identité des initiateurs…………………………………………………61
IV. II. L’espace…………………………………………………………………………………65
IV. II. A. La campagne……………………………………………………………………..67
IV. II. B. La ville…………………………………………………………………………...72
IV. III. Le temps………………………………………………………………………………..75
Conclusion………………………………………………………………………………………..81
Bibliographie……………………………………………………………………………………..
4
AVANT-PROPOS
A la deuxième moitié du XXe siècle, marquée par le bouleversement des valeurs
traditionnelles suite à la deuxième guerre mondiale, l’homme commence à se servir de nouvelles
technologies plus efficaces que les précédentes, conçues ou appropriées pour rendre la vie plus
facile et confortable et pour que les gens puissent mieux profiter de leur temps libre.
Ainsi la société de la consommation est née. Les gens à la campagne ne veulent plus
vivoter, faute de manque du travail, dans les conditions inférieures à celles de citadins. Ils sont
attirés par le mirage de la richesse laquelle les attend dans la ville. Ensuite une nouvelle vague
d’urbanisation se produit en France. Ce déracinement des nouveaux arrivés ne tarde pas à
entraîner des problèmes sociaux.
Nous ne voulons pas poursuivre ici un récit historique ou sociologique, mais nous avons
trouvé utile de rapprocher la perception du monde dans lequel vivait Henri Vincenot. Il a réagi
souvent dans ses œuvres à la situation fragile des gens déracinés. Car cet écrivain bourguignon,
imprégné de la culture de ses aïeuls, a été très sensible au contraste entre les valeurs étant en
vigueur pendant son enfance et celles des années 70 et 80 du XXe siècle. Et c’est par le biais de la
littérature qu’il a décidé de transmettre l’expérience et la connaissance de ses prédécesseurs,
tombant de plus en plus dans l’oubli.
On soupçonne Vincenot, d’après une lecture hâtive, semble-t-il, d’être passéiste hurlant
contre toute forme de progrès. Mais « [c]e qui est en cause, c’est le technologisme face à
l’humanisme » parce que Vincenot accuse le progrès « vers le toujours plus »1 qui est pour
l’écrivain le déclencheur de la déshumanisation de la société moderne.
Pour montrer ces aspects de l’œuvre de Vincenot, nous avons étudié cinq de ses romans
au travers de sa création littéraire : un de ses premiers romans Les Yeux en face de trous (1959),
les deux œuvres qui lui ont valu succès auprès des lecteurs français : Le Pape des escargots
(1972) et La Billebaude (1978), ensuite une histoire située au Moyen-Âge - Les Etoiles de
Compostelle (1982) et le roman fini peu avant sa mort Le Maître des abeilles (1987).
En effet pour analyser ces romans, nous avons appliqué le modèle du roman d’initiation
pour prouver que l’œuvre d’Henri Vincenot ne se limite pas aux simples histoires d’amour entre
le héros et sa bien-aimée encadrées dans le décor bourguignon puisque cet écrivain est souvent
1 Dubois, C.-G. : Tradition et progrès chez Henri Vincenot – un réseau de malentendus, in : Actes de Rencontres Henri Vincenot, Editions Armaçon, Dijon, 1993, p 27.
5
classé parmi des auteur du roman régional2. Pour déceler la structure initiatique nous nous
sommes référée surtout aux ouvrages de Daniela Hodrová, et, pour comprendre mieux l’initiation
comme telle, aux observations de Mircea Eliade.
Ils nous ont été aussi très utiles des travaux déjà entrepris sur l’œuvre de Vincenot non
seulement concernant l’analyse littéraire comme celui de Françoise Thinlot-Baritou, Pascal Patte
ou Anne-Marie Ferlet, mais aussi de l’ordre linguistique, notamment celui de Jacqueline Robez-
Ferraris et Gwénaëlle Boinon3.
Dans notre travail nous allons alors d’abord brièvement caractériser le roman régional
pour se faire une idée claire sur ce sujet. Dans le chapitre suivant nous allons essayer d’expliquer
ce que c’est que l’initiation dans le sens propre et tout de suite après présenter le schéma du
roman d’initiation avec l’accent sur le XXe siècle.
Le troisième chapitre sera consacré aux histoires de chacun des romans de point de vue de
la quête initiatique du héros. Nous sommes consciente du fait que cela prendra une place
importante dans notre mémoire, pourtant, nous le trouvons nécessaire eu égard au fait qu’Henri
Vincenot ne jouit pas d’une notoriété considérable dans notre pays.
Dans le quatrième chapitre nous analyserons d’autres spécificités liées au roman
d’initiation : les noms, l’espace et le temps afin de confirmer notre proposition de classer Henri
Vincenot parmi les auteurs de ce genre.
Avant d’aborder l’analyse de ses œuvres, il nous semble opportun de mentionner quelques
repères biographiques sur Henri Vincenot. Il est né en 1912 à Dijon dans une famille de la petite
bourgeoisie. Ses ouvrages, surtout La Billebaude, sont influencés par son enfance. La famille
jouait un rôle prépondérant dans sa vie. Il s’est souvent vanté d’une longévité extraordinaire de
ses grands-parents (souvent ils ont dépassé 90 ans), d’où, semble-t-il l’inspiration pour les
personnages d’initiateur. Ainsi, à part des grands-parents, l’écrivain a connu 3 arrière-grand-
mères et 3 arrière-grand-pères4. En effet, ils transmettaient leurs connaissances hérités de leurs
2 „[…] d’autres enfin exaltent les enfances campagnardes, bourguignonne pour Henri Vincenot (La Billebaude, 1978), bretonne pour Pierre-Jakez Hélias (Le Cheval d’orgueil, 1975), provençale pour Marcel Pagnol (La Gloire de mon père, 1957 […]). (Couty, D.: Historie de la littérature française: XXe siècle. Tome 2. 1945-1988. Bordas, Paris 1986, p. 19.)3 Ces travaux sont mentionnés dans la bibliographie à la fin de ce mémoire de maîtrise.4 Limoges, M. : Vincenot la Légende, essai imparfait de biographie éclatée en onze chapitres et plusieurs divertissements. Editions Siloë, Laval 1991, pp. 44-45.
6
ancêtres au petit Henri qui les a fait ressortir des années plus tard dans ses œuvres. D’après lui,
« on ne comprend un pays que par ses grands-parents ».5
Il y a aussi une autre source d’inspiration. A l’âge de huit ans, Vincenot, à cause de la
pneumonie, a dû passer les vacances en Bretagne. Le petit garçon a aimé à assister aux soirées où
on racontait de vieilles légendes celtiques en breton. Bientôt il arrive à mémoriser ces « gwerz »6
et à maîtriser la langue. Plus tard il a fructifié des acquis de la civilisation celte dans ses livres.
Après les études à l’H.E.C., imposées, malgré lui, par sa famille, une carrière du
fonctionnaire attendait Henri Vincenot. En plus, après la découverte de la sourd-mutité de son fils
aîné, toute la famille devait quitter la Bourgogne pour Paris. Cela ne lui empêchait de poursuivre
la création littéraire et devenir le rédacteur de l’hebdomadaire des cheminots La Vie du Rail. Ce
séjour « en exil » servait Vincenot de l’inspiration et les romans écrits pendant ces « années de
colère » ont souvent pour le thème principal des problèmes sociaux liés au déracinement et la
déshumanisation de la société. Nous en avons sélectionné un, Les Yeux en face des trous, pour
saisir les débuts du retour à l’origine.
Passionné au théâtre, il a écrit et ensuite réalisé en 1951 une pièce de théâtre Ceux de
vendredi. Le succès accompagné de la coupe Léo-Lagrange, la meilleure récompense pour le
théâtre amateur, ouvre la porte à la carrière de l’écrivain : la maison d’édition Denoël offre à
Vincenot publication de ses romans. Le succès considérable arrive enfin en 1972 avec la
publication du roman Le Pape des escargots.
En 1967 ce «cheminot par atavisme, journaliste par passion et parisien par nécessité »7
peut enfin jouir de sa retraite et de son retour en Bourgogne, l’expérience souvent vécue par ses
héros. Là il peut enfin être le maître de lui-même en exerçant ses « trois-huits » : « c’est simple,
répondait-il [H. V.] l’œil allumé : huit heures de culture, huit heures d’écriture et huit heures de
sommeil et de repos en famille… »8. La production de ses œuvres rédigés dans ce climat pourrait
servir de la preuve de la bienfaisance de ce retour à l’origine.
5 Vincenot, H.: Ma Bourgogne, le toit du monde occidental. collection « Terres de mémoire », Ed. Jean-Pierre Delarge, 1979, p. 37.6 Vincenot, Claudine : Henri Vincenot : la vie toute crue, Anne Carrière, Paris 2006, p. 947 Bazin, J.-F. : Henri Vincenot, ou le paradoxe, in : Mémoires de l’Académie de Dijon, Tome CXXV, 1981-1982, p. 79.8 Limoges, M. : Vincenot la Légende, essai imparfait de biographie éclatée en onze chapitres et plusieurs divertissements. Editions Siloë, Laval 1991, p. 86
7
I. LES ELEMENTS DU ROMAN REGIONAL DANS L’ŒUVRE DE VINCENOT
Henri Vincenot n’est pas considéré seulement comme un écrivain français, mais aussi
bourguignon. Cela est causé par le fait que dans ses romans la Bourgogne, sa région natale dont il
chante la beauté, joue un rôle non négligeable. C’est pourquoi il est souvent regardé comme un
auteur de romans régionaux.
On n’est pas loin de la vérité si on se réfère à M. Bachtine. Celui-ci considère comme
l’élément essentiel du roman régional « l’union fixe d’un processus de la vie des générations et
d’une localité concrète »9. Il est évident que les héros de Vincenot sont attachés à la Bourgogne
par un lien consanguin (seul Jefkins n’y est pas né, mais il a épousé une Bourguignonne de
souche). Si on simplifie leur histoire, il faut constater qu’ils désertent leur terre natale pour des
motifs différents, ensuite, après avoir vécu une mauvaise expérience à l’exil, ils ressentent le mal
du pays, ils reviennent et ils recommencent leur vie dans le pays d’origine. N’y trouve-t-on pas la
promotion du sentimentalisme, du conservatisme et de la vie idyllique ?
Cet aspect patriotique et le retour à la vie en harmonie avec la nature fait souvent ranger
Vincenot à côté des auteurs à la Jean Giono, c’est-à-dire les représentants d’« un art de vivre où
les relations entre les hommes et leur environnement sont harmonieuses : les villages construits
par les paysans s’insèrent sans les détruire dans les paysages naturels »10.
Ce recours à la vie idyllique du roman régional a pour l’effet un certain statisme qui se
transmet sur les héros. Et comme l’histoire manque d’action et de ce fait du dynamisme, c’est le
détail qui est privilégié. Les composants comme « la langue, la religion, le moral ou des us et
coutumes liés à la localité concrète »11, en général vus comme accessoires dans le monde de la
littérature, forment la majorité des moellons de la construction de ce genre du roman. Et Henri
Vincenot ne cache pas son plaisir d’offrir à son lecteur le vocabulaire régional, des descriptions
des activités collectives et des commentaires sur la mentalité bourguignonne.
En plus, si on compare, dans la création de Vincenot, le partage de l’action située en
Bourgogne et celle en dehors de la région sur l’axe chronologique, on s’aperçoit, qu’au travers de
son parcours littéraire, la première gagne de plus en plus d’importance. En ce qui concerne Les
Yeux en face des trous, la deuxième et la plus longue des trois parties, sinon 113 pages sur 284, se 9 Bachtin, M. : Román jako dialog. Odeon, Praha 1980, p. 351.10 Marina-Mediavilla, A.-M. : Pour mieux comprendre Regain, préface de Giono, J. : Regain, Livre de Poche, Paris 2007, p. 174.11 Bachtin, M. : idem, p. 351.
8
développe à Paris, ensuite pour Le Pape des escargots le séjour du héros à la capitale est limité à
une partie sur quatre (66 pages sur 285). La Billebaude représente la rupture avec la présence de
la capitale dans l’œuvre de Vincenot – elle y figure seulement sur 9 pages sur 318. Dans le roman
Les Etoiles de Compostelle, l’exploit du héros à l’extérieur de la Bourgogne, malgré la longueur
du pèlerinage, ne s’étale que sur 70 pages sur 335. Enfin, dans le dernier roman, Le Maître des
abeilles, l’histoire, sauf neuf pages de la localisation parisienne (sur 158 pages), se déroule
uniquement à Montfranc-le-Haut12, un village bourguignon.
D’après toutes ces constatations on ne peut pas contester l’affinité de l’œuvre de Vincenot
avec le roman régional. Nous insistons sur l’expression affinité. Les signes essentiels de ce genre
ont été mentionnés afin qu’il soit apparent que les voix rangeant Vincenot parmi les auteurs
désireux de promouvoir la beauté de leur pays ne sont pas tout à fait erronées.
Mais il ne faut pas oublier une chose importante. C’est que Vincenot se soucie à ce que le
parcours de ses héros témoigne d’une progression sur le plan intellectuel et professionnel. Ainsi
un être autrefois naïf revient dans la terre de son origine en tant qu’un homme expérimenté. Or,
les épreuves sont caractéristiques pour le roman d’initiation. L’évidence de ce dynamisme des
personnages principaux ne correspond pas donc à la conception statique du roman régional.
Ce constat peut être appuyé par le fait que les éléments servant plutôt à la précision de la
description qu’à l’évolution de l’action ne sont pourtant pas représentés en majorité écrasante
dans l’œuvre d’Henri Vincenot. Leur quantité n’envahit pas ainsi la place réservée à l’histoire.
Celle-ci est donc plutôt enrichie par la couleur locale qu’étouffée par des détails régionaux, ce qui
offre au lecteur une possibilité de se plonger mieux dans l’univers créé par l’auteur.
Certes, la langue régionale et la civilisation bourguignonne sont présentes dans tous les
romans de Vincenot (c’est surtout le cas pour La Billebaude), mais leur analyse n’est pas
l’objectif premier de notre travail. Les travaux sur les champs linguistique et folklorique ont été
déjà entrepris par Jacqueline Robez-Ferraris, Isabelle Falmagne et Gwénaëlle Boinon,
respectivement par Anne.-Marie Ferlet. Néanmoins ces composantes sont inséparables de son
style littéraire, c’est pourquoi, si cela est nécessaire pour éclairer la motivation d’un personnage
ou d’un acte mentionné, nous allons nous servir de leurs observations.
D’après ce qui vient d’être exposé, on peut hésiter lequel des deux types de roman, c’est-
à-dire le roman régional et le roman de l’initiation, est caractéristique pour Vincenot. Une
12 Le nom de Chateauneuf sous la Révolution.
9
certaine ambiguïté se manifeste. Il offre au lecteur d’un côté une image de la vie idyllique et
statique, de l’autre côté apparaît un héros qui est poussé, soit par une force divine, soit par sa
propre curiosité, à un mouvement progressif sur l’axe spatial et spirituel. En effet, Vincenot se
sert des deux types du roman, régional et d’initiation, en insistant sur la prépondérance du
deuxième type, sur lequel porte notre intérêt
D’ailleurs, il ne s’agit pas d’une contradiction : la vision du temps unit le roman régional
et le roman initiatique. Les deux se servent du fait que le temps n’est pas concevable uniquement
dans un ordre chronologique, mais aussi dans son aspect cyclique, lié à la réitération des
processus végétaux, et approuvé par des sociétés archaïques.
Ces sociétés constituent implicitement aussi un point commun des deux types de roman.
La vie idyllique est basée sur la continuation et le souci de maintenir des traditions ancestrales
appartenant à la conscience de tous les membres d’une société visée. Dans le cas de l’initiation,
de même on reprend le savoir des aïeux, sauf que l’accession à celui-ci est plus ou moins
restreinte et réservée aux individus déterminés qui en sont dignes.
L’abondance des éléments régionaux, placés au début des romans sélectionnés, est mise
en parallèle avec le monde profane, accessible à tous, un monde où on n’a pas besoin de
formation spéciale pour sa compréhension. Mais progressivement, avec l’initiation, cet endroit
prend l’allure d’un autre espace, le héros, à l’aide de son maître, y apprend à reconnaître des
signes cachés aux ignorants et il entre dans la symbolique qui l’entourait depuis toujours mais qui
avait été pour lui jusqu’alors inconnue.
Ainsi les premières pages, chargées des descriptions des activités communes ne sont pas
privées de sens et elles sont utiles pour l’action des romans Par exemple Le Pape des escargots
commence par une description des vendanges - la Bourgogne étant renommée pour sa viticulture
- où les mots régionaux appartenant à ce domaine apparaissent : « Tout le jour, on avait vu les
hommes aller chercher l’eau glacée de la douix pour abreuver quartereaux et feuillettes, cuves et
sapines, ballonges et cuveaux. Le long des murs dorés, un fort parfum de fruit sec et de tanin
montait, percé, comme par une lance, par le cri des derniers martinets. » (PDE 9)13. On se trouve
dans un milieu bruyant, agité et en contraste avec ce qui va suivre.
Car on peut sentir la différence dans la psychologie du héros entre le moment où il fait
partie d’une société profane et quand il se replie sur lui-même dans l’isolement. Par la bouche du
13 Il s’agit des récipients utilisé pour les vendanges.
10
personnage principal de La Billebaude Vincenot l’explique ainsi : « Quand on est seul, on est
libre d’imaginer tout ce qu’on veut, on rêve à sa guise » (B 153). Or, la première situation mène
à la poursuite des objectifs matériaux. Ceux-ci occupent l’esprit de l’homme terrestre et ils
forment un obstacle important à la recherche des valeurs spirituelles.
Par contre, grâce à l’isolement, il est possible au héros de se détacher des soucis
quotidiens et de consacrer tout son temps à l’élévation spirituelle. Vincenot utilise une certaine
ironie, quand l’oncle de Gilbert réfléchit sur la récolte : « Sera bon ? Sera mauvais ? Le vendrai-
je bien mon vin ? (PDE 18). Cette méditation est confrontée avec le commentaire de la Gazette :
« Quel triste spectacle, en vérité, que celui de ces pauvres hommes au travail sous le soleil du
bon Dieu et devant ce panorama qui devrait les porter à la méditation ! Pauvres esclaves de
l’ambition, de la cupidité… » (PDE 18). Gilbert, adepte de l’initiation dans ce roman choisit à
poursuivre sa formation sous l’influence de ce deuxième et le voyage initiatique peut commencer.
II. L’INITIATION ET SA PRESENCE DANS LA LITTERATURE
11
Comme nous allons voir, l’initiation est un sujet éminemment romanesque, c’est pourquoi
l’union des deux composants a été scellée déjà en Antiquité.
II. I. Les trois degrés de l’initiation
Le chapitre précédent a été consacré aux éléments du roman régional présents dans
l’œuvre de Vincenot. Pourtant, c’est d’après le schéma du roman initiatique que l’action se
développe. Avant de procéder à l’analyse des traits principaux de ce genre, nous trouvons utile de
nous arrêter sur le terme initiation.
L’origine étymologique de cette dénomination vient du mot latin « initium ». Ce qui
signifie « le commencement, le début ». On peut remarquer un glissement sémantique ce qui
n’est pas un phénomène rare dans l’étymologie. Tandis que le signifié d’origine sert à ancrer une
situation sur l’axe temporel, celui d’aujourd’hui exprime une « admission de quelqu’un au culte
d’une divinité, à la connaissance de ses mystères »14. Pourtant, entre les deux existe un lien qui
justifie cette évolution.
D’après l’historien des religions Mircea Eliade « [g]énéralement on comprend par
l’initiation l’ensemble des rites et des doctrines orales, suivis d’un changement essentiel du statut
religieux et social de la personne subissant l’initiation. »15 Ici apparaît la convergence entre les
deux signifiés : l’initiation permet au néophyte de franchir le seuil de la connaissance, ce qui
signifie pour lui le début d’une nouvelle existence ontologique et spirituelle. Voilà le résultat du
but initial - « détruire l’être ancien pour qu’émerge le nouvel être »16.
Pourtant, ce passage n’est pas sans difficultés. L’adepte doit d’abord prouver, qu’il en est
digne. La nature des obstacles apparus sur son chemin initiatique dépend au degré d’initiation.
Car on peut classifier l’initiation dans trois catégories : D’abord « des rituels collectifs permettant
de réaliser le passage de l’enfance ou de la puberté à l’âge mûr lequel tous les membres de la
société doivent subir »17 représentent le niveau le plus profane et répandu.
Dans le cas du deuxième type de l’initiation, l’accès y est plus restreint. La sélection de
l’adepte se produit selon les qualités qui le prédestinent ou non à une connaissance plus sublime,
plus élevée, plus instruite, plus difficile à apprendre, plus ésotérique, qui a besoin de 14 Trésor de la langue française informatisé - initiation.15 Eliade, M. : Iniciace, rituály, tajné společnosti. Mystická zrození. Computer Press, Brno 2004, p. 4.16 Decharneux, B. – Nefontaine, L. : L’initiation : splendeurs et misères. Labor, Bruxelles 1999, p. 28.17 Eliade, M.: Iniciace, rituály, tajné společnosti. Mystická zrození. Computer Press, Brno 2004, p. 14.
12
l’amélioration intérieur du néophyte. Tous ces acquis sont liés à une société secrète avec ses
propres règles strictes, lesquels doivent être minutieusement observés et rigoureusement
protégées devant les ingrats.
Le troisième type touche le plus intensément le sacré. Après cette initiation, le corps et
toute existence physique du nouveau initié se libère du monde profane et la vie de l’initié se
déroule dans l’envie éternelle du perfectionnement de l’esprit, souvent isolé de la société. Cet
abandon lui permet de se consacrer à la méditation et ainsi parvenir à la divinité. Cela peut mener
jusqu’à l’acquisition des pouvoirs surnaturels, chamaniques, donc jugés par ceux, à qui ils sont
cachés, comme divins.
Tandis que les rites collectifs, ou de puberté, dépendant du premier niveau de l’initiation,
servent à introduire le néophyte dans la société, les deux autres niveaux supérieurs imitant des
rites individuels ont, au contraire, pour le but la perfection intérieure de l’adepte. Ces rites
collectifs sont accessibles, sinon obligatoires, au sein d’une communauté, or chaque membre
devrait au moment donné les subir pour prouver sa maturité. Cela rend le nouvel initié digne
d’être accueilli parmi les adultes. Dans ce cas-là, le caractère des acquis relève du domaine des
connaissances exotériques.
Pour pouvoir accéder au statut d’initié des deux niveaux supérieurs, il faut au héros
acquérir des connaissances ésotériques. Celles-là sont gardées en secret par les initiés qui n’ont
pas droit de les révéler qu’aux individus qui bénéficient de qualités spéciales. La transmission à
l’oral est la conditio sine qua non pour empêcher le transfert de la connaissance aux non-initiés
qui pourraient en désabuser.
On peut se demander si les rites initiatiques avec leurs signification symbolique
n’appartient pas à l’histoire révolue, vu la désacralisation du monde contemporain. Mircea Eliade
nous assure que « la religion est la solution exemplaire de toute crise existentielle »18 et
« l’homme profane, qu’il le veuille ou non, conserve encore les traces du comportement de
l’homme religieux, mais expurgées des significations religieuses. Quoi qu’il en fasse, il est un
héritier. »19. Ainsi les rites initiatiques, d’origine tribale ou religieuse, sont ancrés jusqu’à nos
jours dans les fêtes familiales comme la naissance, la communion, le mariage, les funérailles.
Tous ces actes, liés à l’intimité et le cercle soudé de la famille, avec les fêtes de la communauté,
18 Eliade, M.: Iniciace, rituály, tajné společnosti. Mystická zrození. Computer Press, Brno 2004, p. 178.19 Eliade, M.: Le sacré et le profane. Gallimard, Paris 1965, p. 173.
13
souvent d’origine mythique, nous témoignent la présence du sacré dans le monde au premier
abord profane.
Les fêtes en tant que les vestiges des représentations des mythes ancestraux et des rites de
passage ne sont pas la seule trace du sacré dans la vie des hommes profanes, comme le rappelle
Simone Vierne : « [l]’initiation procure une réponse, et une réponse irréfutable parce
qu’obtenue hors de tout raisonnement logique, au désir de changement de l’homme qui rêve
d’échapper à l’enlisement de la vie quotidienne, ce qu’il traduit vulgairement par une expression
chargée de sens symbolique : « changer de peau ». »20 Dans le rôle de succédané apparaît ainsi la
littérature et la cinématographie21 au niveau plus ou moins élevé. On y offre au lecteur ou au
spectateur la possibilité de remplir le manque du spirituel en s’immergeant dans l’univers où il
peut s’identifier avec le héros subissant l’initiation plus ou moins ésotérique.
II. II. Le roman d’initiation
Au Moyen-âge le roman temporel chevaleresque a gagné de la popularité. Avec lui
« naissait parallèlement le roman d’initiation en tant que sa variante spiritualisée »22. Ainsi
s’avère le thème principal de ce genre, consistant à l’ascension spirituelle du héros. Ce dernier
traverse au cours de son voyage initiatique trois phases correspondantes aux rites de passage
initiatiques. Ainsi, d’après Louis Cellier « le héros est admis dans une société d’initiés et nous
participons avec lui aux rites traditionnels, tâche singulièrement difficile puisqu’il ne s’agit pas
seulement d’étonner le lecteur par l’étrangeté des rites, mais de faire participer le lecteur à une
expérience spirituelle qui aboutit à une métamorphose »23 autrement dit, au niveau extratextuel,
l’auteur adresse son message au lecteur par le biais de ses personnages et il se dissimule dans le
rôle pédagogique du maître.
L’origine du roman d’initiation remonte à l’Antiquité. L’exemple typique est L’Âne d’Or
d’Apulée. Pourtant, l’essor de ce genre ne date que de l’époque médiévale où la popularité du
cycle breton a entamé une création abondante dont l’auteur le plus significatif est Chrétien de
20 Vierne, Simone: Rite, roman, initiation. Presses universitaires de Grenoble, Grenoble 1987, p. 93.21 Pour la cinématographie, Mme Vierne donne comme l’exemple le film de S. Kubrick 2001 ou l’Odysée de l’Espace. Le besoin d’immaginaire se traduit aussi au début du XXIe siècle dans le succès de la triologie Le Seigneur des Anneaux de P. Jackson d’après le livre éponyme de Tolkien et de L’Avatar de J. Cameron.22 Hodrová, D.: « La structure et les transformations du roman initiatique » in: Litteraria Pragensia : studies in literature and culture, 4, 1992, p. 7.23 Cellier, L.: Parcours initiatiques. Presses universitaires de Grenoble, Neuchâtel 1977, p. 129.
14
Troyes. Depuis le Moyen-âge le schéma du roman d’initiation ne varie pas beaucoup. Au
romantisme apparaissent les premières dérogations où l’initiation à l’ascension de l’esprit vers le
ciel est remplacée par la descente en enfer ou par l’initiation de nature diabolique. Ce
renversement des valeurs pourtant ne prédomine qu’à la fin du baroque.
Le schéma initiatique dans la littérature persévère fixe pendant des siècles, jusqu’au
romantisme qu’on vient de mentionner et à cette époque-là « se prépare l’image que le roman
d’initiation a acquit au XXe siècle. L’envolée du relativisme et du scepticisme, ainsi que le
réalisme avec une conception tout-à-fait différente du héros et l’attitude au monde, qui se
développait, ont apparemment participé à ce glissement d’un poids non négligeable. »24 Ainsi,
avec l’évolution et la désacralisation de la société, se dégage, à part du style traditionnel, « une
multiplicité des conceptions du thème initiatique »25. D’une part il s’agit du roman policier,
continuation du genre de l’initiation au caractère décadent, et d’une nouvelle branche littéraire, le
roman de science-fiction, les deux relevant du profane, de l’autre part des romans d’initiation
relevant du sacré, mais, cette fois apparaît une nouvelle occurrence – dans le roman « en
comparaison avec la période des errances et de la descente, l’aboutissement du voyage et le
moment culminant de l’initiation ne se présentent pas que dans les proportions d’une épisode ou
même sont complètement absents »26. En effet, « [a]vant tout l’initiation a été mise en doute –
sans aboutissement [...], elle a été déjouée ou renversée, ou le héros y a renoncé »27
Le roman initiatique s’intéresse aux deux niveaux supérieurs ésotériques, c’est-à-dire à
l’initiation aux sociétés secrètes et à l’initiation chamanique avec le but principal de cultiver et de
faire évoluer la dimension spirituelle de l’adepte. En effet, le mouvement du héros a « le
caractère vertical et circulaire, ou plutôt en spirale »28. Par contre, à ce qui concerne l’initiation
tribale nécessitant des connaissances exotériques, ce changement social n’appartient qu’aux
occupations terrestres et temporelles et ce genre d’initiation devient le sujet du roman de la
formation ou de la maturation.
24 Hodrová, D.: Hledání románu. Kapitoly z historie a typologie žánru. Československý spisovatel, Praha 1989, p. 188.25 Hodrová, D. : Román zasvěcení. H & H, Jinočany 1993, p. 122.26 Hodrová, D.: « La structure et les transformations du roman initiatique » in: Litteraria Pragensia : studies in literature and culture, 4, 1992,, p. 7.27 Hodrová, D. : Hledání románu. Kapitoly z historie a typologie žánru. Československý spisovatel, Praha 1989, p 189. 28 Hodrová, D.: « La structure et les transformations du roman initiatique » in: Litteraria Pragensia : studies in literature and culture, 4, 1992,, p. 4.
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Le parcours initiatique progresse en imitant les trois phases du rite initiatique. Celui-ci
dans les mythes commence par « l’engloutissement d’un héros par un monstre marin et sa sortie
victorieuse après avoir forcé le ventre de l’engloutisseur » suivi de « la descente périlleuse dans
une grotte ou une crevasse assimilées à la bouche ou à l’utérus de la Terre-Mère. Toutes ces
aventures constituent en fait des épreuves initiatiques, à la suite desquelles le héros victorieux
acquiert un nouveau mode d’être »29.
Dans la littérature sont ces trois phases caractérisées comme la période des épreuves et
des errances entraînés par le départ volontaire ou obligé du héros de la maison natale, la catabase
représentant la mort symbolique de l’adepte et la catharsis ou la purification, l’ultime phase de
l’initiation nécessaire pour l’aboutissement réussi de sa renaissance spirituelle.
L’adepte est l’acteur principal dans les trois phases, néanmoins il n’agit pas seul. Pour
réussir les épreuves de la catabase, il lui assiste encore deux personnages-types du roman
initiatique. Daniela Hodrová a tracé un schéma triangulaire. Chaque angle porte un des trois
personnages-type l’adepte – le maître – la vierge avec, éventuellement, l’être divin au centre.
« Le triangle est formé par la liaison des sommets des personnages et ses côtés séparent l’espace
intérieur de l’extérieur. Les sommets en font partie aussi, même s’ils appartiennent également
dans l’espace extérieur de la forêt parce qu’ils se trouvent sur la limite. » 30
Pendant la première phase est au héros dévoilée sa vocation pour devenir initié. A ce
moment démarre sa formation initiatique parsemée par des épreuves. Celle-là lui est fourni par
l’initiateur qui suggère à l’adepte un autre monde à découvrir, plutôt un arrière monde, caché
jusqu’alors derrière celui qu’il a considéré comme le seul réel. Ce nouveau monde intérieur est
grâce à une symbolique hermétique accessible aux seuls initiés, c’est « un monde « ouvert », bien
que « chiffré » et mystérieux »31. Ce monde peut être enchâssé dans un paysage réel ou il peut
s’agir du monde imaginaire du héros ou de l’auteur.
La deuxième phase, catabase, représente des « épreuves qualificatives le plus décisives
(...) de l’initiation ».32 Le héros doit, avec les acquis ressemblés pendant son chemin initiatique,
prouver son aptitude d’affronter l’examen final où il est censé de combattre un monstre ou
29 Eliade, M.: Aspects du mythe. Gallimard, Paris 1963, p. 105.30 Hodrová, D. : Román zasvěcení. H & H, Jinočany 1993, p. 174.31 Eliade, M.: Aspects du mythe. Gallimard, Paris 1963, p. 176-177.32 http://fr.wikipedia.org/wiki/Catabase
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dépasser son existence corporelle. Ces deux phases sont riches aux péripéties et aux aventures,
c’est pourquoi en général elles occupent la place majeure dans les romans initiatiques33.
Le trajet de l’adepte s’achève pendant la dernière phase, où il franchit le seuil de
l’initiation, devient l’initié et accède au monde divin, intérieur et intemporel, après s’être
dépouillé de son corps humaine. Cela permet la résurrection de son âme, qui est enfin purifié de
tout aspect matériel de son existence antérieure. En effet, « le roman peut être dit initiatique,
lorsque le héros meurt pour renaître. »34
Pour arriver jusque là, le héros est au début de sa quête contraint, à cause de sa différence
des autres, à l’abandon de la maison natale. Il « porte le signe de l’élu (l’armure initiatique, le
vêtement, un objet, une cicatrice, ressemblance extraordinaire, faculté de la transcendance) – les
indices de l’intérieur »35 aussi que « des attributs physionomiques (la pâleur, l’expression
démoniaque des yeux, la synophtalmie, la cicatrice, l’estampille de damnation) »36
L´origine de l´adepte est généralement obscure, ce qui le pousse à la quête de son identité,
de même que son nom parlant qui le prédestine à un sort exceptionnel. Cet ingénu, un pur niais
« doit d’abord expier ses fautes, son asservissement au monde, à la chair, il doit perdre la
mémoire, devenir fou, errer par la forêt »37 pour être suffisamment préparé à l’épreuve finale.
Pendant le voyage initiatique « [s]a destinée, c’est le mouvement – réel ou imaginaire
(spirituel) »38 lequel « le différencie des autres personnages qui sont d’habitude immobiles. Ils
restent à leur place où ils attendent l’arrivée de l’adepte pour devenir ses assistants et initiateurs
ou pour le tenter, le détourner de son chemin ou attenter à son anéantissement. »39
Tous les critères de la prédestination le distinguent de ses semblables qui ne peuvent
jamais accéder à la condition spirituelle plus élevée. En quittant son domicile, il commence à
s’éloigner, plus ou moins inconsciemment, de cet endroit profane et terrestre. En ce moment-là il
rencontre un vieil homme, son futur maître, qui devient ensuite son père spirituel.
Celui-ci est un initié qui reconnaît en héros, d’après les signes caractérisant des élus, un
homme prédestiné à suivre la formation initiatique. Le maître est pour l’adepte un guide
33 Hodrová, D. : Hledání románu. Kapitoly z historie a typologie žánru. Československý spisovatel, Praha 1989, p. 181.34 Cellier, L.: Parcours initiatiques. Presses universitaires de Grenoble, Neuchâtel 1977, p. 125.35 Hodrová, D. : Román zasvěcení. H & H, Jinočany 1993, p. 16536 Idem. p. 147.37 Hodrová, D.: « La structure et les transformations du roman initiatique » in: Litteraria Pragensia : studies in literature and culture, 4, 1992,, p. 8.38 Hodrová, D. : Román zasvěcení. H & H, Jinočany 1993, p. 152.39 Hodrová, D. : Román zasvěcení. H & H, Jinočany 1993, p. 153.
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indispensable vu la complexité et la difficulté des épreuves. Il sert d’intermédiaire entre deux
mondes différents puisqu’il est familier et avec l’espace extérieur et avec l’espace intérieur, la
frontière entre les deux lui est ouverte. Cela lui est possible à cause d’une « double identité –
l’identité divine qui lui permet de persévérer avec l’être du centre dans l’espace intérieur et s’y
métamorphoser, et l’identité humaine tournée vers l’adepte provenant du monde extérieur. »40
Il a d’autres capacités surnaturelles. Il sait voyager non seulement entre les espaces, mais
aussi entre le temps extérieur et intérieur, d’où jaillit son immortalité ou son grand âge. Malgré
toutes ces dispositions, il ne dépasse pas le rôle de conseiller et il veille à la préparation du futur
initié. Celui-ci doit passer les épreuves et la porte de Connaissance par son propre effort.
Le triangle des personnages est complété par la vierge, prête à se sacrifier pour le salut du
héros. Ce dernier tombe amoureux d’elle, mais pendant son voyage un obstacle éloigne sa bien-
aimée de lui et il l’oublie. Cela complique et prolonge son errance. En effet, elle représente le
raccourcissement à la Connaissance, personnifié parfois par l’être divin, que l’adepte a l’intention
de rejoindre, grâce à la parenté insoupçonnée de la vierge avec l’être divin ou le maître.
A part de la poétique des personnages, l’espace et le temps sont les catégories narratives
indispensables du roman initiatique. Le concept spatial n’a pas changée depuis le Moyen-âge, le
modèle de la forêt, de la rivière (éventuellement du pont) et du château correspondent au monde
extérieur, la frontière entre les deux mondes et le monde intérieur.
La forêt symbolise le monde profane, terrestre et chaotique. C’est là où se trouve le héros
avant le début de son voyage initiatique. Elle est liée à une vie restreinte aux préoccupations
matérielles, remplie de soucis quotidiens de survivance empêchant à l’homme de s’orienter vers
l’ascension spirituelle et qui le condamnent à l’errance éternelle dans l’obscurité pendant sa quête
spirituelle. Sa vie se répète en phases cycliques qui étouffent une progression quelconque de son
esprit. Ainsi tout mouvement ne se produit que sur l’axe horizontal et linéaire.
Cet espace de l’ignorance forme un contraste considérable au monde intérieur qui est
séparé du premier d’une limite. Elle n’était pas toujours facilement repérable, vu que les deux
autres espaces mitoyens pouvaient s’interpénétrer parce que « les romans médiévaux étaient des
romans de la forêt et du château où la rivière et le pont ne représentaient qu’un épisode. Les
romans d’initiation sont depuis le début du XXe siècle en général des romans de la limite, la forêt
40 Idem, p. 156.
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et le château, au contraire, deviennent épisodiques »41 ou l’espace du château est complètement
omis au cas où l’adepte s’arrête devant le seuil de l’initiation et celle-ci reste inachevée.
C’est l’endroit où le héros apprend l’existence de l’autre monde et décide d’y parvenir. Il
y rencontre ses deux guides, le maître et la vierge, qui le conduisent et conseillent pour qu’il
puisse atteindre son but. Ce passage, représenté au Moyen-âge par une rivière, un pont étroit ou
un pont-levis, ne peut être traversé par personne que l’adepte élu. C’est l’espace où l’obscurité de
l’ignorance s’éclaircit et la lumière de la Connaissance doucement apparaît.
L’initiation s’achève dans l’espace du château, où règne l’ordre. « Le héros est aspiré
dans l’espace initiatique, pendant son séjour il change, et si son initiation n’échoue pas, il y reste
en tant qu’initié »42. Pour y arriver, le héros doit d’abord franchir la limite en passant les
dernières épreuves. L’espace où le héros pénètre diffère du précédent par l’absence de la
temporalité, ce qui lui permet d’osciller entre le passé et le futur. Le mouvement de l’adepte s’y
projette, au contraire de l’espace extérieur, sur l’axe vertical, alors le nouvel initié se dirige vers
la vie divine ou, au romantisme, il descend à l’enfer.
Le héros a obtenu par son initiation des moyens pour enlever les voiles qui lui ont
jusqu’ici défendu de voir les indices de ce monde caché aux ignorants, lequel n’est déchiffrable
que par les connaissances herméneutiques des initiés. Il n’est pas rare que le monde extérieur et
intérieur soient géographiquement identiques et correspondent à l’endroit que le héros a quitté au
début de l’histoire.
Pourtant, le chemin du nouvel initié ne devrait pas s’arrêter après avoir passé la dernière
épreuve. Une fois dans l’espace du château, il poursuit une formation encore plus profonde,
puisque l’être divine - dont la perfection l’ancien adepte tente d’atteindre - est concentré dans un
point élevé. Pour y arriver, l’esprit du héros est obligé de suivre la trajectoire d’une spirale
ascendante (ou descendante), dont le centre va vers l’infini, et la ligne de son mouvement forme
un cône avec une pointe insaisissable. Cette dernière peut être orienté vers le haut, au ciel,
comme le veut la tradition médiévale, ou vers le bas, à l’enfer, ce qui est caractéristique pour le
romantisme.
En ce qui concerne le temps, celui-ci est inséparablement lié à l’espace. Le temps
extérieur correspond au séjour du héros au monde profane et terrestre. Les événements succèdent
41 Hodrová, D. : Román zasvěcení. H & H, Jinočany 1993, p. 178.42 Hodrová, D. : Hledání románu. Kapitoly z historie a typologie žánru. Československý spisovatel, Praha 1989, p. 47.
19
l’une à l’autre sans aucune possibilité de changement dans le temps irréversible. L’existence
profane est fixée au présent seul et elle se dirige vers la mort. Cette dernière est dans le cycle
naturel comparée à l’automne et à l’hiver, les saisons symbolisant le temps extérieur où tout
vivant s’endort pour pouvoir renaître et pousser. Cela se produit pendant les deux saisons
suivants, le printemps et l’été qui incarnent le temps intérieur.
Pour y arriver, l’adepte doit d’abord traverser le temps de limite. Celui-ci est souvent
marqué par l’intempérie laquelle accentue le drame qui se passe dans l’intérieur de l’adepte
quand la mort plus ou moins symbolique le libère du temps profane. Une fois débarrassé de son
poids corporel, le héros entre dans le temps intérieur où il oscille entre le passé et le futur. Il vit
désormais dans un temps hiérarchisé dont il arrive à maîtriser, d’où son immortalité. Celle-là lui
permet, au cas où il descend dans le monde profane, assurer la formation d’un autre adepte et
ainsi empêcher que la chaîne de la transmission orale de la Connaissance soit brisée.
III. LA QUETE INITIATIQUE DU HEROS
Le héros poursuit son initiation d’après le schéma triangulaire de la poétique des
personnages. Sur son parcours il rencontre son initiateur et la vierge, qui l’aident sur le plan
pédagogique ou sensuel.
III. I. Les Yeux en face des trous
20
Dans le cas du roman Les Yeux en Face des trous, raconté dans la première personne, on
ne peut pas encore parler du roman d’initiation proprement dit. Il s’agit plutôt d’un roman
picaresque, vu que le héros fait des réflexions sur la société moderne et son statut ontologique ne
change pas, néanmoins, des traits du roman initiatique apparaissent déjà. Vincenot accumule dans
un épisode de sept pages la première initiation de Jefkins cherchant son identité dans le monde
entier pour trouver enfin le repos dans le paysage bourguignon. Pourtant, après la découverte du
gisement de pétrole sous son domaine, le héros est exposé aux nouvelles épreuves et à une
nouvelle quête.
L’histoire commence au moment où Jefkins jouit du bonheur de son existence en
harmonie avec la nature vierge, au sein de la belle famille. Tout d’un coup la tranquillité de
l’horizon est brisée par « le bruit lointain d’un moteur et tout a changé de couleur » (YFT 18) ce
qui est suivi par l’arrivée de trois prospecteurs. Cela fait ressortir le passé du héros : « Quinze ans
plus tôt j’ai fait leur métier (...). D’un seul coup je suis redevenu le Jefkins de jadis. » (YFT 18)
Cette analepse est développée après une brève conversation avec les trois intrus. Le
voyage de Jefkins a commencé en 1937. Sa vie antérieure est inconnue et le seul motif du départ
fourni au lecteur est l’envie de « [s]e jouer [s]on petit western personnel » (YFT 21). Le western
reflète ici non seulement le côté aventurier de sa motivation, mais aussi révèle la direction du
héros vers l’ouest, en Amérique. Après la vente du nougat de Montélimar au Mexique, il exerce
des métiers variés dans les régions différentes. Au golfe de Corpus Christi déjà apparaît son sens
d’ironie lorsqu’il est témoin d’une complication qui a coûté « soixante-douze vies humaines pour
permettre (...) voir gicler du pétrole » (YFT 21), ensuite il part au Brésil, en Matto Grosso dont
les « quatre syllabes ont plus fait, pour la perte des jeunes gens, que dix ans de tuberculose »
(YFT 21) comme un des participants de la ruée vers l’or. Ces deux champs d’activité livrent
Jefkins dans l’espace de la pénétration violente dans la terre. Cette mutilation de la Terre-Mère
symbolique met en parallèle la descente à l’enfer des âmes des chercheurs d’or. Pourtant, le ton
ironique de Jefkins fait apercevoir que son âme ne se dirige pas vers la damnation. Au contraire,
cette ironie ne laisse pas le lecteur hésiter un seul moment de la contestation de ces phénomènes
par l’auteur aussi que par le narrateur.
21
Après une « période franchement désagréable, enfermé à la prison43 » (YFT 21), il
continue sa quête à Nouvelle-Orléans. Il travaille dans une usine, néanmoins le luxe et le confort
fournis par son nouveau travail au dépit de sa dignité humaine ne le satisfont pas, au contraire,
Jefkins met en cause ces : « [d]eux mois de ce paradis hygiénique et ponctuel » qui « suffisent à
[l]e dégoûter » (YFT 22) assez pour partir en Afrique en tant que prospecteur « pour cherche[r]
le pétrole au Sahara » (YFT 22). Ce manque du spirituel aboutit à un changement du sens de son
itinéraire initiatique vers l’est au désert. Cela pourrait tromper le lecteur sur l’achèvement de son
voyage initiatique, néanmoins le travail de prospecteur, exercé sur le continent noir,
symboliquement violant la terre, ne le permet pas.
Ainsi Jefkins est condamné à reprendre son chemin initiatique depuis le début. Il regagne
l’Amérique mais, suite à la mobilisation le héros revient en France où il est immédiatement
emprisonné par les Allemands et envoyé en Allemagne de l’Est. Cette fois, c’est le destin, qui le
dévie de l’ouest vers l’est. Refusant le patriotisme exagéré et ridicule de ses compatriotes-
prisonniers dans leur situation inopportune, Jefkins se propose au chef de camp comme main-
d’œuvre dans les mines de lignite en Prusse orientale44. L’auteur se sert du parallélisme entre la
condition humaine du héros en déclin et la descente physique sous la terre, pour symboliser que
son âme se dirige vers l’enfer
Des conditions matérielles améliorées pourtant ne satisfont pas le héros cherchant la
dignité humaine et c’est « là que se précisa la certitude qu’il vaut mieux crever de faim dans les
épines de la solitude plutôt que de manger dans le foyer collectif » (YFT 25). Il s’enfuit « en
suivant le rivage sablonneux de la Baltique, sous le travesti d’une chercheuse d’ambre45 » (YFT
25) et il continue son errance physique et psychique en Russie dans une usine du futur totalement
automatisée avec la vie du personnel organisée par le règlement intérieur. Ce comble de la vie
dépendant totalement à une programmation, dépourvue de l’aspect spirituel quelconque, figurant
une menace imminente de la morte spirituelle du héros, représente la dernière étape de l’existence
chaotique de Jefkins : « Comme l’épileptique qui sent monter sa crise, je percevais très nettement
43 Le prisonnier devient métaphore de l’homme, de sa condition humaine (…) [peut être] accusé pour sa „différence“ et passe pour „un homme intérieur“ qui se libère et qui rennaît par son attitude et son développement spirituel (…). (Hodrová, D. : Poetika míst. Nakladatelství H & H, Praha 1997, p. 119.)44 La Prusse Orientale est « une contrée doublement mythique – aux yeux des Français qui la considèrent comme partie de l’Allemagne romantique, et aux yeux des Allemands pour qui la Prusse Orientale n’est plus qu’un pays de souvenirs et des fantasmes historiques » (Kyloušek, P.: Le roman mythologique de Michel Tournier. Masarykova univerzita, Brno 2004, p. 99.)45 L’ambre „symbolise l’attraction solaire, spirituelle et divine“. (Chevalier, J. ; Gheerbrant, A. : Dictionnaire des symboles. Éditions Robert Laffont, S.A. et Éditions Jupiter, Paris 2005, p. 29.)
22
le moment où le bouillonnement de mon indignation allait me pousser enfin à tenter l’évasion
définitive et je jurais solennellement de tout mettre en œuvre, si jamais j’arrivais à échapper à la
concentration, pour me retirer définitivement du circuit industriel et fuir tout ce qui, de près ou
de loin, pouvait ressembler à ce que des générations aveugles ou prétentieuses nomment le
progrès. » (YFT 27)
Le héros revient en France par l’Afrique. A Marseille, une ville française où se trouve
l’amalgame des influences de la culture occidentale et orientale, « ivre de cette atmosphère de
légère négligence et d’apparente activité » (YFT 27), il décide de poursuivre son chemin jusqu’à
ce qu’il ne trouve une campagne sans routes goudronnées. Ainsi s’arrête son voyage initiatique
autour du monde.
Le héros s’arrête à l’arrière-Bourgogne « où, quinze ans plus tôt, [il] avai[t] posé [s]es
premiers collets » (YFT 28), devant la maison de son futur beau-père Féli chez qui il « cru[t] [s]e
trouver devant la sagesse du monde » (YFT 28) et plus tard il épouse sa fille Louisette. Jefkins y
trouve dans la vie paisible en harmonie avec la nature le remède pour son âme, blessé par son
errance accompagné d’une folie, et le paradis perdu.
L’analepse s’arrête, Jefkins se trouve en face des prospecteurs et il se pose la question :
« J’ai fait le tour du monde pour trouver tout ça ici, et ces gens, sortant de mon passé de fou,
viendraient me l’arracher ? » (YFT 34) Il enregistre tous les évènements dans son journal. A
cause de la découverte du pétrole, toute la famille est chassée par l’utilité publique de la Perrière,
le domaine ancestral, symbolisant la dernière épave du paradis. Le beau-père, qui tient le rôle de
maître, s’insurge contre cette décision et tue trois personnes ce qui lui vaut la prison. Pour le faire
sortir, il faut payer la somme égale à l’indemnité pour le domaine retiré. Ainsi, toute la famille se
trouve ruiné et sans abri.
Dépourvu de son paradis retrouvé, Jefkins se lance, dix ans après la première quête, dans
le deuxième cycle de sa recherche : « Peut-être est-ce même pour moi l’occasion de renouer avec
ma vie d’aventurier. » (YFT 89) Il part pour Paris avec le dessein de retrouver les anciens amis
rencontrés pendant ses voyages, avec leur aide gagner un peu d’argent, mais surtout pour voir, si
la vie en civilisation a-t-elle améliorée depuis son repli à la campagne: « Peut-être aussi est-ce
pour moi une occasion d’aller voir les usines nouvelles et le genre d’homme qui y vit
aujourd’hui ? » (YFT 90)
23
Arrivé à Paris le jour de Nouvel an46, le héros apprend que deux seuls hommes qu’il
estimait ont été tués pendant la guerre et, au contraire, les voyous ont fait de la carrière. Le soir il
rencontre un sans abri fier de l’être d’origine Arabe qu’on appelle le Méhariste. Celui-ci, une
sorte de guide spirituel de Jefkins dans le labyrinthe de la ville, goguenard, lui propose de se faire
embaucher à l’usine, s’il cherche le travail et l’expérience sur la société.
Le héros décide de suivre son conseil rien que pour « voir où on en est dans le genre
esclavage. » (YFT 98) Même s’il connaît la situation, impartial, il veut donner encore une
possibilité au monde des technocrates de prouver que la technique est en service de l’homme et
pas le contraire. Sa quête va cette fois consister à savoir, si l’homme peut vivre en liberté dans le
monde où les machines ont remplacé l’homme et pour cela, il lui faut s’intégrer dans l’univers
quotidien des ouvriers. Sur l’axe horizontal de son mouvement spirituel, l’ascension passagère à
la Perrière est remplacée par la descente consciente en enfer de la ville et, plus précisément, de
l’usine.
La descente commence le lendemain au petit matin. Jefkins est englouti par le métro47 et à
la sortie règne le chaos (dans le sens littéraire et mythologique) partout - tout se passe « [d]ans la
nuit, la foule qui se presse est noire et silencieuse. » (YFT 99) Cette foule est composée d’Arabes
déracinés et indolents, alléchés de leur pays ensoleillé par le mirage d’opulence de la civilisation
européenne.
Jefkins, malgré son envie de parler avec eux, choisit de s’entretenir avec le seul Européen
présent, en qui il reconnaît ancien camarade de classe Robert Baylet, devenu plus tard
polytechnicien. Ce dernier est un des rares ingénieurs privilégiant mener la vie des ouvriers pour
mieux les comprendre, prêt à sacrifier son existence aisée pour leur salut et pour cela se fait
embaucher en tant qu’un simple ouvrier. Il devient alter ego du héros. Jefkins pérore pour la
liberté et la dignité de l’homme menacée par la machine, Baylet, au contraire, voit le salut de
l’humanité dans la technique, sauf que cette dernière doit être spiritualisée : « La solution est
dans la réintégration de l’homme religieux dans la civilisation des machines. Il faut associer à
nouveau travail, prière et beauté. » (YFT 146)
Tout d’abord les deux hommes sont affectés à manier la tôle, un travail monotone et
machinal. Cet aspect se traduit même dans la vie privé de leurs collaborateurs. Lorsque Jefkins 46 Il n’est pas accidentel que le monde de Jefkins est détruit et la nouvelle vie commence à cette date, vu que « […]les derniers jours de l’année qui vient de s’achever peuvent être comparés au chaos avant la création. » (Eliade, M.: Mýtus o věčném návratu. Oikoymenh, Praha 1993, p. 49.)47 Le métro est souvent dans la poétique de la ville comparé à un monstre souterrain qui paralyse l’homme.
24
les observe à la cantine il les constate « las et muets, affalés sur les tables » (YFT 104) au lieu de
jouir de leur repas et leur travail, parce que celui-ci « peut même devenir un plaisir, une joie
ineffable, certainement pas le devoir. » (YFT 107)
Le soir le héros avec son ami plonge encore plus dans le désespoir des ouvriers Arabes,
pendant la nuit à l’hôtel « de Vannes et de l’Espérance réunis ». A l’intérieur Jefkins trouve une
chambre commune où la répétition régulière des traversées du « métro toutes les deux minutes
fait vibrer l’immeuble » (YFT 109 et 112), où on entend « l’enfant [qui] pleure » dans une autre
chambre et où il ne manque pas « le propriétaire de l’hôtel qui coupe le courant » (YFT 112) et
le chauffage.
Les deux hommes y sont entassés avec des immigrés Arabes, autrefois fiers dans leur
pays, tout d’un coup mis en marge de la société, dont la condition est pour Jean affligeante :
« Quand on voit un Berbère, le bâton en travers des épaules, aller, la tête droite, bien drapé dans
ses flanelles, l’œil perdu dans des horizons bibliques et qu’on le revoit ici, on se demande, où est
le bienfait de la civilisation... » (YFT 110) Le héros se compare à ces hommes de désert,
jouissant de toute sa liberté dans un espace sans fin, quittant leur milieu originel pour vivoter
dans une ville où les gens se bousculent sans cesse de même façon comme eux maintenant dans
une petite chambre. Il suffit « le cliquetis du chapelet » (YFT 112) de Baylet pour que Jefkins
soit transmis, à la limite entre la veillée et le sommeil, à la Perrière, son paradis perdu.
Malgré la possibilité pour les ouvriers d’échapper le profane pendant la messe matinale
dans la chapelle à côté de l’usine, Jefkins et Baylet sont les seuls à en profiter. L’intérieur de la
chapelle est le seul endroit où on sort de l’espace extérieur qui submerge la ville hostile. Cela est
possible grâce à l’ambiance de « silence, touffeur, lueurs diffuses des cierges, solitude parmi les
chaises vides, repos physique et moral, toutes ces choses que l’on prend pour le confort
spirituel » (YFT 118). A la sortie du sanctuaire, cette image est remplacée par celle de leurs
collègues arrivant à l’usine « tous les yeux fixés au sol » passant devant les gardiens en « files de
détenus silencieux, [où] tout évoque le camp de la mort. » (YFT 119). Jefkins constate que
l’homme dépourvu du sacré devient une sorte d’esclave résigné à son destin.
Pourtant, pour Jefkins l’espoir est dans les mains des ouvriers arabes, qui, au lieu de
s’incliner devant la mécanisation, « sans génie, font pourtant de louables efforts pour refuser le
rythme théorique officiel et imposer le leur », malheureusement il s’agit « des gestes inutiles qui
attirent surtout l’attention sur leur inefficacité. » (YFT 124) Les Arabes, au contraire des
25
Européens présents dans l’usine, ne sont pas prêts à abandonner leur façon de vivre naturelle ou à
renoncer à leur dignité.
Jefkins n’arrive pas à supporter ce travail et décide de partir après six jours. Ce matin-là il
ne vient que « pour assister à la rentrée des esclaves » (YFT 127), il « renifle une journée de
plein air comme une coupe d’un breuvage étonnant et inconnu » (YFT 128-129) et va voir le
Méhariste. Ses deux femmes « la belle et l’esclave, la femme libre et la servante, comme
Abraham » (YFT 129) font le tri des déchets ramassés pendant qu’il lit le journal. Il a été refoulé
au-delà du pont de Bercy, pourtant, il ne se plaint pas de son nouveau habitat : « Ici, (...) on
risque la peste et le choléra, la pneumonie, la faim mais on conserve son honneur d’homme »
(YFT 130). Ce vieux Arabe a déjà attendu Jefkins, parce qu’il n’avait pas « la tête à passer [s]a
vie en Bastille » (YFT 130). Le Méhariste lui confirme ce qu’il pense déjà : « ... Dans le désert
ont toujours vécu les forts, les véridiques. En troupeaux vivent les bêtes de trait ! » (YFT 130)
En rentrant à l’hôtel, Jefkins surprend Anne, la fiancée de Baylet, dans la chambre. Quand
elle explique à Jefkins son histoire, un colocataire Arabe l’attaque. Jefkins la sauve au prix de la
mort de l’agresseur. A la police, grâce à l’intervention du père d’Anne, colonel Maudhuit, tout
s’arrange. Robert est aussi appelé et, gêné par la présence de la jeune femme, il fuit avec Jefkins.
Anne joue à ce moment le rôle rédempteur de la vierge, le sacrifice de son fiancé étant le seul
moyen à détourner Jefkins de la trajectoire descendante de son état spirituel en restant à la même
place. Pourtant, le héros ne bénéficie pas de cette occasion. Les deux amis changent d’adresse et
décident d’aller travailler dans les usines d’aviation.
Ne trouvant où se loger, ils passent la nuit à l’Armée du Salut et finissent par trouver le
travail dans « L’Husine », comme on appelle l’entreprise avec des méthodes visant le futur. Elle
« a été conçue de telle sorte que n’importe qui peut tenir n’importe quel poste. » (YFT 149)
Après trois heures de travail, Jefkins a l’impression « d’avoir vécu une vie entière dans le cachot
et dans l’accoutrement du Masque de fer. » (YFT 151) L’endroit ressemble à l’univers surveillé
par le « Big Brother » dans 1982 de James Orwell – « [l]a manière dont les appareils sont
disposés montre avec quel soin on a recherché et obtenu que les ouvriers ne rencontrassent
aucune distraction » (YFT 151). Les derniers sont supervisés par une femme qui au cas d’ennuis
interpelle les travailleurs par le numéro attribué. En effet, tout est automatisé à tel point, qu’il y
est impossible de « prendre d’initiative ni [être] récompens[é] (...) de l’ivresse d’avoir créé »
(YFT 160).
26
Après quatre jours de cette expérience, on installe une horloge pointeuse, symbolisant
pour Jefkins l’assujettissement de l’homme à la machine. Il refuse pointer, seul dans toute usine,
parce que dans sa tête cet acte correspond à la capitulation de la dignité humaine.
On l’affecte donc dans un autre atelier où l’horloge n’est pas encore installée. Le héros se
transforme littéralement en une particule de la machine quand on lui « passe deux jolies menottes
en bakélite, reliées à la machine par deux sortes de bras souples » pour effectuer bien les
mouvements automatisés parce que, comme l’explique un jeune ingénieur : « L’homme n’est en
somme qu’une machine inférieure. » (YFT 167) Pour ne pas ralentir et ainsi perturber la marche
de la machine, dans les bras de Jefkins est envoyé « un courant de faible intensité » (YFT 168) au
moment où les mains risquent d’être coincées dans la machine. Le soir, Jefkins est épris d’une
torpeur qu’il décide de chasser avec Baylet, contrairement à sa coutume, dans un bistrot et il se
rend compte de la facilité de devenir ouvrier indolent.
Le lendemain le héros se confesse à son journal : « le geste devenu machinal et
l’immobilité moins pénible, je dois en convenir, mais alors la pensée peut travailler. Je pense et
cela devient terrible. » (YFT 172) Le héros se souvient de l’agonie des requins qu’il a vue au
Cap Vert, leur danse de mort, durant trois jours avant de mourir et il conclut sur sa capacité
intellectuelle : « J’en suis à la danse de mort. » (YFT 172) Pour démontrer, jusqu’où peuvent ces
conditions de travail mener, Jefkins observe et décrit, comme à l’endroit précédent, ses
commensaux : « Ils ont le regard des névrosés ou des asthéniques. » (YFT 179) Ou encore :
« [D]e normes en spécialisation, ces pauvres abeilles en sont arrivées, comme les fourmis et
autres kolkhoziens, à n’avoir plus ni joie, ni sexe, ni vice, ni vie secrète, ni même la possibilité de
quitter la société lorsqu’elles en ont marre » (YFT 180). Il est d’un côté affligé par cette réalité,
mais de l’autre côté il constate qu’ils ont librement choisi leur destin, comme lui, d’ailleurs : « je
suis là par caprice et (...) j’en partirai bientôt pour une destination inconnue. Quand je
voudrai. » (YFT 181).
Jefkins est arraché à la vie citadine par la convocation demandant sa présence au procès
du Féli. Le retour en Bourgogne a réveillé son esprit anarchique et il ramène à Paris des
cartouches avec lesquelles il a pris l’intention d’anéantir l’horloge pointeuse. Malgré la tentative
réussie, il n’y a pas de réaction de la part de la direction et le lendemain la machine est remplacée
par une autre.
27
Le surlendemain, Jefkins, seul dans l’Husine, réalise que c’est le Jeudi saint48. Cela le fait
plonger dans les souvenirs de l’enfance liés à la tradition et il se demande : « se peut-il que cela
n’appartienne qu’à des fantômes assis sur les bancs de pierre ou sur les seuils morts ? et que les
vivants n’aient plus que la sirène des usines, les menottes de sécurité ... et l’horloge
pointeuse ? » (YFT 188-189)
Pourtant le héros persiste dans cette existence ténébreuse « tout simplement pour
contempler Baylet » (YFT 191) qui est dans ses yeux devenu « [u]n vrai saint » (YFT 191). Un
jour Jefkins suit Robert pendant une des absences mystérieuses. Il le découvre chez Toto, un ami
de l’usine, et ses enfants, où Robert aide à assurer la marche du ménage sans mère.
Après une discussion où Baylet révèle son intention de réunir ses semblables, Jefkins
commence à douter de la possibilité du salut de l’homme par le biais de la technique. Le
lendemain il décide de quitter avec ostentation son emploi. Après deux heures de travail il
constate : « Une profonde joie m’envahit. J’ai besoin de chantonner et je chantonne. » (YFT 198)
Cela ne tarde à se heurter à des difficultés, parce que son chant gêne considérablement dans ce
milieu stérile aux émotions et vu que le héros n’a pas l’intention de s’y habituer, il est remercié,
ce qui ne le dérange point, au contraire, il conclut sa conversation avec le jeune ingénieur par les
mots : Je perds mon temps pendant qu’il y a la vie à vivre. » (YFT 202)
Désormais il trouve l’abri chez Toto, ne voulant pas lâcher le cap de son expérience avec
le progrès. La famille de son ami est le cas exemplaire des parents d’origine provinciale et pour le
fils de Toto, Marcel, les histoires de la Perrière semblent invraisemblables et fascinants. Jefkins
se réjouit : « je l’ai senti mordu par le virus de la liberté » (YFT 209), c’est à son tour de devenir
le père spirituel et l’initiateur de l’adolescent. Son influence va aller jusqu’à l’extrême quand
Marcel, dégoûté par la vie citadine, quitte la maison et attaque un fourgon postal. Mais, comme il
n’y a pas d’argent, l’aventure se finit avant d’avoir commencé. Seul Jefkins approuve ce que
Marcel a fait – sauf les « moyens inadéquats » (YFT 231) - et défend Marcel au commissariat :
« il a pris ses risques, c’est un héros » (YFT 229). Pourtant l’adolescent est obligé d’aller dans
une maison de redressement.
Le héros décide d’écrire un manuscrit où il racontera ses trouvailles concernant la place
de l’homme dans la civilisation moderne. Mais colonel Maudhuit le persuade de changer le sujet
et de rédiger un ouvrage intitulé « Pourquoi j’ai tué Rahal ben Tahar » rappelant comme il a
48 Ici on peut se demander, si Vincenot ne s’est pas trompé en évoquant le Jeudi saint, vu que la scène se déroule le 2 février, le jour d’une autre fête chrétienne, la Chandeleur.
28
bravement sauvé sa fille, parce que, au contraire du projet initial, cela a une chance d’intéresser le
public. Le colonel se charge aussi de la recherche du travail pour Jefkins. Ainsi ce dernier reçoit
le poste de l’auxiliaire au bureau central de liquidation des chèques postaux. Jefkins jubile :
« C’était le mieux (...) pour compléter ma documentation » (YFT 213) Si l’ambiance de l’usine
lui paraissait stérile, maintenant il se trouve dans un « cage de verre où on [l]’a collé, [une] hall
immense où le troupeau des clients piétine (...) ce haut-parleur qui appelle des numéros, ces
paperasses que l’on (...) passe par un petit guichet (...) tout cela dépasse l’imaginable. » (YFT
214).
De ce monde déshumanisé l’arrache la suite des événements. D’abord il est attaqué par un
Arabe qui essaie de venger la mort de Rahal et il y arrive presque. Cela déclenche l’intérêt des
médias et le manuscrit de Jefkins rencontre un grand succès. Ainsi il a assez d’argent pour
réaliser son rêve – le retour à la campagne. Il appelle sa femme Louisette et ses enfants à Paris.
Malheureusement Louisette, première fois dans la ville, est écrasée par une voiture. Jefkins, fou
de rage, perd la conscience, ce qui évoque la mort symbolique, l’épuration absolue de sa vie
antérieure, pourqu’un nouvel être puisse naître. Il se réveille après deux jours à la clinique
entouré d’Anne avec son père et de Robert, devenu prêtre ouvrier.
Le héros ne s’éveille totalement de son sommeil profond qu’en Bourgogne à côté de son
beau-père, acquitté pour la folie. Le monde citadin semble soudain lointain, presqu’imaginaire,
comme si les derniers mois ne relevaient que d’un cauchemar dont Jefkins vient de se réveiller.
Avec les parents et les beaux-parents de Féli ils décident d’occuper clandestinement la Fontaine-
d’Argent, un domaine en Arrière-Côte, abandonné et classé comme des friches par l’Etat. Là ils
reconstruisent des bâtiments tombés en ruine et ils vivent désormais dans leur univers secret dans
une totale autarcie. Ainsi leur nouveau paradis est construit quelques kilomètres du précédent et
Féli devient son démiurge : « On part à zéro, c’est le commencement du monde ! » (YFT 243)
Leur espace sacré est protégé par les forêts et par le secret. Il est pénétré pour la première
fois par Anne qui ramène les enfants, restés chez elle après la mort de leur mère. Cette Parisienne
se passionne pour la vie rurale, mais, n’étant pas encore prête pour pouvoir rester dans le monde
intérieur, elle repart pour la capitale.
Pourtant, pour que ce monde puisse continuer à exister, il faut assurer les successeurs.
Ainsi quand Anne amène Marcel qui s’est enfui de la maison de redressement et qui veut se
réfugier chez Jefkins, elle reste et prend la place à côté de Jefkins.
29
Ils vivent tous loin de la cupidité de la ville dans la Fontaine-d’Argent. Cet espace clos est
inconnu aux profanes, de ce fait sa tranquillité ne peut pas être perturbée, « [à] moins qu’un jour
un prospecteur individuel n’arrive ici avec son Geiger ! Mais Féli est là avec son fusil... » (YFT
284)
Au fil de roman on peut observer l’initiation de Jefkins laquelle se passe dans deux
cycles. Le premier est condensé sur sept pages concernant le tour du monde et d’une sorte la
recherche de l’identité du héros. L’errance de plusieurs années s’achève dans un domaine
bourguignon où le héros retrouve la paix et une nouvelle famille. Pourtant, cet espace jouissant
des signes du paradis est perturbé par l’arrivée du monde extérieur, représenté par les machines à
creuser, autrement dit à violer, la terre de l’origine de sa femme.
Jefkins est chassé de ce lieu aux traits célestes et reste sans moyens. Sa décision de quitter
provisoirement la Bourgogne et la famille pour recommencer une nouvelle vie instaure les
conditions indispensables pour le deuxième cycle initiatique. Celui-ci se déroule à Paris et ses
usines, dans des endroits stériles et déshumanisés. Le héros y reprend son rôle d’adepte, dans le
rôle de maître apparaît cette fois-ci le Méhariste. Ce dernier signifie le maître d’un niveau plus
élevé que Féli, vu son statut d’homme libre du désert.
Pendant la deuxième quête de Jefkins nous assistons au dédoublement du héros. D’un côté
c’est Jefkins, celui qui voit le salut de la civilisation dans la préservation de la vie traditionnelle,
de l’autre côté c’est Baylet qui défend le progrès au service de l’homme. Ils ont étudié ensemble
et de ce fait ils sont de même âge et de même formation ce qui suggère cette doublure.
Le séjour antérieur dans l’espace approchant du sacré permet à Jefkins, en pleine initiation
du deuxième degré, d’entrer, à son tour, dans le rôle de maître de l’initiation du premier degré
vis-à-vis du jeune citadin Marcel révolté contre la vie mécanisée.
Le deuxième cycle initiatique est d’une tendance descendante sur le plan spirituel du
héros. Sa voie en perdition est arrêtée par la mort rédemptrice de son épouse. Ce décès brutal le
prive de conscience ce qui sur le plan initiatique devient la mort symbolique pour le monde
profane. Cela s’affirme par son réveille, ou la renaissance, à l’arrivée d’un nouveau domaine
abandonné où il retrouve avec sa famille. Anne et Marcel participent un peu plus tard aussi à la
reconstruction du paradis perdu.
III. II. Le Pape des escargots
30
Vincenot, accablé par le travail et d’autres activités artistiques revient à la création
littéraire quand il rentre en Bourgogne pour y passer son retrait. Les années de colère passées, il
s’empare de la thématique initiatique plus subtilement avec plus d’accent à la dimension
ésotérique. Il se met dans le rôle de « chroniqueur » (PDE 281) ce qui lui permet d’osciller entre
le vraisembleble et le réel.
Au centre d’intérêt apparaît un orphelin Gilbert vivant seul dans le domaine hérité, La
Rouéchotte. Tous ces éléments correspondent parfaitement à l’adepte dans le roman de
l’initiation. Le jeune homme ne donne pas de ses nouvelles et c’est un vieux chemineau, la
Gazette qui, au village où vit son oncle, signale l’absence de jeune homme laquelle est donné par
le fait que « IL SCULPTE » (PDE 14). La saison de vendanges arrivée, le vigneron va chercher
son neveu lui-même. Il trouve le domaine où il a passé son enfance dans l’état de ruine et son
neveu Gilbert en pleine création, mais dans l’état physique en parallèle avec le domaine,
« amaigri par une barbe d’un mois, le cheveu dans l’œil, fantôme au milieu d’un peuple de
fantômes. » (PDE 15). En fait, Gilbert est entouré de ses sculptures des saints en bois et son
atelier improvisé ressemble à un sanctuaire, où l’inspiration se transforme en forme. Forcé par
son oncle et sa cousine Manon, représentant la vierge maléfique dont le rôle consiste à dévier
l’adepte de sa mission sacrée, il quitte cet espace rempli du sacré et, contre son gré, rejoint le
village pour aider avec les travaux.
La divergeance entre la comprehension de l’art dans le sens spirituel et dans le milieu
terrestre se traduit par la conversation de Gilbert, un homme pur, avec Manon. Il lui explique que
d’après ses pensées qui lui sont inspirées, il crée des formes dont le résultat sont des statues de
saints. Il essaie d’expliquer le rôle des mains49 pendant la sculpture, à la suite de quoi « elle
avançait les siennes pour le toucher et les lui poser sur la poitrine. Il recula un peu. » (PDE 17)
Effrayée par la Gazette qui surgit tout d’un coup pour protéger Gilbert de la tentation charnelle,
menaçant la réussite de l’initiation de son futur disciple, Manon s’enfuit et la chasteté du héros
est sauvée. Ce dernier regagne aussitôt possible son demeure et continue son œuvre.
La vocation de Gilbert, autodidacte, est exprimée par le don qui lui est transmis par ses
ancêtres du côté maternelle, les tonneliers, qui, comme le raconte le vieux chemineau aux
villageois, « le tenaient de Gislebert d’Autun, celui qui a signé le tympan de Saint-Lazare
49 „La main sépare le jour de la nuit et possède une fonction créatrice.“ (Chevalier, J. ; Gheerbrant, A. : Dictionnaire des symboles. Éditions Robert Laffont, S.A. et Éditions Jupiter, Paris 2005, p. 606.)
31
d’Autun... Et pas un de vous n’est digne de dénouer le lacet de ses souliers ! » (PDE 21) Cela
rapproche le héros à l’origine presque divine et la légitimité de son élection pour l’initiation est
confirmée.
Le vieil homme amène le curé du village pour regarder les sculptures. Le curé est
tellement enchanté qu’il demande Gilbert de réparer le calvaire de la chapelle des Griottes pour le
pèlerinage de Pâques. Le jeune homme est très flatté et propose d’en sculpter davantage, parce
que dans sa tête il voit encore plus belles formes « pas disables » (PDE 26). Et le narrateur
explique que « ces idées lui venaient (...) du fond des temps où les moines étaient venus redonner
vie à ces forêts, après six cents ans d’invasions barbares » (PDE 28).
La vocation de Gilbert incontestable, la Gazette l’évoque pendant ses traversées de la
Bourgogne comme son successeur : « Nous sommes les derniers racines qui vous retiennent
encore à votre sol... Moi, je sers le Verbe, lui est le prêtre de la Forme, c’est la seule différence !
Nous sommes tous deux les dernières gouttes de ce sang qui a porté la vie de l’esprit dans tous
les recoins des combes bourguignonnes ! » (PDE 30) Mais personne ne prend en sérieux le vieil
homme, considéré par tous comme un buveur. Pourtant, le statut de l’adepte s’affirme, puisque
Gilbert sait « réveiller les formes qui dorment dans la matière et qui attendent, depuis les
origines, de naître à la lumière ! » (PDE 31)
La preuve que le héros est en bonne voie pour devenir initié est son repli dans la solitude
à la Rouéchotte. Sa conduite ressemble à un ermite, on dit « qu’ il s’y est barricadé comme
Vercingétorix en Alise, pour y réveiller des morts, et qu’il reçoit les gens à coups de cailloux... »
(PDE 31) jusqu’à ce que trois curieux approchent en secret au moment où « [l]e ciel était rouge
(...) des lambeaux de nuages (...) violets50 comme la chape d’un evêque » (PDE 31) et ils voient
Gilbert parler avec un homme nu sans bras (une statue en effet). Les rumeurs de sa folie se
répandent le lendemain dans toute la vallée. Mais le narrateur nous détrompe en montrant le
héros en train de relire « l’Evangile dans les vieux paroissiens de sa mère » (ces derniers
contenant encore les traces du syncrétisme de la civilisation celte avec le christianisme) et y
trouver « bien des choses qu’il n’avait jamais comprises lorsqu’il allait au catéchisme » (PDE
32), utiles pour l’inspiration de son calvaire.
A l’arrivée aux Griottes l’attend la première épreuve, la chapelle en débris. Il décide de la
restaurer malgré la difficulté de l’exécution du projet vue « sa géométrie compliquée, sa
50 Sur la symbolique des couleurs initiatiques voir le chapitre consacré à La Billebaude.
32
perfection sculpturale. » (PDE 33) L’espace et la pierre taillée provoquent chez lui « une belle
fureur » (PDE 34), la force magique nécéssaire pour la poursuite de l’initiation réussie. Dans cet
état le rejoint la Gazette, qui enlève l’apparence de fou pour montrer son côté inconnu, celui de
maître compagnon. Il instruit Gilbert, son successeur, sur le Nombre d’or, l’Arche d’Alliance, le
rapport d’Osiris et d’autres notions herméneutiques nécessaires pour retablir le sanctuaire. Le
héros est ainsi en train d’être inconsciemment initié. En effet il prend ces propos pour des
simagrées d’un fou malgré la découverte, grâce à la corde de treize nœuds, d’un puits celte avec
une statuette de la déesse Belisama.
En ce moment le lecteur découvre dans le personnage de la Gazette l’initiateur. Gilbert est
prêt à découvrir la vraie identité de vieil homme, dûment cachée sous les apparences d’un faux
manchot51 et de chemineau avec « le bâton à la main, ce bâton taillé et gravé de signes, qu’il
appelle sa verge d’Aaron » (PDE 41). Il retrouve « miraculeusement » sa main droite, puisqu’il
ce travail relève du sacré. Après avoir fourni toutes les informations esotériques concernant la
chapelle « il quittait le sublime et redevenait le pauvre hère qu’il semblait être. » (PDE 37) Mais
l’auteur qui ne veut pas sortir de la limite de la vraisemblance décrit la Gazette comme « un être
étrange et magnifique qui arrivait à vous convaince des pires sottises » (PDE 39) de temps en
temps.
Quand la chapelle est restaurée, Gilbert se remet à la sculpture dans son atelier et la
Gazette lui fait compagnie. Le vieil homme « regarde « l’enfantement », comme il dit... et il
parle. Ou plutôt il psalmodie ses étranges prophéties et ses visions blasphématoires » (PDE 40)
ce qui est agréable à Gilbert. Il incite le chemineau à continuer à chanter, « [c]ar ces mots lui
donnent des idées qu’il traduit en creux et en bosses. [...] La transmutation du Verbe en
Volume. » (PDE 41) Il ne s’arrête pas jusqu’à Noël. C’est pour la première fois qu’il descend
dans le village pour voir la crêche où la Gazette représente Joseph et Eve Goë, fille du sabotier et
amie d’enfance de Gilbert, la Vierge. Elle ne ressemble en rien aux filles de la ville et sa beauté
attire le héros. Après le premier baiser, il lui fait la promesse : « Au pèlerinage des Griottes... Le
lundi de Pâques.... Pour l’inauguration... Sûr je te parlerai.... En attendant, je penserai à toi ! »
51 Privé d’un bras ou d’une main, le manchot est mis hors de temps. […] le manchot [est] un mendiant exemplaire : la main qu’il tend possède un pouvoir, du fait qu’elle est unique, à l’instar de la main de la justice. […] Le manchot n’est pas définitivement hors du temps […] peut être réintégré dans le temps par un nouvel usage de ses mains et de ses bras. Le manchot symbolisera l’homme appelé à vivre à un niveau différent. » (Chevalier, J. ; Gheerbrant, A. : Dictionnaire des symboles. Éditions Robert Laffont, S.A. et Éditions Jupiter, Paris 2005, p. 606.)
33
(PDE 51) Et il retourne à son œuvre. Deux jours après, la Gazette se propose d’être son valet
pour permettre à l’adepte de se concentrer entièrement à son perfectionnement.
Le travail sur le calvaire avance dans une totale isolation du monde extérieur jusqu’à ce
qu’un jour la Gazette reconnaît « le destin qui frappe » (PDE 53) en personne d’un professeur de
Dijon égaré et surpris par la neige. Celui-ci s’émerveille devant la production du héros. Il invoque
la Providence qui l’a emmenée, mais la Gazette rétorque : « Etes-vous sûr que ce n’est pas le
diable ? » (PDE 54) Gilbert, resté modestement à l’écart, après une telle considération ressent
« une marée d’orgueil qui mont[e] en lui » (PDE 55) et, « gonflé et rouge comme un coq-dinde »
(PDE 54), il révèle la découverte de la chapelle au visiteur malgré la précaution de la Gazette.
« Sans avoir fait un pas, Gilbert entrait dans le cycle de la vanité. » (PDE 55)
Après le carême, le calvaire conçu est prêt à être monté. La crainte prémonitoire de
l’initiateur se concrétise quelques jours après - le professeur revient accompagné d’un autre
homme. La Gazette avertit Gilbert : C’est celui-là, le diable ! l’autre n’était qu’un diablotin. Va
te cacher ! » (PDE 56) Le « diable » nommé Regenheim amadoue la beauté des statues de Gilbert
qui « poussé par une force mauvaise » (PDE 57) descend pour écouter les louanges et avance
« au-devant de l’étranger, attiré par une force inconnue. » (PDE 58) Regenheim lui propose un
stage à Paris et le jeune homme en est soûlé. « Le poison était inoculé. » (PDE 60) Pour
surmonter son orgueil, le héros réfuse un tel offre, il jeûne et « il en fut récompensé : chaque
coup de ciseau était une réussite. » (PDE 61)
La suite favorable de l’initiation du héros est bouleversée par la mort du curé avant le
Pâques. Son jeune successeur décide de supprimer le pèlerinage des Griottes. Le sculpteur blessé
renre chez lui où Regenheim, accompagné d’un baron, lui propose de nouveau partir pour Paris.
Cette fois, Gilbert accepte et part tout de suite avec ses sculptures : « Des gens décorés, des
professeurs, des barons, eux, en reconnaissaient la valeur. Il les suivrait ! » (PDE 69) Ainsi il
échoue à l’épreuve d’orgueil, essentielle pour prouver les qualités de l’adepte pour accomplir
l’initiation. La promesse donné à Eve, assumant le rôle de la vierge du roman d’initiation qui
devait le conduire à l’initiation réussie par un racourcissement, est tout d’un coup oubliée ainsi
que sa destinataire et Gilbert est condamné à un errement dans la jungle citadin. Cela prouve
l’immaturité spirituel et technique du héros qui doit d’abord non seulement se débarasser de sa
naïveté mais aussi trouver le sens et comprendre des propos de la Gazette.
34
La rupture de la vie harmonieuse et la descente en enfer se montre déjà en atelier parisien
où Gilbert essaie de « voire le ciel et il n’y [parvient] qu’en se penchant à mi-corps par la
tabatière et en relevant la tête jusqu’à s’en dénuquer. » (PDE 77) Avec lui y séjourne Vera, une
prostituée qui vivait là avec l’ancien locateur et qui Gilbert ne voulait pas laisser sans abri.
Le lendemain Gilbert « fut effrayé, parce qu’il avait peur de sortir seul : il était sûr de se
perdre » (PDE 80) – l’adepte est encore trop attaché à l’espace spirituel auquel il a commencé à
se familiariser, il ne s’oriente pas dans la ville et veut partir chez lui. C’est le baron qui le
persuade de rester en l’appelant « mon fils » (PDE 80) et en prometant de s’occuper de tout, en
revanche, Gilbert doit sculpter. L’ascension spirituelle est succédée par la descente par
l’acceptation d’une avance que lui propose le baron. La descente s’accélère.
Cela continue à l’Académie, où on veut que Gilbert dessine, mais pour lui transformer la
réalité à plat est incompréhensible. Là tout « bourdonnait, ronronnait, et lui, Gilbert, pour qui la
sculpture faisait partie de la vie des friches silencieuses, se rongeait de solitude au milieu de
cette foule et restait stérile » (PDE 83). Cela correspond à la putréfaction dans le scénario
initiatique. L’adepte est de plus en plus dépourvu de ses pouvoirs magiques. Il a besoin le contact
avec le sol pour pouvoir créer. En attendant, sa dette envers le baron augmente.
En effet, Gilbert risque d’entrer dans un triangle initiatique maléfique, comme le
prophétise la Gazette resté en Bourgogne: « A l’un de angles il y a un juif qui ressemble à un
brochet, à l’autre angle il y a la prostituée... au troisième angle il y a le péderaste (...)
l’inévitable trinité qui gravite autour de l’homme de talent » (PDE 101). On y reconnaît
Regenheim, le baron et Vera. Pourtant, le chemineau considère Vera non seulement comme la
tentatrice, mais aussi comme la protectrice de son disciple et les deux escrocs comme les acteurs
nécessaires pour que Gilbert comprenne l’écart de son itinéraire initiatique et pour qu’il subisse la
humilité pour retrouver son chemin.
L’anéantissement imminent de l’esprit de Gilbert est évité par les événements suivants.
Sans avoir notion du temps passé à Paris, « il avait senti dans son corps que c’était la
Résurrection » (PDE 96). Il se dirige instinctivement vers la Notre-Dame. A la vue du chantier
lequel s’y trouve, il se réveille de l’oubli et ressent le besoin de sculpter : Enfin une enclave de
fraîcheur et de vie dans ce Paris brûlant et vide ! Enfin la Terre Sainte ! » (PDE 97) Mais cela lui
est empêché, parce que tout est fermé le dimanche de Pâques.
35
Deux jours après, Regenheim réclame l’argent dû. Vera veut sauver Gilbert et tout payer
mais le jeune homme, fier, refuse. Ignorant, il signe une valeur où il reconnaît ses dettes et
s’engage à les payer par ses sculptures. Abrouti par les cours d’Académie et tenté par Sylvie, une
étudiante et parisienne, « une fausse Eve » (PDE ), il n’arrive pas à créer. Sa descente à l’enfer est
couronnée par le séjour en prison à Saint-Germain-des-Près après s’être revolté contre la
conception de l’art abstrait et les partisans de celle-là pendant une vernissage d’une amie de ses
« bienfaiteurs ».
Il passe la nuit dans la cellule avec un clochard appelé l’Ingénieur, qui reconnaît
l’errement du héros et se propose de guide au cas du besoin. Après la libération physique, l’esprit
de héros se libère aussi. Il va vers la Seine qui lui sert de lien avec son pays d’origine: « Il y a un
peu d’eau bourguignonne qui coule là-bas dedans ! » (PDE 126) Il regagne le chantier de la
Notre-Dame, abandonné cette fois à cause d’une fête compagnonique. Le renouement avec le
passé et son origine est rétabli par un objet qu’il apperçoit dans le fleuve : « Il lui sembla, mais
c’était certainement un rêve, y voir passer un petit morceau de bois52 qui ressemblait à une de ses
premières sculptures.53 » (PDE 127) Il va voir l’Ingénieur où il croit trouver réconfort, mais « il
était désemparé. Tout le repoussait dans cette grande ville. » (PDE 127)
Il retourne dans son atelier où l’attend Regenheim avec sa valoir de cent mille francs qu’il
réclame. Gilbert alors signe un papier par lequel il adjuge ses statues à ses créanciers et part chez
l’Ingénieur. Celui-ci explique au héros qu’il s’agissait des escrocs. Le lendemain il vont chercher
ensemble les statues mais l’atelier est vide. A ce moment arrive Sylvie et regrette le vol de son
œuvre. Gilbert, flatté par cette admiration, doit tourner tous ses efforts pour résister à la tentation
charnelle ce qu’il réussit à la fin. La ressemblence physique de Sylvie et d’Eve n’est pas
accompagnée de ressemblence morale ce qui réveille Gilbert de son oubli.
Ensuite « [i]l aborda l’île enchantée. Une force l’attirait vers l’abside » (PDE 135) où se
trouve le chantier. Il est accueilli par un compagnon, Germain le Bourguigon Bien-Pensant, qui
52 D’après P. Patte il s’agit d’une « matérialisation de l’âme de Gilbert […] l’âme du druide et celle du sculpteur se trouvent réunies dans ce morceau de bois.” (Patte, P. : Le Personnage de la Gazette dans Le Pape des escargots d’Henri Vincenot. mémoire de maîtrise, faculté de Bretagne occidentale, 1984, p. 133.)53 L’auteur essaie l’attention de son lecteur, vu qu’à la page 83 il a changé de perspective: « On le [la Gazette] vit remonter aux sources de la Seine, qui fut aux temps druidiques un lieu de pèlerinage. Il fit un long discours au-dessus de l’eau claire et y jeta une petite sculpture qu’il avait ramassée [...] dans le cellier de Gilbert. Il la regarda flotter, puis la suivit au fil du ruisseau, en prononçant des paroles magiques [.] » On peut ici remarquer que Vincenot veut garder la vraisemblance de l’histoire à l’aide des expressions « sembler », « c’était certainement un rêve » et « ressembler » et ne cherche pas à persuader le lecteur que c’est une réalité, il lui suggère que cela pourrait être ainsi, ce qui permet de rester dans l’ambiguïté entre l’imaginaire et réel, caractéristique pour tout le roman.
36
devient son ami et qui le fait son apprenti. Là Gilbert retrouve son chemin initiatique et les
propos de la Gazette se montrent, tout d’un coup, dans une autre lumière. En mi-juin on les
demande pour la restauration de Saint-Andoche de Saulieu et ils partent pour la Bourgogne.
Ils arrivent au moment du solstice d’été. Les retrouvailles de Gilbert avec Eve se passent
ainsi pendant les feux de Saint-Jean. La Gazette l’accueille avec plaisir : « C’est toi, mon fils ? Te
voilà revenu, pauvre et dépouillé comme Job ? [...] Tu as reçu le baptême de mensonge et de la
trahison ! Tu es prêt à devenir un Grand Initié ! » (PDE 151)
Gilbert se met au travail et commence son tour compagnonique. Au chantier tout se passe
« à la façon des anciens temps, avec tant de « Ô Germain ! », de « Ô Gilbert ! », de « Ô
Ulysse ! » qu’on se serait cru jeté tout vif dans la mythologie. » (PDE 155) L’apprentissage
technique est de temps en temps interrompu par les visites de la Gazette qui dévoile à Gilbert la
dimension spirituelle et esotérique des églises en restauration. Le mouvement d’ascension du
héros se projette non seulement sur le plan psychique mais aussi physique en travaillant dans la
hauteur ce qui lui permet d’obtenir le recul du monde profane.
Pourtant, ce monde, personnifié par Sylvie, ne veut pas lâcher sa proie provisoire. La
Parisienne poursuit le jeune homme à la Rouéchotte et quand Gilbert avec Germain partent, elle
s’installe dans la chambre à four qu’elle veut acheter. Elle s’y rencontre avec Manon et cela finit
par une rixe avec la chute d’une croix, sculpté par Gilbert, sur Manon. Les deux filles s’enfuient
ce dont la Gazette se réjouit parce que la pureté de son disciple peut ainsi rester préservée. Il
court annoncer la nouvelle à Gilbert, mais il tombe devant lui d’inanition, on l’amène à l’hôpital
et Gilbert avec son ami, sans rien savoir, continuent leur travail.
A Tournus les deux hommes réparent la crypte. C’est pour la première fois qu’ils ressentent une
sorte d’extase intérieure, souvent mentionnée par la Gazette : « Ils restèrent là, baignant dans un
fluide qui n’était plus de l’air, mais une onde, surchargée des dons secrets de la terre. Quand ils
revinrent au jour, ils se sentirent différents et pensèrent aux miracles, et à cette transmutation
humaine [...] ici, on donnait à la pierre une forme et un poids qui la transformaient en force. »
(PDE 185) On aurait dit une rennaissance vécue – réssurgit un nouveau « Gilbert qui ne pensait
plus qu’au lendemain, au surlendemain, jamais à hier. Hier était une espèce de cadavre » (PDE
187) pour lui et à la fois il ressent « le commencement d’un vertige » (PDE 186) qui entraîne le
deuxième oubli d’Eve. Celle-là, inquiète, va voir le demeure de Gilbert témoignant la présence de
Sophie. Affolée, elle tombe du rocher devant les yeux de la Gazette. Elle est dans le coma et toute
37
cassée. Ce message fait Gilbert revenir. Ne pouvant rien faire, il décide de continuer son tour
compagnonique. Avant le départ il confie son domaine aux frères d’Eve qui il accuse de gaspiller
leur jeunesse aux cafés.
La Gazette se réjouit de la situation, parce que son disciple « avance. Bientôt il pourra
[l]e seconder ! ... Il vient d’apprendre la Pauvreté, la Humilité et maintenant qu’Eve Goë n’a
plus figure de femelle, il entre en chasteté ! » (PDE 198) Son disciple progresse dans l’initiation
compagnonique avec une légerté inouïe et Germain lui confie des tâches de plus en plus
compliquées. Plus Gilbert avance, plus il reconnaît en la Gazette un initié. L’évolution spirituelle
du héros est en parallèle avec la métamorphose de son domaine lequel les frères Goë, après ses
réprimandes, ont défriché et cultivé. Ce qu’il voit à sa grande surprise au retour d’hiver. La
purification spirituelle et spaciale se traduit dans la réparation du calvaire cassé par Sylvie et
Manon. Le héros « devint sombre et silencieux » (PDE 205) en signe de sa préparation à
l’initiation supérieure.
Au chantier prochain, Germain confie une exécution de crosses difficile à son apprenti.
Celui-ci la réussit sans moindre souci et son ami est surpris qu’il : « en sait tout autant et même
plus qu’un compagnon-fini ! » (PDE 208) En travaillant sur l’échafaudage, « Gilbert perdait la
notion de tout. Jouissant de la main et de l’œil, il caressait cette pierre sortie des entraillles de
son pays et il greffait modestement son habileté sur le génie des premiers créateurs. Il
appartenait, à ce moment-là, à l’immense et mystérieuse confrérie des bâtisseurs, uni à eux à
travers sept siècles, dans ces sites privilégiés de son pays. » (PDE 209) Là les rejoint la Gazette
avec les nouvelles du pays et d’Eve, opérée pour la cinquième fois sans résultat. Gilbert,
désespéré, demande le vieux, qui se prétend druide, de la guérir et ainsi prouver ses pouvoirs
magiques. La Gazette riposte que son disciple est prêt à suivre la formation pour la ressusciter
lui-même.
Après la fin de travail, Gilbert, Germain et la Gazette retournent à la Rouéchotte où ils
retrouvent les frères et le père d’Eve. A Noël elle est toujours à l’hôpital et on cherche une autre
Vierge pour la crèche vivante. On choisit Jeannette, la fille du brandevinier, et Germain tombe
amoureux d’elle. La même chose arrive à Caïn Goë avec Manon pendant à la Saint-Vincent, la
fête des vignerons. A l’arrivée de l’hôpital, Eve est installée dans la chambre à four parce qu’elle
refuse d’être vu par Gilbert. Son état est si désespéré qu’elle se croit « morte qui n’a plus rien à
donner » (PDE 230) et délibère son fiancé de la promesse de Noël précédent, ce que son
38
amoureux n’accepte pas. Pourtant, la Gazette jubile: « Tu es marqué, Gilbert, tu te dois à ta
vocation sous la conduite de ton vieux maître qui t’apprendra tout ! Tu es aux portes de la
Connaissance, Gilbert ! Une vie prodigieuse se présent à toi, loin des halètements de
l’engeance... » (PDE 231) Pour lui, le dernier obstacle à l’initiation de son disciple est surmonté.
Gilbert part pour la reconstruction de la cathédrale de Dijon et sur l’échafaud il entend la
musique de la messe. Après l’extase d’en haut, ils descendent avec Germain dans la crypte « où
toutes les harmonies entendues dans l’église haute semblaient s’être concentrées. Gilbert les
perçut, mêlées à d’autres qui montaient du sol, prodigieusement. Il pensa : « Voilà
probablement ce que la Gazette appelle les portes de la Connaissance ! J’y suis ! », et il lui
sembla que ses pieds ne touchaient plus le sol. » (PDE 232)
Le héros a déjà achevé l’initiation compagnonique, la porte du troisième niveau l’attend.
La Gazette affirme, que son disciple est prêt pour l’épreuve finale, la guérison d’Eve : « tu es
mon eubage... Tu peux ! (...) La porte du Temple doit rester fermée ! (...) On n’ouvre pas à
n’importe qui ! Je voulais t’éprouver ! Mais nous allons nous retirer tous les deux sur la
montagne et je t’apprendrai les vingt mille vers qui contiennent notre savoir... » (PDE 242) Mais
pour le jeune homme un tel délai est impossible. Le lendemain son maître disparaît et il lui vient
une idée : « Si la chapelle des Griottes était l’athanor, l’instrument qui capte les courants de la
terre pour opérer la « mutation » ? » (PDE 243) Il y apporte Eve dans ses bras et la met sous
l’autel où se trouve la source sacrée, ensuite il « l’enveloppe de son corps et l’univers se referme
autour d’eux. Ils se sentent acceptés et pénétrés. « On est comme un œuf », dit Gilbert (...) Puis
c’est le silence qui est la coquille. » (PDE 255)
Depuis le héros y amène sa fiancée chaque dimanche, et pendant qu’elle est allongée sous
l’autel, il sculpte avec de la « patience et de [la] virtuosité » (PDE 256) Pendant la semaine il
travaille sur le chantier. Au moment où il répare le tympan de Vézelay, la Gazette apparaît avec
la nouvelle de la guérison miraculeuse d’Eve. Il l’a vue « debout sur ses jambes. Elle
chantait54 ! » (PDE 262) Et le vieil homme continue : « tu en sais autant que moi (...) Je vais
pouvoir disparaître... Je te donnerai ma verge d’Aron ! (...) Et tu seras mon successeur ! » (PDE
262) Pourtant, sa prophétie ne s’accomplit pas. Gilbert, Germain et Caïn se marient avec leurs
bien-aimées. Pour le druide son disciple est perdu pour toujours, malgré le fait « qu’il venait tout
54 „Le chant est le signe de l´espace intérieur.“(Hodrová, D. : Román zasvěcení. H & H, Jinočany 1993, p. 161.)
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juste d’entrouvrir le livre. Dans quelque vingt ans, il pouvait être au sommet de la
Connaissance ! » (PDE 280) et il jure de ne plus revenir à la Rouéchotte.
Gilbert et Germain continuent leur tour compagnonique et ne reviennent chez eux que la
fin de la semaine. Un jour, à la naissance de fille de Germain et de fils de Gilbert, la Gazette
arrive. Il annonce à son ancien disciple qu’il vient « pour [s’]occuper personnellement de
l’éducation de [s]on fils [et pour] le former dès son plus jeune âge, pour qu’il devienne, lui, [s]on
successeur. (...) Il sera Pontifex maximus ! » (PDE 284) Pour confirmer symboliquement cette
décision, il cède sa crosse au nourisson.
Gilbert est un adepte à l’initiation exemplaire. Son parcours rapelle celui de Perceval à la
recherche du Saint Graal de Chrétien de Troyes. Il s’agit d’un orphelin et un ingénu, doué d’un
talent prodigieux qu’il tient de la ligne maternelle de ses prédesseurs.
Pourtant, son initiateur du troisième degré, la Gazette, veut le faire son successeur. Mais
celui-ci part d’abord à Paris pour rentrer changé et assez expérimenté pour continuer à poursuivre
son initiation. Le seul obstacle de la vie spirituelle du héros est l’amour de Gilbert pour Eve.
C’est pourquoi sa chute d’un rocher est perçu comme bénéfique par le mystagogue. Pourtant,
Gilbert se sert de ses qualités acquis pour la guérir et ensuite rénonce à la vie d’initié, même s’il a
déjà posé un pied derrière le seuil de la Connaissance.
III. III. La Billebaude
La Billebaude55, est considérée comme l’exemple du roman régional par excellence à
cause des descriptions des us et cutumes bourguignons. Comme le narrateur retourne dans son
enfance, on peut y récupérer des traits autobiographiques de Vincenot. Néanmoins, son sujet
principal, c’est la chasse. Mais ici, elle n’a pas l’allure d’une activité brutale, au contraire,
l’image de Vincenot se rapproche de la conception ancestrale, celle où « se joue un combat
cosmique, à la fois destructeur et créateur »56 avec des règles précis, « la plus noble, la plus sûre,
la plus haute préocuppation de l’être humain » (B 32) que seuls les initiés puissent apprécier.
Le héros nous invite dans un univers cynégétique dont la maîtrise est le résultat d’un long
apprentissage. Son histoire commence à l’âge de six ans, le jour où son grand-père l’a emmené au
55 Cela veut dire « au hasard » dans le patois bourguignon et aussi suggère la façon spontanée don les événements sont racontés.56 Philibert, M. : Dictionnaire des symboles fondamentaux, éditions du Rocher, Paris 2000, p. 96.
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braconnage. Il est significatif que cela s’est passé dans une « noire nuit sans lune », ce qui fait
penser à l’obscurité de l’ignorance dans laquelle le petit garçon vivait jusqu’à ce moment-là,
puisque cela « fut la toute première initiation à la mise à mort de la bête sauvage » (B 10). Il a
senti « une sorte d’ivresse » (B 11) amplifiée par la leçon de Tremblot sur le chevreuil tué, et
ensuite il se confesse : « Que la nature était donc compliquée et que me restait-il à apprendre !
Et cette sensation me gonflait d’une immese soif de vivre. » (B 11). Ce qui lui plaît à la chasse,
c’est surtout « cette saveur du fruit défendu, ce climat de mystification » (B 12). Ainsi son
entourage ne doute pas qu’il fera « un bon petit chasseur » (B 13).
Il ne s’agit pas d’un enfant quelconque. Après la mort de son père, c’est le grand-père
maternel Tremblot qui se charge de son éducation. C’est un de ces hommes « qui allaient bientôt
se faire de plus en plus rares en France et pour lesquels la liberté avait un sens précis et
concret » (B 14).
La première épreuve à la vraie chasse attend le héros en novembre. « Je prenais contact
avec le jargon de la chasse, dont on ne m’avait jamais expliqué le premier mot, mais que je
comprenais cependant. C’était merveilleux. » (B 15) Une langue réservée, accessible et
compréhensible à une poignée d’initiés fait des chasseurs une sorte de compagnie secrète et
fermée où il n’est pas facile de pénétrer. Sous la plume de l’auteur, on a l’impression que leur
activité est une sorte de magie qui transforme non seulement les hommes, mais aussi leurs chiens.
Le temps et les visages deviennent solennels. Quand le garçon appelle sa chienne, on le croit
comprendre la langue des animaux : «Elle tourna la tête mais ne me sourit point car elle souriait
très bien en temps ordinaire, (...) elle me regarda d’un air qui voulait dire : « Allons, Allons ! De
la tenue ! On ne plaisante pas ici ! » » (B 16). Finalement le héros, vaincu par la fatigue, s’endort
à son poste dans un tilleul appelé « l’Arbre Creux » qui « servait de répère » (B18), ce qui fait
penser à un arbre sacré57, qui engloutit le héros et ainsi ce dernier passe son premier passage
initiatique directement sur la voie de communication entre la Terre et le Ciel. L’attente et la
solitude amplifient l’effet : « Puis ce fut silence. Que se passait-il ? » (B 18). A la fin de la
chasse, l’auteur ajoute qu’à ce moment-là « le fond était violet58 » (B 19).
57 „[L]e mode d’être du Cosmos, et en premier lieu sa capacité de se régénérer sans fin, est exprimé symboliquement par la vie de l’arbre. » (Eliade, M.: Le sacré et le profane. Gallimard, Paris 1965, p.126.)58 Le noir est la couleur de la mort symbolique, de l’errance de l’adepte, d’un secret et profondeur cachés mais soupçonnés, du seuil et de la frontière. Le blanc […] est la couleur [du] pucelage et [de l’]inexpérience aussi que la couleur de [l]a purification et de [l]a résurrection. La couleur de l’initiation de l’adepte est le rouge, la couleur pourpre de la pierre philosophale, du centre divin [...]. » (Hodrová, D.:Román zasvěcení. H & H, Jinočany 1993, p. 147.)
41
La première chasse était pour le héros inoubliable, pourtant il ne cache pas sa déception :
« Je sentais bien que je venais de côtoyer un monde merveillleux mais sans pouvoir y pénétrer. »
Et il a honte à cause de son sommeil d’une heure : « Je m’attendais que les gars du pays me
surnomment « celui qui s’endort à la chasse ». » (B 20).
« Dans les jours qui suivirent, il se prépara des choses mystérieuses » (B 27), parce que le
grand-père a questionné son petit-fils sur la chasse. « Je fis le fier, je lui dis que j’avais bien
compris (...) mais je dus faire tant de bêtises qu’il éclata de rire. » (B 27). L’orgueil de l’adepte
déviée et l’humilité instaurée, le surlendemain Treblot a commencé sa leçon. « Il faisait encore
nuit » et il « il y avait gelé blanc » (B 27), les conditions météorologique évoquent le passage
entre le noir de l’ignorance, qui s’eclaircira avec la venue progressive du jour lié avec
l’enseignement, et le blanc, couleur d’adepte en phase de préparation à l’initiation, qui persistera
toute la journée. Tout cela se passe « sur la montagne sacrée » au moment où il « pleuvait des
feuilles rouges de cornouiller59 » (B 27), la couleur évoquant la présence de l’initié qui veille au
bon déroulement de l’apprentissage.
Pourtant, le héro note avec chagrin qu’après toute la matinée d’apprentissage « si j’étais
retourné au bois à l’instant même, j’aurais été incapable de reconnaître la moindre trace (...). Le
soir le grand-père partait pour une destination inconnue. (B 28) Cela permettait au garçon de
s’entraîner et essayer de reconstituer dans sa mémoire les acquis reportés.
Du résultat témoigne le commentaire du vieux comte qui s’adresse à Tremblot pendant le
partage des bêtes tuées, après qu’il a examiné le héros sur ses connaissance cynégétiques : « Je ne
me fais pas de souci de votre succession. » (B35). Ce compliment vaut au garçon l’invitation au
château (lequel dans le roman d’initiation « symbolise le monde supérieur »60) pour tenir
compagnie au jeune comte. Cette invitation lui permet de gagner la considération des gens du
village et ainsi prouver d’être prêt à passer au niveau plus élevé et plus secret de la chasse, ce que
sent le héros déjà antérieurement au compliment : « C’est de ce jour que je commençai à sentir le
poids de la lourde et mystérieuse fatalité qui pesait très curieusement sur moi, et dont la menace
allait s’accentuer avec l’âge. » (B 36)
La prochaine chasse de sangliers a eu lieu à Noël. Vu qu’il n’est pas invité, le garçon se
sent « quelque peu vexé » et s’interroge dans son intérieur : « Avais-je tellement démérité en
m’endormant, paraît-il, dans mon arbre creux ? Je ne sais pas. » (B 61). Pourtant, il ne se
59 Le nom de cet arbre évoque le pays de Cornouailles, figurant dans l‘histoire de Tristan et Iseult.60 Hodrová, D. : Román zasvěcení. H & H, Jinočany 1993, p. 60-61.
42
contente pas de ce sort et décide de suivre les chasseurs « par un passage secret » (B 62). Le
garçon trouve un endroit désert. Immédiatemment les sangliers se sont dirigés vers lui « comme si
je leur avais moi-même tracé l’itinéraire (...) un grand frisson venait de me saisir ; non de peur
ni de faiblesse, mais de certitude, de jouissance ; je tenais la chasse en main. J’étais le fils des
bois et des guérets (...) j’étais de la race ! (B 63). Grâce à sa position, il est arrivé à détourner le
troupeau vers les chasseurs et ainsi assurer un grand succès : « Ç’avait été une vision sublime qui
faisait de moi le grand favori des dieux. Rien, jamais rien ne pourrait empêcher que je fusse un
être supérieur, un élu parmi la race élue, mais je n’en perdis pas pour autant le nord » (B 64).
Ensuite il se confesse d’être « saoul de l’alcool capiteux de la réussite cynégétique, cet alcool
délicieux que distille le subtil mélange de l’intelligence, de l’instinct, de la logique, de la
connaissance, avec un doigt de fraude pour pimenter tout » (B 64)
Le grand-père et comte ont fait des compliments au chasseur inconnu sachant qu’il
s’agissait du petit-fils du premier. Celui-ci, saisi par un orgueil victorieux, signe de l’absence de
la maîtrise de soi, s’attendait aux éloges en rentrant à la maison, mais c’est une punition qu’il
reçoit. Pourtant le héros l’accepte avec dignité, parce que Tremblot : « savait dominer sa fierté
légitime pour faire respecter son autorité » (B 66). La raison en était simple – il s’agissait d’une
chasse ouverte pour tout le village, d’où le conseil du maître : « Réserve-toi pour les chasses où
ne viennent que les gens qui en sont dignes ! » (B 67). Ainsi le héros a réussi son entrée dans le
monde de la vénérie.
Néanmoins, il ne s’agit pas encore de l’entrée parmi les chasseurs. Cela se prépare au
moment, où le héros réussit son examen d’entrée au collège. Il reçoit « la récompense suprême :
le beau couteau suisse, instrument prodigieux qui, plus ou moins modifié depuis l’époque de la
La Tène II, sanctionne chez nous le succès de l’adolescent aux épreuves tribales d’initiation. » (B
144). Déjà son « grand-père donna une certaine solennité à la remise » parce que c’est un
« trésor magique » (B 145). Malheureusement à la rentrée le héros devait « abandonner l’idée de
la chasse » (B 149), vu son séjour au « mi-couvent mi-caserne » (B 153) à Dijon. Mais il lui est
permis d’assister à la dernière ouverture de chasse. A un moment son regard rencontre celui d’un
lièvre : « On aurait dit que ce lièvre me disait : « Reste ! (...) Tu vois bien qu’ici c’est la vie, la
vraie vie, la seule vie ! » (B 150). Le héros se rend compte que s’il bouge, l’animal s’enfuira.
Ainsi il prolonge le moment d’hypnose jusqu’à ce que « le lièvre et moi, nous ne faisions plus
qu’un. » (B 151). Le héros en ce moment comprend le language de l’animal et d’une certaine
43
façon s’incarne dans sa peau, ce qui fait penser aux pouvoirs magiques de certaines chamans qui
ont le privilège de parler avec des animaux. Après cette rencontre magique le héros quitte la
campagne et devient pensionnaire à Dijon.
Le prochain événement cynégétique ne se présente alors que trois mois après. Tout
d’abord, quand le jeune homme revient de son exil citadin, il apprend que son amie Kiaire, qu’il a
depuis petit considéré comme sa fiancée, est morte d’une maladie pulmonaire. Pourtant ce decès
attendu prend des allures de la mort rédemptrice, celle qui l’aide à la poursuite de son initiation :
« C’était plutôt comme une grande paix qui m’inondait, la paix dans laquelle j’étais certain que
la petite Kiaire baignait maintenant. » (B 182) Après les obsèques le héros s’enfuit dans les
champs enneigés. Il découvre un domaine abandonné et il en fait sa cachette secrète. Là bas il se
jure qu’elle sera pour lui « une image idéale, sans âge et sans défaut, comme la princesse
lointaine du Chevalier, la « Dame de mes pensées » » (B 242) ce qui le détourne du désir charnel
et achemine vers l’activité plus noble, la chasse.
Pendant ses promenades il trouve les traces d’une laie suivie qu’il appelle Mélanie. Vu sa
consommation démésurée, les hommes la considèrent comme nuisible. Malgré la fermeture de
chasse, le jeune colégien décide d’aller tout seul en secret à l’affût. Il réussit à choisir un bon
endroit et il observe le spectacle du petit-déjeuner gargantuesque de la laie. Dans sa tête se
produit le combat de deux idées – celle de la trophée et celle de l’éthique disant qu’on ne tue pas
une laie suivie : « Je me maîtrisai donc et ne tirai point (...) je gagnai de ce prodigieux acte de
volonté la volupté de m’être dominé (...) et la certitude de pouvoir désormais m’imposer
n’importe quel sacrifice (...). Bref, j’étais devenu un homme ! Merci Mélanie ! » (B 196).
L’orgueil cette fois battu, le jeune homme se prépare à passer son examen final, celui qui le
projette entre l’aristocratie des chasseurs, une caste non accessible à un homme ordinaire.
Néanmoins cela ne se produit pas tout de suite. Les études au collège finies, le héros bon
gré mal gré part pour les études à H. E. C. à Paris. Même là est présente sa vocation de chasseur :
« Ce relief montagneux de l’amphithéâtre me remettait un peu dans l’ambiance des chasses de
chez nous. » (B 248).
Le moment de l’épreuve final se présente « le dernier dimanche d’octobre » (B 255)
quand le héros revient en Bourgogne. Les visiteurs étrangers se présentent chez Tremblot. Ce
dernier juge son petit-fils prêt à accomplir son initiation à la chasse. « Tout ce qui arriva par la
suite fut rapide et merveilleux comme dans un rêve. » (B 256)
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Ils ont été amenés chez le Marquis, « qui d’abord ne fit pas attention à moi que si je
n’existais pas et j’en fus vexé. » (B 258) En arrivant dans un territoire inconnu, le héros pénètre
dans l’espace intérieur, dont il ne fait encore pas partie. Le Marquis correspond dans le schéma
du roman d’initiation à l’être du centre non seulement par son apparence d’un homme d’un autre
monde avec sa « moustache blanche et tombante, la redingote grise, de vieille forme, passée sur
un gilet de tapisserie, les jambes serrées par des leggins de cuir fauve61 » (B 257), son
omniscience vu qu’il « connaissait ses deux milles hectares de bois comme sa poche » (B 260),
mais aussi par le commentaire de Tremblot - l’avatar du maître – qui amène son disciple au seuil
de l’initiation : « C’est un bon renard et ses bois sont parmi les mieux entretenus [...], je te
donnerai une chance de te distinguer. » (B 258)
Le jeune homme se rend compte devant quelle personnalité il se trouve et devient
« inquiet à la pensée de [s]on maigre équipement et de [s]on inéxperience. » (B 259) Cela
s’accentue au moment où son grand-père annonce que « maintenant [...] chacun pour soi » (B
259) et ils font le repérage du terrain separément. Le héros apparaît pour la première fois dans le
rôle de piqueur, en plus dans un endroit inconnu : « J’aurais pu perdre contenance, mais grâce à
Dieu, et grâce aussi à mon amour de la liberté et de la chasse, je partis d’un pied ferme. » (B
259). Après avoir trouvé des traces de sangliers, l’adepte se perd dans l’espace inconnu, mais
malgré l’errance, il arrive au rendez-vous avec les autres juste au dernier moment. Il commence
son rapport avec cette impression : « Je croyais m’en tirer habilement, mais le marquis me posa
tant de questions que je m’embrouillai bien un peu [...] je perdis un peu contenance lorsqu’il me
fallut les situer. » (B 260)
Tremblot voit l’embaras de son petit-fils et le veut à ses côtés. Mais le Marquis décide de
garder le jeune homme près de lui. « Le sort en était jeté. [...] J’étais dans l’état d’esprit d’un
soliste qui, au concert, se met au clavier sachant que l’instrument n’a pas de cordes. » (B 262).
Tout d’un coup ses chiens flairent les bêtes et le héros se met avec le Marquis à leur poursuite.
Les bêtes émergent mais le héros a « tout simplement oublié de charger [s]on fusil. » (B 264) Il
ne s’agit pas d’un grand échec, l’occasion étant ainsi donné au Marquis qui tue un sanglier et
ensuite apprécie la façon de diriger les bêtes vers lui.
Après l’avertissement de la proximité du troupeau par le grand-père, son élève se met à la
tête de la poursuite des bêtes. Quand il les apperçoit, trop ému pour se souvenir des conseils de
61 La couleur d’initiateur ou d’être du centre.
45
Tremblot, tire au hasard au premier sanglier. Il le manque. « J’étais écrasé sous le poids du
déshonneur et la chasse perdait d’un coup tout attrait pour moi. » (B 266) Sauf qu’il a réussi à
atteindre le troisième. Ce dernier a essayé de se relever mais « le sang de Tremblot qui coulait
dans mes veines se mit à bouillonner de telle sorte que je sortis mon couteau [...], et m’étant
agenouillé sur le corps palpitant, je servis mon premier sanglier. [...] J’étais fou. [...] Lorsque le
sanglier fut immobile, je pris conscience de tout, et je m’aperçus que tout le monde faisait cercle
autour de moi. » (B 266) L’approbation du franchissement du seuil d’initiation se reflète dans
l’appréciation du Marquis d’abord pour la chasse elle-même : « Mon Dieu, c’était parfait ! » (B
267), ensuite pour sa capacité orale : « Il est plus éloquent même que son grand-père. » (B 272),
tout cela couronné par « un chalereux regard complice » (B 273).
Le héros de La Billebaude suit le parcours initiatique depuis son enfance. Vincenot
souligne souvent qu’il est descendant, du côté maternel, d’une famille célèbre pour sa culture
vénérique. L’influence du père spirituel du héros, représenté par le grand-père, est amplifié par
l’absence de père biologique, tué dans la grande guerre. Une telle éducation destine le jeune
homme à l’entrée parmi l’élite.
La chasse permet à l’adepte d’accéder au niveau spirituel plus élevé en passant les
épreuves de l’orde physique ainsi que psychologique. L’apprentissage exige une excellente
maîtrise de soi ce qui demande une certaine maturité intellectuelle. Le héros est préparé pour le
franchissement du seuil de la Connaissance depuis son enfance. Malgré l’exil en ville pendant ses
études, il garde l’esprit clair et suit sa vocation vénérique pendant les rares moments où il rentre
chez lui. Pour ne pas s’égarer de la bonne voie, il décide, à l’âge de quatorze ans, suite à la mort
de son amie Kiaire, de garder sa chasteté pour une seule femme dont il sera digne au moment où
il gagne l’estime dans les yeux de son grand-père.
Cette fois l’initiation du héros n’est pas compliquée. Le mouvement suit la direction
montante, le seul danger consiste aux séjours du héros dans la ville représentant l’espace profane
par excellence.
III. IV. Les étoiles de Compostelle
Après le retour dans son enfance dans La Billebaude, Vincenot se replonge dans le
matière celtique et compagnonique. Le résultat apparaît en 1984 entitré Les Etoiles de
46
Compostelle. L’histoire située au XIIe siècle en Bourgogne est parsemé des leçons de
l’enseignement compagnonique, de la philosophie maçonnique et de la mythologie celtique et
chrétienne. Mais cette fois l’auteur prétend que tout cela lui a été « comme dicté par la voix de
Jehan le Tonnerre » (EDC 12).
Jehan le Tonnerre, un essarteur de la Communaté de Saint Gall est attiré par la dextérité et
des connaissances des compagnons Passants du Devoir qui se sont installés à la proximité pour
construire une église. Envoûté par leur action « car il avait l’impression que ces gens-là, [...]
démontaient et remontaient l’univers à leur guise, ce qui méritait attention » (EDC 54), il désire,
soutenu par le Prophète, un vieil ermite prétendant être Scot Erigène, quitter la Communauté pour
accéder à leur savoir. Chaque soir, le travail à la Communauté achevé, il se rend tout de suite
secrètement au chantier où il apprend à travailler le bois et le fondement de la géométrie. Les
compagnons reconnaîssent vite la sagacité et l’ardeur de la connaissance de Jehan et ils lui
proposent de rester avec eux, ce qu’il accepte avec ravissement mais pas sans chagrin de devoir
quitter ses proches.
Il part malgré la colère de son père et les larmes de son amie Reine. En plus, vu que tout
ce qu’il possède lui était fourni par la Communauté il ne doit pas partir tout nu, « mais lorsque les
moines ou les Pédauques l’auront habillé, il viendra rapporter son trousseau à la masse. » (EDC
70) Ainsi commence sa voie initiatique. Jehan est symboliquement mort pour sa famille et il
rejoint les compagnons dans l’état ressemblant à un nouveau-né, autrement dit, il est dépourvu
des liens sociaux ou des objets représentant des obstacles pour accéder à un autre statut
existentiel du niveau plus élevé.
La rupture avec le passé se manifeste un an après le début de son « noviciat » (EDC 146)
à l’entrée triomphale des compagnons à Châteauneuf, en la comparant avec l’accueil résérvé aux
essarteurs, vivant à la marge de la société, accueillis par des sifflements. A ce moment « une
nouvelle vie commençait pour lui » (EDC 150).
Pourtant, il ne brûle pas tous les ponts derrière lui. Il est invité aux sépultures du maître de
la Communauté et pendant l’hiver, quand le froid empêche la construction, il est demandé pour y
aider. A son départ, la fin de l’hiver, il est retenu par Reine qui lui offre un chasuble pour le
réchauffer où elle a « mis [s]es cheveux dedans pour qu’ils [l]’enferment et [l]e protègent... »
(EDC 94) 62 et lequel constitue un lien avec elle pendant son absence.
62 Cela rappelle le chasuble de Sorédamor dans Le Cligès de Chrétien de Troyes.
47
Après les travaux sur le château, à la Chandeleur, Jehan décide de continuer sa formation.
Après avoir accepté les conditions d’admission, « il devait promettre le secret le plus farouche
sur les connaisances qui lui seraient données et sur les démarches de la société où il demandait à
participer [...] sous peine de mort » (EDC 186) pour devenir aspirant et le membre de la société
compagnonique.
Dès qu’on s’est mis en route, Jehan « était comme ivre. Il avait passé cette barre de
monts qui depuis son enfance fermait le monde vers le nord et l’ouest. » (EDC 187). Les
nouveaux horizons s’ouvrent devant lui. Avec sa nouvelle famille il continue le chemin autour du
Duché de la Bourgogne pour se perfectionner dans l’art de la charpenterie et pour approfondir ses
connaissances en géométrie et en construction. En route le maître Gallo et le maître l’Oiselet
enseignent le héros sur le Trait, car « si [on] veu[t] comprendre, débattre sainement, imaginer,
organiser [s]a pensée, concevoir et décider » (EDC 211) il faut marcher, parce que « [s]eul,
l’homme debout fait du bon travail, et c’est quand il marche qu’il pense droit ! » (EDC 211).
Jehan apprend en marchant la construction du dodecaèdre et d’autres formes
géométriques, la Sublime proportion, la base du savoir herméneutique aussi que l’histoire et la
philosophie compagnoniques. Pendant tous ces propos « il semblait à Jehan que la nature
s’ouvrait (...). L’arbre et la source devenaient l’Arbre sacré des Gaules [et] la fontaine d’eau
vive qui s’échappe d’entre ses racines » (EDC 180) acquérait une valeur symbolique. Ce voyage
lui permet d’« entrer dans un monde merveilleux que l’on peut croire être celui du rêve, [...] un
peu comme un avant-goût de l’autre monde, où il semblait à Jehan que l’on pouvait pénétrer et
se promener par un simple effort d’imagination. Du diable s’il pensait à ce moment à l’odeur à
la peau nacrée de Reine ! » (EDC 194) Le héros commence à s’éloigner du monde matériel et
charnel et il devient de plus en plus absorbé par le monde intérieur.
Sa vocation est affirmée non seulement par son application et sa dextérité, mais aussi par
sa sensibilité des courants telluriques ressentie pour la première fois dans l’église de Fontenay :
« Il n’entendait plus rien, ne voyait plus rien [...]. Plus il approchait de la croisée du transept et
plus l’envoûtements’accentuait. Il fut à son comble à un certain endroit qui pouvait bien être le
point où se croisait l’axe de la nef centrale et celui du transept. [...] Il resta là, raide comme un
piquet, mais soulevé, lui semblait-il, à un mètre au-dessus du sol. » (EDC 201)
A son retour à la Communauté après neuf mois d’absence, Jehan apprend qu’un autre
homme a pris place à côté de la Reine et que celle-ci est enceinte. Cette infidelité de la femme
48
aimée est le motif essentiel pour l’initiation plus profonde. Dans le modèle du roman d’initiation
la Reine correspond à la vierge avec le rôle rédemptrice. Dans ce cas-là sa grossesse détourne le
jeune homme de la vie sédentaire à la Communauté et le pousse à partir.
Bouleversé, le héros retrouve le Prophète qui fuit une jeune Sarracine, logée dans sa
caverne. Tebsima s’est cachée chez le vieil homme après avoir échappé au seigneur abrupt qui l’a
amenée de son voyage à la Terre Sainte et le vieux n’arrivait pas à résister à ses charmes ce qui
l’intriguait. Alors le Prophète propose à Jehan le pèlerinage à Compostelle, pour que l’initiation
de jeune homme soit accomplie et pour qu’il puisse reconstruire Chartres, quand la cathédrale
brûlerait, ce qui était un de ses prophéties auxquelles personne ne donnait pas de valeur.
Jehan accepte et le Prophète l’instruit sur le chemin depuis l’Avent. Le héros passe l’hiver
avec les compagnons pour gagner un peu d’argent pour le voyage. Le lendemain de l’Epiphanie,
le maître et l’adepte sont invités chez le sieur de Marigny qui leur accorde son faveur. Cela se
passe au moment où « le soleil s’était levé un cran plus à l’est pour avertir que la lumière
revenait au monde » (EDC 242) ce qui se met bien en parallèle avec le début de la nouvelle
initiation de Jehan, cette fois-ci du niveau supérieur, plus spirituel, de la précedente concernant
plutôt l’aspect technique.
Les deux hommes se mettent en route au premier dimanche de Carême. Ils sont
accompagnés jusqu’à la moitié de trajet de deux maîtres compagnons qui s’occupent de la suite
de l’instruction technique de l’adepte, tandis que le Prophète le fait visiter les églises construites
par les compagnons d’après les règles sacrées, réunissant la tradition celte avec le culte chrétien
et explique le sens caché de chacune. Leur trajet est parsemé de nombreuses aventures et
rencontres dont chacune contribue à l’initiation du héros sur le plan technique, philosophique ou
gnomique.
Le relais des deux maîtres est repris par le maître Lesme et son aspirant Aymeric,
rencontrés à un chantier, qui vont aussi à Compostelle. « Le Prophète marchait en tête et
derrière, les deux apprentis, un à droite, l’autre à gauche de maître Lesme 63, qui revit avec eux
toutes les propositions de la Sublime Proportion et du Triangle d’Or » (EDC 284) ainsi
«l’Université se promenait-elle sur le chemin » (EDC 302). Avec tout ce qui a vu, « Jehan
commençait à comprendre ce que les mots « initiation » et « révélation » veulent dire. Mais il
63 Cela ressemble au cortège du Saint Graal au château de Roi Pêcheur.
49
espérait Compostelle, il commençait non pas à comprendre mais à sentir, dans sa chair, le
pourquoi du vieux pèlerinage, qui suit exactement [...] la parallèle terrestre. » (EDC 287)
Pourtant à Compostelle, les vestiges du monde extérieur ne comptant pas le relâcher, il
commence à douter du sens de son voyage initiatique : « Comment ? M’avoir enlevé de force à
mes bois, à ma Communauté et arraché à ma bien-aimée. [...] M’avoir mis en danger de perdre
vingt fois la vie pour m’amener, maigre comme un chien enragé, voir ce pays de pouilleux, où il
n’y a rien à voir ? » (EDC 293) Tout lui paraît pareil comme chez lui et il faillit d’échouer à
l’examen de la chasteté. Cette menace est détourné par Aymeric64 qui argumente « implacable,
comme l’Archange. « Comment pourrais-tu devenir maître de la technique, de ton métier et de ta
science, si tu n’arrives pas à être maître de ton corps et de ton âme ? » » (EDC 296)
Le lendemain le héros avec le Prophète passent dans la basilique leur labyrinthe habituel
et le vieil homme révèle que « ce cirque n’est pas le fin bout du pèlerinage » (EDC 297). Ils
continuent plus à l’ouest où « [l]e chemin n’était plus tracé » (EDC 298) jusqu’à ce qu’ils
arrivent à un ensemble de dolmens avec des symboles déjà familiers à Jehan. A la vue de la
déception de son élève de ne pas retrouver la Connaissance, le vieux lui répond : « Maintenant tu
sais que tu peux tout vaincre, le froid, le chaud, la fatique, l’ignorance et la méchanceté ! Tu n’as
qu’à vouloir ! (...) La Révélation de toi-même, tu la reçois si tu as le courage d’aller au-delà de
toi-même. Et alors le monde est à toi ! » (EDC 299) Jehan ne ressent plus la colère et le Prophète
enchaîne que « la Connaissance, c’est aussi savoir que lorsqu’on est arrivé, il faut revenir et que
la moitié seulement du travail est fait ! » (EDC 300) A ces mots, ils se dirigent vers l’est, la
direction de l’initiation, pour rentrer en Bourgogne par un autre chemin, celui de Cluny.
Pendant le trajet l’instruction de Jehan continue avec un autre maître compagnon
rencontré sur la route. Le Prophète transmet à son élève le savoir celte et il le renseigne à quel
point la culture galoise est présente dans les récits de Nouveau Testament et ainsi influence la
religion et l’architecture chrétienne. Après avoir passé les Landes « Jehan ne sentait plus rien,
pas plus la fatigue que la chaleur humide (...). La marche forcée, sur plus de quatre cents lieues,
l’avait maintenant fait revenir de tout et l’enseignement du Tracé l’avait comme sorti de lui-
même. L’ascèse du pèlerinage l’avait amené là où il fallait. » (EDC 310)
L’achèvement de la tranformation d’un niais à la marge de société en un homme digne
d’initiation à la Connaissance se produit au retour de Compostelle : « tout était différent en lui
64 Le dialogue entre Jehan et Aymeric est en effet le dédoublement du héros, le combat dans la tête d’un homme entre deux avis au carrefour qui doit décider, quel chemin prendre.
50
(...) il marchait pieds nus continuellement » (EDC 311). Il observe l’architecture des églises et il
reconnaît des traces des compagnons dissimulées dans le style roman. En approchant de Vézelay,
le vieil homme n’arrive plus à marcher et propose à Jehan de suivre le chemin sans lui ce que le
héros refuse et il le porte sur son dos trente-trois lieues65. A ce moment le Prophète résume avant
l’arrivée de basilique de Vézelay : On peut dire que tu l’as bien réussi, ton voyage à Compostelle,
Jehan le Tonnerre. (...) Tu y as appris le tracé... Et tu y as trouvé l’amitié compagnonnique... Tu
as fait le labyrinthe... et trouvé le métier.... Tu y as appris à souffrir... et au bout de ta fatigue tu
as trouvé le courage... Et tu as trouvé l’amour de ton prochain... » (EDC 315) Il trouve son élève
digne de la Révelation, parce qu’en marchant il s’est « baigné dans la Vouivre (...) [et ainsi
devenu] imbibé de l’esprit du monde » (EDC 315).
A leur retour à la Bussière, Jehan salue à peine les compagnons et il se dirige vers la
Commmunauté où il retrouve la Reine et son fils dont le père a quitté la vie difficile d’éssarteur.
Le héros pardonne, à la suite de son initiation, la faute de sa bien-aimée et lui propose de
l’épouser et élever son fils comme le sien. Pourtant, il ne renonce pas au savoir acquis. Il part à
Chartres pour construire la cathédrale et devenir le maître compagnon.
Tout au début la vie du héros ignorant se déroule sur l’espace à la proximité de la
Communauté, puis l’apprentissage technique de base est lié avec la Bourgogne, tandis que
l’initiation du troisième degré s’étale géographiquement sur l’Europe occidentale.
Tout d’abord Jehan subit une sorte d’initiation de puberté quand il quitte la maison natale,
ensuite il enchaîne avec le noviciat compagnonique, ce qui est la condition sine qua non pour se
préparer à une initiation ésotérique, quidé de son maître, le Prophète. Ensemble ils entreprennent
le pèlerinage à Compostelle. Ce trajet sert au héros à apprendre et retenir les formules secrètes
des compagnons aussi bien qu’à perfectionner sa personnalité et à l’instruire l’herméneutique.
Cela lui ouvre porte à l’initiation éminément ésotérique mais laquelle n’est pas explicitement
envisagé. Le mouvement spirituel est en parallèle avec le mouvement spatial.
III. V. Le Maître des abeilles
65 Ainsi que le nombre d’année de Christ quand il est mort.
51
Le dernier roman de Vincenot, Le Maître des Abeilles, se concentre sur l’initiation de
jeune Parisien Loulou, étudiant en sociologie. L’histoire est raconté dans la troisième personne et
le narrateur n’intervient pas dans l’histoire.
Tout commence au moment où le père de Loulou, Louis Châgniot, rêve que la maison où
il a passé son enfance s’écroule. Louis n’hésite pas et part avec «ce lambeau d’homme tout
dévoré de poison qui lui servait de fils » (MA 29) en Bourgogne. Là il retrouve sa maison dans
un mauvais état et il s’émerveille également devant la beauté oubliée de Montfranc-le-Haut. Il
rencontre son voisin, appelé Balthazar ou Mage. Ce dernier s’indigne de l’état du jeune
toxicomane et propose à Louis de le soigner.
Le père, malgré son incrédulité, ne proteste pas, vu que toutes les tentatives de cure
d’intoxication des meilleurs spécialistes ont échouées. Depuis le début de l’histoire, l’adepte
n’apparaît qu’en rôle passif, dépourvu d’une vie quelconque ce qui est affirmé par la
description de Loulou à l’apparence d’un « cadavre »66 (MA 34) à l’« œil globulex, l’iris dilaté
[qui] se mit à trembloter comme la flamme » (MA 31) quand on le soulève pour sortir de la
voiture.
Balthazar se charge désormais de la purification du corps. Il est éléveur des abeilles et
connaît tous les atouts de leurs produits, ainsi il décide de remédier le corps du héros par la gelée
royale. L’état psychique de Loulou correspond à son état physique. Après la consommation de la
gelée, le narrateur impose au lecteur la guérison immédiate, quoiqu’improbable, en décrivant la
transformation du jeune homme qui « ouvrait ses grands yeux chagrins, les bras tombants, la
barbe et les cheveux pendant comme des oreilles de beagles de chaque côté de ses joues hâves, la
poitrine creuse et l’air las » et tout d’un coup « son regard s’anima, il se leva et je [narrateur]
crois bien qu’il eut même une loueur de sourire. Il fit deux grandes inspiration et, petit à petit,
prit figure d’homme. (MA 51)
Pourtant cela ne souffit qu’à éveiller le jeune homme. Pour réussir la cure, il lui faut de la
motivation pour la poursuivre. La première tentative a lieu dans le grenier de Balthazar où il
cultive les abeilles. L’apiculteur explique aux deux Parisiens ses observations de leur société et,
quelques minutes après la digestion de la gelée royale, Loulou « marcha à ses côtés et ne cessa
de le questionner, comme subitement libéré de ses cauchemars délétères. » (MA 54). Balthazar, à 66 Pour Vincenot le jeune homme grandit dans une ville impersonnelle, abandonné quotidiennement par les parents qui passent toute leur journée au travail et de ce fait il n’arrive pas trouver le sens de vie. Pour échapper à cette existence, il cherche l’évasion dans la drogue qui ne lui procure pas l’effet voulu, au contraire, l’emprisonne dans l’état d’abrutissement spirituel, et l’âme anéanti, le héros ressemble à un cadavre.
52
la vue de la curiosité croissante du jeune homme, lui communique son savoir du paysan, et
Loulou, « [s]ans se l’avouer, il était bouleversé par la richesse de tous ces éléments simples et
naturels, infiniment plus beaux et exaltants que les halucinations qu’il demandait à la drogue. »
(MA 55)
Suite à un égarement Loulou rencontre Catherine, la jeune fille du village, « tout autre
chose que les viragos de la faculté » (MA 56) et sa arrière-grand-mère qui connaissait très bien sa
famille. Le rôle apparent de la vierge est après confirmé par le commentaire du Mage sur la seule
fille du village qui n’est pas partie en ville : « C’est notre dernière héritière, notre princesse du
sang, notre étoile du matin, notre espoir, notre salut ! » (MA 61). Après la conversation avec les
deux femmes, simple mais autant différente de ce qu’il connaissait jusqu’alors dans la ville,
Loulou « en ressentit comme un choc violent qui le tira définitivement de son délire de drogué. »
(MA 59)
Ces deux évènements font le héros, ressemblant à un nouveau-né, découvrir un nouveau
monde et une nouvelle existence ontologique, ce qui est accompagné d’un rite de passage. Pour
faire partir toutes les mauvaises substances de son corps, Balthazar « enveloppa Loulou dans un
drap puis dans deux couvertures et, l’ayant mis au lit, le recouvrit d’une haute couette de
plumes » (MA 73), tout cela accompagné d’un « philtre » (MA 74) fabriqué à la base de genêt et
du foie cru de coq.
La transformation physique ne se laisse pas attendre. Dans deux jours, le dimanche de
Pâques, Loulou assiste avec son père au repas pascal où se ressemblent tous les dix-huit habitants
du village. Le jeune homme entre « bien droit, bien rasé, le menton rose et l’œil clair. » (MA 77)
Cela est commenté par Balthazar : « Pour sûr que voilà une résurrection ! » (MA 77).
Le lendemain, au départ des Châgniot à Paris, Loulou est introuvable et son père part tout
seul. Le héros a choisi rester et sa vie entre « dans une ère nouvelle » (MA 91). Il rompt tout
contact avec sa famille et avec la vie précédente. Il vit chez Balthazar et l’aide à s’occuper de ses
abeilles. Ce dernier devient son père spirituel et apprécie son enthusiasme : « toi qui es jeune et
qui as les yeux en face des trous, tu peux me continuer. » (MA 106) Balthazar démontre son lien
paternel par la cérémonie « que les Gaulois d’avant la catastrophe initiaient leurs fils »
consistant à répandre à la main le pollen, « cette poussière d’or sur le front du jeune homme. Elle
descendit en fine cascade sur son nez, sur ses lèvres et sur son menton, ce qui eut pour effet de le
faire éternuer et pleurer » (MA 109) à la grande joie de son maître, s’agissant de bon signe.
53
L’instruction du héros ne consiste qu’aux activités agricoles comme la plantation des
pommes de terre67, mais aussi aux « cours d’onomastique » (MA 109) ou l’histoire du pays et ses
habitants. « Ainsi, jour après jour, Loulou pénétrait l’âme de Montfranc-le-Haut. » (MA 111). Le
village de l’apparence du monde extérieur se métamorphose de plus en plus en espace intérieur
pour le héros. Le travail sur le champs ne le dégoûte pas, au contraire, il chante parce que pour
lui, tout ce qu’il apprenait en trois semaines, « [c]’était prodigieux » (MA 117) et il n’approuve
plus de manque de la drogue.
Pourtant, cette idyle est interrompu par l’arrivée de Louis avec d’autres Parisiens qui
arrivent afin de transformer le village à un lieu touristique vu la beauté de l’endroit ou pour la
recherche cadastrale, parce que Montfranc est depuis 1147, grâce à une charte
d’affranchissement, un endroit libre. La pénétration violente des étrangers dans le monde
traditionnel se manifeste par la coupure brutale du silence par le bruit des moteurs : « tout s’était
tu, même les premiers grillons qui profitaient du soleil (...); les quinze portes du village se
fermèrent et les rideaux furent tirés. » (MA 127) L’existence du monde intérieur que le héros est
en traîn d’intégrer est menacée par le fait qu’il a été révélé à un homme, le père biologique du
jeune homme, qui trahit son origine en essayant d’implanter la modernité dans l’univers
ancestrale. La menace de l’extérieur est écartée par l’orage annoncé par Balthazar et les intrus
partent de peur d’avoir mauvais temps au retour.
Avant le départ des Parisiens, la conversion de Loulou est affirmée par son médecin qui
l’a suivi trois ans sans moindre résultat. Ce dernier, renseigné sur les activités de jeune homme et
l’absence de manque, est surpris : « Je n’y comprend plus rien. » (MA 132) Balthazar lui
explique que la soif de savoir et un tout nouvel univers à découvrir ont remplacé le besoin de la
drogue. Pourtant, les parents et le médecin réclament Loulou pour le ramener à Paris et continuer
son traitement là-bas.
Mais le héros, attiré par le monde intérieur, renonce définitivement à son existence
antérieure et il se prépare pour le passage dans ce monde. Quand les parents cherchent Loulou,
Balthazar leur répond : il « n’est pas le vôtre, sinon il serait venu au moins vous embrasser, car il
vous a bien vus, lui, pleurez pas, vous le verrez une autre fois, encore plus beau
qu’aujourd’hui. » (MA 139) Le jeune homme a trouvé son paradis et il a l’intention d’y rester
même au prix de rupture avec sa famille.
67 Cela symbolise la liason qui s’établit entre le héros et la terre de son origine.
54
Balthazar avec Loulou consacrent désormais tout leur temps à observer la vie des abeilles.
Un jour Balthazar décide de partager avec son élève les résultats de sa recherche concernant le
« language des abeilles » (MA 145) et depuis, les deux hommes sont absorbés pendant des mois
par leurs experiments. Loulou devient « saisi par la richesse et le nombre de sujets d’observation
capables de donner un sens à la vie. » (MA 149)
Le jour de la récolte, le héros est enfin digne d’aider à désoperculer les rayons de miel.
Cela ressemble à une cérémonie secrète et céleste puisque chaque mouvement de Balthazar est
executé avec une minutie extraordinaire – il « chevauchait la chaise (...) et d’un geste, toujours le
même, sortait son sabre qui se rechauffait dans l’eau chaude, le brandissant avec un sourire
sadique (...) et la chevauchée recommençait, transformée en combat épique pour cet homme hors
mesure » (MA 151), l’air est rempli de l’odeur de miel68, l’action se déroule dans une « chambre
à four éclairée par une lucarne » (MA 150) et cela inscite l’imagination de Loulou regardant son
maître : « Comme un large ruban couleur d’ambre foncé, la plaque d’opercules se déroulait sur
sa main et, lourde de miel, tombait dans le baquet à opercules pour s’y lover avec un bruit de
soie. » (MA 150) Le produit obtenu est sollicité par tout le village mais sa rareté oblige Balthazar
d’être prudent avec sa distribution.
Ainsi il n’y a que deux priviligégiées qui en obtiennent. C’est Anne qui le reçoit comme
chaque année de Balthazar et Catherine, pour la première fois, de Loulou. Cela se présente pour
les deux jeunes gens comme l’occasion de sceller leur amitié et la jeune fille apprend le vrai nom
du héros, François, ce qui est pour elle enfin « un nom de chrétien » (MA 158). L’ancien Loulou
n’existe plus.
Dans ce roman Vincenot a présenté un héros qui paraît appartenir au roman de formation
puisqu’il n’accède pas à la Connaissance herméneutique et son apprentissage consiste aux
connaissances accessibles à tous.
Pourtant, dans la formation de Loulou on peut répérer des parallèles avec des initiations
de la puberté des néophytes des sociétés archaïques. En plus, il faut considérer l’intention de
l’auteur d’écrire une trilogie. Vu que Le Maître des Abeilles est le premier tome et l’initiation du
héros correspond au premier degré initiatique.
68 Le miel, ainsi que le lait sont considérés « comme nourritures divines – d’autant que le lait et le miel sont les duex seuls aliments qui n’ont pas besoin d’être préparés et qui apparaissent immédiatement comme purs sans aucun besoin de rite de purification ». (Cazenave, M. : Encyclopédie des symboles, Pochothèque, Paris 1996, p. 412.)
55
IV. LES SPECIFICITES DU ROMAN D’INITIATION
Pour que les adeptes puissent être iniciés, ils doivent avoir certaines prédisposition.
Ensuite ils s’en servent pour découvrir les liaison entre les choses et les êtres jusqu’alors
insoupçonnés. Ces liaisons étaient toujours autour d’eux, mais seulement avec une bonne
interprétation ils découvrent une nouvelle dimension de leur nom et de l’espace ainsi que le
temps dans lequel ils vivent
IV. I. Les noms
La motivation onomastique des personnages principaux est présente dans les romans de
Henri Vincenot. En effet, par ceux-là on ne comprend que les adeptes de l’initiation, mais surtout
ses initiateurs. En ce qui concerne des protagonistes féminines, une certaine motivation est
observable dans Le Pape des Escargots dans le cas d’Eve et Manon, sinon l’auteur se sert des
noms communs qui ne semblent pas avoir une liaison importante avec sa porteuse.
56
A part des noms parlants que nous allons traiter plus tard, on rencontre dans l’œuvre de
Vincenot des nominations relevant du domaine culturel. On peut parler du panthéon celte comme
la déesse Belisa, le dieu Belen, Lug, etc. Il aime aussi se servir des personnages historiques
comme Vercingétorix, Convictiolan, César, Scot Erigène, Abélard et surtout Saint Bernard qui
est introduit dans tous les romans sélectionnés.
Ensuite s’offre une catégorie regroupant les noms issus du domaine culturel. A côté des
sculpteurs de la Bourgogne Gislebert d’Autun et Claus Sluter, Vincenot évoque souvent des
écrivains, surtout bourguignons ou ayant rapports avec la Bourgogne, comme Bossuet, Colette
Romain Roland ou Alphonse de Lamartine aussi que Gérard de Nerval, Emile Zola, ou Jules
Michelet.
En Bourgogne « on note quelques fortes tendances régionales et locales [dont] une très
forte concentration de patronymes en « -ot ».69 Vincenot n’ignorait pas cela, ainsi la liste des
personnages avec ce suffixe est très longue, nommons-en au moins quelques uns : Landrot,
Beurchillot, Humblot, Maitrot, Jacotot, Robelot, Villotte, Parpaillot, Theurot, Treubelot,
Bonnardot, Soiguillot, Beurchillot, etc.
IV. I. A. Les noms « parlants » des adeptes
Dans le roman d’initiation les adeptes et les maîtres jouissent d’un « nom « parlant »
d’une façon initiatique »70. Dans ce cas-là le nom initiatique est « d’autant plus vrai qu’il
correspondra à une modalité d’ordre plus profond, puisque, par là même, il exprimera quelque
chose qui sera plus proche de la véritable essence de l’être »71Concernons-nous d’abord sur les
adeptes.
Le nom de famille Jefkins aux allures anglo-saxones dans Les Yeux en Face des Trous
déboîte de la ligne des noms français, voir bourguignons, ainsi que le héros lui-même. Au
contraire des autres personnages il a parcouru le monde entier, le nom nous suggère son côté
aventurier. Pourtant, il est attaché aux racines par le prénom Jean. Il s’agit non seulement d’un
nom typiquement français, mais ce «prénom était fréquemmet associé à la folie ou à la pauvreté
69 « Enquête sur l’origine des noms de famille bourguignons » – dossier spécial Dijon, in : Express, No 2934, semaine du 27 septembre au 3 octobre 2007, p. VIII.70 Hodrová, D.: « La structure et les transformations du roman initiatique » in: Litteraria Pragensia : studies in literature and culture, 4, 1992,, p. 15.71 Guénon, R. : Aperçus sur l’initiation. Ed. traditionnelles, Paris 1992, p. 184.
57
d’esprit »72 ce qui est caractéristique pour son séjour à Paris. Françoise Thinlot-Baritou
argumente son choix par l’imminence du carnaval73 vers la Chandeleur, où le héros se réveille
pour un moment du cauchemar citadin.
Dans le cas de Gilbert, le héros du roman Le Pape des escargots, la motivation est la plus
transparente et travaillée de tous les romans choisis. L’origine bourguignon du jeune homme est
présent dans son nom de famille qui n’est jamais explicitement dit, mais on le reconnaît d’après
le nom de son oncle Meulenot. Il est possible de recupérer cette information à la base du fait que
« sa mère était une Barrault et, comme leur nom l’indique, les Barrault avaient été tonneliers
depuis le temps où un barrault était un petit barril » (PDE 16). Vincenot n’a pas mentionné le
métier du tonnelier par hazard. Il s’agit d’une longue tradition familiale qui détermine Gilbert à
son destin. Cette profession prend dans les yeux de l’auteur des dimensions symboliques pour
deux raisons.
D’abord le maniement du bois se montre dans une autre lumière quand on se rend compte
que, comme l’auteur aime à rappeler, le métier de Christ était « le charpentier » (EDC 289), ce
qui est aussi la profession à laquelle se consacre Jehan du roman Les Etoiles de Compostelle. Le
héros du dernier roman Le Maître des abeilles porte le nom de famille Châgniot et comme le
Mage explique, ils sont « sortis du coin dex chênes74, les « châgnes », comme on dit chez
nous » (MA 105). Le bois dans les mains de l’artiste cesse d’être uniquement une matière utile, il
s’anime75. La Gazette explique à son protégé : « Le bois que tu touches, mon fils, n’est plus du
bois, c’est de l’âme. » (PDE 45) Cela est souligné plus tard quand il parle des copeaux. Ceux-ci
ne sont pas perçus comme des ordures, au contraire, la Gazette appostrofe le feu : « ces parcelles
de bois laissées par l’artiste, inutiles à l’esprit (...) transforme-les en chaleur bénéfique pour le
corps ! » (PDE 53).
L’autre raison, c’est que les Barrault appartenaient à la confrérie des compagnons de
même que le père d’Eve, ancien sabotier. Ainsi c’est le bois qui rallie le héros à la jeune fille et
72 Thinlot-Baritou, F. : Henri Vincenot : Entre le retour à la tradition et une nouvelle modernité. Thèse de doctorat, Paris III – Sorbonne Nouvelle, 1983, p. 332.73 Dans le sens de M. Bakchtine, voir la préface de son œuvre François Rabelais a lidová kultura středověku a renesance. Argo, Praha 2007.74 „Le chêne est l’un des arbres les plus importants en symbolique. En raison de la dureté de son bois, il est souvent associé à l’idée d’immortalité et de durée. » (Chevalier, J. ; Gheerbrant, A. : Dictionnaire des symboles. Éditions Robert Laffont, S.A. et Éditions Jupiter, Paris 2005, p. 128.)75 D’après C. G. Jung „les pères des héros divins sont des ouvriers sur bois, des sculpteurs, des bûcherons, des charpentiers, tels par exemple le père d’Abraham, le père d’Adonis, Joseph, le père nourricier de Jésus.“ (Davy, M.-M.: Initiation à la symbolique romane: (XIIe siècle). Flammarion, Paris 1999, p. 214.
58
Gilbert en est conscient : « Toi tu es de ma race ! » (PDE 48). A part de cette façon explicite, cela
est exprimé implicitement par le nom de famille d’Eve Goë. D’après l’avis d’Anne-Marie Ferlet
Vincenot, qui connaissait la langue bretonne, a joué sur la ressemblence avec le mot celte goat ce
qui signifie bois en français et renvoie à leur origine d’essarteurs76. Une autre explication est
offerte par Françoise Thinlot-Baritou : Goë vient du mot grec gaia, la terre en français, et avec les
noms bibliques les trois frères d’Eve (Adam, Caïn et Abel) « opposent la force de leur œuvre
terrestre, comme un Ancien testament, au Nouveau représenté ici par Gilbert. »77.
Dans Le Pape des escargot on peut remarquer l’abondance des noms des personnages
importants avec une initiale G « correspondant au gamma grec, lequel avait lui-même remplacé
le thau comme sigle du compagnonnage »78. En effet, la Connaissance est transmis à Gilbert par
la Gazette, le héros devient l’apprenti de Germain (ce dernier se mariera avec une fille de
brandevinier, le métier rapproché au forgeron) et il choisit la fille du compagnon, le père Goë. Le
nom de Gilbert le prédestine aussi à sa carrière compagnonique du tailleur de pierre, métier
nécessitant des acquis artistiques ainsi que manuels. La Gazette compare le héros à Gislebert
d’Autun qui a sculpté le tympanon de Vézelay. Cela est affirmé par le vieux curé, le seul (à part
de la Gazette) admis à voir sa création: « Gislebert d’Autun, Claus Sluter, Philippe Biguerny,
Jean de la Huerta, vous avez un successeur ! » (PDE 26)
L’aspet bénéfique d’Eve sur l’héros est mis en contraste par Manon. Gilbert est au début
du roman tenté par sa cousine, une femme charnelle et terrestre. Pourtant, vers la fin, on apprend
que l’effet nuisif qu’elle puisse porter sur le héros n’est pas le signe d’un mauvais caractère. Elle
tombe amoureuse de Caïn Goë et tous les différends avec le cousin sont oubliés. On peut y
trouver une ressemblance avec Manon Lescaut qui est « une petite femme »79 avec « son penchant
au plaisir, son physique plaide à sa faveur et elle n’est pas avilie par sa débauche : elle se
comportera toujours avec beaucoup de retenue »80.
Le nom du héros de La Billebaude est complètement effacé. D’après le nom du grand-
père paternel on pourrait supposer que son nom de famille est Sandrot. Pourtant, ce roman est
considéré comme l’autobiographie de l’auteur. Comme explication on pourrait mentionner que
76 Ferlet, A.-M. : La Terre bourguignonne dans l’œuvre de Vincenot. thèse de doctorat, université de Paris IV – Sorbonne, 1993, p. 118.77 Thinlot-Baritou, F. : Henri Vincenot : Entre le retour à la tradition et une nouvelle modernité. Thèse de doctorat, Paris III – Sorbonne Nouvelle, 1983, p. 26578 Idem, p. 34779 Cellier, L.: Parcours initiatiques. Presses universitaires de Grenoble, Neuchâtel 1977, p. 95.80 Idem, p. 96.
59
Sandrot est composé de l’abréviation du nom Alexandre81 et le suffixe -ot82, alors on pourrait
parler d’un grand-père Alexandre dont Sandrot n’était pas le vrai nom. Cela est évident aussi par
le fait que le héros à l’H.E.C. « étai[t] perché entre de Vitasse et de Waren » (B 247) sachant que
la place a été attribué par l’odre alphabétique. Ici on peut remarquer que Vincenot aime brouiller
les pistes, parce que d’après son nom il devrait précéder de Vitasse. Mais il indique cela déjà dans
la préface : « Celui qui va conter cette histoire veut s’effacer absolument derrière ses
personnages [...] dans ce témoignage tout chaud que vous pouvez tout aussi bien lire comme un
roman... C’est votre affaire. »
Le roman Les Etoiles de Compostelle se déroule au XIIe siècle83, c’est pour cela que les
personnages manquent en général le nom de famille. Cela permet à Vincenot de se servir des
noms compagnoniques ce qu’il fait largement. Le héros n’en fait pas encore partie alors il se
contente avec Jehan le Tonnerre. Cela est dû à son caractère, décrit quand il travaille « en
enchaînant ses gestes et en grondant avec le nerf et l’ardeur qui lui avaient valu son nom » (EDC
55). Pourtant cela n’apparaît pas être la seule motivation onomastique. L’appelation des fils de
tonnerre a été portée par Jean l’Evangéliste et par son frère Jacques le Majeur84. Le nom du
premier ressemble au Jehan le Tonnerre et le nom du second renvoie à Saint Jacques dont le
tombeau à Compostelle symbolise le but du pèlerinage. Ainsi s’instaure le lien entre le pèlerinage
et la prédestination du héros à l’initiation. D’après le Prophète la statue du saint Jacques porte
visiblement « [u]ne canne [...] de Compagnon Constructeur » (EDC 292). Voici un exemple du
syncrétisme, dans l’esprit duquel se porte toute l’œuvre de Vincenot.
Le dernier adepte à traiter c’est Loulou du roman Le Maître des abeilles. Au contraire des
autres héros, son prénom ne porte pas de dimension spirituelle ou référentielle. Tout d’abord on
devine qu’il s’agit d’un diminutif de Louis, d’ailleurs son père s’appelle ainsi. A la dernière page
pourtant on apprend que le héros se prénomme François. Ne crée pas l’auteur ce surprise pour
séparer les deux existences du jeune homme ? En effet dans le roman on observe la
transformation d’un être apathique, en passant par une phase d’enfant qui découvre la nature et
ses lois, en un homme.
81 Le grand-père paternel de Henri Vincenot s’appelait Alexandre.82 « A l’origine, il s’agit d’un sufixe diminutif » Boinon, G. : Les Régionalismes dans l’œuvre d’Henri Vincenot : vitalité et modalités d’insertion. mémoire de maîtrise, univesité de Dijon, 1998 p. 88.83 D’après Jean-Louis Beaucarnot les noms de famille commencent à apparaître au XIe et au XIIe siècle où la paix en Europe a permis un boom économique et démographique. (« Enquête sur l’origine des noms de famille bourguignons » – dossier spécial Dijon, in : Express, No 2934, semaine du 27 septembre au 3 octobre 2007, p. IV.)84 http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_(ap%C3%B4tre)
60
Le nom de Loulou, cachant une nuance affective, évoque dans notre esprit un enfant, un
être fragile qui, faute de danger de choc possible, devrait rester dans sa naïveté et bien chouchoté,
condamné à une existence passive. L’étudiant à l’arrivée à Montfranc-le-Haut est abrouti par sa
vie monotone et commode, il ne prouve aucun intérêt du monde qui l’entoure. Pourtant, après son
apprentissage pratique il poursuit une formation plus difficile, celle de l’observation du
comportement rituel des abeilles et son zèle lui vaut la confiance de Balthazar. Cela lui permet
assister à la recolte des opercules, un acte aux allures initiatiques. Après ce moment nous l’auteur
enfin dévoile un nouvel homme François. A cette rélevation réagit Catherine : « A la bonne
heure ! Ça, c’est un nom de chrétien. » (MA 158)
IV. I. B. La triple identité des initiateurs
Les initiateurs principaux sont dotés chez Vincenot de trois nominations, à l’exception de
Tremblot. D’abord ce sont des noms civiques lesquels, surtout dans le cas de la Gazette, rendent
ces personnages avec des connaissances esothériques ou pouvoirs surnaturels plus
vraisemblables, puisque l’histoire se déroule, sauf Les Etoiles de Compostelle, au XXe siècle,
après leurs sobriquets et à la fin les nom que les personnages s’attribuent eux-même.
Dans le premier cas, l’auteur utilise les noms officiels très raremet, uniquement quand les
maîtres ont à faire avec l’administration. Féli est appostrofé Félix Favrot quand il est devant la
cour de la justice pendant l’interrogation sur la mort des prospecteurs, le vrai nom de la Gazette,
Jean Treuverdot85, nous est dévoilé au moment où les agents de la police essaient de l’attrapper
après sa fuite de l’hôpital et à propos de Tremblot il s’agit du nom civique. On hésite chez le
Prophète qui sur le passeport du pèlerin « avait choisi de figurer sous le nom de Benoît Hugues,
personne ne sut pourquoi mais lui il le savait bien » (EDC 243), puisque c’est le seul moment où
l’auteur mentione cette appellation sans aucune précision. Dans le cas du Mage, il est appelé par
les étrangers qui arrivent au village Julien Bichot. L’auteur se souciait aussi d’accentuer leur
origine bourguignonne par l’utilisation du suffixe –ot.
85 Ce nom fait penser au syntagme trouver de l’eau ce qui ne paraît pas illogique, puisque le vieil homme est aussi le sourcier.
61
Ensuite Vincenot attribue aux initiateurs des sobriquets sous lesquels ils sont connus au
grand public. Le sobriquet est un « surnom familier que l’on donne à une personne avec une
intention moqueuse ou plaisante, faisant référence à des particularités physiques ou à des traits
de caractère de cette personne, à son origine sociale ou géographique, à son métier, à une
anecdote de sa vie ou encore formé sur un jeu de mots »86 et ses porteurs le bien prouvent.
Tout d’abord Féli dans Les Yeux en face des trous est issu de son nom Félix, ce qui
signifie heureux en latin87 et correspond très bien avec sa situation. Il vit sa vie d’après son goût,
quand il veut il n’hésite pas de « quitter la pioche, s’asseoir et jaser, sans en demander la
permission à personne » (YFT 28) au contraire des gens employés en ville. Cela attire Jefkins
jusqu’à ce qu’il décide de suivre le train de vie de cet homme et de rester dans une telle ambiance
de bonheur. En ce qui concerne le deuxième guide spirituel de Jefkins, le Méhariste indique non
seulement le métier d’origine de cet homme, mais, par son union avec le désert, on y trouve le
touche de l’Orient, la direction reservée à l’initiation.
Le sobriquet de la Gazette tient son origine de son activité itinérante, il est le messager du
pays. Il est acceuilli et nourri par les gens parce qu’il est le seul qui puisse « assurer [...] le
commentaire des événements essentiels et raconter ce que le Bien Public et les Dépêches88 ne
disent jamais » (PDE 181), les informations étant ressemblées pendant ses parcours prétendus
sacrés autour de la Bourgogne. Cette mobilité lui permet d’échapper aux regards des villageois et
de voyager entre l’espace extérieur et intérieur sans le moindre soupçon des non-initiés.
Le Prophète est de la cathégorie des sobriquets moqueurs, parce qu’il prédit des choses
qui se passent loin et de ce fait les gens autour de lui sont incrédules. Pourtant, ses prophéties ne
sont pas insensées. Quand Jehan est prêt à partir au pèlerinage, le Prophète est content, parce
qu’il prédit l’inscendie de la cathédrale de Chartres et qu’à leur retour, le héros sera assez instruit
pour aller la réparer. Il explique son don qu’il « rêve [et] le rêve inspire la déraison, le seul
raisonnement valable » (EDC 234), alors il est au lecteur, s’il décide de croire ou non à cette
disposition affectée au vieil homme. A la fin du roman, les deux hommes rencontrent les
templiers qui leur annoncent que la cathédrale vient d’être brûlée.
Le dernier maître est appelé le Mage ou Balthazar par tous les habitants du village parce
que « depuis sa prime jeunesse, il prétendait remettre, par faveur spéciale, les os déboîtés et
86 Trésor de la langue française informatisé – sobriquet.87 http://fr.wikipedia.org/wiki/F%C3%A9lix88 Il s’agit des journaux régionaux.
62
guérir des piqûres de frelons, et même d’autres maladies » (MA 32). On ne peut pas douter, qu’il
s’agit d’une allusion à un des trois rois mages qui apporte à l’enfant Jésus la myrrhe laquelle
« servait à embaumer les morts, laver les souillures qu’implique la vie dans la chair, comme un
baume de vie éternelle »89. Vincenot a remplacé la myrrhe par le genêt pour puiser des ressources
du région. Le Mage l’a étalé sur le corps nu du héros et il « enveloppa Loulou dans un drap puis
dans deux couvertures et, l’ayant mis au lit, le recouvrit d’une haute couette de plumes » (MA
73) tout cela symbolisant la mort de l’ancien être et la renaissance d’un nouveau individu, dans le
cas de ce roman le jeune homme débarassé de sa dépendance à la drogue, sert de la preuve des
facultés magiques de Balthazar.
Le troisième type sont les nom lesquels s’attribuent les maîtres eux-mêmes. Ainsi Féli se
prétend, devant le juge, d’être Convictiolan, le roi des Edouens. Cela permet à Vincenot mettre en
parallèle le déclin imminent de la civilisation moderne avec celui de la civilisation celte et aussi
dévoiler au lecteur qu’il est un homme hors du commun – on peut lui attribuer soit l’éternité, soit
la folie, ce qui est le cas du tribunal.
Quand Féli est interrogé sur la motivation de l’assassinat des ouvriers qui devaient creuser
la terre pour faire sortir le pétrole apportant à son pays, d’après son avis, les influences
maléfiques de même ordre que César à la Gaule, il répond : « César accourt pour réduir la
révolte. Sa route le conduit à passer près de mon camp. En même temps, je reçois des messagers
qui me demandent de le retarder afin que les patriotes aient le temps de se grouper. (...)
J’attaque avec l’énérgie. Je gagne du temps, pendant lequel Vercingétorix se rassemble sur
Alésia. » (YFT 159) Cette histoire correspond à ce qui s’est passé pendant la crime. Il a tué les
trois hommes afin de ralentir l’exploitation et gagner du temps pour son beau-fils Jefkins qui
devait sensibiliser les masses pour empêcher de faire sortir le pétrole.
En ce qui concerne la Gazette, lui aussi raconte à Eve qu’il était ami de Saint Bernard,
mais sans mentionner aucun nom. Par contre, il se glorifie dans le roman éponyme du titre pape
des escargots. Si on le considère comme un simple roman régional, on associe l’escargot tout
simplement à la Bourgogne, célèbre pour cette spécialité gastronomique.
Mais si on ne se contente pas avec cette explication, on apprend que cet animal « s’enfouit
sous terre pendant l’hiver pour réapparaître au printemps, offrant l’image de la vie qui se répète
et niant toute idée de destruction définitive [parce qu’il] passe par des phases successives de
89 http://fr.wikipedia.org/wiki/Rois_mages
63
morts et de renaissances »90 rappelant le rite de passage initiatique. Et la Gazette nous en fourni
encore une autre quand il explique une petite sculpture à l’église de Saint-Seine-l’Abbaye :
« L’escargot donne le sens de la giration du monde, l’envirotement de tout. (...) [Il] prouve que le
courant vital, Spiritus mundi, est ici concentré et capté pour réaliser la mutation de
l’homme ! » (PDE 211). Ainsi le vieux chemineau paraît soudainement être un grand initié qui ne
cache pas son identité, mais seuls ses semblables reconnaissent cela.
Le Prophète se proclame Jean Scot Erigène, le philosophe et théologien du IXe siècle, un
moine irlandais prêchant le christianisme celte, qui a séjourné à la cour royale de France. Les
moines le prennent pour un fou, puisque l’histoire se déroule au XIIe siècle, mais le Prophète
défend ses propos : « Oui, Scot Erigène, l’abbé de Malmesbury est mort (…) le druide
Malmesbury n’est pas mort ! Je me suis entendu avec mes moines pour faire croire qu’ils
m’avaient tué et qu’ils avaient brûlé mon cadavre. Mais moi, je suis passé en Armorique et me
voilà devant vous[.] » (EDC 46) Ce maître ainsi, comme les précédents, malgré les apparences
d’un homme marginal, relève par le biais de son nom le côté surnaturel de son existence.
Balthazar s’entitule le maître des abeilles dans le roman éponyme. Le Mage possède des
centaines de ruches et les produits fabriqués par les abeilles lui servent de la monnaie, puisqu’il
échange le miel, la gelée royale, l’opercule, le cire ou le hydromel contre les choses qu’il n’arrive
pas à produire. En effet il n’est pas apiculteur ordinaire. Il observe le comportement de ses
abeilles et compare leur société à la civilisation citadine, parce que tous sont des esclaves – les
boutineuses de la reine aussi que les gens de la technique. Il explique ses observations aux
Châgniot et « [c]e n’était plus le paysan madré. Il avait vraiment l’air de faire un cours. Il sourit,
comme illuminé » (MA 48). Il arrive avec ses connaissances à guérir la dépendence du jeune
homme et à le faire intéresser à la communication secrète des abeilles.
Le sujet de l’apiculture est présent dans tous les romans sélectionnés ce qui montre
l’importance que Vincenot a accordé à cet insecte non seulement parce que « un des attribut de
Bernard de Clairvaux est le rucher »91 mais aussi parce que’au Moyen-Âge on croyait « que les
abeilles ne vivaient que du parfum des fleurs, et elles étaient ainsi considérées comme le symbole
90 Cranga, F. ; Cranga Y. : L’Escargot : zoologie, symbolique, imaginaire, médecine et gastronomie, éd. du Bien public, Dijon 1991, p. 42.91 Lurker, M. : Slovník symbolů. Knižní klub, Praha 2005, p. 553.
64
de la pureté et de l’abstinence »92, deux qualités nécessaires pour une initiation réussie de
l’adepte.
IV. II. L’espace
Vincenot a créé dans ses œuvres un univers mi-réel, mi-mythique. Comment comprendre
ce constat ? En effet, sur le plan spatial, les héros subissent leurs épreuves dans les coulisses
réelles, représentées par la Bourgogne. L’image du pays est dessinée soigneusement, jusqu’à tel
point que les romans peuvent servir de guide touristique. Mais l’auteur ne se contente pas d’une
description succincte, au contraire, à l’arrière-plan, il laisse jouer le décor lié aux légendes et aux
histoires lesquelles lui ont été transmises par ses aïeux. M. Née parle, dans le cas de René Char,
d’un Pays qui est réel et d’un « « Arrière pays » mental satisfaisant au désir le plus profond
qu’on assiste – ou plutôt qu’on n’assiste pas »93 et dans le cas de Vincenot, on pourrait substituer
le Pays au monde extérieur et l’Arrière pays au monde intérieur. Cette « interférence des espaces,
auparavant nettement séparés, s’avère comme une tendance caractéristique dans l’évolution du
roman d’initiation du XXe siècle. »94
Ainsi la frontière entre le réel et l’imaginaire devient floue. Les deux composantes sont
importantes, or, la tension entre elles forme un univers spécifique où le vraisemblable prend
l’allure du réel. Le monde intérieur est derrière celui de l’extérieur, mais il n’est visible qu’à un
élu. Une certaine renaissance de la mythologie se produit non seulement sur le plan spatial
respectivement temporel, mais aussi sur le plan pédagogique, c’est-à-dire par les leçons tenues
par les initiateurs à l’intention de leurs protégés. En effet, on se rapproche du point de vue spatial
du roman mythologique tel que le conçoit M. Kyloušek, puisqu’on peut observer chez Vincenot
« l’interpénétration du mythe et de la réalité, ou plutôt du mythe avec l’histoire
événementielle. » 95
Dans chaque roman dès que l’adepte est en bonne voie de l’initiation, l’initiateur lui
dévoile une nouvelle dimension d’un endroit jadis sacré ce qui a été jusqu’alors inimaginable
92 Chevalier, J. ; Gheerbrant, A. : Dictionnaire des symboles. Éditions Robert Laffont, S.A. et Éditions Jupiter, Paris 2005, p. 2.93 Née, P. : L’Ailleurs en question. Essais sur la littérature française des XIXe et XXe siècle., Hermann éditeurs, Paris, 2009, p. 203.94 Hodrová, D. : Hledání románu. Kapitoly z historie a typologie žánru. Československý spisovatel, Praha 1989, p. 194.95 Kyloušek, P.: Le roman mythologique de Michel Tournier. Masarykova univerzita, Brno 2004, p. 93.
65
pour l’adepte. En racontant les légendes ou en expliquant des détails sur les bâtiments qui ont
persévérés des siècles, le paysage réel devient rempli des symboles et des significations sacrées.
Comme exemple peut servir le commentaire de la Gazette au moment où Gilbert et
Germain restaurent l’église de Saint-Seine-l’Abbaye. D’abord il explique la présence d’une
chimère et d’un cochon au portail : « [m]oi, Gazette, Grand Druide, pape des escargots, je vais
vous répondre : Cette chimère n’est ni dans la Bible ni dans l’Evangile : c’est la Vouivre ailée
des Gaulois et ce cochon, encore une fois, c’est la truie, l’emblème druidique [...]. Et tout cela
signifie que ce sanctuaire est un athanor druidique » (PDE 210). Ensuite il leur montre une petite
sculpture de l’escargot, à peine remarquable qu’il prétend être la clé à la vraie compréhension du
bâtiment : « La clé existe dans l’œuvre, elle est visible comme le nez au milieu de la figure, c’est
le petit détail qui choque et qui surprend. Cet escargot est le point le plus émouvant de tout
l’édifice. […] Ici il signifie que l’édifice est le « Lieu des Forts », que c’est un vase dont le
contenu se divinise ! L’escargot prouve que le courant vital, Spiritus mundi, est ici concentré et
capté pour réaliser la mutation de l’homme ! » (PDE 211)
Il est important mentionner le sens du trajet de l’adepte. En quittant la Bourgogne pour
Paris, il voyage à l’ouest, ce qui déjà annonce l’échec personnel, en sachant que « l’Est est la
direction de l’initiation »96. Cela est dû au fait que « Orient désigne l’aurore, l’éclatement de la
lumière [...] Ainsi la connaissance cosmique, dans la lumière de l’Orient, est une connaissance
solaire. La lumière de l’aurore qui se lève correspond pour l’âme à son éveil sur le plan de la
réalité. Dans l’ordre mystique, le terme « Orient » signifie l’illumination. »97 Cette direction est
prise pendant le retour de la capitale en Bourgogne. On pourrait objecter que Compostelle se
trouve à l’ouest de la Bussière, d’où part Jehan et le Prophète, pourtant, le narrateur explique :
« Dans la tête des gens, le chemin de Compostelle est un chemin à sens unique. On parle toujours
des gens qui y vont, jamais de ceux qui en reviennent. Or, c’est une entreprise en deux temps, et
le second n’est pas le moindre ! » (EDC 301)
Dans les romans sélectionnés, à l’exception de Les Etoiles de Compostelle, le parcours du
héros est géographiquement partagé entre la Bourgogne, la campagne, et Paris, la ville. Les deux
espaces s’opposent l’un à l’autre. Tandis que la campagne est parsemé d’églises, de sources
sacrées ou de la terre fertile offrant la régénération spirituelle, la ville ressemble à terra gasta, la
terre stérilisé qui abrutit les esprits de ses habitants. Néanmoins le passage par la ville est
96 Hodrová, D.:Román zasvěcení. H & H, Jinočany 1993, p. 188.97 Davy, M.-M.: Initiation à la symbolique romane: (XIIe siècle). Flammarion, Paris 1999, p. 196.
66
nécessaire pour que l’adepte perde sa naïveté et se batte victorieusement contre les influences
maléfiques et ainsi prouve sa détermination à l’initiation qui suit son départ de cet endroit
pernicieux.
IV. II. A. La campagne
La Bourgogne est dans Le Pape des escargots, La Billebaude et Les Etoiles de
Compostelle représenté comme l’espace extérieur aussi qu’intérieur. Le héros avant son initiation
fait partie du monde terrestre, comme Gilbert quand il va fêter les vendanges, le héros de La
Billebaude quand il s’endort pendant sa première chasse ou Jehan avant l’arrivée des moines et
des compagnons à la Bussière. C’est son passage par la ville qui intériorise l’espace auparavant
extérieur.
Tous les héros de Vincenot sont des campagnards, à l’exception de Loulou, qui est
néanmoins issu d’une famille paysanne et qui revient à ses racines. Le choix de ce milieu a été
motivé par le fait que « que cet espace a été éloigné de l’agitation d’une « nouvelle époque »
représentée par la ville, c’était un espace-abri, où on se refugie de la ville [...] hors le contact
avec le temps historique réel. »98 De même que cela a permis à l’auteur « [l]a transposition de
l’idéal de la campagne et sa façon de vivre « au sein de la nature » dans le temps mythique de
« l’Age d’Or » »99, c’est-à-dire, en cas de Vincenot, à l’essor de la civilisation celte. Pourtant,
l’espace sacré n’est pas présent dans toute la région vu que la culture citadine s’y répand
aisément. Ainsi le domaine où le héros habite devient « un hors-monde dans le monde, une oasis
dans le désert »100.
La campagne de Vincenot est menacée par l’extension des zones industrielles ou par le
réseau des routes qui arrachent l’espace traditionnel de son isolation protectrice et il s’en rend
compte. L’exemple, certes, exagéré, mais le plus évoquant, figure dans Les Yeux en face des
trous, où le domaine de Féli est littéralement envahi par les machines des prospecteurs, venus de
l’extérieur. Au moment où le pétrole gicle, « [l]a faible couche de neige est rongée sur une
surface de trois ou quatre hectares par une flaque noire qui tend vers l’aval du chantier. Les
hommes guêtrés et casqués s’agitent, les gaz envahissent la combe, le geyser monte, s’affaisse et 98 Hodrová, D. : Poetika míst. Nakladatelství H & H, Praha 1997, p. 45.99 Idem, p. 46.100 Née, P. : L’Ailleurs en question. Essais sur la littérature française des XIXe et XXe siècles. Hermann éditeurs, Paris, 2009, p. 206.
67
rote avec des reprises et des borborygmes inquiétants, des grondements brefs et impérieux. »
(YFT 57) Le combat entre l’albedo et nigredo est remporté par le dernier. L’espace sacré est
rétréci, pourtant, il ne disparaît pas totalement, comme le prouve l’installation des habitants de la
Perrière à la Fontaine d’Argent plus tard.
En effet, l’espace sacré se borne aux édifices religieux et aux endroits avec une
symbolique sacré, comme la montagne, où se trouve d’habitude la demeure du héros.
La Perrière « se partageait en trois parts égales ; terres, vergers et pâturages » (YFT 29),
« ces vingt minuscules hectares se trouvaient enclavés dans une immensité de forêts et de friches
où personne ne vit jamais trace de clôture. Aussi avait-on l’impression de tout posséder » et à
part de la vigne, « le reste évoquait plutôt le farniente, la cueillette et le bûcheronnage
périodiques, car les terres cultivées formaient, dans ce cadre immense, un îlot dérisoire. » (YFT
30) La Perrière est pour Jefkins la frontière entre l’espace extérieur, représenté par l’errance
autour du monde entier, et l’espace intérieur de la Fontaine d’Argent.
La deuxième demeure de la famille expropriée abolit le temps référentiel du XX e siècle et
on est les témoins de la création d’un nouvel univers représenté sur le plan microcosmologique
par la Fontaine d’Argent. Pour y accéder, il faut connaître le trajet comme la famille de Féli,
parce qu’au bout d’un moment « [l]e chemin a disparu. […] [Ils] débouch[ent] sur une immense
friche. » (YFT 240) Après l’avoir traversée, ils retrouvent un ancien village, abandonné par ses
habitants depuis des décennies, avec des maisons écroulés où, plus tard, Jefkins découvrira « une
sorte de halle, aux belles charpentes. Le lierre y avait voilé, aux yeux des chasseurs, des murs
parfaits, percés d’ouvertures en cintre surbaissé qui donnaient l’allure d’un petit cloître. On
l’appela d’ailleurs « le Cloître » et, tout de suite, [il] y vi[t] le cadre idéal pour [s]es
sculptures. » (YFT 268) L’espace religieux est consacré à l’art. Ils s’y installent avec leur bétail
ce qui est commenté par Féli : « On part à zéro, c’est le commencement du monde ! » (YFT 243)
Jefkins a enfin trouvé, après la folie vécue dans la ville, un endroit où il peut se « repaître
d’immensité, de silence et de liberté » (YFT 246). Son parcours s’arrête ici, il a déjà retrouvé son
paradis perdu.
L’espace sacré est conservé dans l’œuvre de Vincenot aussi par le biais des églises
romanes qui ont gardé leur fonction cosmique, malgré le fait que seuls les élus arrivent à en jouir
comme nous avons déjà montré pendant des états d’extase de Jefkins dans la chapelle de l’usine,
de Gilbert à Tournus et de Jehan à Fontenay. L’initiation des deux derniers s’est passé au travers
68
de la formation compagnonnique laquelle a permis de découvrir les traces de l’art de la
civilisation celte mélangée avec la civilisation chrétienne à travers de multiples églises. Le trajet
des deux héros n’est pas accidentel. Celui de Jehan suit le chemin du fameux pèlerinage à
Compostelle, tandis que le sens du parcours de Gilbert n’est pas indiqué qu’implicitement. Il faut
dresser une carte où figurent les églises que Gilbert avec Germain avaient à restaurer. Nommons
les églises les plus importants en omettant l’ordre chronologique des visites et imaginons-nous
une spirale commençant par Vézelay, passant par Tournus, Semur-en-Auxois, Saulieu, Autun,
Saint-Seine-l’Abbaye avec le point central passant par Dijon. Elle représente non seulement le
mouvement éminemment initiatique, mais aussi un escargot.
La quantité des églises romanes mentionnées par Henri Vincenot dans les cinq livres
sélectionnés indique, quelle importance l’auteur a accordé aux édifices religieux du XIIe siècle.
Pourquoi ce choix ? Marie-Madeleine Davy considère l’art roman comme « un art cosmique. Le
maître d’œuvre, créateur entre ciel et terre, bâtit la maison de Dieu qui sera une halte [...] pour
tous les hommes qui séjournent sur la terre. L’endroit où le Dieu et l’homme communiquent est
un centre de théophanies, c’est-à-dire le lieu de la manifestation divine. »101 Cela produit sur le
croyant un effet bienfaisant, attribué par Vincenot aux courants telluriques qui sont renforcés par
l’architecture de ces églises. Mais aussi, ses initiateurs prétendent que la concentration de ces
courants a été savamment repérée par les druides des siècles plus tôt et les églises ont été
construites sur les anciens lieux sacrés des Celtes.
Dans Le Pape des escargots est représenté le mieux ce concept. L’initiation de Gilbert
commence et s’achève à la chapelle des Griottes qui a été jadis réputée pour sa source à laquelle
on a accordé des puissances guérisseuses. A l’arrivée de Gilbert et la Gazette, elle se trouve en
ruine. Les deux hommes décident de la restaurer ce qui exige une dextérité exceptionnelle et des
connaissances techniques spéciales. Le vieil homme sert de guide et conseilleur à son protégé, et,
en plus, grâce à ses connaissances ésotériques et une corde à treize nœuds il trouve avec Gilbert
deux mètres sous le sol « une dalle. Ils la soulevèrent et découvrirent un trou rond, maçonné à
merveille, et un petit escalier de cinq marches. Au fond du trou brillait une eau transparente et,
parmi les gravats, ils trouvèrent une figure grossière de femme assise posant le pied sur un
serpent. « Le puits celtique ! râlait la Gazette. Le contact d’eau ! la Dame-de-sous-terre avec son
101 Davy, M.-M.: Initiation à la symbolique romane: (XIIe siècle). Flammarion, Paris 1999, p. 27.
69
pied sur la Vouivre ! » » (PDE 37). La mythologie s’interpénètre avec le réel au moment où Eve
est miraculeusement guérie.
Le motif de la source sacrée apparaît aussi dans Les Etoiles de Compostelle, parce que
l’endroit où les moines construisent une nouvelle église de Bussière est choisi « près de la source
sacrée » (EDC 17). Le héros est venu voir le Prophète et le retrouve au lit avec la Sarrasine qu’il
a sauvé. Jehan est allé directement « se purifier dans la source » (EDC 169). Celle-ci représente
dans la symbolique « des « eaux profondes », [...] en association avec des cultes de divinités de
la guérison et de la purification. »102 Gaston Bachelard attribue cela au fait « que l’eau
jaillissante est primitivement une eau vivante. C’est cette vie, qui demeure attachée à sa
substance, qui détermine la purification »103 laquelle renvoie à l’espace sacré.
Vincenot s’est servi de cette symbolique pour intérioriser l’espace dont les héros sont
issus. Il souligne dans tous les romans, sauf Les Yeux en face des trous, que leurs apprentissages
sont ancrés sur une « montagne sacrée » (B 29) où se trouvent « les fils d’argent d’un curieux
lacis rivières qui, sans en avoir l’air, ont une particularité extraordinaire et magique, celle de
partager nos eaux entre la Manche, l’Atlantique et la Méditerranée » que le héros appelle « le
toit du Monde occidental » (B 30) que la Gazette invoque comme le « Centre sacré du triangle
des eaux ! » (PDE 118) Une de ces rivières, la Seine, y prend sa source et sert de liaison entre la
Bourgogne et Paris quand la Gazette essaie d’arracher Gilbert à la ville en y envoyant une de ses
sculptures. Le Prophète a choisi de s’installer après une longue errance ici, parce que « les eaux
coulaient vers les trois directions. […] Voici la tête des eaux ! C’est là que je peux me
régénérer ! » (EDC 116)
Cet espace dans lequel le héros vit depuis sa naissance (à l’exception de Loulou) est un
des éléments qui le prédestinent à être élu à l’initiation à cause de son altitude. En effet, leurs
abris sont installés sur une montagne, ou pour M. Eliade la Montagne cosmique, qui « figure
parmi les images exprimant le lien entre le Ciel et la Terre ; elle est donc censée se trouver au
Centre du Monde. »104 Ce lieu est ainsi idéal pour la croissance spirituelle des adeptes.
Pour arriver à la Perrière il faut « gimp[er], à pas lourds, sur l’épaule de la
montagne » (YFT 28) de même pour accéder à la Fontaine-d’Argent « [o]n monte » (YFT 239).
A propos de Gilbert, il « loge entre les trois versants, au point le plus haut. » (PDE) Le héros de 102 Cazenave, M. : Encyclopédie des symboles. Pochothèque, Paris 1996, p. 648.103 Bachelard, G. : L’eau et les rêves : essai sur l’imagination de la matière. Librairie générale française, Paris 1993, p. 162.104 Eliade, M.: Le sacré et le profane. Gallimard, Paris 1965,, p. 35.
70
La Billebaude habite la « montagne sacrée » (B 29) et la Communauté de Jehan se trouve « sur
un petit versant tourné vers le sud [...] qui s’ouvrait en direction de la vieille montagne noire »
(EDC 22). Quant à Loulou, l’altitude de Montfranc-le-Haut est déjà suggéré dans son nom,
puisqu’il est situé « au-dessus de la barre de la Montagne, la mince tache claire que le village
faisait tout là-haut sur son promontoire rocheux au milieu des monts noirs » (MA 68).
Dans Le Maître des abeilles on découvre l’espace intérieur aussi dans la maison du Mage.
Voisinant avec celle des Châgniot, elle est aussi « orientée comme une cathédrale dans l’axe
solaire du solstice de Noël » (MA 12-13). On y découvre une fontaine et à l’intérieur se trouve un
« pilier105 central octopartite qui retombait sur des corbeaux engagés dans le mur et sculptés
d’écus dont le maître de céans refusait de donner la signification car elle était ésotérique et
réservée aux seuls initiés » (MA 33). Aussi « l’escalier en colimaçon » (MA 43) menant au
grenier fait penser à M. Bachelard : « L’escalier vers le grenier […] on le monte toujours. Il a le
signe de l’ascension vers la plus tranquille solitude »106 et de ce fait permet à l’adepte de se
consacrer à la méditation.
IV. II. B. La ville
La ville est vis-à-vis de la campagne « le symbole d’une civilisation confuse et
déshumanisante »107 ce qui correspond avec la représentation de la ville chez Vincenot. Dès que
Jefkins arrive à la capitale, elle lui « apparaît, après une absence de quinze ans, comme un
chaos108 » (YFT 92), un des déterminants de l’espace extérieur qui empêche l’initiation. Cet
endroit est hostile à l’initiation et le héros qui y persévère devient de plus en plus étourdi. Ce
passage constitue la partie intégrante des épreuves initiatiques, vu que l’adepte doit prouver sa
maturité en mettant fin de la descente en enfer, sans quoi le nouvel individu ne peut pas ressurgir.
La ville est chez l’écrivain bourguignon caractéristique pour l’absence de dimension
spirituelle quelconque. L’âme n’y trouve pas de nourriture intellectuelle, parce qu’elle est ancré
dans la « Terre Gaste », terre stérile du Roi pêcheur. Le bitume a remplacé la terre fertile et
l’homme est dépourvu du contact avec celle-là.105 „[L]es piliers cosmiques soutiennent le Ciel tout en ouvrant la voie vers le monde des dieux. » Idem, p. 32.106 Bachelard, G. : La Poétique de l’espace. Paris 1970, p. 41.107 Hodrová, D. : Poetika míst. Nakladatelství H & H, Praha 1997, p. 46.108 « Dans l’Antiquité gréco-romaine, le chaos est la pesonnification du vide primordial, antérieur à la création, au
temps où l’ordre n’avait pas été imposé aux éléments du monde. » (Chevalier, J. ; Gheerbrant, A. : Dictionnaire des symboles. Éditions Robert Laffont, S.A. et Éditions Jupiter, Paris 2005, p. 206.)
71
Cela apporte des effets néfastes pour la santé du héros de La Billebaude qui tout au début
de ses études dans la ville « fi[t] une pneumonie très bien réussie car elle fut double » (B 275) ce
qui était évident pour un bûcheron-charbonnier âgé, comme l’explique le héros : « si j’avais été
malade à Paris, c’était normal car là-bas, « je ne touchais plus la terre ». » (B 289)
De même raison Gilbert pendant son exil à Paris n’arrive pas à créer. Il habite un petit
atelier dans un bâtiment « au fond d’une cour crasseuse, une sorte de haut entrepôt de six étages.
[…] Il avait essayé de voir le ciel et il n’y était parvenu qu’en se penchant à mi-corps par la
tabatière et en relevant la tête jusqu’en se dénuquer. » (PDE 77) La lumière n’illumine plus sa
création artistique, l’obscurité commence à l’envahir, il manque de la spiritualité, qu’il ne
retrouvera que sur « l’île enchantée » (PDE 135), c’est-à-dire sur l’Île de la Cité où se trouve la
cathédrale de Notre-Dame. Et à l’Académie où il est censé de prendre les cours, tout
« bourdonnait, ronronnait, et lui, Gilbert, pour qui la sculpture faisait partie de la vie des friches
silencieuses, se rongeait de solitude au milieu de cette foule et restait stérile comme des orangs-
outans du jardin des Plantes. » (PDE 83)
Quand Jefkins arrive à la gare de Lyon, il déplore l’existence des citadins, puisqu’au lieu
d’êtres humains et libres, il observe « de petits jardins carrés de prisonniers où les détenus [les
habitants du banlieue] ont tracé leur chemin entre deux plates-bandes de terre qu’ils remuent
pour distraire leur ennui, sous les yeux de l’Usine, mirador vertigineux où l’horloge pointeuse
les guette et ne les ratera pas. » (YFT 93).
Vincenot a choisi comme le symbole du déclin de la civilisation citadine l’usine, parce
que « comme l’usine se transforme en un être, là dedans l’homme se déshumanise, il perd des
traits humains. »109 Jefkins travaille « dans une halle immense où le tonnerre de nos tôles passe
inaperçu dan le tintamarre général. Les emboutisseuses donnent le rythme de base, les
graisseuses grincent, les souffleries ronflent et le hargneux claquement des riveteuses, chef-
d’œuvre incomparable, semble transformer la cervelle en pâte de papier. » (YFT 102)
Mais cela n’est encore rien par rapport à la deuxième usine où les employés sont
« groupés dans un vaste bureau, plutôt un halle, [...] les ouvriers ne rencontr[ent] aucune
distraction. La contremaîtresse est juchée sur une sorte de phare et en tubes chromés et en verre.
Elle prend en enfilade tous les groupes et, dans chaque groupe, peut surveiller chaque homme et
chacune de ses mains et chacun de ses pieds et chacun de ses yeux, et même, me semble-t-il,
109 Hodrová, D. : Poetika míst. Nakladatelství H & H, Praha 1997, p. 186.
72
chacune de ses pensées. Elle a un timbre avec voyant pour appeler ou rappeler à l’ordre chaque
machine, car elle ne parle que des machines. Elle sonne, et dit devant le micro : « La machine
33 ! » Cela signifie qu’elle prie l’homme qui dirige la machine trente-trois de rectifier la
position. » (YFT 151) L’homme devient une particule de la machine dirigée par « l’usine-
monstre qui [le] non seulement assujettit et conditionne, mais également elle le mutile et tue avec
plaisir. »110
Balthazar critique la vie citadine et Louis ne reste pas épargné, puisque la mère de Loulou
passe quotidiennement des heures au métro quand elle se rend au travail et tous les membres de la
famille souffrent de son absence. Cela est pour le Mage la raison principale de la dépendance du
fils à la drogue. Quand Louis revient à Paris et contemple sa femme, « il lui sauta aux yeux
qu’une profonde, effroyable et bouleversante mutation avait transformé en mâle fatigué cette
jolie petite femelle de jadis. » (MA 98) Cela lui rappelle les mots du Mage qui compare les
habitants de la capitale à ses abeilles : « Comme les pauvres Parisiens dans le métro ! Pauvres
bêtes qui courent, courent toute la journée, toute la nuit... car je viens les observer la nuit aussi
pendant des heures. Toujours toutes à la queue leu leu, victimes d’une spécialisation absolue et
sacrifiées, toutes, à la productivité et à l’efficacité du monstre Etat [...] de leur naissance à leur
mort... Et là-dedans, parmi ces dix mille sujets de chacun de ces « Etats » (il montrait l’ensemble
du rucher), rien qu’une qui a le droit à l’amour ! La reine [...]. Les joies de l’amour ? Tintin !
Pas la peine ! Temps perdu ! Energie perdue ! Une seule suffira : la reine » (MA 44-45).
La ville est ainsi l’endroit, où le rôle sacré du feu, qui a été à l’origine du mot foyer, s’est
complètement effacé. Les grands-mères du héros dans La Billebaude sont angoissées lorsqu’elles
apprennent qu’il n’y que du chauffage centrale dans sa chambre parisienne : « Pas de feu, donc
pas de chaleur. Pas de flammes ? Pas de braises ? Pas de cendres ! Donc la mort ! » (B 253)
Cette mort, elle est causée par l’absence du feu, symbole de la fertilité. Comme explique
M. Bachelard, « on met [l]e cendre du feu astreint non seulement à la terre qui doit apporter de
la récolte, mais on en enrichi aussi la nourriture pour engraisser le bétail. Avant tout pour une
bonne réproduction. »111 Ce n’est pas par hazard que les adeptes choisissent uniquement les filles
de la campagne. Celles-là, au contraire des citadines savent allumer le feu. Cela est évident dans
Le Pape des escargots où Gilbert rencontre à Paris Sylvie et « [d]ès le premier jour, il l’avait
remarquée parce qu’elle ressemblait à Eve Goë. » (PDE 84) Il failli de succomber à ses charmes,
110 Hodrová, D. : Poetika míst. Nakladatelství H & H, Praha 1997, p. 187.111 Bachelard, G. : Psychoanalýza ohňa. Smena, Bratislava 1971, p. 48.
73
mais au dernier moment il s’échappe. Pourtant, Sylvie retrouve ses traces et s’installe dans la
chambre à four à la Rouéchotte. Quand elle veut allumer le feu, elle n’y arrive pas et demande la
Gazette de l’aider. Celui-là répond : « Qui veut vraiment mener une existence de femme libre doit
d’abord apprendre à allumer un feu. » (PDE 172) Par contre, pour Eve le feu n’a pas de secret et
c’est elle que Gilbert choisit pour fonder un foyer.
IV. III. Le temps
Le plan temporel est indissociable du plan spatial dans le roman d’initiation. Tandis que le
temps de l’éxterieur est successif, indifférencié, présent, irréversible, dans le temps intérieur
règne l’immortalité, hiérarchie, il oscille entre le passé et le futur. Cela est bien visible dans
l’œuvre de Vincenot. Les héros, représentés par les jeunes hommes, vivent leur existence
normale dans le temps linéaire au moment de rencontre avec leurs initiateurs, par contre, Féli, la
Gazette et le Prophète prétendent de subsister des siècles.
En effet on peut observer ici deux concepts temporels : le temps linéaire ou historique et
le temps cyclique. Dans le premier cas les événements sont enchaînés l’un après l’autre, l’homme
se dirige vers le futur et ses actions ne se reproduisent plus jamais. C’est le temps moderne dont
on se sert pour décrire l’histoire d’une famille, d’une nation ou d’une organisation. Cela contraste
avec le deuxième cas « [s]ous sa forme cosmique, avec l’alternance des nuits et des jours, des
saisons, des révolution des astres. […] Sur le plan religieux, ce temps possède ses rites, ses fêtes
liées à la végétation. »112 Ainsi la vie sous le temps cyclique se déroule surtout dans les sociétés
archaïques et agricoles. On peut y inclure même des fêtes religieuses chrétiennes qui ont revêti
des coutumes païennes, puisque l’éradication totale de ces dernières n’était pas executable.
Le temps cyclique est considéré comme intérieur parce que « en imitant des archétypes et
en répétant des gestes paradigmatiques, le temps est aboli. »113 L’homme est débarassé de son
angoisse existentielle, il sait qu’après le printemps viendra l’été comme des années précédentes.
Ce temps a été remplacé, au moins dans la civilisation européenne, par le temps historique.
Même si l’histoire des romans de Vincenot, sauf Les Etoiles de Compostelle, est ancré au XXe
siècle, l’auteur a choisi comme le lieu de l’initiation la campagne où les fêtes agricoles ou
112 Davy, M.-M.: Initiation à la symbolique romane: (XIIe siècle). Flammarion, Paris 1999, p. 93.113 Eliade, M.: Mýtus o věčném návratu. Oikoymenh, Praha 1993, p. 29.
74
religieuses ont encore persisté. Cela lui a permis de doter ses initiateurs d’une longévité
improbable.
Nous allons aussi voir que Vincenot utilise souvent dans ses romans de principales fêtes
religieuses comme le Noël, les Pâques ou la Saint Jean qui correspondent aux fêtes païennes
comme le solstice d’hiver, l’équinoxe de printemps ou le solstice d’été ainsi que l’équinoxe
d’automne. Leur signification ressort de la révolution solaire pendant toutes les saisons qui a été
substitué à la vie de Jésus Christ.114
Les romans dont l’histoire se passe au XXe siècle sont caractéristiques pour leur cadre
temporel. L’action située à la campagne, régie du temps cyclique, n’est jamais accompagnée
d’une date précise. En effet, avec le décor composé surtout des églises romanes et des
personnages vivant comme leurs ancêtres, elle pourrait se dérouler des siècles auparavant
qu’aujourd’hui si les signes des temps modernes ne seraient pas présents. Ils sont exposés comme
des éléments perturbateurs venus de l’extérieur, de la ville. Ainsi, on ignore l’époque de l’action
du roman Les Yeux en face des trous jusqu’à ce que Jefkins entend « le bruit lointain d’un
moteur » (YFT 18), dans Le Pape des escargots tout ce qui est lié au vendange garde l’aspect
traditionnel mais cette idée est brisée par l’image de l’oncle de Gilbert qui « sortit la vieille
Citroën » (PDE 13). L’univers ancestral de La Billebaude est aussi perturbé par l’arrivée d’une
« faucheuse méchanique » (B 140) et la vie traditionnel peint dans Le Maître des abeilles est
bouleversée quand « au fond de la combe on entendit gronder un moteur automobile » (MA 29),
puisque « pour Montfranc, le mot voiture désignait encore exclusivement la voiture
hippomobile » (MA 127). Cette ambiquïté du cadre temporel est renforcée aussi par l’utilisation
du passé simple dont l’usage n’est pas caractéristique pour le XXe siècle.
L’ouverture de tous les romans, sauf Le Maître des abeilles, se produit en automne lequel,
avec l’hiver, correspond au temps extérieur115. L’arrivée des prospecteurs est fixé au 10 novembre
d’après le journal de Jefkins. Il y a « noté, au jour le jour, les convulsions de [leur – les habitants
de la Perrière] solitude. » (YFT 35). La première information qu’on apprend dans Le Pape des
escargots avant que la Gazette apporte la nouvelle de la création artistique de Gilbert est que
« [l]e ban de vendanges avait été publié très tôt cette année-là » (PDE 9) avec la description de 114 Par exemple le Noël « est une fête chrétienne célébrant chaque année la naissance de Jésus de Nazareth, appelée Nativité. A l’origine, cette fête était païenne et existait sous des formes différentes pour marquer le solstice d’hiver » c’est à dire la date de la nuit la plus courte de l’année qui symbolise le retour du soleil qui prend chaque jour à l’ampleur. (http://fr.wikipedia.org/wiki/No%C3%ABl)115 Hodrová, D.: « La structure et les transformations du roman initiatique » in: Litteraria Pragensia : studies in literature and culture, 4, 1992, p. 18.
75
la récolte du vin. La Billebaude commence par la première expérience cynegétique du héros
« [u]n soir » quand « il était très tard » (B 9) alors on devine qu’on est en automne puisque c’est
le temps de l’ouverture de la chasse. On rencontre Jehan avec le Prophète près de la Bussière
quand les moines commencent leurs calculs pour y construire une église et « [c’]est l’équinoxe »
(EDC 20) d’autumne, comme on apprendra plus tard.
Au contraire de la tradition chez Vinceno, le rêve prémonitoire de Louis Châgniot du
roman Le Maître des abeilles se produit « le mercredi saint » (MA 67), c’est-à-dire au printemps.
L’action de ce roman se déroule dans la durée la plus courte, c’est-à-dire trois mois dont la
Semaine sainte couvre la moitié du roman, soit 83 pages sur 158. Si la formation du héros
manque cette fois de la dimension purement ésotérique, le cadre temporel fait soupçonner qu’il
ne s’agit pas d’un simple roman de formation. L’histoire s’étale de la Semaine sainte au solstice
d’été.
Loulou est mis sous les couvertures qui devraient nettoyer son corps, symbolisant la mort
initiatique, « le vendredi saint » (MA 71) et cela correspond parfaitement avec la mort de Jésus
Christ dans le calendrier chrétien. Comme ce dernier, quand Loulou apparaît à l’église aux
ripailles du lundi de Pâques, on commente son changement comme « une résurrection » (MA
77). En ce moment le héros commence l’initiation à la vie paysanne, suivi d’une formation
apicole. Le fruit de son apprentissage est le miel d’opercule qu’il amène à Catherine le jour du
solstice d’été, à la Saint Jean, la date de la journée la plus longue de l’année.
Au court parcours de Loulou est opposé l’itinéraire de Jefkins116. Le récit retrospectif
concernant son tour du monde est situé entre l’an 1937 et l’an 1945. Ensuite le héros s’arrête en
Arrière-Bourgogne et il y mène une existence paisible. Il est chassé de cet endroit où il devait
fêter « bientôt dix ans » (YFT 90). Cela produit un contraste considérable entre la tranquilité
précédente et la hâte instaurée. Le domaine est profané non seulement sur le plan spatial, mais
aussi temporel. Le temps éminemment cyclique est remplacé par le temps linéaire quand Jefkins
commence à noter des événements quotidiens depuis l’installation des machines à puiser le
pétrole de la terre dans son journal.
Ce journal est le symbole du temps extérieur parce que la suite de dates continue aussi à
Paris. Le héros y arrive le Nouvel An ce qui symbolise la fin d’une période suivie d’une autre.
116 Du point de vue de la durée de l’itinéraire du héros, on peut compter seize ans, mais ceux-ci ne sont exposés que sur 13 pages sur 284, le reste du roman retrace l’histoire du moment de l’arrivée des prospecteurs à l’installation d’Anne à la Fontaine d’Argent, c’est-à-dire la durée d’à peu près six mois.
76
Ainsi « on assiste à l’effacement de l’an dernier et du temps écoulé. C’est aussi la raison des
purifications rituelles : le brûlement, l’annulation de tous les péchés et les fautes de l’individu
aussi que de la communauté »117. Cela entraîne l’oubli de Jefkins par rapport à sa famille restée
en Bourgogne. Cet oubli est rompu par la mort réelle de Louisette et le coma de Jefkins qui
signale la fin de son existence dans l’espace extérieur. Lorsqu’il reprend conscience « c’est
mars » (YFT 238), alors le début de printemps - le temps de l’intérieur, les dates ne sont plus
importants au retour en Bourgogne et le nouvel univers sacré dans son isolement bénéficie de
tous les atouts pour pouvoir continuer « [à] moins qu’un jour un prospecteur individuel n’arrive
ici avec son Giger » (YFT 284).
L’histoire du roman Le Pape des escargots s’étale sur l’espace de deux ans. La dernière
apparition de Gilbert dans le monde profane représenté par le village arrive pendant une fête
terrestre, le vendange. Depuis, le héros se repli dans son demeure où il s’entoure de ses sculptures
de saints et de la Gazette. La première interruption dans son œuvre est causé par la descente au
village pour voir la crèche de Noël où la Gazette joue le Saint Joseph. L’incompréhension du
monde terrestre continue, mais Gilbert y trouve l’âme sœur en Eve, amie d’enfance, déguisée en
Vierge. Ce jour-là, « la vigile de Noël » (PDE 45) la fête chrétienne dont l’origine était le solstice
d’hiver, le héros promet de finir sa création sacrée avant « le lundi de Pâques » (EDC 51) et
ensuite épouser la fille.
Pourtant, l’hiver n’étant pas la saison de l’initiation, il manque à sa parole et le jour de
« Quinquagésime »118(PDE 56), poussé par son orgueil, il décide de partir en ville. Là il mène une
existence sombre, le temps n’est plus compté d’après le calendrier chrétien ni païen, les jours se
suivent sans aucune dimension spirituelle et Gilbert faillit d’oublier son amour pur ressenti envers
Eve, étant tenté par son imitation profane, Sylvie. Ce temps extérieur est interrompu par l’arrivée
des Pâques. La Gazette avec Eve poursuivent seuls de toute la région le pèlerinage des Griottes.
Quant à Gilbert, il « n’avait pas de calendrier, ne comptait pas les jours, mais il avait senti dans
son corps que c’était la Résurrection. » (PDE 96) Cela le fait marcher et « comme l’aiguille se
tourne vers le pôle, comme la fleur se tourne vers le soleil, il était arrivé à Notre-Dame. » (PDE
96). Le temps intérieur a repris le héros instantanément sur cet espace intérieur et sur le chantier
il reprend le goût de la création qui lui a été enlevé par l’absence du sacré.
117 Eliade, M.: Mýtus o věčném návratu. Oikoymenh, Praha 1993, p. 40.118 La septième dimanche avant les Pâques.
77
Le retour en bonne voie est confirmé par l’abandon de la ville et l’arrivée du héros en
Bourgogne juste pour le solstice d’été et il retrouve Eve à « la Saint Jean » (PDE 149). A ce
moment-là commence son parcours initiatique sur le niveau plus élevé ce qui continue même
après la chute d’Eve du rocher. L’infirmité de la jeune fille au contraire semble délibérer Gilbert
du dernier lien à la vie terrestre.
Cette libération est empêchée par le retour d’Eve de l’hôpital le jour de « la Saint Vincent,
la fête des vignerons » (PDE 224) laquelle manque de dimension spirituelle. La guérison
miraculeuse de la fille se réalise une année après les retrouvailles avec son fiancé et cela coupe
Gilbert définitivement de la vocation druidique et de ce fait l’initiation suprême dont il pourrait
être digne. Pourtant, cette merveille permet, une année plus tard, la naissance de leur fils Vincent,
qui « sera le Pontifex Maximus » (PDE 284), c’est-à-dire le successeur de la Gazette.
Un autre exemple du temps cyclique nous est fourni dans La Billebaude. Le thème
principal, c’est la chasse. Pour cette activité est réservée la période de l’ouverture du novembre
au février, ainsi le temps des épreuves initiatiques est restreint. Les fentes issues de l’absence de
ce temps intérieur servent pourtant à ce que les connaissances théoriques du héros évoluent avec
son âge. Pourtant, comme nous l’avons vu pendant la description de son parcours initiatique, le
degré de l’habileté de l’adepte ne peut monter que dans l’espace et le temps intérieurs représentés
par le territoire et l’ouverture de la chasse.
Les Etoiles de Compostelle est le seul roman de Vincenot dont l’histoire est ancrée au XIIe
siècle. L’itinéraire initiatique de Jehan se passe en trois phases pendant trois ans. Chaque phase
débute vers l’équinoxe d’automne et chacune est substituée à l’unité spatiale de plus en plus large
ainsi qu’au degré de la Connaissance de plus en plus élevé. La première étape commence à
« l’équinoxe » (EDC 20) en automne où Jehan, avec l’assistance du Prophète, découvre
l’existence des compagnons et leur savoir. Il décide d’appartenir à ces hommes aux
connaissances pour lui jusqu’alors inconcevables. Il est intégré dans leur chantier près de la
Communauté où il a grandi et il exerce des actes les plus simples.
Il gagne la confiance des compagnons et après un an d’apprentissage, de nouveau le jour
de « l’équinoxe » (EDC 145), il est invité à quitter la vallée natale et poursuivre son noviciat à la
construction du Château-Neuf où il apprend exécuter les formes, dont il a entendu parler, en réel.
Il continue le tour compagnonique et découvre la Bourgogne aussi que l’existence des formes
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géométriques plus compliquées. « [L]e froid de la Saint-Martin étant proche » (EDC 231), Jehan
rentre à la Communauté et ainsi se finit la deuxième phase de son initiation.
Après la déception causée par la grossesse de Reine, Jehan passe l’hiver dans la vallée et
« la première semaine de la Carême » (EDC 244) ils se mettent, avec le Prophète, en route pour
effectuer le pèlerinage à Compostelle. Pendant ce trajet il acquiert des connaissances de l’ordre
technique aussi qu’ésotérique lesquelles lui seront nécessaires pour la reconstruction de la
cathédrale de Chartres. Cette troisième étape s’achève par le retour de Jehan à la Communauté ce
qui tombe au moment « où le soleil entrait juste par la verrière, bien dans l’axe, puisqu’on était
tout juste à l’équinoxe d’automne, le 21 septembre » (EDC 318).
On a pu s’appercevoir que dans les romans choisis aucun d’adeptes ne franchit le seuil de
l’initiation du plus haut degré et de ce fait voyager dans le temps. Cependant les initiateurs y sont
arrivés. L’exemple le plus évident est la Gazette, « le druide bourguignon [qui] est à son pays ce
que Tuân Mac Cairill est à l’Irlande [...] un raccourci de l’histoire légendaire. »119 Ce
personnage est une sorte de pont entre le XIIe et le XXe siècle, comme si l’histoire entre ces deux
époques n’avait pas d’importance.
En ce qui concerne son âge, il prétend que « [q]uand Jules César assiège Alise [...] je ne
suis plus un gamin » (PDE 235) et après la défaite des Gaulois les druides ont « essayé, dans la
clandestinité, de maintenir notre culte et de conserver notre science [...] j’ai assuré
clandestinement mon ministère pendant cinq cents ans, caché dans les bois » (PDE 235). Il
prétend de tirer des courants telluriques, autrement dit de la « [t]ête de la Vouivre source
d’éternelle jeunesse » (PDE 118) et pour prouver sa longévité il décrit au chanoine de l’église
d’Autun les animaux, perchés très haut pour les voir, « [p]as à l’œil nu, mais de mémoire. »
(PDE 246).
Vincenot se montre comme le narrateur non fiable qui se sert de « la déformation
consciente, rationnelle et intentionnelle ou des informations insuffisantes sur l’histoire, ses
événements et ses personnages »120 comme par exemple dans le cas où la Gazette poursuit un de
ses itinéraires sacrés et il devrait se déplacer d’une vitesse extraordinaire. Cela est commenté par
le narrateur : « Dans la matinée, on le voyait descendre à grandes enjambées vers Saint-Léger, et,
par je ne sais quel miracle, il entrait dans Autun, sur le premier coup de midi. » (PDE 89) Mais il
119 Thinlot-Baritou, F. : Henri Vincenot : Entre le retour à la tradition et une nouvelle modernité. Thèse de doctorat, Paris III – Sorbonne Nouvelle, 1983, p. 292.120 Kubíček, T.: Vypravěč: kategorie narativní analýzy, Host, Brno 2007, p. 172.
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paraît qu’il s’agit de seul procédé stylistique qui puisse donner l’impression du réel sans tomber
dans l’incredible.
CONCLUSION
Dans ce mémoire nous avons étudié les aspects du roman d’initiation présents dans
cinq romans d’Henri Vincenot. Nous avons pu constater que, malgré le fait que cet écrivain est
considéré comme l’auteur du roman régional, c’est la quête initiatique qui joue le rôle
prépondérant dans ses œuvres.
Vincenot s’est servi de ce moyen pour exprimer sa peur de la disparition du savoir
ancestral dont lui-même a été héritier et du danger de la désacralisation de la civilisation
occidentale. Celle-ci est due à l’accéleration du progrès scientifique suivie par la déshumanisation
de l’homme, jusqu’à ce que ce dernier ne devienne l’esclave de la machine. Pourtant, le message
que l’auteur transmet est dans l’esprit d’optimisme. Les jeunes héros prennent le relais de leurs
initiateurs et la continuation de ce savoir, de l’ordre ésotérique ou de l’ordre exotérique, est
assurée par le biais de l’initiation à la Connaissance.
Si on examine les romans sélectionnés du point de vue chronologique, on constate une
certaine évolution du degré de l’initiation. Jefkins dans Les Yeux en face des trous n’acquiert pas
de nouvelle existence ontologique proprement dit (son passage par la ville a seulement confirmé
ses craintes) mais on peut répérer dans l’onomastique, dans le décor et dans l’ancrage temporel
de son beau-père des signes du roman d’initiation.Dans le cas de Gilbert du roman Le Pape des
escargots on peut assister à l’initiation du deuxième degré, celle du compagnonage, réussie, mais
le héros refuse de rénoncer complètement à la vie terrestre et l’initiation du troisième degré est
rapportée à son fils. L’initiation du héros de La Billebaude oscille jusqu’au dernier moment entre
le deuxième et le troisième degré, puisqu’il présume de continuer à se consacrer à la chasse
vénérable même s’il ne prévient pas de se retirer de la vie mondaine.
En ce qui concerne Jehan, le héros du roman Les Etoiles de Compostelle, le pèlerinage se
transforme en succession des connaissances compagnoniques aussi qu’ésotériques qui ont pour
but de préparer l’adepte à l’épreuve finale (la reconstruction de la cathédrale de Chartres), mais
l’histoire s’achève avant le départ à cet endroit. Le cas de Loulou est particulier, parce qu’on peut
préssentir, d’après certains indices, que dans les deux romans de la trilogie prévue, mais non
réalisée, le héros puisse surmonter le premier degré effectué dans Le Maître des abeilles.
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On a pu s’appercevoir qu’à travers des parcours des adeptes apparaissent certaines
ressemblances avec les romans du cycle breton. Dans le cas d’Henri Vincenot, Françoise Thinlot-
Baritou signale que « sa lecture de Chrétien de Troyes, même si souvent le christianisme commun
les rapproche beaucoup, lui apporte surtout la certitude d’avoir pu recueillir, grâce à la
transmission orale, une tradition plus pure que celle transmise par écrit au XIIe siècle. »121 Alors
il ne s’agit pas d’imitation de son fameux prédécesseur mais de l’inspiration de la même source.
Même le choix des noms d’initiateurs qui prétendent s’appeler Convictiolan ou Jean Scot Erigène
renvoie plutôt à l’époque du pur celtisme qu’à l’époque de la création de Chrétien de Troyes.
En ce qui concerne les lieux de l’initiation, Vincenot met en contraste la campagne et la
ville. La première, représentée exclusivement par la Bourgogne, est le seul endroit disposant des
conditions favorables à l’apprentissage initiatique grâce au décor référant aux légendes et aux
mythes (notamment des églises et des anciens lieux sacrés). Cela est dû au fait qu’il ne varie pas
pendant des siècles et il garde ainsi la dimension spirituelle qui lui a été attribuée des lustres
auparavant. Par contre la ville est construite pour des raisons d’utilité et, qui plus est, avec
l’agrandissement elle perd son aspect convivial ce qui entraîne la déshumanisation de la
population citadine. Les héros y souffrent, mais c’est un passage nécessaire symbolisant la mort
initiatique. Seulement au moment où l’adept vainc l’oubli, l’obstacle lequel l’oppose à son retour
est levé et il peut enfin continuer à la poursuite de sa formation.
Le temps est dans le roman d’initiation lié avec l’espace, ce qui est chez Henri Vincenot
respecté. Le temps cyclique est présent surtout pendant des activités rurales ou sacrées à la
campagne, tandis que dans la ville le héros est envahi par le temps linéaire. Cela le trouble
jusqu’à tel point, qu’il se réveille de son oubli et il rentre chez lui. Le cas à part sont des
initiateurs qui jouissent d’une longévité extraordinaire, prétendant vivre des siècles grâce à la
regénération issue du contact avec la terre et la répétition des actes sacrés.
Nous avons traité dans notre mémoire les aspect du roman d’initiation chez Henri
Vincenot comme la quête initiatique du héros, la motivation onomastique, l’espace et le temps.
Pourtant, encore plusieurs possibilités d’analyse de son œuvre s’offrent, par exemple la structure
narrative ou une étude approfondie des personnages adjuvants du héros, alors nous ne prétendons
pas exaucer tous les sujets réalisables mais seulement espérons d’attribuer à une autre perception
d’Henri Vincenot, souvent classé parmi les auteurs du roman régional.
121 Thinlot-Baritou, F. : Henri Vincenot : Entre le retour à la tradition et une nouvelle modernité. thèse de doctorat, Paris III – Sorbonne Nouvelle, 1983, p. 597.
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