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Les fakirs Khāksārs d’Iran (2 partie): Rémanence ou revivalisme...

Date post: 26-May-2020
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Les fakirs Khāksārs d’Iran (2 ème partie): Rémanence ou revivalisme jalali tardif? Pierre D HEROUVILLE 1 ère publication en 2010 Version 12.0, Septembre 2016 Résumé : le présent article recoupe les rares sources littéraires spécialisées pour une ébauche historique de l’ordre des fakirs Khāksārs d’Iran (lignage, histoire et rituels). Ces recoupements spéculatifs évoquent notamment le mécanisme d’assimilation mal connu des branches orthodoxes Sohrawardiyyah et Rishiyyah par les hétérodoxes Qalandars, respectivement en Inde du nord et au Cachemire. En annexe 12, l’auteur propose une traduction du Traité anonyme « Resal’-e Fakriyyah » (litteralement, le « traité du dénuement ») , que les historiens tiennent pour l’une des rares Règles de l’ordre connue. 1 ère partie : http://inthegapbetween.free.fr/pierre/report_derviches/khaksariyyah.pdf 2 ème partie : http://inthegapbetween.free.fr/pierre/report_derviches/khaksariyyah_vol2.pdf Mots clés : derviches, qalandars, hétérodoxie, orthodoxie, malamatisme, shivaisme "La civilisation arabe est, sauf erreur, la seule où l'immense majorité des écrivains qui ont dit quelque chose est composée d'étrangers, d'hôtes, divinement adoptés, mawali. Et la tradition religieuse musulmane est la seule, sauf erreur, où l'on croit que les hommes de sacrifice et de prière, les amis du Dieu d 'ABRAHAM, qui entretiennent la vie spirituelle et matérielle de la Communauté islamique, sont des étrangers à l'arabisme, des hôtes encore: ghuraba, des enfants perdus au-delà des frontières visibles. Puissent ils en rencontrer, en adopter,"Fi Sabil Allah", et beaucoup; parmi nous." [Louis MASSIGNON]
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Les fakirs Khāksārs d’Iran (2ème partie): Rémanence ou revivalisme jalali tardif?

Pierre D HEROUVILLE

1ère publication en 2010 Version 12.0, Septembre 2016

Résumé : le présent article recoupe les rares sources littéraires spécialisées pour une ébauche historique de l’ordre des fakirs Khāksārs d’Iran (lignage, histoire et rituels). Ces recoupements spéculatifs évoquent notamment le mécanisme d’assimilation mal connu des branches orthodoxes Sohrawardiyyah et Rishiyyah par les hétérodoxes Qalandars, respectivement en Inde du nord et au Cachemire. En annexe 12, l’auteur propose une traduction du Traité anonyme « Resal’-e Fakriyyah » (litteralement, le « traité du dénuement ») , que les historiens tiennent pour l’une des rares Règles de l’ordre connue. 1ère partie : http://inthegapbetween.free.fr/pierre/report_derviches/khaksariyyah.pdf 2ème partie : http://inthegapbetween.free.fr/pierre/report_derviches/khaksariyyah_vol2.pdf Mots clés : derviches, qalandars, hétérodoxie, orthodoxie, malamatisme, shivaisme

"La civilisation arabe est, sauf erreur, la seule où l'immense majorité des écrivains qui ont dit quelque chose est composée d'étrangers, d'hôtes, divinement adoptés, mawali. Et la tradition religieuse musulmane est la seule, sauf erreur, où l'on croit que les hommes de sacrifice et de prière, les amis du Dieu d 'ABRAHAM, qui entretiennent la vie spirituelle et matérielle de la Communauté islamique, sont des étrangers à l'arabisme, des hôtes encore: ghuraba, des enfants perdus au-delà des frontières visibles. Puissent ils en rencontrer, en adopter,"Fi Sabil Allah", et beaucoup; parmi nous." [Louis MASSIGNON]

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PREMIERE PARTIE 1 Règles et symboles 1.1 Futuwwatnameh de la Khāksāriyyah

1.1.1 Les rites de l’ordre 1.1.1.1.Emprunts de soufisme d’inspiration corporatistes 1.1.1.2 Une initiation en sept étapes

1.1.2 Les rites d’initiation 1.1.3 Dans les futuwwatnameh connexes…

1.2 La brûlure-pochoir 1.3 Autres signes distinctifs 2 Performances et réunions 2.1 Autour de la mendicité… 2.2 Du Tamat au Naqqali 2.3 L’art profane du Naqqali 2.4 La Sama (audition ) et le zekr occasionnel (Mir taheri - gholam alishahiyyah) Conclusions Lectures citées Annexes

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DEUXIEME PARTIE 3. Silsilah : des mythes à la realité 3.1 Le lignage « Doudeh Ajam »

3.1.1 L’ère « biblique » de la doudeh Ajam

3.1.1.1 ADAM 3.1.1.2 Uways QARANI

3.1.2 De MUHAMMAD aux Safavides

3.1.2.1 Le Prophète MUHAMMAD (d. 632 AD) 3.1.2.2 L’imam ALI (599-661 AD) 3.1.2.3 Salman « FARSI » 3.1.2.4 Habib AJAM 3.1.2.5 Qanbar ALI 3.1.2.6 Shah NEMATULLAH VALI 3.1.2.7 La question safavide 3.1.2.8 Abul al-Fazl ibn Mubarak, dit « Abolfazl ALAMI » (1551-1602 AD) 3.1.2.9 Sheikh BAHA’I (1547-1621) 3.1.2.10 Les métaphysiciens

3.2 Les lignages « Abu-Torabi»

3.2.1 L’imam ALI 3.2.2 Salman « FARSI » et les sahaba

3.2.2.1 Salman « FARSI » 3.2.2.2 Mahmud PATILI, clone et Abdals 3.2.2.3 Dede ROSHAN, dit « Zazan », « Abu Amir o Farsi » 3.2.2.4 L’Imam Zeyn Al Abidin « AL-SAJJAD » (« Sirmang Zanjir Pa »)

3.2.3 Les lignages RA’I, abu torabi et les premiers malamati

3.2.3.1 La Ra’iyyah 3.2.3.2 Abu TORAB « NAKSHEBI » 3.2.3.3 Doost ALI SHAH (Marv) 3.2.3.4 La Qalaiyyah

3.2.4 L’ere des Morsheds : la vraie branche soufie?

3.2.4.1 « Shah Abd’allah AL-KAF » 3.2.4.2 Ibrahim MORSHED "KAZERUNI" : la Morshediyyah (Fars) et les khatibs 3.2.4.3 Shah Jamal « Chermineh Push » d’ Hansi (Inde) : un maillon chishti 3.2.4.4 La Danyaliyyah

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3.2.5 L’ affiliation à la Sohrawardiyyah 3.2.5.1 Antécédents de La Sohrawardiyyah en Inde 3.2.5.2 De la Bukhariyyah à la Jalaliyyah (Inde)

3.2.5.2.1 Fondation de la Bukhariyyah 3.2.5.2.2 La sa’dat khorasani , épine dorsale du modèle sohrawardi sindhi

3.2.5.3 L’hypothèse Marwandi 3.2.5.3.1 Les « Bodlo Bahar », ou « Taleb » (Sehwan Sharrif) : pure survivance shivaïte ?

3.2.5.4 La Iraqiyyah (Multan) 3.2.5.5 Les branches de la Jalaliyyah (Inde): un sohrawardisme perverti par le sadduhisme

3.2.5.5.1 La Miran Shahiyyah, 3.2.5.5.2 Les Tchihil Tan de Lahore 3.2.5.5.3 La Zainiyyah 3.2.5.5.4 La Murtazaviyyah

3.2.5.5.4.1 La Rasuliyyah (Uttar Pradesh) 3.2.5.5.4.2 Des Khāksārs au Maharashtra ? 3.2.5.5.4.3 La Jalaliyyah de Muhamad Shah ALAM (d.1475 AD),

3.2.5.5.4.3.1 Les renonçants travestis de la branche Suhagiyyah ( 3.2.5.5.4.3.2 la branche Ismaili Shahiyya:

3.2.5.5.4.4 La Rasulshahiyyah (Inde): des saddus sohrawardis ? 3.2.5.5.5 Des saddhus rishi à l'ascése oecuménique de la Khākiyyah (Cachemire).

3.2.5.5.5.1 Surkh ALISHAH, un chaînon manquant au Sindh 3.2.5.5.5.2 Genese du rishisme musulman au Cachemire 3.2.5.5.5.3 Rishis musulmans et sa'dat kubrawi: conflit inter-religieux & inter-ethnique 3.2.5.5.5.4 Attraction des sohrawardis cachemiris pour le rishisme musulman? 3.2.5.5.5.5 Sultaniyyah/ Mahbubiyyah: l’osmose avérée entre jalalisme et rishisme 3.2.5.5.5.6 La Khākiyyah: humilité et ascése démonstrative 3.2.5.5.5.7 De la Janiyyah aux Khāksārs Khākiyyah-Janiyyah (Cachemire): . 3.2.5.5.5.8 La Khāksāriyyah – Mahsumalishahiyyah 3.2.5.5.5.9 La Khāksāriyyah --Gholamalishahiyyah

Conclusions Lectures citées Annexes

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Nous avons abordé dans la première partie l’identité des derviches errants Khāksār dans ses

pratiques. La présente section traite de leurs origines prétendues, et distingue les lignages spirituels qui sont enseignés dans l’ordre. Toutefois, il est à retenir une difficulté particulière à extraire du discours actuel une cohérence historique vraisemblante. En nous attachant ici à deux fils conducteurs généalogiques, nous explorons en fait l’Idéal mystique de cette tradition, sur fond supposé de discours identitaire.

3. Silsilah : des mythes à la realité

La Khāksāriyyah est injustement méconnue de la littérature historique. En Iran, la première mention historique connue en remonte à MAST ALISHAH (d. 1837)1. Retracer son origine est une gageur au regard des prétentions historiques que formulent ses membres. De loin en loin, les sources [ADHAMI, 1958] et surtout [MODARRES-CHAHRDAHI, 1979] prétendent l’appartenance de très nombreux soufis, mais également de souverains éminents ou de grands métaphysiciens iraniens. Les origines supposées constituent par conséquent trois hypothèses :

Selon le lignage Khāksār-Abu Torabi, l’ordre iranien serait plutôt, du 18ème au milieu du 20ème

siécle, l’émanation tardive de la Jalaliyyah en Iran et en Irak : elle descendrait directement de la Jalaliyyah ouzbèke / cachemiri, et son histoire emprunte aux lignages indiens de cette dernière. A ce titre, l’hagiographie d’au mois trois des quatre branches iraniennes emprunte aux mailles kubrawi – ou Uwaysi - de la silsilah « dhahabiyyah »2. Nommément, nous parlons ici d’une hagiographie quasi-commeune aux ordres iraniens suivants :

- La Khāksāriyyah-(Jalaliyyah)-Abu Torabiyyah, souvent surnommée « Gholam-

alishaiyyah

- La Khāksāriyyah-Mahsum-Alishahiyyah, émanation tardive de la première.

- La Khāksāriyyah-« Nurai(yyah) », qui semble être née au Cachemire d’une tentative de syncrétisme entre la Khāksāriyyah-Abu Torabiyyah et le mahdisme soufi de la confrérie (kubrawi- ) nurbakhshiyyah au 16ème siècle.

Pour diverses raisons, l’histoire moderne de la Khāksāriyyah - Abu Torabiyyah parodie ensuite,

depuis 1770 AD environ, l’hagiographie d’un autre ordre: la Nimatullahiyyah, qui, elle aussi, se (ré)installait en Iran depuis l’Inde, à la même époque. Les scories de la Khāksāriyyah en Inde et au Pakistan constituent l’essentiel du présent chapitre 4. Dans la littérature occidentale, ces Khāksārs Jalalis d’Iran apparaissent tardivement : chez Richard GRAMLICH3.

Dans une seconde hypothése, l’ordre, continu depuis la Prophétie mahommétane, serait 100%

persan et serait demeuré dissimulé à diverses époques. En effet, Nur Ad-Din MODARRES CHAHARDAHI (1918-1995) corrobore l’existence de branches khāksār parallèles à la lignée Abu-Torabi4 se réclamant de tels lignages « cachés » : c’est la silsilah5 « Ajam » disparues à l’ère qajar6. Le 1Cf GRAMLICH, Richard, “Die schiitischen Derwischorden Persiens” (teil 1, Wiesbaden, 1965). 2Lire infra , ANNEXE1 3 Cf “Die schiitischen Derwischorden Persiens” (teil 1, Berlin, 1965). 4 Cf [MODARRES CHAHRDAHI, 1979] 5 Littéralement, le terme arabe de silsilah (pers. chaîne) se traduit par « doudeh » en persan 6 Cf [MODARRES CHAHRDAHI, 1979]. Cet auteur évoque aussi d’autres silsilah de sa’adat, toutes empruntées aux Ahl-e Haqq kurdes d’Iran, vraisemblablement à la faveur des échanges contemporains entre ces deux groupes.

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lignage disputable de la (Doudeh) Ajam atteste éventuellement de reliquats de la Qalandariyyah, que BATESTI attestait encore à Mashhad7 dans les années 1960-70, et qui aurait pû y précèder la Khāksāriyyah Gholam-alishahiyyah (Motahariyyah). La « Doudeh Ajam » nous intéresse ici au chapitre 2.

Troisième hypothèse, enfin, corolaire de la seconde : en sus des antécédents historiques habituels

relatifs à la futuwwat ( ex : ayyar, fiti han, qalandar), [TAHERI, 2012] déplore l’insignifiance historique de l’ordre et relève chez diverses sources la possibilité d’un enracinement historique chez les mendiants « Banu Sassan » 8.

Pour complèter ce tableau, mentionnons l’influence tardive mais essentielle des groupes kurdes Ahl-

e Haqq sur les diverses branches khāksāriyyah depuis leur réimplantation dans l’Ouest iranien à la fin du 18ème siècle. Au cours de leur initiation, nombre de khāksārs des diverses branches prêtent aussi allègence aux Pir des clans religieux Ahl-e Haqq, de parmi lesquelles les fameux Atesh Begi. Ces disciples introduisent alors des éléments de silsilah de cette obédience, parallèlement à leur propre généalogie. Leur collusion avérée avec les soulèvements hérésiaques d’Ahl-e Haqq au 19ème siècle n’est remise en cause par aucune de nos hypothèses.

De nos jours, le témoignage de Nur Ad-Din MODARRES CHAHARDAHI donne un passionnant point de vue « insider » sur la structuration des rites et sur leur collusion locale avec le mouvement kurde hétérodoxe Ahl-e Haqq, et permet d’ébaucher la silsilah des branches « antérieures » à la Khāksāriyyah-Abu Torabiyyah. A la lueur de Livre de la Genèse aux chroniques des dynasties royales safavides ou mughal, les alégations de cet auteur prennent autant de sens qu’ils peuvent et révêlent une silsilah fortement uwaysi9, ou simplement aussi anachronique que celle des Ahl-e Haqq10.

Concernant l’origine des Khāksāriyyah-Abu Torabiyyah, les principaux ouvrages de référence sont la silsilah d’ADHAMI11 et le florilège des Futuwwatnameh et autres écrits inédits de la Khāksāriyyah par AFSHARI12. Dans une moindre mesure, Saleh ALISHAH raconte de façon documentée les querelles houleuses de succession á la tête de l’ordre13. De même, d’indispensables recoupements avec les silsilah jalali, rishi ou kubrawi / dhahabi éclairent grandement le récit d’ADHAMI.

7 Le témoignage de [BATESTI, 1994] évoque éventuellement la branche Doudeh Azam. 8 [TAHERI, 2012] cite Richard GRAMLICH dans “Die Affiliation der Ḥāksār,” dans “Die schiitischen Derwischorden Persiens” (Wiesbaden, 1965), ainsi que « Jostoju dar tāriḵ-e tasawwuf-e Iran » d’ ʿAbd-al-Ḥosein ZARRINKUB (Tehran, 1978). 9 Basé sur le modèle du mystique Uways QARANI (voir biographie au chapitre 1), une passation de type « uwaysi » consiste à hériter de la légitimité spirituelle d’un maître malgré une discontinuité évidente dans le temps ou dans l’espace entre le maître et son disciple. On l’explique aussi parfois par une initiation spontanée, sans la présence physique d’un maître. Dans la généalogie spirituelle d’un ordre mystique, ce type de transmission ouvre la voie à de nombreux anachronismes, voire à des usurpations. 10 Comme Mohammed MOKRI l’explique bien dans son introduction de [ELAHI , 1965],: « La notion du temps propre à cette secte conditionne toute leur vision du monde et donc leur fait négliger la précision dans la datation historique. En effet, selon les Ahl-e Haqq, Dieu, les anges et les créatures s’incarnent successivement au cours des cycles. Ainsi le même personnage peut apparaître à deux ou plusieurs époques différentes de l’histoire du monde, sous la forme de deux ou plusieurs Incarnations. Leur historicité n’est pas prise ici en considération. » MOKRI cite en fait mot à mot une explication livrée dans son ouvrage précédent « Etude d’un titre de propriété du XVIème siècle provenant du Kurdistan » , in Journal Asiatique, Paris, 1963. 11 Cf [ADHAMI, 1958] 12 Cf [AFSHARI, 2003] 13 Cf [ALISHAH, 1956]

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CHAPITRE 3.1 :

LE LIGNAGE « DOUDEH AJAM »

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3.1 Le lignage « Doudeh Ajam »

La doudeh Ajam est une branche de l’ordre des derviches Khāksār qui se prétend ancienne. Cependant, elle n’a plus de Pir « depuis le règne de la dynastie Qajar » 14, laquelle s’est éteinte en 1925. On ne trouve aucune référence nominative à cette branche avant le 20ème siècle, néanmoins l’appellation doudeh Ajam15, ou « persane », est une distinction manifeste des lignages « étrangers », et ne saurait remonter avant l’arrivée des Khāksār-Abu Torabi en Iran vers 1777 AD. A bien des égards, cette voie se manifeste comme une relecture chauvine d’un prestigieux qalandarisme persan, au sens large. Deux sources récentes corroborent ses spécificités :

Pour commencer, le « Resala dar bayan-e Asnaf »16 - un ancien traité Ajam - place ces derviches

Ajam sous le patronage inhabituel17 du soufi Hasan « BASRI » (642-728 AD)18. D’une autre, il établit, parmi d’autres, la liste des 17 professions qui sont représentées dans les réunions de l’ordre : barbiers, selliers, muezzin, cordonniers, épiciers, bouchers, lutteurs, forgerons, détaillants vendeurs d’eau19… et leurs saints patrons respectifs. Au cours des réunions rituelles des Ajam, le représentant de chaque profession tient un rôle spécifique20. Et cet auteur de conclure que les Khāksārs Ajam seraient, au sein des bazars persans, une simple émanation de cercles de futuwwat, plus inter-professionnels que corporatistes.

Deuxièmement, le témoignage tardif de MODARRES CHAHARDAHI nous éclaire sur ses pratiques

et ses croyances de la doudeh Ajam de façon plus extensive. Sa généalogie de la doudeh Ajam ne présente aucune cohérence historique, mais relie de nombreux mystiques de l’Histoire de l’Iran par certaines convergences de vue. De là, une tendance récurrente à englober tous ceux-ci comme membres supposés d’une généalogie qui n’en n’est pas une. Nombre de lignages Khāksārs ne tiennent que par ce postulat. De ce point de vue, les confusions et les analogies nombreuses avec l’Histoire et la Genèse du Chiisme duodécimain entachent cette « reconstruction » historique de l’Ordre.

La généalogie spirituelle des Khāksārs Ajam, telle que rapportée par MODARRES CHAHARDAHI,

est à la fois décousue et oecuménique, où l’intercession répétée de l’archange GABRIEL / JIBRIL semble jouer les gages périodiques de légitimité divine. A la période antique, la partie biblique de cette

14 Cf [MODARRES CHAHARDAHI, 1979] 15 Grossièrement: on peut traduire cette appellation par : «lignage persan », littéralement. 16 Un ancien traité des Khāksārs Ajam, compilé par Mehran AFSHARI dans : "Futuwwat nameh va rasa Khāksāriyyah risalah", [AFSHARI, 2003] 17 Cf [RIDGEON, 2010]. 18 Hasan « BASRI » (642-728 AD) : Soufi irakien du 6ème siècle très réputé. Il est indissociable du lignage soufi sunnite de la Qadiriyyah. Ses parents auraient été des persans. 19 L’implication de l’Ordre avec cette dernière profession reste à approfondir , par exemple avec le traité de Chevalerie corporatiste : « Un Traité persan relatif à la corporation prolétaire des porteurs d'eau musulmans », traduit / commenté par Mohammed MOKRI, Revue des Etudes Islamiques 45 (1977): 131-156. 20 « Moreover, the connection was manifested during the meeting for the ritual initiation of an aspiring dervish. At the head of the meeting sat the naqib. And on his right-hand side, in descending order, sat the panegyrist (rawda khwan), the mu’idhin, the master barber, the saddler, the wrestler (pahlawan), the smith (na’lband), and the butcher. On the left side, again in descending order, came the Quran reciter, the chavush, the master of the bath house, the shoe maker, the kuhna-sawar, the cook, the grocer and the water bearer. In addition to these two groups of eight representatives of “guilds” came the seventeenth, who was the saqi-yi tariqat (of the water bearer for the ordre). The reason of the existence of the particular trades within the seventeen is unclear.It appears that although the number seventeen was fixed, there was some degree of flexibility regarding the composition of the seventeen, which pershaps reflects the geographical importance of certain trades for the Ajam.” [RIDGEON, 2010]. Dans ce protocole, les références corporatistes semblent explicites, et ne relêve pas, semble-t-il, d’appellation symbôlique ou factices, comme chez les Malamati de Nishapour.

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silsilah est d’ailleurs truffée d’anachronismes, que l’auteur explique par des alégations de réincarnation21 et de transmission « uwaysi » jusqu’au Prophète MUHAMMAD , avec « Ceux de la Maison ».

Avec un discours bien connu des Safavides, cette silsila s’arroge ensuite la provenance imamite prétendue des débuts de la Safaviyyah. Tout comme l’Imamisme, la Khāksāriyyah aurait précisément été plongée dans une phase d’occultation à cette période. Au 14ème siècle, l’adhésion prétendue de sheikh BAHA’I et de SHAH NEMATULLAH VALI trahit davantage ses références historiques qu’une connection historique véritable avec ce « manteau du Fakr ». Enfin, la doudeh Ajam s’accapare les personnalités iraniennes tutélaires du chiisme duodécimain: soufis éminents, parfois orthodoxes, souverains safavides, métaphysiciens de la Renaissance. Une généalogie particulièrement discontinue, pour ne pas dire incohérente, pétrie de clichés de l’islam chiite populaire:

A. Une période prophétique : Une silsilah prophètique remontant à ADAM et à l’ange GABRIEL,

aux fortes influences gnostiques.

B. Une période d’occultation : Pendant sa période d’occultation pendant les débuts de l’Islam, la silsilah est préservée par Shah NIMATULLAH VALI (1330–1431 AD), puis sheikh BAHA’I (1547-1621).

C. Une période flamboyante : Cette silsilah est restée occultée sous les premiers sheikhs

safavides, jusqu’à sa révêlation, à l’instar du chiisme duodécimain, par le souverain safavide Shah ABBAS (1588-1629 AD). L’hagiographie rapporte que les souverains furent eux-mêmes initiés par sheikh BAHA’I (1547-1621). Ces maillons safavides sont généralement les premiers leaders soufis de la safaviyyah. De vagues rapports avec les souverains persanophones Mughal (Inde), contemporains de Shah ABBAS. En Iran, cet écho chiite est un poncif du rayonnement historique safavide, incarné en l’occurrence ici par le souverain Akbar SHAH (1542-1605), et son ministre Abul al-Fazl ibn Mubarak dit Abolfazl Alami (1551-1602 AD). Chiite notoire, Akbar SHAH ouvre la voie à une voie oechuménique, surnommée « Din-e Illahi ». Sous les dynasties safavides et Zand, l’ordre n’est plus occulté, cependant l’appartenance de membres éminents demeure soit occultée, soit usurpée. Les plus fameux métaphysiciens persans, pourtant des mollahs réputés « orthodoxes », auraient été des sheikhs de l’ordre. Toutes les figures choisies sont populaires en Iran pour leur ambiguité entre légitimité orthodoxe et gnose ésotérique. Cette chaîne trace néanmoins une ligne entre de mystiques, voire d’oeucuménistes éminents, largement partagée par la suite par les prosélytes sheykhistes / Baha’is.

Si on la compare à sa consoeur, la Khāksāriyyah - Abu Torabiyyah, cette silsilah plus décousue

se polarise donc davantage autour du chiisme duodécimain aux dépens, par exemple, de rares porte-étendards du Fakr – ex : Uways QARANI, Habib AJAM -. Entre construction maladroite et nostalgie de la grandeur safavide, cette silsilah apparait davantage comme une justification historique, contemporaine de la réintroduction nimatullahi.

Sa seconde constante est la focalisation systématique sur des figures « oecuménistes », parfois obscurantistes, et toujours en rupture avec le Clergé.

21 Omniprésente dans l’hagiographie des Pir et des derviches kurdes iranien des Ahl-e Haqq, cette caractéristique dans la Silsilah « Doudeh Ajam » peut signifier une influence tardive au contact de ces derniers. Plus que la transmissiojn uwaysi, la réincarnation explique alors l’apparition de saints, imams ou de compagnons fameux dans des époques qui ne sont notoirement pas les leurs.

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3.1.1 L’ère « biblique » de la doudeh Ajam Les ascendants bibliques de cette silsilah sont illustrés ici par la FIGURE 3.1. Il s’agit, dans

sa première partie, d’une généalogie de prophètes, de rois et de patriarches bibliques. D’ADAM au prophète MUHAMMAD, le lignage s’essaie à relier ces personnalités par un lien d’initiation esotérique, qui, selon l’auteur, se serait transmis les vêtements de derviches, ou kiswat 22 .

La connexion entre le Prophète de l’Islam et ADAM existe dans le Coran. Du strict point de

vue biblique, la chaîne présente des anomalies significatives:

--- une confusion compréhensible entre ENOCH fils de SETH et HENOCH, fils de JARED. --- Le couple DAVID - SALOMON y est placé de façon très anachronique : ces maillons y sont étonnamment antérieurs à ABRAHAM, puis au Prophète MOISE/MOUSSA et à l’Exode. ---- Le lignage intègre quelques prophètes arabes : UWAYS QARANI, SHUHAYB, IDRIS / KHIZR, etc.... notamment à partir de Jésus Christ.

Puisant manifestement dans le Coran et l’Ancien Testament, ce type de silsilah prolonge des généalogies de sang du prophète MUHAMMAD23. De telles silsilah « adamite » ou « sethienne » ont été observées plus tard dans des lignages esotériques prétendus, indifféremment dans des hérésies gnostiques et dans l’initiation alchimique. De par leur engagement exemplaire, les figures d’ADAM, d’IBRAHIM/ABRAHAM et de YUSUF/JOSEPH dominent durablement les lignages initiatiques de guildes du compagnonage post-islamique ( fitiyan) depuis le Moyen-Age. Si les Khāksārs revendiquent cette silsilah prophétique, leur dogme actuel ne semble pas se focaliser sur les aspects les plus hérésiaques24 de cette croyance.

22 Si l’on en croit CHAHARDAHI, les Pir de cet ordre se passent non pas un manteau (khirqa), comme les ordres orthodoxes, mais une simple tunique / chemise (kiswat). 23 Voir une généalogie de sang du prophète MUHAMMAD chez les Alévis d’Anatolie, en annexe 3. 24 J’entends par là : les dogmes gnostiques les plus hétérodoxes des cultes sethiens antiques, tels que le Démiurge, et autres croyances répandues chez les ophites, par exemple.

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3.1.1.1 ADAM Si les chrétiens et les premiers gnostiques résument ADAM à l’épisode de la

transgression avec EVE, la sourate 2 du Coran fait, en revanche, une relecture de la Création en insistant sur la connivence, voire l’initiation d’ADAM par Dieu25. Dans nombre de catéchèses islamiques, la période qui précède l’Eden est rapportée par des sources hadithiques contemporaines du Prophète26 : dans un premier temps, auraient règné les hominidés27, trop violents pour un nouvel ordre28. Dieu les aurait alors soumis en établissant le règne des djinns, sous le caliphat d’IBLIS.

Enfin, la création à dessin d’ADAM par Dieu met fin à cette ère, et annonce l’âge de l’Homme, soit son « caliphat », plus exactement. En sus de ce nouvel ordre, la révêlation coranique présente alors ADAM comme la créature instruite des « mystères des cieux et de la Terre » par Dieu, asseyant, de fait, une autorité gnostique véritable devant les anges et les djinns qui annonce leur soumission prochaine29. Ca faisant ADAM est établi nommément en « successeur » ou en nouveau « caliphe »30 de Dieu sur Terre.

A cet instant du récit, musulmans et gnostiques divergent éventuellement sur

l’origine et la nature la nature de cette autorité. D’un coté, le dogme musulman orthodoxe inscrit ADAM, à la lumière de ces mêmes hadiths « proto-islamiques », parmi les prophètes, passeur d’une foi reçue qui de Dieu, qui des archanges, voire de la Shariah. D’un autre côté, les hérésies gnostiques de l’Antiquité retiennent la transgression d’ADAM dans l’Eden comme le geste fondateur de sa Connaissance véritable. Assistés du serpent, cette prouesse défie à la foi l’ignorance, le confort de l’Eden et la soumission au Démiurge31. L’exploit est également célèbré comme une icône preuse des guildes arabo-persanes les plus esotériques (pers. javanmardi).

Par une voie ou par une autre, ADAM intégre dés le Moyen-Âge nombre de silsilah des gnostiques et des alchimistes, prêtant alors l’origine de sa Connaissance alternativement à Dieu , aux archanges ou au Démiurge.

25 Cf Coran, sourate 2, v. 31 : « Et il enseigna à ADAM tous les Noms » 26 [AL-KAABI, 2015] cite notamment des hadiths « marfu » ( comprendre : « sans chaine de transmission ») , apportés par TABARI, AL-QURTUBI et IBN KHATIR. 27 Les Croyants qui adhèrent encore ces chroniques les identifient comme les différentes variéts d’hominidés connus de la science moderne. Nommément, ces chroniques évoquent les hominidés primitifs HINN et BINN. 28 Nul doute que ces hadiths s’inspirent de l’énigmatique verset 30 de la sourate 2 : « Etabliras tu sur la Terre ceux qui y sèmeront la corruption et y répandront le sang ? ». 29 La sourate 2, v. 34 redit aussi comment les anges et les djinns se prosternèrent devant ADAM, à l’exception d’IBLIS. Les sourates 17, 18 et 20 évoquent le même épisode. L’épisode, bien connu, « se reproduit » dans la biographie mythique du roi SALOMON. 30 Cf Coran, sourate 2, v. 30 : « J’établirai sur Terre un nouveau caliphe » 31 Par exemple parmi l’hérésie ophite au Levant.

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1a. ange GABRIEL

2a. ADAM 15a. ISMAEL fils d’ABRAHAM 28a. YAHI

3a. SETH fils d’ADAM 16a. ISAAC fils d’ABRAHAM 29a. QUDUS Habib AJAMI (8ème siècle)

4a. ENOCH fils de SETH 17a. JACOB fils d’ISAAC 30a. Prophète EZEKIEL

5a. IDRIS (1) /HENOCH 18a. JOSEPH fils de JACOB 31a. ZOL KAHAF Shah Nematullah VALI

6a. NOE 19a. prophète SALEH 32a. Prophète JESUS

7a. prophète SÂM 20a. prophète DANIEL 33a. Prophète IDRIS (2)

roi Shah Esmail (1487-1524) 8a. prophète HOUD 21a. AZIZ 34a. Prophète UWAYS (QARANI)

9a. LOTH 22a. ISMAH 35a. QASAB QANBAR ALI

10a. roi DAVID 23a. JARJIS 36a. « Un juif »

11a. roi SALOMON 24a. SHUHAYB Sheikh BAHA’I (1547-1621)

12a. prophète JOB 25a. prophète MOISE (ange GABRIEL) roi Shah ABBAS (1588-1629)

13a. prophète JONAS 26a. JOSUE Prophète MUHAMMAD

14a. ABRAHAM 27a. prophète ZAKARIE Salman FARSI

FIGURE 3.1 : silsilah prophètique de la branche doudeh Ajam des Khaksars d’après [MODARRES CHAHARDAHI, 1979]

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3.1.1.2 Uways QARANI Uways bin Anis AL-QARANI (d. 657 AD) est un mystique contemporain du

Prophète MUHAMMAD. Martyr musulman natif du Yémen, il est l’icône d’une conversion surnaturelle, puisqu’il a pris fait et cause pour l’Islam du vivant du Prophète, sans pourtant avoir jamais pu le rencontrer de visu. La piété populaire lui prête donc d’avoir été converti par l’enseignement des ruhani (esprits, dont on dit qu’il les commande) et la grâce divine. Toute sa vie, il est resté un mystique, s’enfermant dans la vie d’ermite à la mort de sa mère.

Uways ne rencontra pas MUHAMMAD de son vivant, et n’est donc pas tenu comme un (mu)sahab32 de fait par les sunnites mais adopta la retraite néanmoins33. Misanthrope, ses contemporains séculiers avaient l’usage de lui jeter des pierres.

Hétérodoxe marginal ou initié inspiré ? Uways QARANI est, après le prophète

MUHAMMAD, une des plus anciennes sources de Gnose chiite. Celle-ci différe quelque peu des gnosticismes « athés »-isant - ex : ophites -, car elle est foncièrement monothésiste. Elle s’accomode de l’antagonisme Demiurge / intercesseurs Gnostiques humains, et elle reconnaît généralement les sources de gnose suivante [CORBIN, 1964] :

- L’intercession des anges - vecteurs directs de Gnose - - La transmission par des dépositaires de tels vecteurs, ex : les imams,

chaines initiatiques - L’Observation : « perception du suprasensible», hierognose, « ishraq »

(illumination ou clairvoyance) De par sa conversion surnaturelle, Uways AL-QARANI est un saint dont le

culte pieux s’étend parmi les coiffeurs, les dentistes, les chameliers et les archers. Dans le monde turc, il est le saint patron bienveillant des corporations de coiffeurs, de dentistes, de chameliers et d’archers, sous l’appelation d’ « Hezrat Veysel KARANI ». On le vénère jusqu’à nos jours dans les milieux turcs alévis et bektashis.

Par ailleurs, il est le saint fondateur de la silsila soufie Uweisiyyah, dite également dite Uweissul Qaraniyyah, dont le principal rameau a donné la Kubrawiyyah -de laquelle naquirent la Zahabiyyah et la Mawlawiyyah -. Par ailleurs, son initiation inhabituelle crée un précédent avéré de transmission spirituelle en l’absence physique de tout maître, et, par extension, est désignée initiation de type « uwaysi ». Icône d’un Islam ascétique, esotérique et surnaturel, Uways place la doudeh Ajam sous la bannière de la transmission initiatique.

32 Compagnons contemporains du prophète MUHAMMAD, dépositaires de certaines formules sacrées de l’Islam. Ils vivaient en ascètes. 33 Cités par [POURJAVADY, 1998], les compagnons d’UWAYS disaient de lui « C’est un fou… qui ne vient pas en ville. Il vit dans le désert, ne parle à personne et ne mange pas ce que nous mangeons. Il ne connaît ni joie, ni chagrins : quand nous rions il pleure, et quand nous pleurons : il rit »

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3.1.2 De MUHAMMAD aux Safavides Bien qu’antérieur au prophète MUHAMMAD dans la silsilah (FIGURE 3.1), le mystique

Uways QARANI constitue le premier maillon véritablement contemporain du prophète MUHAMMAD . Noter que la présence d’un juif anonyme34 dans l’ascendance spirituelle de MUHMMAD évoque soit JESUS / ISSA, soit, par exemple: le juif sans nom qui affranchit Salman « FARSI » de son esclavage.

3.1.2.1 Le Prophète MUHAMMAD (d. 632 AD)

Chez les Chiites, un hadith fondateur réhausse le charisme particulier du

Prophète MUHAMMAD au cours de son ascension nocturne (ou Miraj)35. Au cours de cet épisode, l’archange GABRIEL / JIBRIL lui aurait remis le faqr et le manteau (muraqqa)36. Ce hadith édifiant est abondamment commenté chez les Chiites, puisqu’il initie à la fois un lignage de Fakr et le lignage de l’imamat, ici transmis par le manteau (muraqqa). Ce faisant, il place le fakr au cœur de la révèlation ésotérique divine pour les Chiites. Largement embelli dans leur « Traité du Détachement », ce hadith est évidemment fondateur pour les Khāksārs. Le lignage Ajam voit ensuite une transmission du kisvat de MUHAMMAD à l’imam ALI, puis de Salman FARSI au mystique Habib AL-AJAM (8ème siècle).

3.1.2.2 L’imam ALI (599-661 AD)

L'Imam ALI est unanimement reconnu comme un compagnon majeur du Prophète MUHAMMAD. Sa contribution à la transcription du Coran de la bouche du Prophète et son enseignement sont avérés. De cette coopération avec le prophète MUHAMMAD, s’établit une compréhension et une confiance privilégiées, qui justifiaient théoriquement sa légitimité à la succession. En outre, l’Imam ALI s’est forgé une réputation de défenseur de l’Islam sur les champs de bataille du premier siècle de l’Islam: batailles de Tabuk, Khaybar, Badr, Uhud et Hunayn. Avec son légendaire cimeterre à deux pointes, baptisé ZOLFOQAR, il s’y illustre par sa vaillance et des exploits personnels particuliers.

De la succession avortée d’ALI, confisquée par le premier caliphe, Abu BAKR,

naitront les germes légitimistes du chiisme, ou Shiah Alawiyyah, et ce, malgré la courte accession d'ALI au Califat (656-661 AD), à la mort disputée du Calife Othman IBN AFFAN. On recense alors parmi ses hauts faits politiques l’établissement d’une

34 FIGURE 3.1, Maillon 36a 35 « Il a été rapporté du Prophète (…) qu’il dit : « Lorsque pendant l’ascencion nocturne (miraj), j’ai été porté au ciel et je suis entré au Paradis, j’ai vu en son milieu un palais fait de rubis rouges. GABRIEL m’en a ouvert la porte et je suis entré. J’y ai vu une maison faite de perles blanches. Je suis entré dans la maison, et au milieu j’ai vu un coffret fait de lumière fermé avec une serrure faite de lumière. J’ai dit : « Ô GABRIEL, qu’est ce que ce coffret, et que contient-il ? » GABRIEL dit : « Ô ami de Dieu (habib’allah), en lui est le secret de Dieu (sirr’allah) que Dieu ne révêle à personne sauf à celui qu’il aime. » J’ai dit : « Ouvre m’en la porte. » Il dit : « Je suis un esclave qui obéit au commandement divin. Demande à ton Seigneur jusqu’à ce qu’Il donne la permission de l’ouvrir. » J’ai donc demandé la permission de Dieu. Une voit vint du Trône de Dieu, qui disait : « GABRIEL, ouvres en la porte », et il l’ouvrit. J’y vis la Pauvreté spirituelle (faqr) et un manteau (muraqqa). Je dis : « Que sont ce faqr et ce muraqqa ? » La voix du ciel dit : « Ô MUHAMMAD, ce sont deux choses que j’ai choisies pour toi et pour ton peuple (ummah) dés l’instant que je vous ai créés. Je ne donne ces choses à personne autre que J’aime, et Je n’ai créé rien de plus cher qu’elles. » Alors, le Saint Prophètedit : Dieu – que Bénisoit son nom – a choisi pour moi le fakr et la muraqqa et ce sont les deux choses qui Lui sont les plus chères. » Le Prophète a tourné son attention vers Dieu, et quand il est revenu de son ascencion nocturne, il a fait porter le manteau à ALI avec la permission de Dieu par son ordre. ALI le porta et y cousit de nombreuses pièces jusqu’à ce qu’il dise : « J’ai cousu sur ce manteau tant de pièces que je suis embarassé devant le couseur. » ALI fit porter après lui par son fils HASAN, puis par HUSAYN et ensuite par les descendants de HUSAYN l’un après l’autre jusqu’au MAHDI. Le manteau est avec lui maintenant. » Hadith attribué à FATIMAH, cité et traduit chez [NASR, 1980]. 36 Selon [NASR, 1980], il ne s’agit pas là du même manteau que celui des soufis. Selon toute vraisemblance, ce manteau des Ahl-e Beit est celui de l’Imamat. On parle d’ailleurs souvent de « Gens du Manteau » à leur endroit. Distinguons bien ici ce manteau de l’Imamat et la kisvat du lignage Khāksār.

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répartition égale des revenus du Califat entre les serviteurs de l’Islam. En sus de l’injustice de la succession d’Abu BAKR, cette décision politique égalitariste est importante, car elle est le pilier de son image de combattant pour la justice, plus tard déclinée en Futuwwat. De ses réformes, très contestées chez les vassaux du Califat, naitra l’enclave levantine du gouverneur insoumis MUAWIYAH.

ALI est donc le champion idéalisé de la légitimité, de la bravoure et de l’égalitarisme. L’injustice de son sort trouve une continuité héroïque dans le massacre de sa famille à Kerbala.

C’est sans compter sur l’importance mystique qu’a pris ALI sur la communauté,

a fortiori chez les Chiites : tout au long de sa résistance, ALI aspire à monopoliser la compréhension esotérique de la Prophétie, et fonde la légitimité de l’Imamat sur cette exclusivité. Les Chiites le suivent alors, lui et sa descendance, comme source unique de Vérité37. Le chiisme, l’alévisme, et le yazdanisme sont tous fondés sur cette icône.

Nous avons vu au paragraphe précédent en quoi le hadith chiite du Miraj du Prophète MUHAMMAD légitime à la fois l’Imamat - par le Manteau - et ce lignage méconnu de Fakr, accaparé à présent par les Khāksars. Pour certains Khāksars, l’Imam ALI a, à son tour, personnellement adoubé Salman « FARSI » de l’autorité de la Voie des Khāksars38.

3.1.2.3 Salman « FARSI »

Salman-dit « le-Perse » (d. 656 AD) est un compagnon d’armes du prophète MUHAMMAD, originaire de Kazerun, Fars. Il serait en fait issu d’un milieu de propriétaire terriens zoroastres, proche de la chevalerie asbaran sassanide (pers. Asb, cheval), d’où son image de stratège et de chevalerie islamique futuwwat. Il se convertit au christianisme et fréquente de rares ascètes anchorites en Syrie. MUHAMMAD l’affranchit plus tard de l’esclavage dans lequel il était tombé au Hijaz. Son hagiographie cumule ensuite les vertus de stratège militaire, de mystique éclairé et d’ascète. La référence ascétique aux anchorites, puis sa condition modeste, y compris au service des hautes fonctions du Caliphat, l’érigent en icône de l’ascèse. Son origine le rend en outre évidemment très populaire chez les chiites iraniens. Il incarne l’idéal ascétique des guildes chevaleresques akhis anatoliennes39. De nombreuses branches de la confrérie naqshbandiyyah accaparent le charisme de Salman « le Perse » , et amendent leur silsilah en faisant de lui un maillon gnostique entre le prophète MUHAMMAD et les premiers initiateurs de l’Ordre40.

Par ailleurs, son surnom de RUZBEHAN est confondant car la littérature de la

confrérie Bistamiyyah s’est enrichie des écrits de RUZBEHAN « SHIRAZI » au 11ème siècle.

MASSIGNON et [MONCELON, 2006] se sont efforcés de définir la nature de la

force mystique de Salman-« le-Perse ». De par sa conversion et de par sa position privilegiée, il a été le conseiller personnel de MUHAMMAD, puis de FATIMA et de l‘Imam Ali en personne. Salman est posé en fait naturellement comme l’icône des

37 Chez les Chiites, ALI est souvent surnommé Haqq, c’est-à-dire la Vérité superlative, au sens de la Connaisance fondamentale d’Allah. « Le Prophète (…) déclare ici : « je suis la cité de la Connaissance, ALI en est la porte ». (…) mais le prophète délègua ALI, à l’exclusion de tout autre parce qu’ALI dépassait tous les autres en sciences et en Futuwwat » [CORBIN & SARRAF, 1973] 38 Cf [MODARRES CHAHARDAHI, 1979] 39 Cf [MELIKOFF, 2005] 40 Dans l’ordre : Qassim ibn Muhammad ibn Abu Bakr, puis l’imam Jafar AS-SADDEQ, Bayazid BISTAMI, Abul Hasan “KHAREQANI”, Ali AL-FARMADHI “AT-TUSI”.

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sahaba, ces « sauvés » de lignage païen des premiers temps coraniques. Et on peut logiquement imaginer en quoi cette icône est alors emblematique pour le salut d’ascètes persans et indiens.

Un autre élément important de la biographie de Salman "FARSI" fut sa quête

anté-coranique du "Vrai Prophète", laquelle aboutit dans sa rencontre avec le prophète MUHAMMAD. Salman "FARSI" aurait aussi été le barbier du prophète MUHAMMAD, et donc le saint patron des barbiers. L'hagiographie populaire précise qu'il aurait à ce titre circoncis les futurs imams HOSSEIN et HASSAN. Sa tombe à Mada'in (Irak) est un ziyarat fréquenté par les corporations de barbiers et d'artisans. [MONCELON, 2006] distingue deux interprétations répandues du rôle mystique de Salman "FARSI":

- Salman-l'intercesseur: Aprés BILAL, Salman "FARSI" est l'un des premiers

"Abdal" ( Ar. Badal, "substitut"), - catégorie de quarante saints intercesseurs (Tchehel Tan) de premier rang aprés les "Sept" (haft han)- selon l'exégèse sunnite. Le "Badal" est un saint pieux pur, exemplaire. Chacun d'eux est appelé à "remplacer" les Prophètes aprés l'ère de Prophétie, laquelle fut close par MUHAMMAD. Dans le cortège des saints, viennent ensuite les 500 akhiyar ( "frères"). Comme pour tout "Badal", l'engagement 'bayat de Salman "FARSI" est d'abord celui des actes, et ce, quant bien même son origine ethnique n'est pas qurayshite. Par l'avénement d'un ghuraba (exilé), Salman consacre donc en acte la proéminence de la Futuwwat ("beau geste") sur la Muruwwa (notabilisme). Dans cette notion d'intercession, [MONCELON, 2006] décrit Salman-l'Abdal, intercesseur de son temps, comme l'ultime recours d'un monde en déchéance, apocalyptique.

- Salman-l'initiateur: cette interprétation s'appuie sur un autre fait historique

contemporain du Prophète MUHAMMAD. A Médine, Salman aurait circoncis, voire éduqué spirituellement des futurs imams HASSAN et HOSSEIN. Il fut également trés proche de FATIMA, la fille de MUHAMMAD, à laquelle on prête aussi une influence empathique sur Salman. MASSIGNON et MONCELON évoquent une relation trinitaire ALI - SALMAN - FATIMA tout à fait parallèle à celle de JESUS , l'apôtre JEAN et MARIE. Ce trés haut rang trinitaire de Salman existe en outre chez les Druzes.

Un dernier élément important de la biographie de Salman "FARSI" fut sa quête anté-coranique du "Vrai Prophète", laquelle aboutit á sa rencontre avec le prophète MUHAMMAD.

A ces visions, il faut ajouter celle d’un ascète véritable. Sa biographie précède celle d’Ibrahim ADHAM dans l’abandon de tout pour partir en quête de Vérité. Une réputation de fakir41 qu’abondent hadiths42 et des dits qu’on lui prêtent. Toutefois il faut souligner l’originalité du mythe de Salman chez les Khāksārs. Alors qu’il n’était encore qu’un mage zoroastre dans l’attente de l’avènement du Prophète MUHAMMAD, Salman avait conçu sa grandeur. Selon eux, il sera

41 Voir [NEUVE EGLISE, 2008] : «Il se singularisa de par son profond sens de la justice et son équité, ainsi que par la grande simplicité de son mode de vie : il refusa toute richesse et confort matériel, préférant dormir sous un arbre que dans un palais. Malgré son statut de gouverneur, il continua à exercer son métier d’artisan, fabriquant des paniers en osier et donnant un tiers de la somme récoltée aux pauvres. (…) Salmân personnifie donc à la fois le "pauvre en Dieu" (faqîr ila-llah) consistant en un abandon volontaire des biens et richesses terrestres pour la recherche de la vérité, et le gnostique achevé, ayant atteint un haut degré de connaissance spirituelle. » 42 Hadith traduit par [NEUVE EGLISE, 2008] : « Peu avant sa mort, son compagnon Sa’ad Ibn al-Abî Waqas le trouva sanglotant de n’avoir pas "respecté" l’une des paroles du prophète MUHAMMAD recommandant de vivre tel un voyageur n’emportant avec lui que quelques provisions, regrettant amèrement d’avoir vécu au milieu de tant d’opulence. Sur ce, Sa’ad regarda autour de lui et ne vit qu’une simple paillasse, une écuelle et un récipient pour les ablutions…». L’épisode pourrait à lui seul justifier le patronyme de « Mahmud PATHILI, ou « Mahmoud –à-la-gamelle », courant chez les Khaksars à l’endroit de Salman « FARSI » .

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finalement initié par le Prophète en personne aux secrets de la Voie esotérique, puis fut adoubé personnellement par l’Imam ALI de l’autorité de la Voie des Khāksārs43.

3.1.2.4 Habib AJAM

Habib AJAM, dit « AL-AJAMI » (8ème siècle) est un maillon original de la doudeh Ajam, et constitue le pivôt de ce lignage « safavide ». Cité immédiatement après Salman FARSI, l’homme, dont lhagiographie retient qu’il était un converti persan, usurier de profession à Bassorah44 (Irak), fut surtout un maillon de transmission des hadiths dans la lignée d’Hasan « AL-BASRI » (642 -728 AD), son contemporain et, dans bien des anecdotes : son faire-valoir.

La conversion d’Habib AJAM est remarquable car elle procède d’un renoncement complet, constatant l’inconsistance des biens de ce monde45. Une anecdote iconique pour cette branche de la Khāksāriyyah, manifestement indécise entre esotérisme duodécimain et Fakr. Souvent cité dans les silsilah sunnites du lignage de Maruf KHARKHI46, Habib AJAM est d‘abord une caution persane après Salman. Habib est ensuite fameux pour quelques miracles, mais également en compagnie d’Hasan BASRI. Fakir et maillon connu – sans être célèbre -, dépouillé ici de sa descente mystique habituelle, ce mystique semble enfin jouer le rôle de caution dans la chevalerie.

La chaîne spirituelle doudeh Ajam de ces « derviches de Fakr » serait ensuite restée

dissimulée jusqu’à l’avènement des rois safavides47. Cette vision est vraisemblablement calqués sur le scénario historique bien connu, habituellement formulé à l’endroit de la religion chiite tout entière. Redoublant de références à l’histoire des safavides, l’hagiographie de la doudeh Ajam établit un parallèle entre l’avénement de l’ordre des derviches safavides et l’ordre des derviches khāksārs.

43 Cf [MODARRES CHAHARDAHI, 1979] 44 Sa biographie et ses hauts faits nous sont essentiellement rapportés par le « Mémorial des Saints » de Fariduddine ATTAR 45 A cet égard, la personnalité et la conversion d’Habib AJAM ne sont pas sans parallèle avec celles d’Ibrahim ADHAM. 46 Maruf KHARKHI (750-815 AD ) mystique fameux et antécédent éminent, lui aussi, des généalogie confrériques Qadiriyyah, Rifaiyyah et Sohrawardiyyah. 47 Cf [MODARRES CHAHARDAHI, 1979]

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3.1.2.5 Qanbar ALI

A ce point du récit, quelque soit l’identité avérée de Qanbar ALI, son intervention anachronique ne saurait s’expliquer sans une intervention intemporelle48. Sous le patronyme de Qanbar, la croyance populaire persane reconnait habituellement deux personnalités :

De façon univoque, Qanbar ALI, souvent appelé « MIR QANBAR », désigne d’abord

le fidèle écuyer de l’Imam ALI (599-661 AD). De lui, on ne sait quasiement rien, si ce ne sont certains hadiths à propos d’ALI. Sa réputation est donc réhaussée des exploits guerriers de ce dernier, particulièrement sur les champs de bataille de Tabuk, Khaybar, Badr, Uhud et Hunayn. A ce titre, la croyance populaire l’intègre aux proches mythiques d’ALI : Salman « FARSI », ABBAS, ZhUL-FIQAR… Son mythe s’est ensuite érigé à la faveur de l’esprit de chevalerie qui préside chez les ghazi et les groupes de futuwwat.

Vient, bien plus tard Pir Qanbar SHAHUI, un patriarche des Ahl-e Haqq au 14ème ?

siècle, vraisemblablement au Kurdistan. Si les Ahl-e Haqq associent Qanbar comme un ange de la seconde incarnation de la Divinité, soit l’Imam ALI, en revanche « Pir Qanbar « SHAHUI» est contemporain de Sultan SOHAQ49, puis de QIRMIZI50, son fils adoptif. L’hagiographie Ahl-e Haqq le cite ensuite dans de nombreux épisodes anachroniques. 3.1.2.6 Shah NEMATULLAH VALI

Shah NEMATULLAH VALI (1330–1431 AD), le fondateur notoire de l’ordre soufi

homonyme, aurait été initié dans l’ordre Khāksār également51. Ce soufi de grand renom partage avec les Khāksār un même intérêt pour le Fakr et pour le mysticisme ésotérique. Dans le détail, leurs positions respectives sont inconciliables, du moins de son vivant.

Sunnite à son origine, l’ordre nimatullahiyyah est connu pour avoir été une réaction iranienne au qalandarisme52, dont il dénonçait les excès. Logiquement, cette position dogmatique était inconfortable sous les safavides, et, selon toute vraisemblance, contraindra l’ordre à adopter l’obédience chiite53. A l’initiative de Shah KHALILU’LLAH, le propre fils du fondateur, l’ordre s’est réfugié à Bidar (Inde) dés 1430 AD à l’invitation du souverain Ahmed Shah AL-WALI BAHAMANI.

48 Ici, soit que cette intervention fut « uwaysi » (directe, à l’instar d’UWAYS QARANI) , soit qu’il s’agisse d’une réincarnation d’un des Sept Etres, comme celles aux quelles ils ont habitués les Ahl-e Haqq dans leur chronique. 49 Après KHAVANEGAR, ALI et Shah KOSHIN, Sultan SOHAQ est la quatrième incarnation de la Divinité chez les Ahl-e Haqq [MOOSA, 1987]. Cf infra, 1ère partie, [FIGURE 1.2] 50 QIRMIZI ( litt. « le rouge ») est la cinquième incarnation de la Divinité chez les Ahl-e Haqq [MOOSA, 1987]. Cf infra, 1ère partie, [FIGURE 1.2]. Selon l’hagiographie des Ahl-e Haqq , QIRMIZI serait l’enfant miraculeux de Pir QANBAR « SHAHUI » , conçu à partir de chair de mouton par l’intercession des Pir BENYAMIN et Pir MOUSI. 51 Cf [MODARRES CHAHARDAHI, 1979] 52 De par les ascendants soufis d’Ahmed YAFE’I, l’initiateur de Shah NIMATULLH VALI, cet ordre est généralement assimilé à une branche syro-iranienne de l’ordre sunnite Qadiriyyah. L’ordre s’est converti au chiisme par la suite. 53 Sous les tous derniers souverains safavides, on observera encore une animosité patente des ulema chiites envers les soufis de la Nimatullahiyyah lors du « retour » de l’Ordre en Iran, vers 1795 AD. Moshtaq ALISHAH et Gholam ALISHAH paieront de leur vie cet acharnement.

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Qotb Od Din Al-HAFIZ Saleh Al-Din RASHID Saleh Qutb Al-Din ABU BAKR Amin Ad Din Jibril QOTB Od Awliya sheikh SAFI « Ardabili » (1252-1334 AD) sheikh Sadr ad-din MUSA (1302-1391 AD) sheikh Ali Safavi (d. 1429 AD) sheikh IBRAHIM Safavi (d. 1447 AD) sheikh JUNAYD (d.1460) sheikh HEYDAR (d.1488 AD)

SHAH ESMAIL 1er (1487-1524 AD) sheikh SULTAN ALI (d. 1488 AD)

SHAH TAHMASP 1er (1514-1576 AD)

SHAH Muh’d KHUDABANDEH (1532-1595 AD) SHAH ESMAIL II (1517-1577 AD)

SHAH ABBAS 1er (1587-1629) SHAH SAFI « VALI AHAD » (1587-1629 AD) Imam QOLI « VALI AHAD » (d.1627)

SHAH SEFI 1er (1611-1642 AD)

SHAH ABBAS II (1632-1666 AD)

SHAH SULEYMAN 1er (1666-1694 AD)

SHAH HUSSEIN 1er (1669-1726 AD) SHAHBANU BEGUM (d.1738 AD)

Seyyed Morteza Khalifah Maryam BEGUM (d.1745 AD) SHAH TAHMASP II (1704-1740 AD) Khan AGHA BEGUM SHAH SULEYMAN II (1666-1694 AD)

Seyyed Ahmad SAFAVI(d.1775 AD) Esmat o NISA (d.1774 AD) SHAH ABBAS III (1731-1740 AD)

SHAH ESMAIL III (1733-1773 AD)

SHAH SULTAN MUH’D (1778-1796 AD)

FIGURE 3.2 : Dynastie des Safavides. En gras : les souverains; en rouge : les membres prétendus revendiqués par les Khāksārs.

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3.1.2.7 La question safavide L’appartenance des safavides est un motif de fierté dans de nombreuses branches

khāksārs. Cette affiliation peut difficilement être étayée historiquement et rejoint le lot des conjectures affichées par les membres à l’endroit de nombreuses confréries, certes proches sur le plan dogmatique, i.e. la Safaviyyah et la Bektashiyyah d’Anatolie. Malgré les anachronismes avec l’hagiographie Abu-Torabi, il n’est aucune branche khāksār qui n’admette pas les premiers souverains safavides comme des memebres à part entière, asseyant l’esotérisme de cette silsila prétendue.

Par cette lecture « duodécimaine », s’il en est, de son histoire, la doudeh Ajam

associe l’avènement du Fakr à celui de la religion imamite. Cette branche attribue aux soufis fondateurs de l’ordre Safaviyyah l’initiative de son avénement. Selon eux54, Qotb Od-Din AL-HAFIZ aurait donc porté le manteau des Khāksārs à une époque où cette silsila de fakr était prétendument occultée : il l’aurait transmis successivement à ses descendants: sheikh Safi « ARDABILI » (1252-1334 AD) en personne, puis sheikh SADR AD-DIN (1302-1391 AD), sheikh IBRAHIM (d. 1447 AD), sheikh JUNAYD (d.1460),puis sheikh HEYDAR (d.1488 AD). Ce faisant, cette branche doudeh Ajam aurait finalement été révêlée par le souverain Shah ESMAIL (1487-1524 AD) en personne, lequel a initié Qanbar ALI, parmi d’autres. 3.1.2.8 Abul al-Fazl ibn Mubarak, dit « Abolfazl ALAMI » (1551-1602 AD)

Parmi ses chroniques de l’Empire Mughal d’ Akbar SHAH (1542-1605 AD), Abul al-Fazl ibn Mubarak, dit « Abolfazl ALAMI » (1551-1602 AD) a rédigé un traité rapportant nommément l’existence des Khāksārs. L’ouvrage en serait la plus ancienne référence littéraire à leur existence, et fait entrer incidemment son auteur et son souverain dans la silsilah de la doudeh Ajam55. L’homme est surtout connu comme un écrivain chiite persan, ministre puis chef de guerre entré au service du souverain mughal Akbar SHAH. A ce titre, il trouvee, outre son rayonnement historique dans la mémoire collective iranienne, - indissociable ici des Safavides -, une légitimité dans cette silsilah « persane ». Sa réputation est entachée, en outre, de son appartenance à un mouvement millénariste.

Par ricochet, l’aura a fortior du souverain Akbar SHAH (1542-1605 AD) n’en rayonne

pas moins chez les Khāksārs. Chiite notoire, Akbar SHAH organise les pratiques religieuses et islamiques par décrets successifs dans son pays et ouvre formellement la voie à une voie oecuménique, surnommée « Din-e Illahi ».

54 Cf [MODARRES CHAHARDAHI, 1979] 55 Cf [MODARRES CHAHARDAHI, 1979]

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FIGURE 3.3 Shah ABBAS 1er(1588-1629)

FIGURE 3.4 Mollah SADRA (1571-1636)

FIGURE 3.5 Sheikh BAHA’I (1547-1621)

FIGURE 3.6 Muhammad Baqir Majlesi “ALEMEH” (1616–1698)

FIGURE 3.7. Hadi « SABZEVARI » (1797-1873)

FIGURE 3.8.

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3.1.2.9 Sheikh BAHA’I (1547-1621)

Baha' Al-Din Al-'Amili, dit « Sheikh BAHA’I», est rapporté comme un maillon isolé de la génalogie spirituelle Ajam56. Erudit, voyageur impénitent, l’homme est aussi connu de nos jours pour son fameux ouvrage esotérique imamite: le « Kashkul (Baha’i) », que pour pour ses ouvrages juridiques ou philosophiques. L’Histoire de l’Iran retient aussi qu’il fut influent à la Cour de Shah ABBAS 1er à Esfahan.

On le tient généralement pour un auteur fondateur de l’Ecole Philosophie d’Esfahan.

C’est donc une figure complète, cumulant mysticisme et philosophie. Certains Khāksārs57 prétendent qu’il aurait été le Pir-e Dalil du souverain safavide Shah ABBAS 1er - dans cet ordre - et qu’il aurait donc initié ce dernier. Ici, il est plus vraisemblablement une caution ésotérique ou proto-sheykhiste à la généalogie spirituelle Ajam. 3.1.2.10 Les métaphysiciens

Au paroxysme de ses figures « persanes » tutélaires prétendues, la généalogie

sprituelle Ajam revendique l’appartenance prétendue de rien moins que les principaux métaphysiciens iraniens58. Bien au delà de la présente étude, leur importance historique réelle ne peut être ramenée à leur emprise, bien hypothètique, sur la silsilah Ajam. Il est aussi notable que nombre d’entre eux sont encore antérieurs au retour des Khāksār - Abu Torabi en Iran ( 1797 AD environ)

• Issu de l’Ecole Philosophie d’Esfahan, Mir Muhammad Baqr “ASTARABADI” , dit

« MIR DAMAD » (d. 1632), est un métaphyscien prolifique, mystique, de premier plan.

• Mollah SADRA (1571-1636 AD), élève de MIR DAMAD est le métaphysicien

incontournable dans la philosophie iranienne. • “Shams” e “GILANI”i • Muhammad Baqir Majlesi “ALEMEH” (1616–1698 AD): Mollah influent et

philosophe. Issu d’une famille de mollahs éminents d’Esfahan. Elève tardif de Mollah SADRA (1571-1636 AD), il fut aussi un théoricien essentiel du Chiisme duodécimain sous les Safavides. On prête par exemple à son œuvre d’opérer une rupture dogmatique entre le chiisme et ses influences historiques soufies et métaphysiques, ce en quoi son rayonnement spécifiquement orthodoxe, voire parfois obscurantiste, est indéniable. Nommé « sheikh ‘ul-Islam » par les souverains Safavides, son autorité religieuse seconde ces derniers. Il promeut notamment les pratiques religieuses spécifiquement chiites, telles que les processions de commémorations imamites de deuil ( pers. marassem azadari).

• Mohamad Saleh “MAZANDARANI” (d. 1703 AD). On le connait essentiellement

pour son commentaire « Sharh Usul al-Kafi » des hadiths chiites. • Mohsen Feyz “KASHANI” (d. 1680 AD): Elève direct de Mollah SADRA (1571-1636

AD). Originaire de Kashan, il étudie la Philosophie à Esfahan et le Fiqh à Shiraz. Il

56 Cf [MODARRES CHAHARDAHI, 1979] 57 Cf [MODARRES CHAHARDAHI, 1979] 58 Cf [MODARRES CHAHARDAHI, 1979]

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est connu pour ses très nombreux ouvrages de commentaires. Son « Mohjat-al-Beyza”» réinterprète le «Ihya' Ulum al-Din » de GHAZALI et en fait un fer de lance de la théologie duodécimaine. Sa bibliographie compte par ailleurs le « Kalimāt-i Maknūnah » , parmi d’autres ouvrages majeurs de Métaphysique. Il est aussi à relever que KASHANI distinguait ouvertement les Philosophes des mystiques, des théologiens et des « déviants », ce en quoi on peut dire qu’il n’entretenait que peu d’ambiguité avec les Khāksārs.

• Hadi “SABZEVARI” (1797-1873 AD), Bigot précoce, sa biographie proprement dite

n’autorise que de vagues spéculations quant à son rapport avec les soufis et, a fortiori, avec les Khāksārs. De 1820 à 1826, le jeune prodige étudie à Esfahan la philosophie islamique, sous la direction des mollahs Ali NURI (d.1830 AD) et Esmail “ISFAHANI”. Il étudie y également le Fiqh sous la direction de « Agha » Mohammad 'Ali NAJAFI. Il retourne ensuite à Mashhad. Perturbé par le désordre politique au Khorasan, son retour d’un autre Hajj en 1834 AD le contraint à une année d’attente à Kerman, où il aurait fréquenté les mystiques59. Vers 1836 AD, il fonde finalement sa propre madrasa, qui le rendra célêbre, à Sabzevar. Il y enseigne les sciences religieuses et la Philosophie et notamment un enseignement spécifique de la Gnose.

59 On pense évidemment aux sheikh nimatullahi de Kerman. On pourrait imaginer qu’il aie connu Mast ALISHAH (d.1837 AD)

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CHAPITRE 3.2:

LES LIGNAGES JALALI :

KHAKSARS NURA’I, ABU-TORABI & MAHSUM ALISHAHI

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3.2 Les lignages Abu Torabi

Bien qu’elle fût la plus vraisemblable parmi toutes les silsilah de l’ordre, l’histoire inextricable des

Khāksāriyyah-« Jalaliyyah » est encore disputée. Patchwork reconstitué, vraisemblablement en Iran lors de son implantation à la fin du 18ème siècle, la silsila donne pourtant un début de cohérence historique à ce que les autres branches Khāksārs assimilaient comme de simples références sans lien spirituel entre elles. Evoquant ce lignage - véritable épopée inter-lignage - Christiane TORTEL60 parle d’une « une légende rocambolesque », attribué aux Tchihil Tan de Lahore (Inde).... Alternativement, les historiens targuent la légende d’un mimétisme trop grand avec la renouveau nimatullahi ou d’une transmission passée trop orale de son autorité61.

Cette généalogie spirituelle apparait comme une juxtaposition discontinue de lignages d’errants anti-

conformistes, au gré des affiliations à divers ordres. D’un point de vue strictement hagiographique, cet ordre corrèle une succession d’errants plus ou moins prestigieux (FIGURE 4.1, telle que la rapportent Muhammad Ali SOLTANI & MIR TAHER ALISHAH) . Par une recherche hagiographique remarquable, le chercheur Toraj ADHAMI s’efforce d’identifier ces patronymes énigmatiques dans une monographie contradictoire de la silsila Khāksāriyyah-Abu Torabiyyah62, identifiant aussi leurs liens éventuels avec d’autres ordres. Notre chapitre 1x en offre une relecture critique, ère par ère, en s’appuyant sur la cohérence historique avec des sources alternatives63.

Nous distinguons les ères suivantes , á travers le modèle de ADHAMI64 (FIGURE 2)

- l’ère prophètique (parag. 1.3) - l’ère mythique (ra’iyyah, abu torabiyyah, khatibiyyah) (parag 1.4) - l’ère des afiliations transversales (malamatiyyah, yasaviyyah...) (parag 1.5 a 1.6) - l’ère de l’affiliation Khāki-jani (parag 1.6.5.5) - la migration vers l’Iran (parag. 1.6.5.5.5)

60 Cf [TORTEL, 2009] 61 Cf [TAHERI, 2012] : “ The history of the Ḵāksār dervishes is replete with fanciful tales and mythologies, conveyed in oral narratives, the origins of which are thus difficult to trace. The source of some of the rites and rituals practiced in this Shiʿite order can be traced to Qalandari, Malāmati, Fetyān, ʿAyyārān, and Javānmardi (….) movements (…) It is, therefore, not easy to assign the Ḵāksār to any of the well-known categories in the Perso-Islamic tradition. Nevertheless, it is noteworthy that the Ḵāksār dervishes emphasized their Persian and non-Arabic origins and character (…). “The absence of any major literary works produced by this order, together with the Ḵāksār dervishes’ lack of knowledge of classical Sufi texts, makes it all but impossible to provide even an outline of the order’s history (…) The Ḵāksār “poles” (aqtāb; leaders of the order) did not believe in the value of writing, and thus most of the order’s rituals and customs, and their symbolic meaning, have been transmitted orally.” 62 Cf [ADHAMI, 1958] . Son travail remarquable est sommairement resumé par les FIGUREs 2, 4 et 6. 63 Par exemple :la silsila nuraniyyah au Cachemire et les silsila « uweisi » des branches actuelles dhahabiyyah et shahmaghsoudiyyah de la kubrawiyyah. 64 Cf [ADHAMI, 1958]

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Les trois premières présentent un lignage commun, à quelques détails près, à la silsila de la

kubrawiyyah /shahmaghsoudiyyah. [TAHERI, 2012] recense deux sources possibles de lignage spirituels chez les littérateurs, généralement : Salman « FARSI »65 ou parfois Ghulam ALISHAH (1751-1779)66. Les silsila abu-torabi67, puis celle de la Nura’iyyah68 donnent une cohérence indéniable à ces deux points de vue. Dans le présent exposé, nous élargissons la 4ème ère au lignage avéré des branches rishi et Khāki . La sission au Cachemire avec la version hétérodoxe de la nuraniyyah surenchèrit l’hypothèse de cette histoire commune et d’une gestation de l’ordre au Cachemire. Cette vision clarifie pas moins de trois des quatre lignages iraniens actuels des Khāksārs :

- La Khāksāriyyah-(Jalaliyyah)-Abu Torabiyyah, surnommée « Gholam-

alishaiyyah

- Son émanation : la Khāksāriyyah-Mahsumalishaiyyah

- La Khāksāriyyah-« Nurai(yyah) »

65 Cf [MODARRES CHAHRDAHI, 1979] 66 Cf [ZARRINKUB, 1978]. 67 Cf [ADHAMI, 1958] 68 Cf [ADHAMI, 1958]

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1. Prophete Muhammad

2. Imam Ali 15. Qalander ALISHAH 28. Heidar ALISHAH 41. Karam ALISHAH

3. Salman FARSI dit Mahmud PATILI »

16. (Kak ALISHAH) 29 Sukht ALISHAH 42. Bahar ALISHAH

4. Dede Roshan ALISHAH 17. (Doost ALISHAH) 30 Serak ALI(SHAH) 43. Talib ALISHAH

5. Refaqat ALISHAH 18. Cheragh ALISHAH 31 Nur Kalan (Sukh ALISHAH) 44. Bahar ALISHAH»

6. Baqr ALISHAH ou Soltan Goher GAWTH

19. Shahebrahim "GARMSIR" 32 (Doud Murad "HAQQANI" a.k.a.) Nur Nahal

45. Khoshal ALISHAH

7. Imam Sajjad dit "Sirmang Zanjir Pa"

20. Shah Abdallah KAF 33. HAQQANI (« ahl e haqq »)

46. Qatr ALISHAH

8. Pak ALISHAH 21. (Shahebrahim) 34 JANI (« ahl e haqq »)

9. Saber ALISHAH 22. Shah Jamal "CHARMINEH

PUSH" dit "MUJARAD" 35. Mia Khāki ALISHAH a.k.a.

"Makhdum JANI" (“ahl e haqq”) et 47. Hajj Bahar

ALISHAH « YAZDI »

10. Taj ALISHAH 23. Seyyed Jalal Din Heidar

"BUKHARI" 36 Mohabat ALISHAH 48. Hajj Mottahar

ALISHAH 49. Hajj Mastur ALISHAH

11. Bandeh ALISHAH 24 Ganj ALISHAH 37. Angar (Konger?) ALISHAH 50. Nur ALISHAH

12. Kelk ALISHAH 25 Masoud ALISHAH 38. Khoshal ALISHAH 51. Mir Taher

ALISHAH

13 Qadr ALISHAH 26 Dad ALISHAH 39 Mohabat ALISHAH "NAMANGEH"

14. Asrar ALISHAH 27 Bahar ALISHAH 40. Gholam ALISHAH

FIGURE 4.1 : silsilah officielle des Jalali-Khāksāri de la Gholam-alishahiyyah selon [SOLTANI, 2001]. En

rouge les maillons manifestement bien identifiés par [ADHAMI, 1958]

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3.2.1 L’imam ALI (599-661 AD)

Nous avons évoqué au chapitre précédent la légitimité hagiographique de l'Imam ALI [FIGURE 4.1,

maillon nr. 2] comme compagnon majeur du Prophète MUHAMMAD, et son importance tutélaire dans l’ordre Khāksars - Abu Torabiyyah . Cette importance ne se dément pas, cependant que l’ordre met davantage l’accent sur les figures du Fakr. A cet égard, des écrits tels que le « Traité du dénuement » assimile explicitement ALI comme la quintescence du Fakr.

Nombre de Khāksars soutiennent que l’Imam ALI a personnellement adoubé Salman « FARSI » de l’autorité de la Voie des Khāksars69. Cependant il est aussi à noter que la khirqa des Khāksars - Abu Torabiyyah est prétendu être celui que les Quarante (per. Tchehel Tan) ont remis au Prophète MUHAMMAD en personne70.

3.2.2 Salman FARSI et les sahaba

Au chapitre précédent, nous avons resitué le charisme et la biographie de Salman FARSI dans le lignage précédent de la doudeh Ajam. Chez les Khāksars -Abu Torabi, Salman occupe une place sans doute plus centrale. Il prend, avec l’imam ALI et Abu TORAB « NAKHSHEBI », le leadership de la croisade du Fakr. [ALISHAH, 1956] et [ADHAMI, 1958] mentionnent notamment « Dede ROSHAN », et Mahmud PATILI [FIGURE 4.1, maillon nr. 3], tous deux contemporains légendaires du Prophete MUHAMMAD. via une interminable chaine d’ascètes kasmiri Khākiyyah - rishiyyah, abondamment décrit par [ADHAMI, 1958]. Ces éléments de silsila sont on-ne-peut-plus ambiguës au regard de l’Histoire du Soufisme.

3.2.2.1 Salman « FARSI »

Salman-dit « le-Perse » [FIGURE 4.1, maillon nr. 3] est un compagnon d’armes du

prophète MUHAMMAD, originaire de Kazerun, Fars. Nous avons vu au chapitre précédent combien ses vertus de stratège militaire, de mystique éclairé et d’ascète. Le surnom de RUZBEHAN est confondant car la littérature de la confrérie Bistamiyyah s’est enrichie des écrits de RUZBEHAN « SHIRAZI » au 11ème siècle.

Toutefois il faut souligner l’originalité du mythe de SALMAN chez les Khāksars - Abu Torabi. Alors qu’il n’était encore qu’un mage zoroastre dans l’attente de l’avènement du Prophète MUHAMMAD, Salman avait conçu sa grandeur. Selon eux, il sera finalement initié par le Prophète en personne aux secrets de la Voie esotérique, puis fut adoubé personnellement par l’Imam ALI de l’autorité de la Voie des Khāksars -Abu Torabi 71.

69 Cf [MODARRES CHAHARDAHI, 1979] 70 Cf [ZARRINKUB, 1978]. Toute fois cette prétention est à examiner à la lumière d’influences éventuelles des Ahl-e Haqq. Dans la foi islamique, le Prophète MUHAMMAD a rencontré les Quarante au cours de son ascencion (Miraj). 71 Cf [MODARRES CHAHARDAHI, 1979]

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3.2.2.2 Mahmud PATILI, clone et Abdal

Récurrent dans les récits hagiographiques de la Khāksāriyyah-Abu Torabiyyah, Mahmud PATILI [FIGURE 4.1, maillon nr. 3] est en fait un personnage mythique assez peu connu. [ADHAMI, 1958] et Mir Taher ALISHAH semblent s’entendre sur le fait que Mahmud PATILI ( littéralement : « Mahmud – à –la -casserole » ) est en fait un sobriquet de Salman « FARSI », et que, par conséquent, ces deux personnages ne font qu un seul. Toutefois on trouve aussi parfois dans certaines sources qu’il s’agit de l’imam Hasan Ibn Ali (625-670 AD)72.

On touche lá á la question des intercessions multiples de Salman «FARSI ». Spontanément, on peut douter de l’originalité de Mahmud PATILI, dont les rares éléments biographiques sont troublants :

- Il est cité sous le nom de « Mahmud PA’ILI » dans la silsila de l’ancienne branche hétérodoxe sohrawardi Tchihil Tan73. Cette remarque accrédite que la rédaction de la silsila rapportée par [ADHAMI, 1958] remonte au moins aux premiers temps de la Makhdumiyyah (15-16ème siecle). - L’intercession mythologique de Mahmud PATILI á la tête des Abdals a été racontée dans une hagiographie ahl-e-haqq des Abdals des premiers temps coraniques74. Cet élément tendrait á croire que ce personnage a été intègré – sans doute tardivement - au panthéon des Ahl-e Haqq, par exemple à la faveur du rapprochement avec la branche Khāksāriyyah –(Mir-Taheri) de Kermanshah – 19ème siécle -.

3.2.2.3 Dede ROSHAN, dit « Zazan », « Abu Amir o Farsi »

Toraj ADHAMI a rencontré quelques difficultés á éclaircir l’identité de ce compagnon mythique de Salman « FARSI » . A vrai dire, l’appellation « Dede ROSHAN » est tout á fait inconnue des annales. ADHAMI l’a donc rapprochée des appellations plus communes de « RAZAN », « ZAZAN » et « RASHAN » : il a identifié les villages Razan (prox. Bagdad), Razan (prox. Borujerd), Raran (prox. Isfahan) et surtout Zazan (prox. Ardabil).

Certes les annales historiques connaissent un certain Abu Abdallah Muhammad Al-Hassan AR-RAZANI (b. circa 670 AD), mais la correspondance avec le fameux ZAZAN, compagnon de l’Imam ALI semble approximative. L’hagiographie de l’Imam ALI a plutot retenu ZAZAN, comme étant un converti turcophone assez secondaire dans son entourage. On l’y surnomme egalement « Abu AMRO » ou encore « Abi ABDALLAH ». Sa particularité était son don pour le chant, et également pour jouer des instruments de musique, ce qui en fait un profil á la fois inattendu et á la fois secondaire du lignage. ZAZAN se serait converti à la suite d’ Abdallah IBN MASUD75, qui avait relevé sa voix mélodieuse. Il aurait ensuite recu le Coran, d’un seul souffle de l‘Imam ALI, et aurait ensuite suivi dans ses campagnes militaires Salman « FARSI », qu’il admirait.

72 Selon [MODARRES CHAHARDAHI, 1979] 73 Cf [TORTEL, 2009] 74 Cf [MOOSA, 1987] 75 Cf [ADHAMI, 1958]

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3.2.2.4 L’Imam Zeyn Al Abidin « AS-SAJJAD » (« Sirmang Zanjir Pa »)

On retouve ensuite le surnom de « Sirmang Zanjir Pa » ou « Mir Malang Zanjir Pa » [FIGURE 4.1, maillon nr. 7], un surnom que la littérature des Khāksār abu-torabi donne généralement à l’imam Ali Ibn Huseyn « AS-SAJJAD » (658-713 AD), toutefois on trouve aussi parfois l’imam Muhammad « AL-BAQIR » (676-743 AD), son fils76.

La silsila abu-torabi primitive s’enorgueillit donc de l’Imam Ali Ibn Huseyn « AS-SAJJAD », le quatrième Imam chiite et le propre fils de l’Imam HUSEYN. Il est le frère des regrettés Ali « Ashgar » et Ali « Akbar ». Très malade lors de l’assaut de Kerbala, il y survécut au massacre de sa famille. L‘hagiographie de Kerbala aime à rappeler que son père l’imam HOSEYN lui aurait alors confié avec prémonition qu’il etait l’unique survivant et le porteur du message d’injustice du drame qui s’annoncait dés alors. Capturé par les troupes de YAZID au lendemain d’Ashura, il est enchainé et convoyé vers Damas avec les reliques ensanglantées de ses parents. Tout son corps fut ainsi marqué d’escars par les chaînes « Jameea » autour des bras et des jambes. Surveillé et reclus ensuite á Médine, on lui prête un activisme imamite discret jusqu’a sa mort. Sa principale contribution, est l’ouvrage apocryphe des priéres « As-Sahifah As-Sayyadiyyah Al-Kamilah», nous en reparlerons. Il mourut en 713 AD á Médine.

On peut s’interroger sur la réalité et la signification de ce maillon opportun dans

la silsila abu-torabi – Khāksār. Certes, le surnom « Sirmang Zanjir Pa » se réfère sans doute à l’épisode de son enchainement. Sa présence est donc sans doute plus symbolique qu’historique dans la silsila. Parmi les douze imams, l’Imam AS-SAJJAD incarne sans doute le plus ascétique et le plus humilié de son vivant. Il est aussi l’imam emblêmatique de la science semi-esotérique des invocations coraniques (ruqiya), notamment de par l’opuscule d’invocation "As-Sahifah As-Sayyadiyyah Al-Kamilah” ( “Livre des Invocations d’As-Sayyad”), que la tradition dévôte imamite lui prête. La silsila abu- torabi – Khāksār signale en outre á sa suite un dénommé Barq ALI [FIGURE 4.1, maillon nr. 6], lequel fut peut être en fait l’Imam Muhammad Ali BAQR « Baqir Al Ulum » (« le révèlateur des Connaissances ») . Le nom de Zanjir Pa fût en suite porté á nouveau par un rishi tardif au Cachemire.

76 Selon [MODARRES CHAHARDAHI, 1979]

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Prophete Muhammad

FIGURE 4.3 Imam Ali

Salman FARSI

FIGURE 4.4

RA’IYYAH QALAIYYAH

ABU TORABIYYAH

QALANDARIYYAH KHATIBIYYAH MALAMATIYYAH DANIYALIYYAH AKAFIYYAH divers babas QANIYAN

JALALIYYAH

Seyyeds Jalali MAKHDUMIYYAH Leaders Jalali

JALALIYYAH- KHĀKIYYAH

RISHIYYAH HAQQANIYYAH JANI-HAQQANIYYAH Khāksār KHĀKI Khāksār JANIYYAH

FIGURE 6

Khāksār MAHSUM-ALISHAHIYYAH Khāksār GHOLAM-ALISHAHIYYAH

FIGURE 4.2: Modélisation historique alternative de la silsilah des Jalali-Khāksāri par [ADHAMI, 1958].

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3.2.3 Les lignages ra’i, abu torabi et les premiers malamati

La période qui suit est indéniablement un tournant pour le lignage qui nous intéresse. Sur la FIGURE 4.1, on distingue par la dominante de noms en noir que les éléments identifiables (maillons 8 á 16) dans [ADHAMI, 1958] sont inexistants. Essayons de décrire notre vision globale de ce lignage, avec autant de recul que les annales historiques nous permettent d’en prendre

: 1. ADHAMI a essentiellement relevé une incohérence globale entre les maillons de la silsila officielle et ceux des silsilas soufies connues pour les membres les plus éminents. La plupart des maillons prétendus de la FIGURE 4.1 , [maillons 8 à 16] de cette ère nous sont donc inconnus. 2. SHIR ALISHAH est aussi cité77 sous ce nom dans la silsila de l’ancienne branche hétérodoxe sohrawardi Tchihil Tan. Cette remarque accredite que la rédaction de la silsila rapportée par [ADHAMI, 1958] remonte au moins aux premiers temps de la Makhdumiyyah (15-16ème siècle). 3. Dans la FIGURE 4.4, nous relevons toutefois á cette ére - grosso modo de 800 AD à 1100 AD -, un nombre important de maillons communs avec des silsila anecdotiques (telles que la Voie soufie Uweisiyyah- Shahmaghsoudiyyah, une branche actuelle de la Dhahabiyyah [ ANNEXE 1] ou encore des silsila sohrawardi indiennes anciennes [ANNEXE 2]. Il est probable qu’ADHAMI s’est en fait inspiré des chaînes initiatiques dhahabi, chishti ou même des silsila chiites officieuses78. Clairement, en l’absence de patronymes explicites, ADHAMI79 a opté pour les maillons 8 á 16 pour une explicitation historique, basée sur les connexions historiques avérées entre les premiers mystiques de Bagdad. Les lignages proposés sont effectivement cohérents avec les ouvrages de référence tels que « le Memorial des saints » d’ATTAR80, ou encore la silsila de la Dhahabiyyah Uweisiyyah81..

77 Cf [TORTEL, 2009] 78 Cf [MOJAHED, 1997] 79 Cf [ADHAMI, 1958] 80 Cf [ARBERRY, 1966] 81 Cf infra [ANNEXE 1]

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3.2.3.1 La Ra’iyyah Il est couramment admis que les mystiques de Bagdad au 9ème siècle se

catégorisaient en deux approches : d’une part, les sahebs avérés, assimilés á des gnostiques dans la vision initiatique des Chiites , citons parmi eux Uways « QARANI », Rashid HADJARI, Salman « FARSI », Haytham TAMMAR ...

De l’autre, les grands saints mystiques, trés populaires et légèrement posterieurs aux

premiers. C’est ce groupe qui nous intéresse ici82 . Tous brillèrent avant tout par leur ascèse , tels Tavus « YAMANI » - probablement le saheb connu sous le nom complet de « Tavus » Bin Keysan AL-HAMDANI « AL-YAMANI » -, Malik IBN DINAR (d. 747 AD), Ibrahim IBN ADHAM (d. 777 AD) et Shaqiq « BALKHI » (d. 810 AD), Abu Nasr Bashr Ibn Hareth « AL-HAFI » de Merv (767-841 AD)... Les chiites admettent habituellement que l’initiation (rah, « voie ») de ce dernier courant se voulait soufie, mais, que, de par leurs prédécesseurs, elle incluait pour nombre d’entre eux une base gnostique dissimulée. Par ailleurs, ce dernier groupe se divise en deux clivages :

- un groupe plus littéraliste , réunissant Fudayl bin IYAD « MERVI » (d. 803 AD), Abu Nasr Bashr Ibn Hareth « AL- HAFI » de Merv (767-841 AD), Khair AL-NASSAJ, Sumnun AL-MUHIB, Abu Hamza « BAGDADI », Muhammad « JURAIRI » traditionnalistes. Tous tiennent l’Iman coranique pour exhaustive (y compris la pratique, á l’instar des mutazilites) .) - un autre groupe plus ésotérique, réunissant Ibrahim IBN ADHAM (d. 777 AD), Abu Suleiman DURANI, Harith « MUHASIBI », Sahl bin ABDULLAH, Shaqiq « BALKHI » (d. 810 AD), Hatim ASAM (« le sourd »), puis Dhu al-Nun « MISRI », Abu Yazid « BISTAMI », Junayd « BAGDADI » , Muhammad bin AL-FADL « BALKHI »...Ils tiennent la pratique comme uniquement « interprètable » de l’Iman coranique (á l’instar des kharijites) . [ADHAMI , 1958] a effectivement traité des ra’i – ou plutôt de cette succession de personnalités fortes -. Nous pouvons voir sur la FIGURE 4.3 combien historiquement compact est ce groupe. Les liens sont confirmés par [ARBERRY, 1966] ou [MOJAHED, 1997]. Noter deux lignages dominants :

- le lignage des ascètes extrêmes : Malek IBN DINAR, Ibrahim IBN ADHAM, Shaqiq

« BALKHI ». Ces derniers nous sont tous trois connus et decrits dans l’hagiographie des grands saints musulmans d’ATTAR [ARBERRY, 1966] et la silsila chishtiyyah.

- le lignage de sang ( initié par Salim RA’I, Habib RA’I, Shiban RA’I). Avec eux se

constitue un courant informel de disciples : la ra’iyyah , qui tire sa raison d’être de la citation du Prophète MUHAMMAD : « Vous êtes tous ceux de la Voie (ra’i) et vous avez donc tous la responsabilité les uns des autres.» . Les ra’is se définissent comme un groupe ésoterique exclusif, en charge de garder le Secret mystique de la Prophétie parmi les Soufis. Il s’agit avant tout de renonçants discrets, batinistes, souvent reclus dans des lieux isolés. Il n’existe quasiement aucune hagiographie á leur endroit.

L’ascendance spirituelle de la ra’iyyah et la proximité de ses membres conforte cette « Voie » dans sa légitimité d’initiation « héréditaire ». On considère que le premier membre historique est Abu AZUD (Ar. Zhud, ascése ), compagnon de l’Imam ALI, qui le tenait pour « le pilier de la khalifat » (leadership). L’identité d’Abu AZUD n’est pas explicite , toutefois, il faut noter que les silsila kubrawi et dhahabi ont l’usage de nommer dans cette silsila à cet endroit : SALMAN « FARSI » en personne83.

82 Voir [FIGURE 3] 83 Cf [ANGHA, 1999]

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Après lui viennent Salim et Habib Ibn Salim RA’I84. La silsilah kubrawi [ANGHA, 1999 ] attribue à Habib d’avoir établi la Voie, et avec elle : la Connaissance nécessaire à guider les fidèles. Shah Maghsoud Sadegh ANGHA surenchèrit en omettant Habi et Salim RA’I, mais en prêtant à Musa Ibn Zeyd Ibn Habib Ibn Salim RA’I, leur descendant, un épitaphe étonnament similaire85 , qui lui prête, dans sa tâche, l’assistance de Salman « FARSI » et Uways QARANI en personne.

A la suite des persanophones Salim et Habib RA’I, s’intégrent aussi des membres arabisants, tels que les clans AZUDI (Arabie), QARAFI (Egypte) et KHAZA’I ( Arabie). Tout au long de leur histoire clandestine, Toraj ADHAMI y recense en outre les familles arabes suivantes : DIAMIRIYAH, MORHASHIYAH, HAMDANI, RABIEH, MEZ HAZI, SHEBAM, SAMIRIYEH, T(A)I, NADERIYEH, ANJAVIYEH, HAKIRAVIYEH, BANI SHAKER, BANI KAMUNEH, MUSAVIYEH REZAVIEH et BAKERIYEH. Selon ADHAMI, les familles QARAFI et KHAZA’I dominent en nombre les autres dans la Ra’iyyah. Les Kubrawi/Dhahabi admettent également qu’Ibrahim ADHAM fut le contemporain et l’élève d’Habib RA’I.

L’appellation « ra’iyyah » 86. ne perdure pas au delà de l’an 1000 AD. A cette

échéance, les appellations de Baba et de Qalandar la relaient. ADHAMI relève qu’avec cette nouvelle appellation survient en outre leur regroupement en khanqah, avec tout ce que celá comporte de changements structurels.Toutefois la Voie n’est pas stérile :

--- les Dhahabis considèrent le fameux Ibrahim ADHAM « BALKHI » (d. 776) puis Shaghigh « BALKHI » comme les deux successeurs directs successifs d’Habib Ibn Salim RA’I87 dans leur silsila. Cette allégation situe la ra’iyyah à l’origine des voies ascétiques Adhamiyyah, Chishtiyyah et la totalité des branches du lignage Kubrawiyyah / Dhahabiyyah. --- les Jalalis-Khāksārs considèrent que le cycle des Ra’i ne se termine effectivement qu’avec Jalaleddin Heidar « BUKHARI » JAHAN JAHANGASHT, En effet, celui-ci, lui même issu d’une Sa’adat d’obédience sohrawardi émigrée au Sindh, imposera ensuite ce dernier lignage clanique à la silsila Jalali-Khāksārs pendant près de 300 ans...

84 Également bien connus de la silsila kubrawi /dhahabi.Selon [ANGHA, 1999 ], Habib entreprit d’abord « la nécessaire tâche de guider les gens dans la juste Voie et de transmettre aux disciples les instructions de l’Islam à travers la connaissance de la méthode intérieure ». 85 Il s’agit d’une version légèrement alternative de la silsila kubrawi /dhahabi.Selon [ANGHA, 2014 ], le propre petit fils d’Habib RA’I-, Musa « (…), après Oveys QARANI et Salman FARSI, prit la responsabilité de guider les hommes et de dispenser les enseignements de l’Islam par la voie du cheminement interne. » 86 Hypothétiquement pourrait venir du mot persan rah : chemin, voie 87 Cf [ANGHA, 1999]

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3. Salman FARSI

Abdallah IBN SULTAN Dervish KABL 4. Dede ROSHAN (Zazan) Sheikh Saleh Salim « RA’I »

(fils)

Hasan BASRI

Abdl Rahman Habib ABI Abdlrahman « Tavus » « YAMANI » Malek IBN DINAR « AL SAMI » Habib RA’I (fils)

Abdel Wahed bin ZEID ”BASRI” Ibrahim IBN ADHAM

Fudhayl BIN IYAD

Ali RAZIN Bakr allah MOSALI Abu Nasr Bashir Ibn Hareth AL HAFI Shaqiq BALKHI“ Shiban RA’I

Haytham ASSAF (le sourd“)

Abu Torab NAKHSHABI

FIGURE 4.3 : La Ra’iyyah: de Salman FARSI á Abu Torab « NAKHSHABI » . D apres [ADHAMI, 1958] . En orange le lignage commun avec la chishtiyyah.

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3.2.3.2 Abu TORAB « NAKHSHABI »

Asgar Bin Muhammad Bin Hasin "NAKHSHABI", dit Abu Torab "NAKHSHABI" est né en 160 AH c (circa 775 AD) á Nakhshab, l'actuelle ville de Ghorshi, située entre Balkh (Nord Afghanistan) et Bukhara (Ouzbekistan)88. Il s'y maria et y vécut jusque vers 859 AD89.

Dés son jeune age, son père l'éduque aux sciences religieuses et l'emmène sur les lieux saints (La Mecque , Medine, Bagdad). C'est presumément à son retour qu'il fonde sa Voie soufie. Abu Torab s'intéressa á l'esprit de la Futuwwat en Islam et eut vraisemblablement pour maitres90 Ali Razi MAZBUH, Sheiban "RA’I", Yusef SHEIBANI et Ibn RAZIN et surtout Shaghigh "BALKHI", incontestablement le plus influent sur lui91. Quelques rares biographies citent aussi Bayazid "BISTAMI". Abu Torab fréquenta significativement des malamati en devenir tels que Abu Salah Hamdun QASSAR "NISHAPURI" et Abu Hafs HADDAD "NISHAPURI". [ADHAMI, 1958] suggère également que Asgar Bin Muhammad Bin Hasin "NAKHSHEBI"l doit ce patronyme d'"Abu Torab" (litteralement: 'le père poussière') - habituellement réservé à l'Imam ALI - pour sa vie exemplaire. Il décèda vers 860 AD. L'hagiographie populaire a retenu Abu Torab "NAKHSHABI" comme un sage démuni, trés humble et trés écouté. ANGHA92 parle d’ « un noble du Khorasan, connu pour son ascétisme » , mais sans doute faut-il y voir un portrait doublement moral. Le traité « Futuwwah» d’AS-SULAMI cite nombre d’anecdotes où il refuse toute rétribution, distribue le peu d’argent qu’on lui offre à ceux qui en ont besoin, etc… De façon générale, une ascèse sans compromis, à l’épreuve d’un renoncement de chaque instant93. Il préconisait la dissimulation des attributs soufis á ses disciples, tout comme le firent ensuite les premiers malamati94. ADHAMI mentionne plutôt qu'Abu Torab "NAKHSHABI" était notamment connu pour avoir constamment refusé la charité de ses pairs95. Contemporain d'Abu ADHAM "BASRI" et d'Adham HASSAN, son ami indéfectible, ainsi que des premiers malamati de Nishapour, Abu Torab "NAKHSHABI" remit notamment en cause le mode de vie des qalandars : selon [ADHAMI, 1958], il poussa les corporations (fiti han) á entretenir des hospices (khanqahs) hors des villes, á l'usage des qalandars errants afin de prévenir les débordements et le racket des qalandars. JAMI aurait recensé, parmi les nombreux saints qui le consultèrent: Ahmad "KHAZRUYEH", Shah SHODJA, Yusef Bin Hussein "RAZI", Muhammad Bin Ali "AT-TIRMIDHI", Abu Hamzah "KHORASANI", Ali Ibn Sahleh "ESFAHANI" et Adham HASAN. Etonnament il n’est pas identifiable dans la silsila « officielle » de la FIGURE 4.1, mais il est essentiel à l’interprétation biographique qu’en a fait Toraj ADHAMI (FIGURE 4.2,3 et 4).

Pir HERAT96 rapporta á l'endroit d'Abu Torab "NAKHSHABI" la parabole suivante: Abu

Torab "NAKHSHABI" s'en alla au désert avec 300 disciples et leur imposa l'existence de derviche97. A force d'epreuves, seuls deux persistèrent dans sa voie au desert: ce furent Abu

88 Cf [NURBAKHSH, 2002b] 89 Cf [ANGHA, 2014] 90 Cf [ADHAMI, 1958] 91 [ANGHA, 2014] présente une version alternative de cette séquence dans la silsila kubrawi. Ibrahim IBN ADHAM succéda à Musa Ibn Zeid Habib Ibn Salim RA’I. ANGHA situe ensuite Shaghiq « BALKHI » entre Ibrahim IBN ADHAM et Abu Torab « NAKHSHABI », à qui il confia la khirqa de cet ordre. 92 Cf [ANGHA, 1999]. 93 Cf [NAKHSHEBI cité dans la « Futuwwah » d’AS-SULAMI] « Ta protection des désastres dépend de ta capacité à ne pas répondre aux désirs de ton ego » 94 Cf [NURBAKHSH, 2002b] 95 Cf [ADHAMI, 1958] , op. cit. id. 96 Il s’agit de « PIR HERAT », surnom répandu du soufi Abdullah ANSARI « HERAWI » (1006-1088 AD) d’Herat ; dont on dit qi’il fut un disciple de KHAREQANI. 97 Cf [ADHAMI, 1958] , op. cit. id.

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Obeid "BASRI" et Abu Abdallah JALAH. Abu Toraj eut en fait environ 120 disciples98. Parmi eux, Abu Obeid "SABRI", Abul Abbas SHAGHI, Abu Nasr SERAJ, Muhammad Ibn Salem "BADERUSI", Abu Abdullah Muhammad Bin Ali "AT-TIRMIDHI", Shah SHOJAH, Sahleh "ESFAHANI", ainsi que les éminents précurseurs malamati Abu Jafar « ISBAHANI », Abu Salah Hamdun QASSAR "NISHAPURI" et Abu Hafs HADDAD "NISHAPURI". Les ascètes Shah Ibn Shuja’al « KERMANI » (d. avant 912 AD) et Muhammad Ibn Yahya « Abu Ibn AL-JALLA » 99 se réclame aussi de ses disciples directs. Instruit aussi par Dhun Nunu’l « AL-MISRI », AL-JALLA devint le maître de Muhammad IBN DAVUD « AL-DUQQI ».

Les silsila kubrawi/dhahabi et uweysi établissent un lien relativement direct entre

Abu Torab « NAKSHEBI » (d.775 AD) et IBN KHAFIF (d. 982 AD) qu’en les personnes successives d’Abi Amr « ESTAKHRI » (d. 912) et Abu Jafa HAZZA (d. 950) à Shiraz 100.A cet égard, leurs silsila dénient les généalogies Qalaiyyah, qu’ADHAMI a détaillé en amont des troncs communs : kazeruniyyah , morshediyyah, ruzbihiniyyah101 : Abu Ishaq IBRAHIM bin Sheiban "QARMASINI", fondateur de la Qalaiyyah, aurait fait partie des disciples d’Abu Torab « NAKHSHABI », et il constitua une branche préalable à la Khāksāriyyah [ADHAMI, 1958],. Par ailleurs, Abu Torab « NAKHSHABI » est effectivement cité dans des silsila historiques des zahabi-uwaysi [ANNEXE 1], et des sohrawardi [ANNEXE 2]. Toutes ces silsila lui prêtent une ascendence sur le persan Morshed Ibrahim KAZERUNI , via le malamati Abu Hafs HADDAD "NISHAPURI" [FIGURE 4.5]. 3.2.3.3 Doost ALISHAH (Marv)

Cet ascète [FIGURE 4.1 , maillon 17] nommé Doost Aliyyeh « SINEH SUF », ou encore Abu Ahmed DOOSTAN, peu connu, est né á Marv, au Nord de l’Aghanistan actuel au 10ème siecle. [ADHAMI, 1958] l’a identifié mais n’a pas su établir de lien logique de filiation spirituelle avec les autres maillons de la silsilah. L’hagiographie de Doost ALI SHAH décrit ce dernier comme un ascète extrême qui allait nu, depuis qu’il avait donné ses effets personnels aux pauvres de la ville. ADHAMI rapporte quelques autres anecdotes démonstratives dans ce sens. Il est decédé vers 360 AHq / 968 AD. Abu Said « MALINI » est son principal disciple connu102. 3.2.3.4 La Qalaiyyah Mais ADHAMI s’est plutôt évertué á etablir des liens historiques de succession entre la ra’iyyah et la morshediyyah. Il a notamment identifié le rôle charismatique du sheikh Ibrahim Shiban « QARMASINI » dans ces lignages [FIGURE 4.4]. La Qalaiyyah est un ordre fondé au Kuhestan (region kurde du Zagros occidental autour de Kermanshah (« Qaramisin » en arabe), de part et d’autres de l’actuelle frontière irano-irakienne ) vers l’’an 1000 AD par sheikh Ibrahim Shiban « QARMASINI », á la suite des maitres de la ra’iyyah. Cette énigmatique ra’iyyah comptait une dizaine de zawiya dans cette région [ADHAMI, 1958]. On le voit sur la FIGURE 4.4, l’influence du sheikh Ibrahim Shiban « QARMASINI » tient essentiellement un ascendant spirituel sur Hosein SAKAR, le maillon Junaydi qui a précèdé l’imam KAZERUNI ([FIGURE 4.1, maillon nr. 21], voie Kazeruniyyah).

98 Cf [NURBAKHSH, 2002b] 99 S’agit il de Abu Abdallah JALAH, cité plus haut ? 100 Cf [ANGHA, 1999]. Bien qu’ils se soient succédés, les dhahabi reconnaissent le second : sheikh Jafar HAZZA comme le plus significatif. 101 Cf infra, paragraphes suivants 102 Cf [ADHAMI, 1958] , op. cit. id.

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2 Mahmud PATILI

1. Imam ALI

3. Salman FARSI

SALMANIYYAH La Mecque

3

Abdallah Bin Salman Salim b. RA’I Ca 800 7. Imam ZEIN Damascus Dede ROSHAN

RA’IYYAH

Ali RAZIN

Abu Abdallah MAGHREBI Abu TORAB Nakhshebi d.859

ABU TORABIYYAH Nakhsheb

Ibrahim Shiban QARMASINId.959 Shah SHEBAH Abu Hafs HADDAD d.878

QALAIYYAH Kermanshah HADDADIYYAH Nishapur

Muzafer QARMASINI Kermanshah Baba FAREJ d. ???

20 Abu Abdallah KAF

Zanjan

Ahmad YASAVI d. 11xx

YASAVIYAH Turkestan

Baba KUHI d. ???

Hosein AKAR

Turkmenistan

21 Ibrahim MORSHED KAZERUNI

MORSHEDIYYAH

Khatib Abul Qasim ABL KARIM d. ??? Abu Najib SOHRAWARDI d. 12xx Qutbudin ZAVEHI d. 12xx

(KHATIBIYYAH) ??? SOHRAWARDIYYAH Azerbaijan HEIDARIYYAH Khorasan

Khatib Abul Nasr MO’HD d. ???

Khatib Abul Bakr Ruzban BAQLI

RUZBIHINIYYAH

Khatib Taj AL DIN

Jalal Ad Din AS SAWADJI d. 1218 Qutbuddin KABIRI

Khatib Khalish AL DIN QALANDARIYYAH Damiette

Shihabdin SOHRAWARDI d. ???

Khatib Al din Ahm’d QalandarR d. ??? Bagdad

Bahauddin Zakariya MULTANI d. ???

Multan

Rukn Ad Din DANYAL d. ???

23 Jalal Heidar BUKHARI d. 1281

DANYALIYYAH ???

JALALIYYAH Uchch

vers KHĀKIYYAH Kashmir

Fig 3

FIGURE 4.4 : Lignage salmani « amont » de la silsilah de la Jalaliyyah selon [ADHAMI, 1958].

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3. Salman FARSI

1. Imam ALI

Imam HOSEIN

Hasan BASRI

Umar AL KHATTAB

7. Imam Zeinabidin

Uways QARANI

Imam Muhammad BAQIR

Musa Yazid AL RAI

Imam Jafar SADEQ

Habib AJAMI

Imam Musa Jafar

Daud TAI

Imam REZA

Ibrahim Ibn ADHAM

Maruf KHARQI

Hathim AL ASAF

Sari SAQATI

Abu Torab NAKHSHABI

Junayd BAGDADI

Imran ISTAKHERI

Abu Hafs HADDAD

Uwain Bin AHMAD

Abu Muh’d Jafar HADHDA

20 .Abdallah KAF

Abu Amru AL ZAJAJI NISHAPURI

IBN KHAFIF

Hosein AKAR

KABIRIYYAH

Abul Qasim KHAREQANI

21 Ibrahim MORSHED KAZERUNI

Al Mahasin Ali FARMINDI

MORSHEDIYYAH

Abu Ishaq TARTAWSI

Khatib Abu Bakr Ib.Muhd

Abbas NIHAWANDI

Abul Safa AL WASITI

Abdel Qader JILANI

Khatib Abul Qasim Mah’d

Siraj ZANJAANI

QADIRIYYAH

KHATIBIYYAH

Ahmad Ibn Al KARIM

Siraj ad Din IBN SALBEH

Ruzbehan BAQLI

Muhd Abdullah SOHRAWARDI

RUZBIHINIYYAH

SOHRAWARDIYYAH

Fakr ad-din AHMAD

Najmuddin KUBRA

Ruzbihan II d. 1286

KUBRAWIYYAH

Abd al wadud KHALUNI farid

Rayzieddin GHAZNAVI

Abdul Qadir I TAWUSI

Ahmad Zakr JOZEGANI

Qiwan Ad Din Muhd KAZERUNI

Nureddin ESFAREYENI

Nur Ad Din TAWUSI

Allah ud Dawlat AS SEMNANI

Ahmad b. Muhd NAHRAWALI d. 1542

Mahmud MAZGHANI

Nuruddin b. Ahmad NAHRAWALI d. 1582

Ali HAMADANI

Baba Sudani TIMBUKTI d. 1624

Ahmad KHATTALANI

Abd al Qadir FASI GHASSANI d. 1624

IGHTISHAHASHIYYAH

Abd al Qadir FIHRII FASI d. 1688

Muh’d « HASIVI » NURBAKHSH

Muhammad SAGHIR d. 1721

NURBAKHSHIYYAH

Muhammad b. Abdallah TILIMSANI

Murtada ZABID d. 1791

FIGURE 5 : Les ascendants de la Morshediyyah-Kazeruniyyah et de la Ruzbihiniyyah dans la litterature soufie. En rouge, le fragment de la FIGURE 2 selon [ADHAMI 1958]. Les autres sources [BALLANFAT citant MASSIGNON] sont en bleu, vert. On le voit, le troncon d’ Abu Torabi NAKHSHABI á Ibn KHAFIF apparait dans d’autres silsila des Sohrawardi [cf ANNEXE 2] que celles de la seule Khāksāriyyah-Jalaliyyah. Ce rattachement de Najmuddin KUBRA à toute la silsila de Salman FARSI est revendiqué par la silsila « Uveysi » de l’actuelle branche Shahmaghsoudiyyah (« MTO ») de la Kubrawiyyah-Nurbakhshiyyah (ici en violet).

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3.2.4 L’ére des Morsheds : la vraie branche soufie?

La silsila officielle des Khāksārs prend vers l’an 900 AD une bifurcation de lignage contradictoire. Elle se réclame notamment à la fois de malamati eminents et de soufis contemporains « junaydi » sunnites de l’Ecole de Shiraz.

En amont d’Abu Abdallah KAF [FIGURE 4.1, maillon nr. 20], on peut déplorer une incohérence avec la chaine malamati antérieure des Khāksārs de la FIGURE 4.4. En effet, il est couramment admis qu’ Abu Abdullah Muhammad IBN KHAFIF et « KAZERUNI » suivaient significativement le lignage soufi sunnite de la Junaydiyyah, une branche bagdadi de la Kharkiyyah-Saqqatiyyah [en bleu sur la FIGURE 4.5]. Et ce lien n’est pas anodin.

Omis ou confondu dans la silsila des Khāksārs-Jalali, le maillon Abu Abdullah Muhammad IBN KHAFIF « SHIRAZI » (9ème siècle AD), un érudit contemporain de Mansour HALLAJ, n’est pas omis à cet emplacement des silsila –sœurs des branches Dhahabiyyah et Shahmaghsoudiyyah103 . Surnommé par elles le « sheikh Kabir » ou le « sheikh al-Islam », celles-ci se souviennent de son ordre comme la Khafifiyyah-Uweysiyyah104. [ANGHA, 1999] décrit cette Voie en fait comme « une méthode d’enseignement particulière », qui fut suivie par le sheikh MORSHED « KAZERUNI »105 et le sheikh Hosein AKKAR106, le maillon suivant dans ces silsilas dhahabi.

A cette époque précise, les commercants Junayd « BAGDADI » et Sari AS-SAQATI de Bagdad

s’opposent par leur mystique « sobre », à l « ’ivresse divine » de leurs contemporains HALLAJ et « BISTAMI ». Formé par son oncle AS-SAQQATI et par le théologien Harith MUHASIBI (d. 857 AD), Junayd passe pour le rénovateur rigoureux de la rhétorique soufi. Il épure les annales de shath (discours extatique) de ses pairs en en donnant des interprétations soufies rigoureuses : il reconnait les indéniables qualités de « coeur » des soufis du Khorasan, auxquels cette école dialectique « renovée » de Bagdad se confronte.

Féru de Fiqh shaféite, il consolide l’exégèse soufie en la discutant sur le mode dialectique cher à son oncle, mais abore rendre la justice coutumière. Il fréquente un temps les juristes contemporains éminents Abu Muhammad RUWAYAM (d. 915 AD) et Omar Bin Osman « MAKKI » (d.909 AD, un des deux maitres d‘HALLAJ), eux mêmes des soufis notoires. Le discours quasi-puritain de Junayd « BAGDADI » hiérarchise les états (Nafs) , L’Unité (Tawhid), il décrie les limites des excès et élude « l’ivresse » si chère à HALLAJ. Junayd fut trés écouté au Bazar de Bagdad et son aura était considérable. A sa suite, on recense par exemple Abd al Husain NURI (d. 907 AD) , Abul Abbas Bin ATA (d. 922 AD) ainsi que les illuminationistes Mansour HALLAJ (d.922 AD) et Abu Bakr SHIBLI (d. 945 AD). L’orthodoxie de Junayd alimentera celle d’Abd el Kader AL-JILANI ( branche Qadiriyyah) et Ahmad AR-RIFAI ( branche Rifaiyyah).

Par essence, cette sobriété est l’apanage de la seule élite des Junaydi, mais la branche

Kazeruniyyah (« Morshediyyah ») de Shiraz, partagée par les tendances centrifuges de ses compatriotes malamati contemporains, demeura indécise dans ce débat et préfèra embrasser les deux écoles. La « Morshediyyah » n’est donc pas , à proprement parler, un ordre extraverti ou populaire. On peut donc s’étonner de sa quasi-contradiction avec les idéaux Khāksārs. Par cette juxtaposition du lignage soufi shirazi avec le lignage malamati [FIGURE 4.4], c’est toute la descendance spirituelle de la chaine qui bifurque alors dans celle des branches indiennes de notables de la Kazeruniyyah et de la Morshediyyah. Cette poursuite généalogique étaie la relative solidité du reste du travail d’ADHAMI. On peut notamment le rapprocher du lignage dhahabiyyah-uweysiyyah « officiel » 107. La présence de MORSHED IBRAHIM et d’IBN KHAFIF dans la silsila Khahsar est en fait incongrue:

103 Cf [ANGHA, 1999]. 104 Cf [ANGHA, 2014] 105 Lire infra, paragraphes suivants. [ANGHA, 1999] parle de sheikh Morshed Eshaq Shahriyar “KAZERUNI” (966- 1034 AD), mais ils s’agit vraisemblablement de la même personne. 106 Cf [ANGHA, 1999]: Sheikh Hosein AKKAR, connu sous le nom de sheikh Hosein Ibn Muhammad Al-Huri « AL-FIRUZABADI » 107 Voir [ANNEXE 1]

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- elle dénie les antécédents soufis de Morshed Ibrahim « KAZERUNI » et le rattachent á un

lignage malalamati contre nature. Son lignage Junaydi est purement et simplement nié dans la silsila (FIGURE 4.1 et 4.4, 5.5).

- elle fait diverger la silsila dans un rameau soufi et non plus malamati, ni même qalandar

Abu Abdullah Muhammad IBN KHAFIF « SHIRAZI » fut enterré à Shiraz, au lieu dit Darb-e Shazadeh108. 3.2.4.1 « Shah Abd’allah AL-KAF »

La silsila Khāksāriyyah compte encore un autre maillon énigmatique dans le lignage d’

Hamdun AL-QASSAR en « Shah Abd’allah AKAF » [FIGURE 4.1, maillon nr. 20], parfois appelé « Palandouz » (« le sellier »). Toraj ADHAMI109 a déduit qu il s agissait en vérité d’un sheikh soufi peu connu de Noran (Khorasan): le sheikh Abu Nasr Abd’allah Bin Ali AS-SERAJ « AL-TOUSI », un disciple dAbu Said Abul KHAYR, dit « ABU SAID » (967-1049 AD) et d’Abul Fazl « AS-SALARTHI » et voici comment. Dans le monde arabe et indien, le patronyme « Seraj » (tanneur) est effectivement une corruption courante des patronymes des selliers (persan « palandouz », « akaf » ) et des cordonniers (persan « kafosh », « askaf » ). On sait peu de choses de ce AKAF, lui-même contemporain d’IBN KHAFIF, si ce n’est qu’il était versé dans les sciences islamiques et qu’il visita les lieux saints de Bagdad, Antakie, Bastam, Shushtar, Tabriz et Damas. Il est enterré à Noran, pres de Tous. Il existe un maillon homonyme « PIR PALANDOUZ » dans la silsila d’Or des dhahabiyyah-uweysiyyah, [ANNEXE 1], mais il s’agit en fait du sobriquet d’un autre derviche, Muhammad Mozareb « KARANDEHI », bien plus tardif (d. 1627 AD). 3.2.4.2 Ibrahim MORSHED "KAZERUNI" : la Morshediyyah (Fars) et ses khatibs

Abu Abd’allah Al-Shirazi Al-Dibbi As-Shafei Al-Sufi « Muhammad » IBN KHAFIF110 Asfakshad (d.982 AD) était un éminent intellectuel soufi sunnite de Shiraz, disciple des soufis Abu Muhammad RUWAYAM (d. 915 AD, juriste notoire de Bagdad, mais d’obédience malamati « zahiri »), Abul Abbas IBN ATA, IBN SURAYJ, et « AL-JARIRI » . IBN KHAFIF était contemporain d’AL KAF et de Mansur HALLAJ. Omis ou confondu dans la silsila des Khāksārs-Jalali, il n’est pas oublié à cet emplacement de la « même » silsila des branches Dhahabiyyah et Shahmaghsoudiyyah . Surnommé par elles le « sheikh Kabir » ou le « sheikh al-Islam », , leurs membres se souviennent de sa branche comme la Khafifiyyah-Uweysiyyah.

Concernant IBN SURAYJ, , les informations sont contradictoires sur la succession ou l’antécédent spirituel á l’endroit d’IBN KHAFIF. Contemporain de MORSHED IBRAHIM « KAZERUNI », IBN KHAFIF fit ériger à Shiraz un ribat (fortin – retraite monacale) oú il fonda sa propre école mystique, universellement reconnue pour son influence sur la Kazeruniyyah puis dans le lignage de la Sohrawardiyyah111. On le surnomme aussi « sheikh al-kabir » et c’est peut être cette voie qui est également connue sous le nom de Kabiriyyah.

Sur fond de rivalité entre ecoles shafé’ites, les soufis de Shiraz trouvaient éventuellement un

attrait particulier á la futuwwat corporatiste112 (akhisme, malamatis, bistamiyyah), puis, dans une 108 Cf [ANGHA, 2014] . Ce nom signifie « Porte du Prince » 109 Cf [ARBERRY, 1966] 110 Cf [ANGHA, 1999].: Connu sous le nom de sheikh Morshed Eshaq Shahriyar “KAZERUNI” (966- 1034 AD), né à Navard . Bien connu pour avoir été le maître spirituel de RUZBEHAN, mais vraisemblablement, tous deux ne furent pas non plus contemporains. Morshed Eshaq Shahriyar “KAZERUNI” a porté la khirqah Uweysi prés de 20 ans . Il devrait son surnom de « morshed » ( litt. « juge ») à « ses efforts bien connus pour propager le Soufisme islamique ». 111 Cf [HANIFF, 2002] 112 Cf [HANIFF, 2002]

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seconde phase, la démarche d’IBN KHAFIF devint purement intellectuelle et s’apparenta davantage á celle de ses maitres Junayd « BAGDADI » et Mansour HALLAJ, dont il ne semble pas avoir tranché le dilemne. En conclusion HANIF résume la mystique de IBN KAFIF comme suit :

- Le dénuement, imitation du Prophéte, est préfèrable du point de vue au matérialisme - le fakr ne fait pas de tout démuni un soufi, pas plus qu’il ne fait du soufi un saint (IBN

KAFIF dédit ainsi l’argument central des « voies courtes ») - le ghalaba (« instant » ) est impropre á résumer l’essence de l’extase (hal), et par

conséquent celle de la sainteté. - La raison est un état (nafs) indéfini. L’ivresse ou la transe (hal) sont préférables á la

seule sobriété.

L’activité du ribat d’IBN KHAFIF perdura au moins jusqu’au début du 13ème siècle. C’est á son disciple Hosein AKKAR113 (d. circa 1006 AD ) que fut confié le jeune Ibrahim « KAZERUNI » [dit ici « Shahebrahim » FIGURE 4.1, maillon nr. 21], alors qu’il n ‘était qu’un adolescent lettré114. De Kazerun, il l’emmena avec lui á Shiraz. Le sheikh Ibrahim MORSHED "KAZERUNI" , dit "MORSHED IBRAHIM" est né en 352 AH-c (circa 960 AD) à Arjan, Fars115. Formé par IBN KAFIF et Hosein AKKAR, il fonda á son tour un ribat et un lignage soufi homonymes au Fars. Il serai décédé en 400 AH-c (circa 1008 AD) á Shiraz, Fars116. Ce sheikh est relativement connu des annales historiques, mais quelques détails biographiques divergent117. "MORSHED IBRAHIM" est surtout connu comme le maitre spirituel du fameux soufi sheikh Abu Abdollah Ruzbehan BAQLI « SHIRAZI » (d.1209 AD), figure emblématique du soufisme de Shiraz. De toute évidence, il n’a pas pû être son contemporain. Bien qu’il fussent tous deux du Fars, les deux hommes sont en fait liés par une courte silsilah : la silsilah “Morshediyyah / Khatibiyyah.

La silsilah “Morshediyyah” du sheikh Ibrahim MORSHED "KAZERUNI" émergea à Shiraz: il

y fit eriger son ribat, lequel demeura en relation avec celui de son contemporain IBN KAFIF au moins jusqu’au 13ème siècle. On trouve effectivement la trace de cet ordre soufi sous les noms de Kazeruniyyah, d’Ishaqiyyah118, ou parfois, sous le nom de sa branche au Fars : la Ruzbihiniyyah. L’ecrivain HAFEZ « SHIRAZI » fut un membre notoire de la branche anecdotique Ruzbiniyyah. Pas precisément des errants, donc.

Le lignage se répandit pendant près de 300 ans, essentiellement parmi les khatibs (precheurs ou chroniqueurs, selon les traductions) persans au Fars, puis migrant vers l'Inde du Nord119. Il est effectivement connu en Inde du Nord et en Anatolie sous le nom de Kazeruniyyah et aurait pénêtré l’Anatolie au 14ème siécle. "MORSHED IBRAHIM" (« KAZERUNI ») devint le saint

113 Sheikh Hossein AKKAR, de son vrai nom: Hossein Ibn Muhammad AL-HURI “AL-FIRUZABADI” (d.1000 AD). Il s’agit d’un sheikh soufi persan bien connu au 11ème siècle dans la silsila kubrawi. Cette dernière se souvient qu’il a coopté le sheikh Abu Eshaq Shahriyar «KAZERUNI » comme son successeur dans la Voie kubrawi. Cf [ANGHA, 2014]. 114 Cf [ADHAMI, 1958] , op. cit. id. 115 A cet endroit, il y a des incohérences de dates et de noms avec l’hagiographie dhahabi : les silsila d’ [ANGHA, 1999] et [ANGHA, 2014]: y situent bien un « sheikh Moshed », mais sous le nom de sheikh Moshed Eshaq Shahriyar “KAZERUNI” (966- 1034 AD), né à Navard, Fars . Contemporain du sheikh AKKAR, il s’agit sans doute du même, mais dont les silsila ont éventuellement corrompu certains détails…. sheikh Moshed Eshaq Shahriyar “KAZERUNI” a porté la khirqah Uweysi prés de 20 ans. Il devrait son surnom de « morshed » ( litt. « juge ») à « ses efforts bien connus pour propager le Soufisme islamique ». [ANGHA, 2014] indique à cet endroit qu’ Eshaq Shahriyar “KAZERUNI” est également parfois surnommé Sheikh Ghazi, « le sheikh combattant ». 116 Cf [ADHAMI, 1958] , op. cit. id. 117 Cf [ADHAMI, 1958] , op. cit. id. 118 Etaie la vraisemblance de Morshed Eshaq Shahriyar “KAZERUNI” chez [ANGHA, 1999]: 119 Cf [ADHAMI, 1958], op. cit. id.

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patron des marins120 – NLDR : musulmans- des mers d’Inde et de Chine, et, á ce titre sa zawiyyah de Shiraz fut florissante á la faveur du nombre impressionnant des ex-voto des marins du Fars meridional . C’est pourquoi on cite parfois la Kazeruniyyah comme un antécédent notoire de l’assurance maritime !

Etonnamment, ADHAMI établit ensuite une filiation spirituelle inattendue entre Ruzbehan BAQLI et Jamal ad Din AS SAWADJI (fondateur mythique de la Qalandariyyah) 121. Shah Jamal Din "Chermineh Push", dit "Shah Jamal Al-Mujjarad", un khatib qui embrassa l’ascètisme sur le tard, contribua á diffuser la Morshediyyah à Hansi (Inde). Comme illustré sur la FIGURE 4.4 , Toraj ADHAMI a tracé au Pakistan un lien avec la lignée clanique de khatib , tous descendants du célêbre juriste sunnite Nuban Ibn Thabit « Abu » HANIFA « KUFI » (699-767 AD), fondateur du hanafisme. Abdel Karim fut célêbre dans la silsila dite « morshediyyah » ( litteralement « (la voie) des Maitres » ). Sheikh uweyssi-dhahabi de la silsila dhahabi, on s’y souvient de cet homme comme d’un « homme de science » sous le nom de Khatib Abolfath Abolkarim (d.1050) 122.Son fils Taj Al-Din Abdul « Mir Hossein » 123 fut Khalifeh des khatib pendant de trés nombreuses années, et sa silsila diverge vers ce qui deviendra vers la Danyaliyyah124.

Cependant, à cet endroit, il est interessant de préciser que la silsila dhahabi125 trace la succession de Khatib ABOLKARIM (d.1050) de façon détaillée jusqu’à la ruzbihiniyyah: lui succéda l’énigmatique Ali Ibn « BASRI », qui, selon ANGHA, passa sa vie en Egypte. Son successeur fut Serajeddin Abolfath Ibn Mahmudi « Sabuni » BEYZAVI (b.1106), qui séjourna en Egypte. Les Dhahabi se souviennent de ce dernier comme le maître effectif d’Abu Abdollah Ruzbehan BAQLI « SHIRAZI » (d.1209 AD) dans leur silsila, et plus vraisemblablement comme son contemporain. Cette dernière chronologie entre les maîtres du 12ème siècle est contradictoire de celle d’ADHAMI126.

120 Cf [HOUTSMA, 1993] 121 Cf [ADHAMI, 1958] , op. cit. id. 122 Cf [ANGHA, 1999] , op. cit. id. 123 Cf [ADHAMI, 1958] , op. cit. id. 124 Cf [ADHAMI, 1958] , op. cit. id. 125 Cf [ANGHA, 1999]. 126 Voir la version d’ADHAMI, infra, FIGURE 4 et 5. Les incohérences entre [ADHAMI, 1958] et [ANGHA, 1999] indiquent que cette partie de la silsila est soit particulièrement corrompue, soit mal connue. Les incohérences sont nombreuses, et leurs maillons s’y avèrent assez obscurs… Chez [ADHAMI, 1958] , le nom de Khatib Abolfath Abolkarim (d.1050) n’est pas explicite. Ses sourcesl évoquent plutôt un court lignage des khatib méconnus jusqu’à Ahmad Ibn Al KARIM, prédecesseur méconnu de Abu Abdollah Ruzbehan BAQLI « SHIRAZI » (d.1209 AD). Après BAQLI SHIRAZI, les deux silsila divergent définitivement : c’est le sheikh Najmuddin KUBRA (d.1221). qui y succède à Ruzbehan BAQLI « SHIRAZI » dans la silsila dhahabite.

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Abu Najib SOHRAWARDI d. 12xx

SOHRAWARDIYYAH Azerbaijan

Qutbuddin KABIRI

Shihabdin SOHRAWARDI d. ???

Bagdad

Jalal Ad Din TABRIZI d. ??? Omar Ad Din NAGORI d. 1246 Hurum Din Mubarak GHAZNAVI Bahauddin Zakariya MULTANI d. ??? Bengal Nagore Multan

23 Jalal Ad Din SURKPOSH d. 1291 Sheikh Sadr Ad Din ARIF d. ???

JALALIYYAH Uzbekistan Multan

Amir KABIR Rukn Ud Din Abul FATEH d. 1334 Amir Husein HUSEYNI d. ???

Multan Multan

Mubarak GILANI d. 1576 Jalal Ad Din JAHANGASHT d. 1384 Usman SAYYAH d. 1338

HAQQANIYYAHLahore MAKHDUMIYYAH Uchch Punjab

Sheikh Hamza SAHIB d. 1384 Kabir ad din ISMAIL Lahore Miran Muh’d Shah Mawji DARYA BUKHARI ILahore) Sheikh Samra Al Din Sh.Sadr Ad Din ”RAJU QATAL” d. 1453

SAHIBIYYAH Uchch TCHIHIL TAN MIRANSHAHIYYAH ca. 1600 MURTAZAVIYYAH Uttar pradesh

Sheikh Jamali” d.1536 JANIYYAH Shah-i-Alam” d. 1475

JALALIYYAH Gujrat

Baba Daud KHĀKI d. 1616 Ashgar

ALI (Inde)

KHĀKIYYAH Kashmir Shah KHĀKSĀR” Ca 1650 Shah Abdur RASUL KHĀKSĀRIYYAH (*) Gujrat RASULIYYAH

Mulana Khahi RISHI d. 1672 KHĀKI-RISHIYAH Kashmir

40 Mir Makhsum Alishah Khāksār „HINDI“ Hafiz M.Ismail dit Miyan Wa’da Musa Shahi SUHAG Ahmedabad

KHĀKSĀRIYYAH Cachemire

ISMAIL SHAHLIYYAH SUHAGIYYAH d. 1489

FIGURE 4.6 : Figures sohrawardi de la Jalaliyyah selon [RIZVI, 1978a]..

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3.2.4.3 Shah Jamal « Chermineh Push » d’ Hansi (Inde) : un maillon chishti

Le dernier maillon explicite, avant Jalal Ad-Din Heidar BUKHARI [FIGURE 4.1, maillon nr. 23], dans la silsila jalali-Khāksāri de [SOLTANI, 2001] est l’énigmatique Shah Jamal « Chermineh Push » (litteralement « pelisse de cuir ») [FIGURE 4.1, maillon nr. 22], également surnommé « Mujarad » ( litteralement « le celibataire ») dans ces silsila . Ces deux surnoms contribuent à le présenter comme un renoncant extrême. ADHAMI a etabli que Shah Jamal « Chermineh Push » etait en fait le fils du khatib Taj Al-Din Abdul « Mhossein » - comprendre « Mir Hosein ») et que, fort de sa lignée « murshediyyah », il contribua essentiellement á promouvoir la voie Danyaliyyah127 dans la localité d’Hansi, état actuel d’Haryana, en Inde. Sur la FIGURE 4.4 , on ne peut que présumer de sa proximité et de l’influence sur Jalal Ad-Din Heidar BUKHARI...autant dire qu’on reste un peu sur sa faim.

Par recoupements successifs avec l’hagiographie soufie d’Hansi, nous y avons bien identifié un fameux fakir Shah Jamal HANSAVI , egalement appelé « Qutb JAMAL » au 13ème siècle, lequel descend effectivement de Nuban Ibn Thabit « Abu » HANIFA « KUFI » (699-767 AD). Il fut d’ailleurs khatib de cette contrée, mais, selon l’hagiographie populaire, renonca vers l’age de 50 ans, aux tres nombreux biens de cette charge pour finalement suivre la voie de renoncement de la chishtiyyah, sous l’égide de l’éminent sheikh chishti Farid ud-din « GANJSHAKAR » dit « Baba Farid » (1173-1266 AD), lequel l’aurait cotoyé pas moins de 12 ans. Shah Jamal HANSAVI se serait illustré par une ascèse extrême, au point que le sheikh sohrawardi Bahauddin ZAKARIYYA “MULTANI” (1170-1267 AD), l’ayant visité, aurait sollicité son afiliation à la Sohrawardiyyah auprès de Fariduddin « GANJSHAKAR » , son mentor dans la Chishtiyyah. 3.2.4.4 La Danyaliyyah

Selon [ADHAMI, 1958] l Danyaliyyah est un lignage anecdotique de morsheds issus des khatibs indiens. La silsila émana de la Morshediyyah du sheikh Ibrahim MORSHED "KAZERUNI". Elle se répandit á Bukhara, puis au Nord Pakistan et dans l'ouest de l'Inde. Ses membres intégrèrent progressivement avec la Qalandariyyah.

3.2.5 L’ affiliation à la Sohrawardiyyah

Si la Khāksāriyyah n’est pas une taifa naturelle de la Sohrawardiyyah, sa silsila prétend néanmoins que la branche centrale jalali de l’ordre a en fait fédere de nombreux qalandars epars, autour de la personne de Jalaluddin Shah Mir SUHRKOSH « AL BUKHARI » [FIGURE 4.1, maillon nr. 23], ou éventuellement du personnage charismatique de Lal Shahbaz QALANDAR128. Christiane TORTEL129 s’est echevelée á clarifier les connexions entre la Khāksāriyyah et les branches intermediaires marwandiyyah et makdumiyyah. A défaut d’etre certaine, la réponse la plus documentée est sans doute le lignage via les ascètes cachemiri Khākiyyah - rishiyyah, abondamment décrit par ADHAMI130.

Mais la Sohrawardiyyah avait elle même une histoire complexe, au regard de laquelle nous nous

efforcons ici de comprendre la réalité de cette affiliation. Nous allons le constater ci dessous, la jalaliyyah n était pas un cas isolé en Inde du Nord: la Marwandiyyah, la Miran-shahiyyah, la Suhagiyyah... c est tout une constellation de groupes tres hétérodoxes qui s’affilient spontanément á la même époque au charisme de la branche de Bahauddin ZAKARIYYA “MULTANI”. Concrètement, l’afiliation á la jalaliyyah est consommée au plus tard avec Daud « KHĀKI » RISHI et les Rishi - jani de la silsila actuelle de la Khāksāriyyah. 127 Cf [ADHAMI, 1958] , op. cit. id. 128 Cf [ADHAMI, 1958] , op. cit. id. 129 Cf [TORTEL, 2009] 130 Cf [ADHAMI, 1958] , op. cit. id.

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3.2.5.1 Antécédents de La Sohrawardiyyah en Inde Pour mémoire, la sohrawardiyyah est l’ordre mystique orthodoxe fondé dans le sillage du

philosophe 'Abu al Najib As-SOHRAWARDI (d. 1168), disciple d’ AL-GAZALI natif de Sohraward (Azerbaijan), par son neveu Abu Hafs “Umar” As-SOHRAWARDI (1144-1234 AD). Mais c’est surtout la pensée brillante de Shahab-ad-Dîn As-SOHRAWARDI (1155-1191 AD) qui l’habite, laquelle fédérait la philosophie avec le gnosticisme pré-islamique et la sagesse zoroastre. Telle que l’a interprété CORBIN, sa pensée dépasse le simple contexte du confrérisme, et il est unanimement reconnu comme un philosophe majeur.

L’organisation se répand rapidement en Iran, en Afghanistan et en Inde, dans les limites d’un certain élitisme. On ne peut ignorer que le mysticisme complexe d’As-SOHRAWARDI dédiait a priori cet ordre aux élites intellectuelles, davantage qu’aux errants. SYUHUD131 a décrit le fonctionnement de l’ordre en Inde comme relativement orthodoxe, confronté au succés des voies hétérodoxes, et notamment à l’ascétisme. Dans un premier temps, il s’établit solidement au Sindh.

L’orthodoxie sohrawardi se défend à priori de toute déviance malamati. Bien que Bahauddin

Zakariya "MULTANI" aborât en fait les Qalandars dans son entourage, il toléra Fakr Ud Din "IRAQI" et sheikh Usman "MARWANDI" dit "Lal' Shahbaz Qalandar" parmi ses disciples. L'hagiographie populaire prétend même que ce dernier devait son patronyme de "Shahbaz" (faucon) à Bahauddin Zakariya "MULTANI" en personne132. L’hagiographie des grands sohrawardi indiens regorge pourtant d’allusions elliptiques à l’ésotérisme corporatiste persan (javanmardi) et au qalandarisme. Comme si le sceau des malamati pouvait finalement légitimer les sohrawardi parmi les autres soufis indiens. : les hospices khanqah de la Sohrawardiyyah de Multan et de Dehli hébergeaient chroniquement des errants chishti et qalandars [SYUHUD, 2008]; d’autre part, ses sheikhs promouvaient la retraite khalwat pour ses vertus. Le cumul des khirqa et des obédiences était d’ailleurs fréquent.

Etrangement, la Sohrawardiyyah a attiré des hétérodoxes tels que les qalandars Fakr Ud-Din

“IRAQI”, l’ascète Usman Sayyah “SUNNAMI” – un disciple charismatique de Rukn Ud-Din Abd Fath “MULTANI” –, Baba Muthahharudin Awliya « AS-SOHRAWARDI » de Tiruchirappuli , dit « Natthar VALI » (confrerie « natthariyyah ») et ses qalandars, et Lal Shahbaz QALANDAR, fondateur marginal de la Chishtiyyah-Marwandiyyah à Sehwan Sharrif.

Comment expliquer historiquement un tel pouvoir d’attraction ? Hormis Michel BOIVIN, personne ne semble s’etre jamais interrogé de l’adhésion contre nature et pourtant si repandue de qalandars hétérodoxes à la Sohrawardiyyah, et, dans une moindre mesure à la Naqshbandiyyah indiennes. Ce fait est admis sans qu’on s’interroge sur sa raison. Une partie de la réponse tient sans doute á la structure de la Sohrawardiyyah en Inde au 13ème siècle : dés son introduction, celle-ci se ménage la faveur des souverains locaux. Elle se fait fort d’islamiser le pays et le prosèlytisme devient sa mission prioritaire. Le cas de Sehwan Sharif montre bien à quel point les objectifs de sa mission de conversion l’ouvrent à un débat inter-religieux avec les hindouistes, les ordres mendiants, le clergé shivaite, les émigrants khorassani chiites, les lignages de seyyeds sunnites locaux, mais aussi avec les basses castes, les tenanciers des petits sanctuaires d’obédience shiaites, etc...

Une deuxième hypothèse tient à son modèle lui –même : la plupart des membres Sohrawardis sont des notables élitistes et se réunissent á domicile. Les membres « fakirs » de l’ordre, trés peu nombreux, vivent eventuellement dans des khanqahs érigées par des fonds privés. L’activité de mendicité n’existe virtuellement pas chez les Sohrawardis, et les membres se recentrent clairement sur le développement personnel. Ce modèle orthodoxe a fréquemment pris le dessus dans les terroirs ou la survie matérielle-meme des errants n’etait plus pérenne – je pense au Yémen actuel, par exemple - . On peut donc imaginer que le modèle sohrawardi ait connu un certain succès parmi les qalandars, par exemple dans un contexte économique particulièrement difficile.

131 Cf [SYUHUD, 2008] 132 Cf [SYUHUD, 2008]

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Cette quête syncrétique est précoce, au point que [SUBHAN 1938] catégorise les branches sohrawardi, selon qu’elles sont effectivement Be-shara (hétérodoxes) ou Ba-shahra (orthodoxes). Si on prend du recul le sohrawardisme s’est divise en 4 courants :

- le sohrawardisme ancien, perpétue essentiellement en Inde par des ordres plus ou moins

malamati (iraqiyyah, jalaliyyah) . dans le contexte de la Khāksāriyyah, c est la principale mouvance qui nous intéresse.

- le soufisme « safi », n’est pas un sohrawardisme à proprement parler, mais simplement lié

á sa silsila. Il accomodait á son origine le soufisme orthodoxe avec des milieux anatoliens proches de l’alevisme (bayramiyyah, safiyyah, ) .

- le sohrawardisme zahabi-kubrawi, illuminationniste, qui met la vision mystique au centre

de son discours (Kubrawiyyah, Mevleviyyah) . Nous allons voir une interraction fugitive de la Khāksāriyyah avec ce lignage au Cachemire.

- le khalwatisme ; pas vraiment non plus un sohrawardisme...mais plutot une voie semi-

érémitique á present trés caricaturale. Trés influencée ensuite par la Mevleviyyah, ses innombrables avatars ottomans empruntent ensuite leur inspiration á son discours illuminationniste (ex : RUMI)

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3.2.5.2 De la Bukhariyyah á la Jalaliyyah (Inde)

3.2.5.2.1 Fondation de la Bukhariyyah A ce stade, la Jalaliyyah – FIGURE 4.2, 4- est le principal avatar orthodoxe de la

Sohrawardiyyah en Inde. Le soufi Jalal ud-din Shah Mir SUHRKOSH (1192-1291 AD) , parfois appelé Jalaluddin Shah Mir SURKHPOSH « AL BUKHARI » [FIGURE 4.1, maillon nr. 23], fonde la branche Jalaliyyah à Bukhara, puis, devenu veuf vers l’age de 40 ans, la diffuse dans le Nord de l’Inde [YASIN, 1958]. Leur silsila historique est donc davantage suhrawardi que chishti. [ADHAMI, 1958] a rapporté ensuite un développement généalogique aussi développé que méconnu: la Jalaliyyah, et la Khāksāriyyah, fascinantes s’il en est par leur syncrétisme, revendiquent á présent la silsila imamite commune complète, remontant à Salman FARSI, [FIGURE 4.1], relèguant ainsi sa composante sohrawardi-mere historique au second plan. [ALISHAH, 1956] évoque ce lignage de façon un peu elliptique. Nous nous sommes efforcés de detailler cette généalogie « salmani-abu-torabi » d’ADHAMI [FIGURE 4.1]. Ce détail participe á notre constat de mutation hétérodoxe radicale de la Jalaliyyah-Makhdumiyyah, evoque au paragraphe 3.2.5.2.2

Parvenu au Punjab vers 1236 AD, Jalal ad-din « SURKHPOSH » s’installa à Bhakkhar

(Sindh), puis Uchch (Sindh)133 et fonda une dynastie sohrawardi à travers le Sindh, le Gujarat et le Punjab. A ce titre il contribue pleinement á la mission prosèlyte de la Sohrawardiyyah en Inde : la piété populaire l’associe à ses trois contemporains : le chishti Baba Farid GANJ SHAKAR (Bombay), le marwandi Lal Shahbaz QALANDAR (Sehwan Shariff) et le sohrawardi Bahauddin ZAKARIYA « MULTANI » (Multan) comme les « tchahar yaar » (litt « les quatre compagnons ») soufis ayant islamisé le Nord de l’Inde. Shah Mir SUHRKOSH se réclamait du sheikh Bahawal HAQ, dit « SHIR QALANDAR », un saint sohrawardi de Multan, à present enterré lui aussi à Uchch. Jusqu’à nos jours, les Khāksārs d’Iran se souviennnent du personnage comme d’un saint miraculeux, qui comptait, parmi d’autres, un don d’ubiquité remarquable134.

Shah Mir SUHRKOSH apparaissait notamment sous la forme de sept ou de quarante

hommes135. Pour certains Khāksārs, il serait par exemple enterré en des lieux multiples, tels que les cimetières nommés Haft Tan ( « les Sept ») 136 et Chehel tan (« les Quarante ») à Shiraz137.

133 Cf [Sah ABIDI, 1992] 134 Rapporté par [TAHERI, 2012] , ce trait de caractère est fréquent dans l’hagiographie de grands saints fondateurs de la tradition turkmène, tels que Ahmad YASAVI (Kazakstan) et Hajji BEKTASH (Anatolie). 135 Collusion probable avec d’autres légendes pieuses du monde persan, comme par exemple :les Quarante qui accueillirent le Prophète MUHAMMAD lors de son Miraj, ou bien les Quarante innocents qui soignèrent FATEMEH. Ce des mythiques « Quarante » rencontrés par le Prophète MUHAMMAD lors de son ascension. Selon les Khaksars d’Iran, ils lui ont remis une Khirqa que ces derniers se transmettent depuis. 136 [TAHERI, 2012] Collusion probable avec la légende pieuse des Sept dormants d’Ephèse. 137 [TAHERI, 2012]

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FIGURE 4.7.Danse giratoire des fakirs Bodlo BAHÂR à Sehwan Shariff, Pakistan.(source: M. BOIVIN)

FIGURE 4.8. Travestis hijras musulmans dans la dargah Hajji MALANG, Bombay [Firooze SHAKIR. 2006]

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D’autres croyances plus fantaisistes croient savoir que le mausolée de Torbat-e Heidariyyeh serait le sien138, et non celui de Qotb od Din HEYDAR « AS-ZAVEHI»139, comme habituellement admis. Rarissime en Islam, la réincarnation est un élément hétérodoxe qui rapproche de fait les Khāksārs des Ahl-e Haqq du Kurdistan iranien.

Essayons de comprendre comment la Jalaliyyah a pu éventuellement engendrer la

Khāksāriyyah. L’histoire retient que Jalal ad-din « SURKHPOSH » descendait d’une silsila « khorasani »140, vraisemblablement en référence à un lignage de sa’adat plutôt qu’à un lignage soufi, de type « khirqa ». De par des débuts plutôt orthodoxes, essentiellement parmi les seyyeds d’origine bukhariote du Punjab, l’ordre de Jalal ad-din « SURKHPOSH » était alors répertorié ba-shahra (orthodoxe). Jalal Ad-Din KABIR “Makhdum-i-Jahaniyan” (1308-1384 AD), et vraissemblablement petit-fils de Jalal Ad-din SURKPOSH, fut ensuite un saint homonyme non moins orthodoxe de cet ordre. Son charisme vaudra á cette branche de l’ordre le nom de «Makhdumiyyah » .

Aucun des deux Jalal Ad Din, par son hagiographie, ne peut justifier l’émergence de

Qalandars hétérodoxes et, de surcroit, chiites pour nombre d’entre eux, si ce n’est , supposément, à l’arrivée de Jalal Ad-Din KABIR “Makhdum-i-Jahaniyan” à la tête de la khanqah sohrawardi de la ville de Sehwan (voir parag 1.5.3). Pourtant l’ordre présenta á partir du 16ème siècle dans certaines branches quelques dérives: similaires aux Madaris par leur aspects, certains « Jalalis », également appelés “Jahalis” au Punjab. Ce furent des fakirs chiites qui s’opposèrent au sunnisme des madaris141. Ils étaient souvent vétus de rouge , ce qui ramène au sens premier de « Surkh push » (pelisse rouge). Mais cet indice est confondant car il est surtout l’attribut explicite des fidèles derviches de Lal Shahbaz « Qalandar ». De déductions en syllogismes, TORTEL s’est peut etre fourvoyée en recherchant dans l’ordre marvandiyyah un lien de lignage, voire de patronnage 142...

D’autres témoignages décrivent ses disciples plutôt comme devêtus, ils ne respectent

néanmoins pas les jeuns orthodoxes, ils ont adopté le rasage (tchahar zarb), les décoctions de hashish (bhang) et ils mangent les scorpions ou les serpents. D’autre portent l’habit rouge en référence au nom de leur maître ( Surkh Posh = pelisse rouge). Par ailleurs, nous avons rapporté dans la deuxième partie du présent article, par quelle anecdote, selon leur propre rhétorique, l’usage extensif de l’olifant – par exemple pour la mendicité - les lie symboliquement à l’Imam ALI143. SAHEEB et ASSAYAG ont tous deux rapportés des temoignages récents de dérives fakiristiques spectaculaires (mortifications publiques, ou rathib bazi, trés proches des dikhr démonstratifs des Rifaiyyah ou des Rifai- Sadiyyah144.

138 Cette confusion naît de l’homonymie « HEIDAR ». [TAHERI, 2012] cite cette croyance chez Richard GRAMLICH dans “Die Affiliation der Ḥāksār,” dans “Die schiitischen Derwischorden Persiens” (Wiesbaden, 1965). 139 L’homonymie ne saurait justifier cette confusion. Qotb od Din HEYDAR « AS-ZAVEHI» (d. circ 1200 AD) est le saint fondateur de l’ordre hétérodoxe Heidariyyah au Khorasan. Son mausolée est situé au centre de Zaveh (l’ actuelle Torbat e Heidariyyeh, au Khorasan méridional d’Iran). L’ordre et son leader sont tous deux contemporains de sheikh AS-SAWAJI de Saveh (province de Saveh), et les historiens tiennent à ce titre la Heidariyyah comme une branche de l’ordre Qalandariyyah de ce dernier. 140 Cf [TORTEL, 2009] : « La nomenclature silsila (...) montre que la branche bukhariote a bien porté le nom de Jalaliyyah, mais trés tard. Elle est cataloguée jusqu’á cette époque sous le nom de « bukhariyya- hussayniyya » ou de « bukhariyya-murtazaviyya » des appellatifs qui exaltent l’origine imamite de la lignée » » 141 Cf [KARAMUSTAFA, 1994] 142 Cf [TORTEL, 2009] : « Beaucoup d’intouchables sont passés au qalandarisme, dont les balayeurs. Les balayeurs ont pour patron Lal Beg, le « prince rouge ». Ce Lal Beg est l’avatar islamise de Lal Bhik, le « moine rouge ». Le « moine rouge » est SHIVA, et lal Shahbaz, l’aigle rouge » passe pour en etre une réincarnation. SHIVA est le dieu qui danse. La danse fait partie des coutumes des qalandars en tout genre et des mendiants. Difficile de les distinguer des uns des autres sous leurs vêtements rouges et leurs grelots » 143 Cf [SAHEEB, 1996] 144 Cf [ASSAYAG, 1992]

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La principale branche, la Makhdumiyyah, fut fondée à Uchch, Sindh, par Jalal Ad-Din Hussain ben Ahmad KABIR, a.k.a. “Makhdum-i-Jahaniyan” ou encore « Makhdum Jahaniyya Jahangasht » ( « le globe-trotter ») (1308-1384 AD), ainsi nommé pour avoir visité les lieux saints. Reconnu de son vivant, ce disciple orthodoxe sohrawardi de Sadr Al-Din ARIF (a.k.a « Raju QATTAL » ) se voit confier la Khanqah–e Muhammadi de Sehwan Shariff. Ce meme Raju QATTAL, assez fameux et présumé orthodoxe, continua sa branche de la Makhdumiyyah, sous l’appellation de Murtazaviyyah (parag 1.6.5.3.1). Il serait en outre le père naturel de seyyed Muhammad « GESU DARAZ » ( hind. « longue boucle de cheveux ») , dit Khwaja BANDA NAVAZ ( 1321-1422 AD), un fameux disciple du maitre chishti Nasirud Din CHERAGH « CHISHTI ». Khwaja BANDA NAVAZ, de loin le saint chishti le plus vénéré au Karnataka (y compris des Jalalis actuels) abhorait les qalandars, qu’il condamna de facon univoque145. Il leur déniait notamment la supériorité à laquelle ils prétendaient.

Dés avant de développer ces liens eventuels avec Lal Shahbaz QALANDAR,

récapitulons les deux maillons Jalali contemporains de Jalaluddin Shah Mir SUHRKOSH, avérés dans la silsila Khāksār146.

- - Muhammad Bayazid, dit « SAID ED-DIN » ou Dad ALI SHAH « SARBEHREHNEH » (litteralement « tête nue» ) [FIGURE 4.1 , maillon 26 ] était le neuvième fils d’un seyyed nommé Nasreddin BUKHARA’I, présumément á Uchch au 12ème-13ème siècle. Ascète, il passa sa vie en retraite (chilla nashini) et refusa tout disciple. Trés populaire, il était connu pour exaucer les voeux. Selon [ADHAMI, 1958], le retour de ses reliques á Uchch (Multan) fut célêbre par le patronyme « Dad » ( litteralement « rendu » , « offert », etc...). Ce maillon ascétique semble indiquer que des le 12ème siècle, la khirqa de l’ordre Jalali était éventuellement déjá portée par un fakir. - - Seyyed Muhammad HEIDAR, dit Heidar Ali KALAN [FIGURE 4.1 , maillon 28 ] était en realité l’arrière petit fils de Jalal Ad-din SURKPOSH, né au Gujarat. En effet, Shah Muhammad GHAWTH, le propre fils de Jalal Ad-din SURKPOSH, migra d’Uchch au Punjab, et eut un fils nommé Ahmad BUKHARA’I. Ce dernier n’était autre que le père de Heidar Ali KALAN. Ce dernier grandit au Gujarat, ou il etait ne. Selon ADHAMI, il ne passa que peu de temps dans la khanqah jalali d’Uchch. Il s’établit ensuite á nouveau au Gujarat. Le seyyed Tabib « GUJRATI » fut son fils.

Nous allons le voir, la Jalaliyyah va connaitre une transition historique vers l’heterodoxie. Noter qu’en revendiquant son appartenance á cet ordre, la Khāksāriyyah revendique mieux qu’un simple lignage. Eut egard á la traduction de ‘jalal (Ar. gloire, paroxysme), elle adhère à son modèle post-illuminationniste147.

145 Cf [ASSAYAG, 1992] 146 Cf [ADHAMI, 1958] 147 Cf [ASSAYAG, 1992] : « Ainsi, par opposition aux Jamalis, qui , eux, s’efforcent de canaliser ou de supprimer le Nafs, la voie « brulante » des Jalalis s’efforce de les exciter et de les échauffer au plus haut degre afin d’epuiser ses energies. »

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3.2.5.2.2 La sa’adat khorasani , épine dorsale du modèle Sohrawardi sindhi La communauté khorasani du Sindh résulte de la migration, vers l’an 1000 AD, des réfugiés

des invasions mogholes au Khorasan et en Ferghana. Or, comme nous le mentionnons dans le paragraphe précédent, la notion de Sa’adat est essentielle dans la diffusion de ces branches sohrawardi. Michel BOIVIN distingue clairement l’élitisme des premiers sohrawardis dans les cercles de migrants khorasani (Nishapur, Sabzevar et Bukhara, pour les plus connus ) de Sehwan Shariff, qu’il oppose á un modèle hétérodoxe, ou marwandi, enraciné dans les basse castes de shivaites convertis. Dans le monde persanophone, le lignage de seyyeds bukhariotes dont Jalal ad-din « SURKHPOSH » est issu s’est répandu abondamment sous le nom de « NAGHAVI » (« AL-BUKHARI ») – ou encore « NAQVI » en Irak et en Jordanie - . En effet, il revendique un lignage imamite complet á la suite de l’Imam Ali AL-HADI AN-NAQI, le 10ème imam du chiisme duopdecimain, ainsi que les 9 imams qui l’ont précédé. Historiquement, il semble que cette Sa’dat se soit divisée en deux : les NAGHVI et les HUSEINI, ceci dit, la sa’dat étant en soi un groupe endogame, l’appartenance á ces sous-groupes est néanmoins difficile á établir.

- Les lignages NAGHVI Bien sûr, les lignages « NAQVI » declarés en Inde ont emprunté de nombreuses voies pour se diffuser. On distingue d’abord les lignages historiques dit « BUKHARA’I », « SABZEVARI » , la plupart revendiquant ce lignage « NAQVI » á travers de grands saints migrants de l’an 1000 AD. Par exemple : Abu Faraj « AL-WASITI », Mahmud MAKKI « TOOSI », Ali Arab « NISHAPOURI » SHAHID (d. 1236 AD), Jamal ud Din Zaid « WASITI » , Najm ud-Din « SABZEVARI » etc... Ayant particulierement prospère au Sindh (Multan, Uchch), - ex :sohrawardiyyah , jalaliyyah, chishtiyyah - mais aussi dans la construction sociale d’une sa’adat exclusive), les NAQVI se diffusent ensuite spontanément au reste du Sindh (Bhakkhar), au Gujrat (Ahmadabad), au Punjab et en Uttar Pradesh ( « NAGHVI SIRSI », « NAGHVI AMROHVI » ) dés le 14ème siècle.

-- le lignage « NAGHVI AL-BUKHARI»: est le clan NAGHVI qui revendique le lignage de Sa’adat de Jalal ud-din Shah Mir SUHRKOSH (1192-1291 AD). Certains descendants se réclament á present du clan JAHANIYA , d’après le nom de son petit fils Jalal ud-din JAHANGASHT JAHANIAN.

- - - le lignage NAGHVI « MAHMUD MAKKI »: Arrivant directement de Mashhad (Iran), Mahmud « MAKKI » Mahmud MAKKI (« TOOSI ») initia un lignage à Bhakkar (Sindh). Les seyyeds NAGHVI de Mahmud MAKKI « TOOSI » se sont diffusés de Bakkhar vers le Punjab et même parfois au Chakwal. Pour une raison historique inconnue, ils se déclarent á present du lignage « NAGHVI AL-BUKHARI»: .

- - le lignage NAGHVI AMROHVI : C’est á Saraf Ud Din SHAH VELAYAT (18 ème siècle), lui aussi de lignage NAGHVI, qu’on devrait leur diffusion à Amroha, en Uttar Pradesh. - - le lignage NAGHVI « GHARBI » SIRSI(VI) á Siri (Uttar Pradesh),: Les seyyeds NAGHVI SIRSI descendent de l irakien Zein « AL-WASITI » SHAHID au 13 ème siècle,et le lignage fut en outre renforcé par des nishapouris de souche. - - le lignage NAGHVI « SABZEVARI » , un lignage fondé au Sindh á la suite de Najm Ud-Din « SABZEVARI » (ca 1025 AD) . Prospère, le clan est particulièrement connu au Sindh, à Sehwan shariff, Allahabbad, Jais, Nasirabad...

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- Les lignages HUSEINI : Les clans chiites se sentent l’obligation de préciser qu’ils sont en outre « HUSEINI » , et l’appellation est indissociable de la plupart des khalifeh prétendus « SOHRAWARDI » en Uttar Pradesh. - Plus tardifs , les lignages GONA’I, HAQQANI et ANDALIBI locaux vont se developper, d’abord au Cachemire, á la faveur du revival soufi kubrawi-rishi des « HAMEDANI » (paragraphe 3.2.5.5.5), puis se rediffuser dans le Nord de l’Inde et vers l’Iran.

De nos jours, au Pakistan, ces lignages sont structurés en une constellation d’ associations

(Anjuman) « paroissiales » .

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3.2.5.3 L’hypothèse Marwandi Fondé par Lal Shahbaz QALANDAR (Tabriz, 1178 AD, Sehwan Sharif 1274/1323? AD) , un

qalandar charismatique qui se proclama soudainement être une incarnation du Mahdi. Son lignage spirituel est discutable : on le présente tantôt comme un qalandar, tantôt comme un sheikh de lignage sohrawardi, via le sheikh sohrawardi Baha ud-Din Zakariya “MULTANI”. La caste de seyyeds de Sehwan Shariff qui honorent son sanctuaire se revendique à present d’un lignage qadiri…. Le personnage, également surnommé Lal’- le rubis - ou le « faucon rouge », était fameux pour son habit de cette couleur.

Cet ordre trouve sa force dans une dévotion mahdiste originale. Les adeptes, ascètes hétérodoxes

extravertis habillés en rouge, se retrouvent annuellement au ziyarat de sa tombe, située à Sehwan Shariff, Sindh. A son instar, ils s’adonnent notoirement à l’alcool et aux hallucinogenes. Si on en croit Michel BOIVIN, cet édifice s’est substitué à un lieu de culte hindouiste sectaire de BHARTRARI ( divinité Shivaite) : les ascètes Pashupata, familiers de la danse et de rituels suicidaires, se réunissaient en effet sur les lieux-mêmes du ziyarat148. Celá explique probablement la transe possessive du rituel Dhammal qui est toujours observé dans le sanctuaire. L’aura de Lal Shahbaz QALANDAR s’etend jusqu’a la côte de la mer d’Oman, au point qu’il est une figure puissante de l’intercession auprés des Jinns dans les cultes balochis adorcistes de possessions suivants : « guati », « qalandar » et « pari ».

Enfin, quel peut etre le rapport entre Lal Shahbaz QALANDAR et le lignage Jalali ? Aucun si l’on

en croit la seule silsila jalali-Khāksārs-gholam alishahiyyah. Cette silsila souligne en effet autant le lignage qalandari de Jalal Ad Din BUKHARI – en la personne de Khatib Al din Ahm’d Qalandar - que ses ascendants sohrawardi eminents (FIGURE 4.1). On doit surtout s’interroger sur l’influence historique de la Marwandiyyah sur la Jalaliyyah. Les annales décrivent Jalal Ad Din BUKHARI et Jalal Ad-Din KABIR “Makhdum-i-Jahaniyan” (1308-1384 AD), comme des sohrawardis orthodoxes et trés puritains, tandis que Lal Shahbaz QALANDAR fut un qalandar tolere à la suite de Baha ud-Din Zakariya “MULTANI”. Or Jalal Ad-Din KABIR “Makhdum-i-Jahaniyan” (1308-1384 AD), apres tant de voyages pieux, fut precisémment designé par le sultan Muhammad Ibn TUGHLUQ á la tête de la khanqah sohrawardi de la ville de Sehwan.

« A notorious puritan, Makhdum Jahaniyan strongly deplored the Indian Muslim religious customs and ceremonies which had been borrowed from Hindus and were an Indian accretion. He urged that dervishes, Sufis, and ulama visit rulers and government officials in order to elicit assistance for the downtrodden sections of Muslims. He introduced among his disciples the spirit of the akhi and futuwwah (spiritual chivalry) organizations of Anatolia, Khurasan, and Transoxiana. After his death in 785/1384, he was succeeded by his brother, Sadr al-Din [NLDR: le saint connu sous le nom de Raju QATTAL], who achieved fame under his nicknames Raju and Qattal (slayer) for his militant evangelism. A grandson of Makhdum Jahaniyan moved to Gujarat and before long came to be known as Qutob-i Alam (The Pole of the Universe). He settled in Ahmadabad, the newly founded capital of an independent provincial ruling dynasty of Gujarat. He died in 857/1453 and was succeeded by his son, who came to be known by the illustrious title Shah-i Alam (The Emperor of the World), and was also called Shah Manjhan. Qutob-i Alam, Shah-i Alam (d. 880/ 1475) and their disciples made Gujarat a leading Suhrawardi Sufi center of India. »

[RIZVI, 1978a]

On le voit, Jalal Ad-Din KABIR “Makhdum-i-Jahaniyan”, entreprit de réformer le marwandisme

ambiant de Sehwan. Curieusement, sa branche Jalaliyyah-Makhdumiyyah , originellement d’obédience sohrawardi orthodoxe, fut submergée ensuite par le modele « errant », au point que les Jalalis sont

148 Voir [BOIVIN, 2005]

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aujourd’hui classés parmi les plus hétérodoxes. Au vu des nombreux cas contemporains d’affiliations d’errants , on peut se demander si ce changement ne s’est pas tout simplement opéré par l’assimilation progressive de nombreux errants d’obédiance marwandi, qalandar, etc... Par ailleurs, en l’absence de descente spirituelle légitime pour Lal Shahbaz QALANDAR, des lignages de seyyeds laïcs s’affrontent encore de nos jours pour le monopole du culte de Sehwan Sharrif, et notamment de la gestion du sanctuaire (Waqf) de Lal Shahbaz QALANDAR. [BOIVIN, 2005] y a recensé, par ordre décroissant d’ancienneté, un lignage dit « lakiari » de seyyeds originaires de Laki (20 km au Sud de Sehwan Shariff) , le lignage dit « bukhari », présumement d’origine ouzhbèke, le lignage dit « mathari », et enfin le lignage dit « sabzevari » de seyyeds originaires de Sabzevar, au Khorasan.

3.2.5.3.1 Les « Bodlo Bahar », ou « Taleb » (Sehwan Sharrif) : pure survivance shivaïte ?

Bodlo BAHÂR était un compagnon de Lal Shahbaz QALANDAR. Il était sans doute un habitant de Sehwan Shariff et devint son disciple à son arrivée. A ce titre, il incarne la piété populaire et les croyances antérieures des habitants du lieu. Autour de sa mémoire s’est constituée l’une des nombreuses sociétés de fakirs au service du sanctuaire de Sehwan Shariff : les « Bodlo BAHÂR », dit « talebs ». A ce titre, la communauté “Bodlo BAHAR” est constituée de gardiens ( “sajjâda nashin”), hors de tout lignage de sang de type “seyyeds”, qui co-gérent le Waqf de Lal Shahbaz QALANDAR. On sait d’ailleurs que cette société à un rite d’inititation de type “prise d’habit” qui rappelle essentiellement le rite de la Coupe ( ingestion d’eau à la coupe) des corporations javanmard, selon la description qu’en fait Michel BOIVIN. Les taleb de cet ordre sont surtout connus pour le tambour dhammal et la danse giratoire quotidienne associée, nommée lâl pheri ( “la giration du rouge”), qui n’est pas sans rappeler vaguement la giration des Semazen de la Mevleviyyah.

En réalité, dans l’affrontement symbôlique à Sehwan Shariff entre ashraf, nobles

d’origine moyen-orientale ou khorasani ( seyyeds pour la plupart) et ajlaf, hindous convertis ( eux mêmes non seyyeds, tels que les sajjada nashin), BOIVIN voit aussi un conflit, respectivement entre les habitants d’obédiance orthodoxe et ceux d’obédiance hétérodoxe. Les seyyeds tentent d’associer au saint Lal Shahbaz QALANDAR un lignage qadiri respectable, tandis que les groupuscules de fakirs tels que les “Bodlo BAHÂR” tentent de perpétuer l’héterodoxie du saint. BOIVIN s’est ensuite evertué à rechercher les reliquats shivaïtes, voire bouddhiques, parmi les Bodlo BAHÂR et leur rites. Pour lui, ce groupuscule porte non seulement l’héritage malamati du saint, mais le sceau d’un culte shivaïte local plus ancien, vaguement rémanent chez ces convertis ajlaf.

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3.2.5.4 La Iraqiyyah (Multan)

La Iraqiyyah a été fondée par sheikh Fakr Ud Din “IRAQI”, un qalandar d’Hamadan [SYUHUD, 2008]. Ce dernier migra à Multan (Inde). Il y rencontra le sheikh sohrawardi Bahauddin Zakariya “MULTANI”. Converti, il en devint l’un de ses sheikh les plus respectés. Sa branche est classée comme ba-shahra (orthodoxe). 3.2.5.5 Les branches de la Jalaliyyah (Inde): un sohrawardisme perverti par le sadduhisme

Les principales branches de la Makhdumiyyah sont:

3.2.5.5.1 La Miran Shahiyyah, une sous-branche fondée à Lahore vers 1600 par Miran Muhamad Shah Mawji DARYA BUKHARI (d. 1604). 3.2.5.5.2 Les Tchihil Tan149 de Lahore est un ordre hétérodoxe fondé á Lahore par Kabir Ad-Din ISMAEL et son disciple Ashgar ALI. Il est inspire des mythiques Tchehel Tan des premiers temps islamiques (lire 1ere partie) , a fortiori avec les dons d’ubiquité qu’on prête à Jalal Ad Din SURPOKHSH150. L’ordre perdure jusqu’au 19ème siècle en Uttar Pradesh. On sait trés peu de choses á propos de ce groupe, mais il marque le principal tournant hétérodoxe de la Jalaliyyah, jusque lá orthodoxe. Avec les Tchihil Tan, la silsilah Jalali s’arroge du lignage étrange vers Salman « FARSI ». TORTEL151 y voit un rameau jalali commun au Khāksārs

« La dette des Khāksārs envers les Chihil Tan de Lahore s’illustre que par la résurgence des mêmes chainons fabriqués (Nur-i Nihal, etc...) et par la présence dominante de Mahmud PATILI – avatar du Mahmud PA’ILI indien – raccroche à Salman FARSI par une légende rocambolesque »

[TORTEL, 2009]

3.2.5.5.3 La Zainiyyah un sous-branche orthodoxe (ba shahra) fondée par Zain Ad Din Abu Bakr KHWAFI , dit “KHAFAWI” (1356-1435 AD), originaire de Tabriz. Cet ordre aurait en fait été influencé par la bayramiyyah - Sivasiyyah turque. .

149 Ce groupe est homonyme des mythiques « Quarante » rencontrés par le Prophète MUHAMMAD lors de son ascension. Selon les Khaksars d’Iran, ils lui ont remis une Khirqa que ces derniers se transmettent depuis. 150 Lire nos remarque [infra , paragraphe 3.2.5.2.1], basées sur les allusions de [TAHERI, 2012] 151 Cf [TORTEL, 2009]

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Najmuddin KUBRA Turkestan 23 Jalalud Din « BUKHARI » Uzbekistan

KUBRAWIYYAH d. 1221 JALILIYYAH d. 1291

Amir KABIR

JalalaDin Hussain KABIR Uchch

Najmuddin « BAGDADI » d.1210 MAKHDUMIYYAH 1308-1384

Lal Ded Kashmir Shir SHAH

Alaoudowleh « SEMNANI » ISufi abad) (d 1400) d. ??? D D HANIRIIYYAH Mobarak GILANI Lahore ??? Herat

ALAODOULIYYAH d. 1335 HAQQANIYYAH d. 1576 JANIYYAH

Nur Ud Din KHĀKI RISHI d.1438 Sheikh Hamza SAHIB Kashmir 33 Shah Qasem HAQQANI d. 1655

RISHIYYAH Kashmir MAHABUBIYYAH / SAHIBIYYAH d. 1576 KHĀKSĀRS HAQQANI-JANIYYAH Iran

d.1616 Baba Daud « GANAI » KHĀKI

Kashmir KHĀKIYYAH

Mulana KHĀKI RISHI d. 1672

KHĀKI-RISHIYYAH

36 Mian KHĀKI ALISHAH d. 1672

Mohabat Alishah“

Gholam Alishah Khaksar « HINDI“ 40 Mir Makhsum Alishah Khaksar « HINDI

KHAKSAR GHOLAMALISHAIYYAH KHAKSAR MAHSUMALISHAIYYAH

Kashmir

Mir Makhsum BAQERI « NAHI Rahmat ALISHAH « Dehkardi » Esfahan Sarmat « Tarqi » Mashhad

47 Bahar ALISHAH „YAZDI“ Kufah

51Mir Taher ALISHAH Kermanshah

Jalal JABERI MOUSAVI Kermanshah

48 Hajj Motahar ALISHAH Tehran Umir ALISHAH Seif ALISHAH Mahsum ALISHAH Heshmat ALISHAH 50 Nur ALISHAH

MOTAHARIYYAH MAHSUM-ALISHAHIYYAH KHAKSARS- NURALISHAHIYYAH

Mir MIZBA ( ALISHAH) Mostagh ALISHAH « NUR’AIYYAH » ?

Taher ALISHAH Ghazanfar ALISHAH Ghadham ALISHAH

FIGURE 4.9 : Silsila cachemiri « aval »de la Jalaliyyah selon [ADHAMI, 1958].

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3.2.5.5.4 La Murtazaviyyah (Inde): des qalandars convertis au Sohrawardisme

Le patronyme « murtazaviyyah » se rapportait aux premiers groupes soufis de la Jalaliyyah-Bukhariyyah152. Cette appellation par SYUHUD153, pourrait en fait désigner les Jalalis dans le jargon des seyyeds bukhariotes. En effet l’appellation ne corrobore que partiellement la description qu ‘en fait SYUHUD154: selon elle, l’ordre a été fondé par le seyyed Raju QATAL (Frère et successeur de Jalaluddin Makhdum « JAHANIAN JAHANGASHT » (1308-1384 AD à la tête de la Jalaliyyah -Makhdumiyyah , evoque plus haut) qui federa l’intérêt de qalandars de l’Uttar Pradesh, attirés par le Sohrawardisme. Cet ordre trés localisé, ne dépasse prétenduement pas les limites géographiques de l’Uttar Pradesh (Inde), selon elle.

3.2.6.5.4.1 La Rasuliyyah (Uttar Pradesh) : Sa branche Rasuliyyah est une sous-branche fondée par le seyyed Shah ABDUR RASUL à Alwar, Uttar Pradesh. 3.2.5.5.4.2 Des Khāksārs au Maharashtra ?

Cette étude est certes incomplète, car elle ne réunit que des éléments trés fragmentaires sur les Khāksārs présents en Inde.

Les annales de la ville d’Awrangabad (Maharashtra, province de

Bombay) signalent notamment qu’un SHAH KHĀKSĀR charismatique, disciple de Raju QATTAL, visita au 17ème siècle Bijapur et Rauza. SHAH KHĀKSĀR fonda une Voie Khāksāriyyah á Daulatabad (Maharashtra) et l’ordre erigea également un tekkieh à Sulibhajan-Khultabad (Maharashtra). Il est à présent enterré á Khultabad.

3.2.5.5.4.3 La Jalaliyyah une sous-branche homonyme de la Makhdumiyyah, dont l’appellation est confondante avec sa branche-mère [ABIDI, 1992]. Fondée par Muhamad Shah ALAM (d.1475 AD), présumément au Gujarat) [YASIN, 1958]. Elle a suivi Sadr ad Din « RAJU QATAL » et sa murtazaviyyah.

3.2.6.5.4.3.1 Les renonçants travestis de la branche Suhagiyyah (Inde): la Suhagiyyah est une sous-branche hétérodoxe (be-shahra) originale de la Jalaliyyah de Muhammad Shah ALAM fondée par Musa Shahi SUHAG (d.1499) à Ahmedabad (Pakistan?). Paradoxalement, L’ordre est Behshara, mais son fondateur passa son existence parmi les eunuques et les danseurs professionnels155. Il vécut travesti en fiancée ( d’où son nom “suhaj”) et ses disciples, également travesties, se font appeler “sada suhagin”, les mariées. 3.2.6.5.5.3.2 la branche Ismaili Shahiyya: une sous-branche sohrawardi, fondée par Hafiz M.Ismail dit Miyan Wa’da (1586-1683 AD)

152 Cf [TORTEL, 2009] 153 Cf [SYUHUD, 2008] 154 Cf [SYUHUD, 2008] 155 Cf [ABIDI, 1992]

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3.2.5.5.4.4 La Rasulshahiyyah (Inde): des saddus sohrawardis ?

La Rasulshahiyyah est une sous-branche hétérodoxe (be-shahra) de la

Jalaliyyah fondée Sayyed Rasul SHAH in Bahardurpur au Punjab. Ce dernier fut converti par un compatriote dénommé NEMAT’OLLAH, qui prétendit avoir reçu en songe cette mission au cours d’un séjour en Egypte156.

SUBHAN les a observés aux environs de leur khanqah de Kuh-i Miran.

En apparence, ce groupe de fakirs imite les qalandars et les saddus. Portant un « mouchoir » blanc ou rouge et un chapeau pointu, ils se rasent le corps et le visage, cils inclus, et s’enduisent de cendres. Ils consomment de l’alcool, qu’ils tiennent en estime, au contraire.

3.2.5.5.5 Des saddhus rishi à l'ascése oecuménique de la Khākiyyah (Cachemire).

3.2.5.5.5.1 Surkh ALISHAH, un chainon manquant au Sindh

La FIGURE 4.1 établit un lignage de Jalalis peu connus [maillons 22 à 35], mais ADHAMI s’est evertué á les identifier avec érudition.

Le principal sheikh jalali identifie dans la silsila Khāksāriyyah d’ADHAMI est

sheikh Serajedin « SUKH ALI », dit « SUKH ALI SHAH» [FIGURE 4.1 , maillon 29] . Ce dernier est né et a grandi à Ucch (Multan), ou il a été en contact avec les leaders Jalalis des son adolescence. ADHAMI pretend qu’il aurait recu sa kirqah directement157 de Jalaluddin Makhdum « JAHANIAN JAHANGASHT » (1308-1384 AD) [FIGURE 4.1 , maillon 22], mais au vu du nombre de maillons qui les sépare, on peut s’interroger si il ne l‘a pas simplement recu de ses contemporains intermédiaires. Trés pieux, , « SUKH ALI SHAH» était vraissemblablement trés aimé des gens, et rédouté du Clergé. Il semble notamment qu’il se soit confronté avec succès á la Cour du souverain QADR SHAH au Sheikh Badihuddin Zinda Shah « Qutub » MADAR (1364 ?-1495 AD), le fondateur de la Madariyyah hétérodoxe. L’anecdote rapporte qu’il sut guérir le roi d’un mal attribué á Shah MADAR. « SUKH ALI SHAH» est décédé en 860 AHq / 1449 AD.

156 Cf [SUBHAN, 1938]: “They wear a white or red handkerchief on the head tied in the shape of a peaked cap; they also keep an handkerchief containing ashes which they rub on their bodies and faces ; they shave the head, moustaches and eye brows, wear wooden clogs, and in the hot weather carry hand fans. They not only see no harm in drinking spirits, but look on it as a virtue (…) their chief center in the Punjab is a building near Landa Bazar in Lahore, and they have also a building ine the environs of that city near Khu-i-Miran… ” 157 Cf [ADHAMI, 1958] , op. cit. id.

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3.2.5.5.5.2 Genèse du rishisme musulman au Cachemire La branche rishi-Khāki correspond davantage au décryptage du lignage

postérieur de la FIGURE 4.1 par ADHAMI158. On présente parfois le rishisme comme l’avatar cachemiri de la Kubrawiyyah-hamedaniyyah, introduite à Srinagar (Cachemire) depuis l'Iran par le seyyed Ali « HAMADANI » 159, mais nous allons expliquer en quoi le lien entre les deux ordres est en fait distandu historiquement.

La rishiyyah se formalise au Cachemire en tant que Voie sous la houlette du poète érudit Nur-Ud-Din Nurani RISHI « KASHMIRI » (1377-1438 AD), un ascète, disciple tardif des deux cousins "HAMEDANI" á Srinagar. L'hagiographie Khāki aime á rappeler que dés cette époque, un premier lignage sohrawardi-Jalali existe chez les rishis, en la personne de Lalita « Lala » Ded a.k.a. « Lalleshwari » (1335-1400 AD), mystique emblêmatique et sheikha influente contemporaine de Nur-Ud-Din Nurani RISHI, fut elle-même une disciple directe du fameux sohrawardi Jalal Ad-Din KABIR “Makhdum-i-Jahaniyan” (1308-1384 AD), maitre fondateur de la Makhdumiyyah [SIKAND, 200x]. « Lala » Ded ouvrit notamment les soufis cachemiri aux techniques et au dogme tantriques :

- Dans sa monographie sur les rishis musulmans, Ishaq KHAN démontre le dualisme originel du mouvement au Cachemire [KHAN, 1994]. Peut on restreindre le rishisme musulman à un avatar local du soufisme kubrawi? Pour les historiens cachemiri récents, Nur-Ud-Din Nurani RISHI demeura avant tout un ascète exemplaire d'inspiration shivaïte (ex: Lal Ded). Contemporain du missionnaire kubrawi seyyed Muhammad "HAMADANI", l'influence secondaire de la kubrawiyyah sur Nur-Ud-Din Nurani RISHI resta distante, et ses hommages ecrits aux seyyeds Hosein AS-SEMNANI et Muhammad "HAMADANI" en sont les uniques témoignages. Nous expliquerons ici en quoi les historiens locaux Mohan Lal KOUL et Ishaq KHAN ne s'arrêtent plus à présent à l'amalgame fréquent de ces odes avec la réalité historique et sociale du rishisme musulman. Les rishis s'inscrirent en faux dés l'avénement de l'Islam d'état au Cachemire, et, à ce titre, dénoncèrent tout d'abord l'élite hégémonique des notables seyyeds khorasani qui l'installaient. Dans la troisieme partie de sa vie, Nur-Ud-Din Nurani RISHI, trés entier, ne se renia pas: il ne renonça que partiellement à l'ascése extrême pour promouvoir son modèle mystique auprés des premiers rishis musulmans [KHAN, 1994].

"The mullah is happy with gifts and feasts the shaykh is driven by greed and lust The sufi doesnt stop cheating others Eating three seers of mutton and a maund of rice The old, infirm Pundit searches for a young virgin wife Near to his funeral pyres, he refuses for a wife a widow"

[Nund RISHI cité par SIKAND, 2006]

- La forme soufie du rishisme integre donc les formes ascetiques extremes du rishisme shivaite anterieur, un monisme meditatif impregne d’oecumenisme et de privations (ex. abstinence sexuelle totale, refus de la viande de l ail et des oignons). Ce n’est que progressivement qu’il prendra sa qualite soufie definitive. En cela, leurs contemporains musulmans leur reprochent d’etre hétérodoxes.

158 Cf [ADHAMI, 1958] , op. cit. id. 159 Cf [SIKAND, 2006a]

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[SIKAND, 200x] met neanmoins en avant les caracteres distinctifs des Rishis soufis, en comparaison de renonçants rishis d’autres obediences.

Les rishis musulmans se distinguaient par leur oecumenisme et diffusaient la paix par leur rhétorique illuminationiste. Contrairement aux rishis shivaïtes, reclus et tournés sur eux memes dans la pratique de la méditation, ils étaient relativement séculiers et impliqués. Ce message des rishis musulmans est socialement proche des gens et trés bien accueilli comme tel. Il conteste notamment le système des castes en vigueur. Le mouvement rishi devient bientôt un mouvement repandu de contestation des inegalités et de discrédit des élites locales (y compris les seyyeds kubrawis). Dans le contexte cachemiri, les rishis enrichiront ensuite significativement la culture locale :

- - ces poétes prolifiques ont marqué le patrimoine litteraire cachemiri ; - - malgré son fakirisme manifeste, le dogme soufi rishi tend progressi-vement vers une relative orthodoxie ; notamment sous l’influence des sohrawardis

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3.2.5.5.5.3 Rishis musulmans et sa'dat kubrawi: un conflit inter-religieux & inter-ethnique

Bien que la littérature soufie tende habituellement à présent à considérer les

rishis musulmans comme une branche finalement afiliée à la branche locale de la kubrawiyyah, il faut bien constater que le clivage local entre ces rishis et les seyyeds kubrawis fut, pis qu'équivoque dans ses premiers temps, et plus probablement une compétition féroce pour l'influence religieuse entre notables orthodoxes et errants hétérodoxes, nostalgiques du rishisme shivaite. Clairement, sohrawardis, kubrawis puis, plus tard, les rishis vivaient au départ separement dans des khanqahs differentes, pour la plupart sous le patronage du Sultan SIKANDAR. Les sohrawardis hébergeaient des rishis occasionnellement dans les leurs, selon leur modéle prosélyte répandu en Inde à l'époque. En effet, alors que kubrawis et sohrawardis - etablis par Jalaluddin Makhdum « JAHANIAN JAHANGASHT » (1308-1384 AD) - demeuraient tres orthodoxes, les rishis musulmans s'attirérent la piété populaire par leur modèle démonstratif d'ascèse, initialisé par les rishis shivaïtes. Mais le conflit dépassait celui de la seule règle de vie. Si les premiers eurent à patir de l'hostilité des cachemiris, les seconds gagnérent rapidement leur coeur et leur piété. Ces seyyeds émigrants furent ils simplement victimes de discrimination ethnique à leur arrivée au Cachemire?

Dans une série d'articles historiques véhéments, le professeur Mohan Lal KOUL

restitue sa vérité de la confrontation entre rishis et kubrawis aux premiers temps du kubrawisme cachemiri. - certes, dans le contexte actuel de conflit inter-religieux au Cachemire, il convient de prendre avec la plus grande prudence son argumentaire engagé, publié dans le mensuel culturel cachemiri "Kasmiri sentinel" - . Ces précautions oratoires étant prises, KOUL resitue l'antagonisme rishiyyah / kubrawiyyah dans le contexte du 14éme siécle au Cachemire. L'islamisation est initialisée par l'arrivée de missionnaires mythiques, originaires "d'Asie centrale" ou du Khorasan, parmi lesquels Jalaluddin Makhdum « JAHANIAN JAHANGASHT » (1308-1384 AD ,sohrawardi-jalali) et Ali "HAMADANI" (kubrawi). Selon [KOUL, 2002a], ces seyyeds emigrés fuyaient le régime timouride, lequel les aboraient. Avec eux s'établit à Srinagar une nomenklatura sunnite opulente, qui a les faveurs des sultans SIKANDAR et Seyyed Hasan SHAH. Guidés par ces nouveaux maîtres à penser, ces derniers souverains furent des rares au Cachemire à jamais opprimer les autres groupes religieux locaux par prosélytisme sunnite orthodoxe.

Elite religieuse hégémonique et exclusive, elle s'appuie sur l'enseignement de la Shariah et une "bigoterie" avérée [KOUL, 2002b]. Cette sa'dat se renforce d'abord par des mariages endogames et une solidarité interne, non sans rappeler la sa'dat sohrawardi khorasani endogame au Sindh, décrite au paragraphe 3.2.5.2.2. Appréciée du régime, elle s'allie ensuite à l'élite royale qu'elle convertit et qu'elle fréquente. Pis, les seyyeds kubrawis de Srinagar, établis en ces clans de sa'dat ( "ANDALIBI", " HAMEDANI ", "BUKHARI", "HAQQANI" et "GONA'I") – A l'endroit de la Marvandiyyah, nous avons déjà évoqué en quoi les sa'dat khorasani "BUKHARI" (ou « BUKHARA’I) et "SABZEVARI" était elles-mêmes influentes sur les taifa jalali de Sehwan Shariff au Sindh - Ces familles prestigieuses ont occuppé durablement le paysage cachemiri tant par des mariages que par des affiliations soufies ultérieures au seul rishisme kubrawi.

Au Cachemire, le nom de «GONA’I » , ou « GANA’I » était , quant á lui, originellement lié aux corporations de bouchers (ar. Qassab), essentiellement parmi les seyyeds cachemiri. Si ce nom les rattache á un long passe de corporatisme islamique hétérodoxe de cette profession au Mashrek. Etonnament, de par Sardar GANAI, le pere de Nur-Ud-Din Nurani RISHI, le nom de GANA’I devient paradoxalement un signe reconnu de sa’dat [KHAN, 1994] . Nous verrons que ces patronymes ont permis á ADHAMI de tracer les mystiques du lignage Khāksār au Sindh, puis au Cachemire et au Gujarat. Les seyyeds ajoutaient à cette influence politique notable une opression économique des autres groupes, et ce, au titre de l'islamisation.

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Baba Noruz RISHI (988 AH)

Baba Hardi KHĀKI (1008 AH)

Baba Anki KHĀKI RISHI (1017 AH)

Baba Rubi KHĀK (1024 AH)

Molana KHĀKI RISHI (1050 AH)

Baba Shawq KHĀKI RISHI

Baba Dawlat KHĀKI RISHI

FIGURE 4.10 : Silsila cachemiri de la Sahibiyyah á la Khākiyyah-Rishiyyah selon [ADHAMI, 1958].

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"the Sayyid proved deft enough to utilise the chaotic and turbulent conditions to their advantage and missed no opportunity to entrench themselves in various layers of power structure. (...) They cornered high positions and lucrative offices for themselves and for their kinsmen. Rich and affluent they married in royal and prestigious families. dazzled and baffled by the enormity of their wealth and assets the native converts seethed with anger and burning in their hearts as they were treated as low as dust, an expression of SRIVAR, a noted historican in Kashmir. (...) Under the hegemony of Sayyids the hindus could not even lodge a complaint if their properties were looted or trespassed. (...) A vaishnavite Brahman, Muni, rose in open revolt against Sayyids oppressors who were out to decimate the whole race of Hindus in Kashmir. The homes and hhearths of muni were ruthlessly ravaged and destroyed "

[KOUL, 2002a] La déconsidération des rishis musulmans par cette élite de seyyeds kubrawi

remontait sans doute à Ali "HAMADANI". En effet, dés alors, le parti pris de ces rishis pour l'ascèse les confine à la marginalité et à l'hétérodoxie au regard de l'Islam "d'état" au Cachemire. Mohan Lal KOUL reléve par exemple le dénigrement par le kubrawi "seyyed Ali" dans son récit navrant de la conversion de Buma RISHI par Nuruddin RISHI. Les rishis prennent aussi le parti des hindous devant la multiplication des spoliations. Dans un deuxième temps, KOUL y oppose souvent le quietisme et l’ascèse notoire de ces mêmes rishis160. Enracinés dans les milieux populaires de natifs hindouistes ou fraichement convertis, ils se défendent de tout notabilisme. Ils contestent les seyyeds, leur shariah , leur relatif rigorisme, leurs relations politiques et leurs milieux d'affaire qu'ils ne peuvent même cotoyer, d'ailleurs. Ils assimilent le Fakr aux us antérieurs des rishis hindouistes. Leur dogme, alors équivoque, est encore teinté à la fois de bouddhisme et d 'hindouisme161.

"The native rishis, as model of asceticism and quietism with no interest in affairs mondane walked not in harmony but total discord with the foreign Sayyid-sufis out to spill blood in the name of God. They were holymen of peace, harmony, piety, non violence and non-injury."

[KOUL, 2002b]

160 [KOUL, 2002b] rapporte la devise : "equity, humanism and justice" 161 Cf [KOUL, 2002b]

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3.2.5.5.5.4 Attraction des sohrawardis cachemiris pour le rishisme musulman?

La silsila de ADHAMI162 signale un mystérieux lignage rishi au Cachemire issu du sohrawardi Jalaluddin Makhdum « JAHANIAN JAHANGASHT » (1308-1384 AD ). En effet, si Jalaluddin Makhdum « JAHANIAN JAHANGASHT » séjourna bien durablement à Srinagar, il ne fait aucun doute que la souche avérée qu'il y fit était originellement sohrawardi orthodoxe. Cette hypothése nous ramène au questionnement de Christiane TORTEL163 à l'endroit des Jalalis: comment les Jalalis sunnites orthodoxes de Jalal Ad-Din KABIR “Makhdum-i-Jahaniyan”devinrent des hétérodoxes chiites? Nous avons supposé plus haut comment la transition s'était éventuellement opérée au Sindh au contact du sanctuaire qalandar de Lal Shahbaz QALANDAR (Sehwan Sharif) parmi les Jalalis aprés l'envoi de Jalaluddin Makhdum « JAHANIAN JAHANGASHT » au Sewistan, mais celà ne nous éclaire pas sérieusement sur le phénomène de ce lignage rishi. Ishaq KHAN, quant à lui, déduit des écrits sohrawardi (-jalali) cachemiris comment cette branche sunnite orthodoxe locale de Srinagar se rapprocha rapidement du modèle rishi musulman.

Quant bien même les kubrawis, particulièrement imbus de leur sa'dat,

vouaient quelque mépris à ces ascètes rishis hétérodoxes; les sohrawardis locaux, quant à eux, les tenaient en une certaine considération. KHAN relève notamment une admiration flagrante dans les récits du leader sohrawardi Makhdum sheikh Hamza SAHIB (1494-1576 AD), puis, réciproquement, dans la littérature des rishis khwaja Hasan QARI, khwaja Ishaq QARI, Baba Ali RAINA, Baba Daud KHĀKI, Baba Heidar "TULMULI", les leaders Baba Daud KHĀKI, Baba Nasibuddin GHAZI, Baba Daud "MISHKATI" s'entretiennent de l'estime que leur porte ce même Makhdum sheikh Hamza SAHIB.

- Cette considération aurait notamment crue sous l'action charismatique et les nombreux miracles du errant Baba Harde "RISHI" d'Anantnag, parfois assimilé au plus connu Mole RISHI, voire avec Baba Heidar Vali "BAMOLE" (1504-1568 AD). Doit on reconnaitre en lui le denomme Heidar ALISHAH [FIGURE 4.1, maillon 28] de la silsila?? Baba Harde "RISHI", un disciple de Nuruddin RISHI, fut un ascéte rishi musulman et, un végétarien strict particuliérement notoire. Il rejoint la Sahibiyyah / Mahbubiyyah de sheikh Hamza SAHIB (1494-1576 AD)., d’influence á la fois sohrawardi et rishi . prés lui, et sans doute à l'instar de rishis shivaites antérieurs, les rishis musulmans s'interdirent en sus de la consommation de la viande, celle de l'ail et des oignons "afin que la mauvaise haleine ne perturbe leur meditation" [KHAN, 1994]. Les miracles de Baba Harde RISHI sont notamment célébrés par les sohrawardi(-jalali) cachemiris eux mêmes, tres impressionnes, tels qu'Ali RAINA. A ce titre, les écrits de KHAN164 insistent sur le tournant historique que marque Baba Harde "RISHI" entre rishis et sohrawardis. Ali RAINA lui prêta même un lignage initiatique uwaysi avec Uways QARANI et le KHIZR.

162 Cf [ADHAMI, 1958] , op. cit. id. 163 Cf [TORTEL, 2009] 164 Cf [KHAN, 1994].

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- Ishaq KHAN décèle dés lors dans la littérature sohrawardi une tendance persistante à défendre les rishis, notamment au regard de la conformité des leurs actes avec la shariah. A son tour, Baba Daud KHĀKI scella veritablement le lien entre chiites et sunnites par des ecrits similaires. En outre il resta célibataire , supposément pour imiter les rishis. Il commenta avec admiration leur ascétisme165.

- Plus concrètement, Ishaq KHAN décrit la facon dont les sohrawardi s imitèrent progressivement les rishis, notamment dans l’accueil des pauvres et des errants dans des structures á cet effet. Cette activité semble être une découverte pour eux et a pour effet de renouveller leur foi.

Le rishisme soufi connait son heure de gloire au Cachemire entre le 15ème et le 17ème siècle. Ensuite de quoi il y est littéralement absorbé par la Khākiyyah, un avatar Jalali paralléle á la Rishiyyah. Il serait également interessant de verifier si cet ordre n'a jamais été nommé "sahibiyyah", rapport à l'énigmatique ordre homonyme de la région d'Iranshahr (Balouchistan iranien). A defaut de clarifier la personnalité des quelques maillons cachemiri de la silsila Khāksāriyyah, cette hypothèse crédible permet de comprendre le mécanisme historique du rapprochement des silsilas et du modéle sohrawardi-jalali avec celui des rishis musulmans au Cachemire.

165 Cf Baba Daud KHĀKI cité par [KHAN, 1994]: "1. les rishis sont constamment en méditation. (...) 2. l'abstinence de viande les pousse plus proche de Dieu par le developpement de valeurs spirituelles. 3. Plus on reçoit les bontées de Dieu, plus on devient redevable d'obligations sociales. (...) les rishis doivent s'attendre à un terrible destin dans l'Au delà, parce qu'ils se dérobent à leurs obligations sociales depuis qu'ils s'abstiennent de viande. 4. Les rishis ne violent pas la shariah en s'abstenant de viande, et en vérité, ils n'ont pas déclaré la viande comme illégale, mais simplement l'évite, pour des raisons valables tant psychologiquement que spirituellement. 5. Les facultés ne sont pas altérées par l'abstinence de viande, mais, au contraire, il semble que les facultés intellectuelles s'en trouvent renforcées. 6. L'ascétisme (Zuhd) du Calife ALI est également cité en exemple favorable à l'abstinence de viande des rishis (...) 7. Les humains font divers sacrifices. Par exemple, le calife UTHMAN partagea ses richesses et ses biens avec les gens, et est cité en exemple à ce titre (...)"

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FIGURE 4.11. Baba KHĀKI , l’actuel sheikh de la Khākiyyah á Chakwal, Pakistan. [source : alkhaki.com]

FIGURE 4.12. Un jalali sonnant l’oliphant caractéristique lors de l’Urs de Shah JAMAL á Lahore .(source: web)

FIGURE 4.13. Nuruddin RISHI.(source: web)

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3.2.5.5.5.5 Sultaniyyah/ Mahbubiyyah: l’osmose avèrée entre jalalisme et rishisme

Indeniablement, les Khāki trouvent leur origine dans le saint Makhdum sheikh Hamza SAHIB (1494-1576 AD). Ce soufi reclus cumulait une certaine orthodoxie avec l’ascése des rishi- qu'il étudia. Il s'affilia alors à la branche Makhdumiyyah de la Sohrawardiyyah, ou il a acquis le titre de "sultan ul-awliya" ( littéralement "le sultan de tous les saints") ou encore celui de "sultan ul-arifin" ( litteralement "le sultan de tous les mystiques"). Avec ses disciples Baba Daud KHĀKI et Baba Nasib ud-Din GHAZI, il fonda un hospice khanqah sur la montagne Kuh-e-Maran de Srinagar et y observa une règle austère de jeun et de célibat, rejetant par exemple la consommation de la viande et du hashish, á l’instar des rishis. Son ordre s'établit ainsi comme la branche locale de la makhdumiyyah á Srinagar sous les appellations de "sultaniyyah" ou encore "mahbubiyyah". Il attira d'autres rishi-kubrawi, tel que le prestigieux Sheikh Heidar, a.k.a. Baba Harde "RISHI" d'Anantnag (Islamabad, sud Cachemire). Ceci dit, l'ordre connait un tournant rhétorique majeur, dés son successeur Baba Daud KHĀKI (1530-1616 AD ) , au point qu’on parle dés lors de "Khākiyyah" et non plus de « rishiyyah ».

3.2.5.5.5.6 La Khākiyyah: humilité et ascèse démonstrative

Historiquement, la Khākiyyah fut le germe dogmatique et sociétal de la Khāksāriyyah en gestation166. Cet ordre naquit au Cachemire de la synthèse du rishisme soufi avec les branches Jalali tardives. Voie courte et démonstrative, elle devint d'ailleurs le nouveau porte-étendard du chiisme au Cachemire, non sans tensions répétées avec les sunnites. Son rayonnement fut d'ailleurs tel au Cachemire à la fin du 17ème siécle, qu'elle y fédèra ses contemporaines jalalis hétéropraxes environnantes (janiyyah, haqqaniyyah).

Baba Daud KHĀKI (1530-1616 AD) est le premier "khalifeh" de Makhdum sheikh

Hamza SAHIB (1494-1576 AD). Son lignage "makhdumi" est assumé lorsqu'il ecrit une qasida en hommage à Jalaluddin Makhdum « JAHANIAN JAHANGASHT » (1308-1384 AD )167. Ces informations sont á interprèter avec d’autant plus de précautions que l’auteur confond successivement Jalaluddin Makhdum et Jalaluddin Bukhari « SURKH PUSH», comme tant d’autres avant lui.

Lors de son initiation, Baba Daud KHĀKI fut en charge de collecter les dhela, les

petit morceaux de boue (persan khâk= poussière) avec lesquels les mourides avaient l'usage de pratiquer leurs ablutions. L'hagiographie populaire raconte même qu'un jour ce fut toute la montagne Kuh-e-Maran qui fut changée en or, et Baba Daud KHĀKI se trouva dans l'impossibilité de réaliser ses fameux dhela. La même hagiographie surenchèrit l'humilation des epreuves de son initiation par Makhdum sheikh Hamza SAHIB, confortant ainsi son surnom de "khâki" ( "le poussiéreux"). L'anecdote est un mythe fondateur évident des Khāksārs. "Torab(i)", "Khāk(i)", "Khāksār": le terme "poussiere" revient ensuite de facon répétée dans toute la silsila discutable de l'ordre et traduit une obsession pour l'humilité dans cette Voie de renoncement démonstratif.

Prêchant à travers tout le Cachemire, Baba Daud KHĀKI y fonda plusieurs

khanqahs sohrawardi-Khāki. Son ordre fédère les jalalismes sohrawardis environnants. Son successeur Baba Nasib ad Din KHĀKI désignera plus tard Mir Mahsum ALISHAH "KHĀKSĀR", premier sheikh de l'ordre du même nom, comme

166 Cf [ADHAMI, 1958]. 167 Cf [SIKAND, 200x].

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morshed de l'ordre Khāki-Rishiyyah. ADHAMI168 trace ses premières branches au 19ème siécle comme suit:

- les "Khāksārs Khākiyyah" de Baba Daud KHĀKI (1530-1616 AD), aussi connus comme "Khākiyyah-rishiyyah", fusionnant le lignage Jalali de la Sultaniyyah avec la kubrawiyyah acculturée de Nur ud-Din "RISHI". -- la sous-branche des "Khāksārs Nura’i ", aboutissement tardif un lignage de seyyeds suivant le sheikh Abdel Wahab NOURI "GANA'I" KHĀKI (d. 1772 AD)169. Il est en vérité un revivaliste hétérodoxe de la silsilah précédente de « Seyyed Muhammad NOUR » (930 AHq /1523 AD)170, prés de deux siècles plus tard. Ce revivalisme spécifiquement « Khāksārs Nura’i » au Cachemire au 18ème siècle est à distinguer clairement de l’introduction de la (kubrawiyyah-) Nurbakhsshiyyah dans cette région au début du 16ème siècle171. En outre, cette allégeance justifierait la composante mahdiste de la Khāksāriyyah iranienne, et ce revivalisme est vraisemblablement une tentative de syncrétisme avec l’hérésie mahdiste Nura’i ( nurbakhshiyyah ) de la kubrawiyyah.

168 Cf [ADHAMI, 1958] , op. cit. id. 169 Cf [ADHAMI, 1958] , op. cit. id. 170 Malgré la différence de datation par ADHAMI, il s’agit vraisemblablement de Seyyed Muhammad Bin Muhammad Bin Abdallah "NURBAKHSH" (1395 - 1464 AD), également appelé Muh’d Abdullah Khatifi AL HASAVI NURBAKHSH dans la silsila kubrawi ( infra, ANNEXE 1). Né à Sarivan, prés de Qain (Sud du Khorasan Razavi d'Iran actuel), Muhammad "NURBAKHSH" rejoint dans la khanqah de Khuttalan qu'il embrassa la confrérie Kubrawiyyah vers 1416 AD. Il en reçut l'autorité spirituelle directement de Khwaja Ishaq "KHUTTALANI", le propre successeur d'Ali "HAMADANI", fameux pionnier iranien de l'Islam soufi au Cachemire. C'est suite à la révêlation en songe en 1423 AD de sa qualité de "Mahdi", que NURBAKHSH convaincu ce même maître Ishaq "KHUTTALANI" de la justesse de cette révêlation. L'avénement de cette hérésie causa le schisme entre les kubrawi orthodoxes (confrérie "Dhahabiyyah" d'Abdallah BARZISHABADI (1387-1468 AD), soutenu par les autorités locales) et les partisans fidèles aux vues messianiques d'Ishaq "KHUTTALANI" et Muhammad "NURBAKHSH". Ce shisme divisa durablement les Kubrawi, mais aussi les soufis contemporains de l'incident. [BASHIR, 1968] évoque par exemple les débats chez les naqshbandis de sheikhs Ahrar à Bukhara et au Turkestan à l'aune du 16ème siècle. La Dhahabiyyah, elle, poursuivit ensuite son lignage orthodoxe en Iran à la faveur du Chiisme ambiant.

Or, en 1423 AD, le souverain timouride SHAHRUKH éteignit le soulèvement hérétique de Muhammad "NURBAKHSH" au Khorasan quasiement dans l'oeuf. Il arrêta Muhammad "NURBAKHSH" une première fois, et fit ensuite executer à Herat khwaja Ishaq "KHUTTALANI" dés 1424 AD, tenu pour responsable de l'incident. Aprés six mois d'emprisonnement, Muhammad "NURBAKHSH" fut relâché aux confins du Fars et du Khuzestan. Selon [BASHIR, 1968], ce furent les débuts de la voie Nurbakhshiyyah à proprement parler. Aprés six mois d'emprisonnement. Aprés de courts séjours à Shushtar et Bassorah, il fut repris encore par SHAHRUKH quelques mois. Ecumant ensuite le grand Ouest de l'Iran actuel, ses prétentions rencontrérent un certain succés auprés des populations lores du Lorestan, du KohKiloh et même du Kurdistan. Il a, par exemple, été immortalisé comme un avatar présumé de Baba Yadegar chez les Ahl-e Haqq du Dalahu (Kermanshahan). Repris, SHARUKH l'envoya à Herat pour en obtenir une vague abjuration publique de ses prétentions de Mahdi. Relaché à nouveau, il reprit néanmoins ses prêches et fut réemprisoné à Tabriz (1437 AD). Perclus dans sa conviction, il réfreina dés lors son proselytisme et se reclut durablement au Gilan (1437-1447 AD), puis à Suliqan, un village de montagne situé à quelques kilomètres au Nord Ouest de l’actuelle Téhéran (1447-1464 AD), en vérité le berceau de son principal mais tardif disciple, Muhammad GHAYBI. Sa tombe à Suliqan demeure un ziyarat fréquenté par ses disciples hétérodoxes et orthodoxes.

C'est à Rey que la première communauté formelle prit forme, elle fut confiée à son décès à Qazim FAIZBAKHSH . Durant son séjour au Gilan, Muhammad "NURBAKHSH" recut également l'allégeance de Shams Ad Din Muhammad bin Yahya "LAHIJI" (d. 1507 AD), le fondateur de la future branche Lahijaniyyah et de la khanqah de Shiraz. Retrospectivement, BASHIR inventorie cinq cercles principaux instantanément sous l'influence mystique de Muhammad "NURBAKHSH": l'Asie centrale, le Kurdistan / Lorestan, son Kuhistan natal (Sud du Khorasan iranien, Séistan), le Gilan - incluant Qazvin - et la région de Rey. L'ordre connut une courte silsila et se "normalisa" - comprendre que les prétentions mahdistes devinrent plus orthodoxes - sous les safavides. 171 On a vu ci-dessus qu’il existe un premier lien avec le Cachemire, en la personne d'Ali "HAMADANI", pionnier du soufisme au Cachemire etprédécesseur de Khwaja Ishaq "KHUTTALANI"dans les silsila kubrawi. Shams Ad Din Muhammad "IRAQI" (d. 1526 AD), principal disciple de Qazim FAIZBAKHSH, introduit la Nurbakhshiyyah au Cachemire vers 1483 AD [BASHIR, 1968]. Il y implanta l'ordre et la prestigieuse khanqah de Zadibal, dans un climat de concurrence contre-productive avec les qadiris, les sohrawardis et les autres kubrawi ([KHAN 2004]) . Les successeurs de Shams Ad Din Muhammad "IRAQI": Baba Ali et son fils sheikh Danyal (d. 1550 AD) quittèrent vers 1543 AD le Cachemire, en proie à une forte instabilité politique. Danyal installa l'ordre au Baltistan, une région montagneuse enclavée au Nord du Cachemire. L'ordre, rémanent au Cachemire, y fut décimé par les persécutions du souverain Mirza Heidar Dughlat, ses lieux saints furent profanés à Zadibal. Il ne fut que partiellement réhabilité par Dawlat Chak à partir de 1554 AD.

Au 17ème siècle, dans un Cachemire multi-confessionnel, tombé des 1588 AD aux mains de l'Empire Mughal, les membres de la Nurbakhshiyyah du Cachemire se convertirent progressivement au Chiisme duodécimain.Au delà de cette période médiavale glorieuse, la Nurbakhshiyyah jouit d'un certain prestige historique au Ladakh et au Baltistan, au point qu'elle fait l'objet d'un revival tardif à l'ère moderne.

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Formé aux sciences religieuses par Mirza KAMAL ED-DIN et Feiz’allah SHAH BUKHARI172, Abdel Wahab Nuri "GANA'I" KHĀKI établit son ordre au Cachemire avec quelques 35 à 40 disciples, la plupart derviches dits « Nura’i ». A sa disparition au lieu dit Zineh Koul (Cachemire), « non loin de la tombe de seyyed BADR ED-DIN »173, ses fils Baba Hasan KHĀKI (d. 1217 AHq / 1802 AD) et Baba Muhammad KHĀKI (1217 AHq /1785 AD) vont maintenir l’ordre à flot. Elevés en religion par Baba Asad’allah YASAVI et Baba Abdallah YASAVI174 . En Iran, l’ordre se distingue dés lors par son appellation "Khāksārs Nura’i " depuis l’introduction prétendue des Khāksārs Abu Torabi en Iran par Gholam ALISHAH « HINDI » vers 1777 AD. Rémanente en Iran, cette voie y persiste encore à la fin du 20ème siècle, cependant qu’elle n’y a plus de sheikh175. Elle constitue jusqu’à nos jours la moins connue des quatre branches iraniennes de la Khāksāriyyah contemporaine d’Iran. A l’instar de ses consoeurs, l’ordre a incorporé à l’époque moderne l’allégeance à des clans Ahl-e Haqq176. -- la sous-branche des "Khāksārs haqqaniyyah" issue de la haqqaniyyah, un lignage mystique remontant à Jalal ud Din SURKPUSH lui même, et longtemps resté informel à sa suite. A partir du seyyed Mubarak "GILANI" (d. 1576 AD??) l'ordre s'organise en groupes itinérants qui s'implantent dans une grande partie du sous-continent indien et même en Iran. Le sheikh Fath'allah HAQQANI () en forma la plupart, parmi lesquels Makhdum sheikh Hamza SAHIB. - - - sa sous-sous-branche des "Khāksārs janiyyah", dits "Khāki-jani", issus du seyyed Shams al-Din Muhammad "JANI" (820/1442 AD-898/1520 AD). Celle-ci est en fait la fusion tardive du lignage haqqani en une branche Khāksāriyyah Khāki-Jani. L'ordre est réintroduit en Iran par Shah Qasem HAQQANI (d. 1655 AD).

172 Prétendu effectivement de saadat “BUKHARI”, selon ADHAMI 173 Le petit fils de Allah Ed-Din BUKHARI, selon [ADHAMI, 1958] , op. cit. id. 174 Le nom YASAVI révèle une origine éventuelle au Turkestan (ou une alégeance à la Yasaviyyah). Abdallah et Asad’allah étaientles deux fils de Baba Khayyam YASAVI, lui-même fils de Baba Muhammad Vali KHĀKI , selon [ADHAMI, 1958] , op. cit. id. 175 On parle souvent de doudeh noura’i, notamment chez [MODARRES CHAHRDAHI, 1979] 176 En sus de quelques nuances rituelles lors du joz shekastan, nous citons une abondance de Pir et d’incarnations de la divinité dans le panthéon des Pir de la doudeh noura’i, au chapitre 1, dit « Régles et symbôles ».

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3.2.5.5.5.7 De la Janiyyah aux Khāksārs Khākiyyah-Janiyyah (Cachemire): . Comme illustré sur la FIGURE 4.8, La Janiyyah naquit d'abord de la

Makhdumiyyah , dont elle constituait une branche de derviches regroupés à Hérat [ADHAMI, 1958]. On sait peu de choses de sa fondation, si ce n'est qu'elle rassembla originellement à Herat des sohrawardis affiliés directement au lignage de Jalaluddin Makhdum « JAHANIAN JAHANGASHT » (1308-1384 AD), d’ou son nom. Elle recense quelques maillons identifiables de la silsila des khasars (FIGURE 4.1), mais, il faut bien le dire, cette dernière, fractionnée, n’ a retenu que des épisodes trés isolés les uns des autres. Soulignons le travail de reconstitution d’ADHAMI177 pour restituer les lignages historiques entre eux.

Pour ADHAMI, c’est en fait Shah Qassem HAQQANI (1530-1615 AD) [FIGURE

4.1, maillon 33 présumé] le maillon manquant entre la janiyyah et la Khākiyyah (Haqqaniyyah) Janiyyah. Ce sheikh, né d’un disciple de la Hamadaniyyah (branche kubrawi d’Ali HAMADANI au Cachemire), en 945 AHq / 1530 AD, y étudia les sciences religieuses. Erudit, brillant orateur, il aimait á se confronter aux religieux de sa région. C’est ainsi qu’il rencontra à Panppur le sheikh MUHAMMAD, un disciple du sheikh kubrawi Yakub « SARFI » (d. 1594 AD) et qu’il devint son disciple. Le sheikh MUHAMMAD apprecia son esprit et l’aurait alors surnommé « Haqqani » (« celui de la Verite » ). Ce patronyme est dés lors répandu parmi les seyyeds du Cachemire. Shah Qassem HAQQANI suivit ensuite successivement les maitres sheikh Hamza SAHIB, Baba Daud KHĀKI et Jalaleddin BUKHARI. Ce dernier l’aurait envoyé en Hajj sur les lieux saints, et c’est lá qu’en songe, lui et ses disciples auraient entendu le Prophète MUHAMMAD le consacrer « roi de la Fin des Temps ».

A l’époque de Baba Daoud KHĀKI, la Janiyyah fusionne partiellement avec la Khākiyyah . Apres sa révêlation sur les lieux saints, Shah Qasem HAQQANI la reintroduit en Iran, et y met á sa tête son lignage Haqqani. On parle alors de silsila Jalali-Khāki-Jani-Haqqani , en Iran comme au Cachemire. Shah QASSEM HAQQANI decede en 1033 AHq / 1615 AD. De ce khalifah, le lignage de l'ordre "Khāksāriyyah-Khākiyyah-Janiyyah" est ensuite convenablement tracé en Iran [ADHAMI, 1958] : la Khāksāriyyah eut donc une (ré)implantation en Iran au tout debut du 17ème siècle.

La silsilah cite ensuite deux « Mohabat ALI SHAH » [FIGURE 4.1, maillon 36 et

39]. L’appellation est équivoque et ADHAMI pense avoir identifié l’un d’eux au Pakistan, quoiqu’il semble avoir eu des difficultés á trancher entre deux mystiques pakistanais contemporains possibles [FIGURE 4.1, maillon 36]: Mohab Ali « KONGAR(I) » et Mohab ALI SHAH « SINDHI ».

Selon Toraj ADHAMI, Mohab Ali « KONGAR(I) » était le fils de Mir Makhsum « KANDAHARI » , et le petit fils de « SHIR QALANDAR », le grand saint sohrawardi Bahawal HAQ de Multan, deja évoqué au paragraphe 3.2.5.2.1. Cette famille a notamment donné des personnalités locales telles que Shah HASAN, Shah BAHAB et Shah HEIDAR. Mohab Ali « KONGAR(I) » a grandi á Kongar, dans le voisinage de Bakkhar (Sindh) . Mohab Ali « KONGAR(I) » suivit le lignage de son père Mir Makhsum « KANDAHARI », puis celui de Muhammad Shah-e NORANG « BUKHARA’I » (presumement aujourd’hui connu comme Pir Norang « JAHANIAN » d’ Ahmadpur Sial, au Punjab pakistanais) . Mohab Ali « KONGAR(I) » vecut au Sindh, à Lahore, puis au Gujarat. Il décèda á la fin du 17ème siècle.

Son homonyme Mohab ALISHAH « SINDHI » était un poète, son contemporain, fils de Heidar Ali « SAMARQANDI », lequel avait emigré au Sevestan - ancien nom de la region de Sehwan, dans l’ actuel district de Jamshoro au Pakistan -. Il grandit á Tattha (Sindh). C‘est dans cette région qu’il fut instruit aux sciences religieuses et qu’il adopta la voie . Sa biographie ressemble ensuite curieusement á celle de Mohab Ali « KONGAR(I) » : il fut un ascète reclu en perpetuelle prière. ADHAMI entretient

177 Cf [ADHAMI, 1958] , op. cit. id.

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l’ambiguite entre les deux personnages, en mantionnant que Mir Makhsum « NAHI » (s’agit il bien de Mir Makhsum « KANDAHARI » , le père de Mohab Ali « KONGAR ?) vecut egalement au Sevestan et qu’il y fut connu sous le sobriquet respecteux de « MIR BOZORG », laissant entendre qu’il aurait pu aussi y avoir fait souche. Par ailleurs, ce dernier sobriquet est confondant avec celui de Mir Qavam ed-Din-AL-MAR'ASHI, un souverain d’Amol ( Mazandaran) du 14ème siècle.

Au paragraphe 3.2.5.5.7, on retrouvera dans la silsila des Khāksārs d’Iran un autre membre éminent de la silsila Khāki-Jani. Il s’agit du Karam ALI SHAH (d. 1776 AD)[FIGURE 4.1, maillon 41] également surnommé « HARES QURAYSHI ». Il était le fils de Abdul Jalil SANI « LAHORI » QURAYSHI, un descendant lahori direct du sheikh sohrawardi Zakariya « MULTANI » . Karam ALI SHAH frequenta les maitres et adopta la Voie de la Khāki-janiyyah, présumement á Lahore. Il voyagea pour etudier au Punjab, y rencontra de nombreux maitres soufis egalement, et notamment Gholam ALISHAH [FIGURE 4.1, maillon 40], fondateur de la Khāksāriyyah gholam-alishahiyyah. Nous le mentionnons plus bas comme le maillon « officiel » après Gholam ALISHAH, bien que sa biographie n’indique ni qu’il le suivit jamais en Iran, ni même si il avait effectivement (re)pris sa khirqa de Khāksār gholam-alishahiyyah. Malheureusement, il fut tué alors qu ‘il se rendait à Lakhno (Lucknow ?) vers 1201 AHq / 1776 AD. Son second fils, Murat SHAH (d.1215 AHq / 1791 AD, Lucknow ? ) laissa deux ouvrages mystiques en urdu et en persan.

Au cours de nos recherches nous avons laborieusement retrouvé la trace d'une

branche actuelle de qalandars "Khākiyyah" contemporaine de langue urdu, concentrée autour de la dargah "Darbar" de Rasul KHĀKI SHAH à Makhdum Pir Shariff dans le district de Chakwal (Punjab pakistanais). Sa silsila cite quelques sheikhs Jani, ce qui semblerait indiquer qu'ils s'agit d'un avatar des "Khāksārs janiyyah". Tous coiffés de turbans rouges distinctifs, leurs deux sheikhs récents (2007 AD) à Chakwal furent Baba "KHĀKI" et Mastawar Qalandar Seyyed Mahmud Al-Hosein SHAH "KHĀKI".

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FIGURE 4.14. Bahar ALISHAH et Mir Taher ALISHAH dans la khanqah Khāksāriyyah- de Kufah [source : SOLTANI, 2010]

FIGURE 4.15. Derviches de la Khāksāriyyah-Motahariyyah avec leurs accessoires : Taj, rostres de requin scie, khirqa , gurj, tabarzine, mutteka au nom de l’Imam ALI. Khanqah de Tehran, vers 1974 AD. Au centre : Haj Motahar ALISHAH [ALISHAH, 1965 ed. 2008]

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3.2.5.5.5.8 La Khāksāriyyah - Mahsumalishahiyyah est une branche éphémère de la Jalaliyyah en Iran. La silsila de Mahsum ALISHAH « HINDI » émane à la suite Mian « Khāki » ALISHAH (Cachemire)178 . Cependant, on peut lire aussi que Mahsum ALISHAH « HINDI » prétendit suivre Refat ALISHAH179. Certains Khāksārs prétendent encore que cette branche remontait en fait aux patriarches Mahmud PATHILI [FIGURE 4.1, maillon 3] ou à Dede ROSHAN [FIGURE 4.1, maillon 4] en personne. Il semble que cette branche ait été implantée á Isfahan et á Mashhad. Noter que le patronyme de Mahsum ALISHAH « HINDI » est doublement confondant au 18ème siècle. En effet, il existe un autre sheikh homonyme important dans la silsila des soufis Nimatullahi à la même période, et aucune annale ne suggère que ces deux-là aient jamais pû être une et même personne (le cumul de ces deux khirqa, quasiement contradictoires sur la question de l’orthodoxie, est peu probable). Qui plus est, ce Mahsum ALISHAH-là (d. 1797-98 AD), lui aussi envoyé par son sheikh indien, est le réimplanteur de son ordre en Iran à partir de 1777 AD180. Très persécuté par les rigoristes et par les souverains ZAND, il réintroduit des khanqah de la Nimatullahiyyah à Shiraz, puis à Isfahan, avant de passer le relais à Nur ALISHAH « ESFAHANI » (d 1797-98 AD).

SOLTANI prétend que les branches respectives de Rahmat ALISHAH « DEHKARDI » (Mashhad) et Sarmat « TARQI » (Isfahan) des Khāksārs Mahsumalishahiyyah se sont éteintes á leur mort respective. Leur lien avec la Mahsumalishahiyyah est lui-même discutable : la khanqah « Khāksār Motahari » de (feu ) Rahmat ALISHAH (Mashhad) se réclame á présent de Hajj Motahar ALISHAH [FIGURE 4.1, maillon 48] . 3.2.5.5.5.9 La Khāksāriyyah – Gholam-alishahiyyah est l’avatar tardif majeur de la Jalaliyyah en Iran et en Irak. Si on fait abstraction du mouvement homonyme tardif en Inde du Nord, la Khāksāriyyah revendique une probable descendance directe de la Jalaliyyah ouzbèke, et son histoire est éventuellement liee aux lignages indiens de cette dernière. Plus precisémment, elle revendique la même double silsilah que la Tchihil Tan de Lahore, respectivement à travers Jalal Ed Din « BUKHARI » [FIGURE 4.1, maillon 22], et Salman « FARSI » [FIGURE 4.1, maillon 3], via le 4ème imam, Zeinal Abedin « AS-SAJJAD » [FIGURE 4.1, maillon 7]. Les deux lignages sont aussi incertains qu’incomplets. Néanmoins, Shah Gholam Muhammad Sedigh, dit "Gholam ALISHAH HINDI" [FIGURE 4.1, maillon 40] est souvent cité par les sources iraniennes modernes comme le point de départ de la Khāksāriyyah moderne, voire comme son fondateur181. Considérant son rôle central dans la (ré) implantation de l’ordre en Iran, son identité est disputée. A son origine, il est vraisemblablement un descendant cachemiri direct de Baba Daud "KHĀKI" de la 4ème génération. Son pére, Qutbuddin GONA'I (d. 1150 AHK / 1729 AD env. )182 était lui-même un soufi éminent de la Jalaliyyah-Khākiyyah-haqqaniyyah-Janiyyah. Ce n'est qu'aprés une révélation mystique extatique que Gholam ALISHAH HINDI s'interessa à la Jalaliyyah-Khākiyyah-

178 Cf [SOLTANI, 2001a] . 179 Disciple prétendu de l’imam Musa KAZEM, Cf [MODARRES CHAHARDAHI, 1979] . Il faut peut être établir un lien avec Refaqat ALISHAH [FIGURE 4.1, maillon n°5] 180 Cf [DE MIRAS, 1973] 181 C’est notamment le point de vue défendu par [MODARRES CHAHARDAHI, 1979] 182 [MODARRES CHAHRDAHI, 1979] prétend que Gholam ALISHAH « HINDI »était en vérité le propre fils, non pas de Qotbuddin GONA’I, mais du souverain Karim Khan ZAND (1705-1760 AD) en personne, de la dynastie royale des Zand d’Iran (1760-1794).

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haqqaniyyah-Janiyyah de Khoshal ALISHAH183 [FIGURE 4.1, maillon 39] . Cité par [TAHER, 2012], l’historien Abul Hosein ZARRINKUB184 présente à présent Gholam ALISHAH comme un pôle jalali du 18ème siècle, qui apporta ses convictions chiites à l’ordre. Ce faisant, il aurait favorisé un chisme entre Khāksars et Jalali.

Apres de nombreux voyages au Cachemire et dans le Nord de l'Inde, Gholam

ALISHAH HINDI se convainc du bien-fondé d'un nouvel ordre errant de lignage "Khāki"; ce sera la Khāksāriyyah Gholam-Alishahiyyah. Il poursuit ses voyages, et se lie avec force publicité à la sa'adat bukhariote éminente du Gujarat en les personnes de seyyed Abdallah "BUKHARA'I" et seyyed Dowlat Shah "BUKHARA'I". Comparé au cas de la Marvandiyyah du 14ème siècle, cette option semble un peu anachronique, mais confirme que tous les maillons Jalali revendiquent perpétuellement cette « légitimité » des clans bukhariotes du Nord de l ‘Inde.

Suite à l'occupation momentannée du Cachemire et de Dehli (vers 1151 AHk /

1730 AD ), par les troupes du shah qajar Nader SHAH, le jeune Gholam ALISHAH HINDI entreprit entre 1157 AHq / 1736 AD et 1160AHq / 1739 AD, un voyage prosélyte en Iran et sur les lieux saints d'Irak. C'est trés présumément à cette occasion que l'ordre essaima pour la première fois à Kufah et à Kermanshah. Apres Gholam ALISHAH HINDI, et jusque vers 1300 AHk / 1878 AD , plusieurs sheikhs homonymes ("Shah Gholam", "Gholam Shah"...) de la Jalaliyyah-Khāksāriyyah firent le même voyage, non sans semer la confusion et les anachronismes dans la chronique hagiographique de l'ordre. Ce périple fondateur est également rapporté chez [MODARRES CHAHARDAHI, 1979].

A ce stade, nous n’avons que peu d’éléments historiques. L’Iran est sous le règne

de Karim Khan Zand jusqu’au décès de celui-ci vers 1779 AD. Cet évènement va permettre l’alternance momentanée avec des souverains Qajars. Les chroniques de cette époque ont retenu par exemple que, précisément, les derviches Jalali d’Isfahan accompagnèrent la déroute d’Ali Murad KHAN ZAND et son départ de la ville de leurs trompes nafir en liesse185. Le jeune souverain ambitieux, de retour au pouvoir, en gardera une animosité considérable à l’endroit des Khāksārs, et des derviches en général. Appuyé par les rigoristes, il persécutera successivement les sheikhs nimatullahiyyahi successifs : Mahsum ALISHAH (d. 1797-98 AD), le barde Mostaq ALISHAH (d. 1791), puis Nur-Ali ALISHAH (d.1797-98 AD) de Shiraz. Pour [TAHERI, 2012], la migration « indienne » des Khāksārs présente trop de similitudes avec celle des nimatullahiyyahi pour être authentique186 ; elle ne serait donc, selon elle, qu’inspirée par cette épopée.

C’est á nouveau avec de nombreuses difficultés qu’ADHAMI187 s’est efforcé

d’identifier Khoshal ALI SHAH , [FIGURE 4.1 , maillon 45], l’ordre Khāksāriyyah Gholam-Alishahiyyah. ayant en fait compte de nombreux membres homonymes. Les annales de la Khāksāriyyah Gholam-Alishahiyyah ont effectivement retenu un leader « Khoshal QALANDAR » basé au Cachemire au début du 19ème siècle, et parfois surnommé « KHOSHAL ALISHAH SANI » (littéralement « le second KHOSHAL

183 Cf [ADHAMI, 1958] , op. cit. id. 184 Cf “Jostoju dar tāriḵ-e taṣawwof-e Irān » par Abol Hosein ZARRINKUB, Iran, 1978. 185 Cf [DE MIRAS, 1973] 186 A cet endroit, [TAHERI, 2012] met aussi explicitement en cause la continuité de la silsilah entre les premiers khaksars d’Iran au 19ème siècle et les Jalalis d’Inde, « trop lointains » à son goût. Ne citant jamais [ADHAMI, 1958], cet auteur questionne clairement l’exaustivité de sa vision, et/ou l’intérêt historique d’[ADHAMI, 2012] à ses yeux. TAHERI ne voit dans le mythe de Gholam ALISHAH qu’uneconstruction inspirée de la réimplantation de la confrérie Nimatullahiyyah dans la même décennie. 187 Cf [ADHAMI, 1958] , op. cit. id.

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ALISHAH » dans les annales indiennes. Ce dernier surnom le distingue probablement du maillon 39 homonyme de la FIGURE 4.1. Il est simplement connu pour avoir rencontré Muhammad Nur-e HAQQANI KHĀKI dés son jeune age. Il vécut au Cachemire, puis se rendit en Iran et en Irak, á l’instar de son maître Gholam ALISHAH « HINDI » [FIGURE 4.1, maillon 40] . Il revint au Cachemire , et y décéda vers l’age de 100 ans vers 1280 AHq / 1852 AD env. On lui connait un autre maitre Khāksār homonyme, en la personne de Khoshal ALISHAH « LAHIJANI » qui ne vécut et n’eut de disciples qu’au Gilan.

Après Gholam ALISHAH, on trouve dans la silsila des Khāksārs d’Iran, Karam ALI

SHAH (d. 1776 AD) [FIGURE 4.1, maillon 41] également surnommé « HARES QURAYSHI ». Son nom trahit sa sa’adat par le lignage Mohammedien. Nous avons decrit celui-ci ci dessus comme un Khāki-jani de Lahore, descendant par le sang du sheikh sohrawardi Zakariya « MULTANI » . Comme mentionné précédemment, il voyagea pour étudier au Punjab, y rencontra aussi Gholam ALISHAH [FIGURE 4.1 , maillon 40]. Parmi les maigres éléments glanés par ADHAMI188, sa biographie n’indique pas si il suivit jamais ce dernier en Iran, ni même si il avait effectivement pris sa khirqa de Khāksār gholam-alishahiyyah, comme le prétendent à present les Khāksārs.

Ensuite, ADHAMI a réussi á identifier Hajj Abu Talib, dit Talib ALI SHAH « HAMADANI » (d. 1814 AD env.), [FIGURE 4.1, maillon 43]. Né á Hamedan (Iran), il est également connu en Inde du Nord sous le nom de plume de « GOLSHAN ». Ce dernier fut d’abord un disciple de l’Adhamiyyah - cette afiliation est pour le moins rarissime, qui plus est au 19ème siècle, il pourrait plus précisémment s’agir d’un chishti-. Sa légende est grandiloquente : comme nombre de mystiques sohrawardi persans vénérés en Inde, il aurait abandonné ses biens considérables á Hamedan pour se rendre en solitaire à dos d’âne en Inde. Eduqué, il suivait son père en religion, puis adopta Gholam ALISHAH et ses Khāksārs. Il décéda á Kerbala vers 1240 AHq / 1814 AD . ses oeuvres poètiques ont été collectées, non pas par son fils Dervish ALI SHAH, mais par son petit fils Hajj Abdul BAQI, un commercant prospère et éduqué.

Malgré son lignage ancien, l’ordre Khāksāriyyah n’était apparu en Iran donc,

logiquement, qu’á partir du 18ème siècle. Par sa visibilité tardive dans le tissus urbain à Mashhad, Kermanshah et Téhéran, cet ordre peut se vanter d’être le dernier á incarner encore de nos jours le qalandarisme anti-conformiste et moniste en Iran. Il se distingue par un malamatisme exubérant : les Khāksārs sont indiscutablement des néo-qalandars démonstratifs, arborant les attributs martiaux des javanmardi : kashkul, tabarzine, … Ils érigent des khanqahs dans les centres urbains et les novices pratiquent la mendicité dans leur kashkul au bénéfice de leur sheikh189. Sur le plan rituel : leur initiation kisvat perpétue les brûlures au fer des Qalandars et des Torlaks. L’ordre est donc semi-érémitique et structuré. La mendicité est faite par les novices au profit du khalifeh. Au 20ème siècle, l’art vocal profane du naqqali – recit epique lyrique donne dans les Chaikhuneh ou au bazar – est l’une de leurs spécialités á Mashhad et Téhéran, au point que la quasi totalité des derniers Naqqali est constituée de vétérans de l’ordre.

Les Khāksārs furent sans doute fréquemment pris pour des Qalandars, car la littérature historique est pauvre à leur endroit. Leur visibilité s’érode rapidement à partir de 1850 AD, tant de par là précarité de leur mode de vie errante dans l’économie Qajar, que par leur déchéance, après s’être compromis dans le soulèvement de l’hérésie shaykiste / babiste (1844-1850 AD).

188 Cf [ADHAMI, 1958] , op. cit. id. 189 Cf [ADHAMI, 1958] , op. cit. id.

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FIGURE 4.16. Armoiries de la khanqah Khāksāriyyah- de la branche de Motahar ALISHAH á Mashhad. [source : auteur, 2010]

FIGURE 4.17. Mir Taher ALISHAH entourés de ses Khāksārs dans sa Khanqah de Kermanshah [SOLTANI, 2001]

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Leur promiscuité dogmatique avec les Ahl-e Haqq, bien que tardive, est avérée au 19ème siècle, elle a une influence majeure sur son dogme et son histoire. Le laxisme des Khāksārs vis-à-vis de la réincarnation Ahl-e Haqq occasionne l’implication éventuelle de certains d’entre eux dans les soulèvements de groupuscules hérésiaques des Ahl-e Haqq sous les Qajars : citons les agitations mahdistes de Teymur190 et Teymur (2)191 dit « FATAH » à Kermanshah, ainsi que celle de Seyyed Muhammad « KELARDASHTI »192 au Kurdistan et au Gilan.

Sans doute Hajj Motahar ALISHAH [FIGURE 4.1, maillon 48] fut le dernier

grand sheikh de la Gholamalishahiyyah. Jusque dans les années 1910, l’ordre était encore mené par Hajj ali « YAZDI » [FIGURE 4.1, maillon 47], également appelé Bahar ALISHAH, depuis la khanqah de Kufah (Irak)193. A son décès, Hajj Motahar ALISHAH doit sa victoire sur les nouveaux prétendants à la désignation écrite par Hajj Mastur ALISHAH [FIGURE 4.1, maillon 49].

Hajj Motahar ALISHAH s’installa à Téhéran, à la porte Darvazdeh Dowlat ( à l’époque l’extrémité Nord du Bazar) et c’est lui qui déplaça les reliques du respecté Bodolleh dans le district téhéranais de Hajebiyeh [ALISHAH,1956]. Shahto Sultani « BAKHTIYARI » et d’autres sujets du regretté Bahar ALISHAH transformérent plus tard l’endroit en ce qui devint la khanqah, nommée « Motahariyyeh » pour cette raison. Elle subsiste aujourd’hui dans la ruelle Khanqah Mottahariyeh, atenante á la rue Naderi, à quelques centaines de mètres de l’ancienne porte Darvazeh Dowlat de Téhéran

Noter aussi que dans sa monographie sur les Khāksārs conteurs de Mashhad194, Teresa BATESTI y a interviewé dans les années 1960 un conteur Khāksār homonyme nommé « morshed Motahar ALISHAH » . La branche de Rahmat ALISHAH de Mashhad s’étant alors explicitement reclamée du sheikh Hajj Motahar ALISHAH, nous nous garderons bien de confondre ces deux Khāksārs homonymes contemporains.

De son vivant, Hajj Motahar ALISHAH avait sélectionné quarante-deux successeurs, mais sa longévité exceptionnelle le fit plus que centenaire et aucun d’eux ne lui survécut195. Au début du 20ème siècle, son contemporain Mir Taher ALISHAH, dit « MIR ALISHAH » [FIGURE 4.1, maillon 51], le sheikh de la khanqah Khāksāriyyah de Kufah, briguait en vain ses faveurs pour la succession. On dit que c’est par dépit de ne pouvoir obtenir sa khirqah, que ce dernier s’adonnait aux drogues hallucinogènes. Débouté, il entrepris d’implanter sa propre branche de la Khāksāriyyah : quittant Kufah (Irak), il installa sa khanqah à Kermanshah (Iran) en 1956, éventuellement avec l’aval

190 Il s’agit de Teymur (1830 -1852), un leader Ahl-e Haqq qui prétendit être le mahdi. Né à Banoyalahi, Dalahu en 1246 AH q (1828 AD). Teymur était un disciple de Seyyed HEYDAR, vraisemblablement un ahl e haqq / ils ‘est prétendu une réincarnation du 12ème imam. Selon MODARRES CHAHRDAHI, Teymur s’est proclamé roi à 20 ans. Il a été emprisonné et tué à Kermanshah sous Naser eddin Shah. Teymur fut executé à Kermanshah en 1852 AD [Cf SOLTANI, 2009a]. Selon MODARRES CHAHARDAHI, il fut alors enterré ensuite dans le mausolée de Mozafer Alishah Kermani Alishah (=leader khaksar). Teymur demeure une figure dans le livre des Yarsan [SOLTANI, 2009a]. 191 Il s’agit de Teymur (2) dit « FATAH » fut lui aussi un ahl-e haqq, disciple et prosélyte de Seyyed Teymur (1830 -1852), son homonyme. Originaire de Dinawar (Kurdistan) au milieu du 19ème siècle. Il se prétend la réincarnation de Seyyed Teymur et donc du 12ème imam. Il fut emprisonné, puis libéré par le roi qajar Naserddin Shah en 1313 AH (1895 AD) : il s’installe, puis meurt peu aprés à Hamedan. Son fils, brillant, a participé au gouvernement de Ahmad Shah QAJAR. [Cf SOLTANI, 2009a] 192 Il s’agit de Seyyed Muhammad « KELARDASHTI » (d. 1891 AD), disciple de son propre oncle son oncle Seyyed HASAN (un seyyed Ahl-e Haqq du clan Ateshbegi). Seyyed HASAN commenca son proselytisme mahdiste en 1300 AH q (1882 AD) et prétendait qu’il est venu de la part du 12ème imam. Son groupe se répand vers Shirwan, Tabriz, atteint la Russie. Après 8 ans, le neveu en reprit le flambeau et atteint Kelardasht. Après la disparition de seyyed Hasan ,Seyyed Muhammad « KELARDASHTI », ( originaire de Sahneh, Kermanshah) a repris son combat et prétendit venir à son tour de la part du 12ème imam . Après le soulèvement de Kelardasht, Seyyed Muhammad fut capturé et exécuté , en 1309 AHq (1891 AD). [Cf SOLTANI, 2009a] 193 Cf [ALISHAH, 1956] 194 Cf [BATESTI, 1994] 195 Cf [MODARRAEI & PANA’I, 2015]

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de Hajj Motahar ALISHAH lui -même196. Compte tenu du faible nombre de ses disciples, il y fonda neanmoins un tekkieh relativement visible dans le quartier excentré de la rue Sard Cheshmeh (vraissemblablement un ancien cimetière), et y désigna quelques sheikhs locaux sous lui197. Les Pir de l’époque, Yad’allah JALALI et Muhammad Hashem SEYFIKAR, encore aféodés à la Khaksariyyah Motahariyyah agrandirent le lieu198.

Avec Muhammad Hosein MADANI « KERMANSHAHI », dit MUNAWAR ALI, un partisan de Mir Taher ALISHAH dit « MIR ALISHAH », la khanqah s’agarndit très significativement sur les terrains attenants. On ne peut que supposer que c’est à cette epoque de la migration á Kermanshah que la Khāksāriyyah intégra le rite du « casser de noix », un rituel de renoncement aux piliers de l’Islam orthodoxe, qui les aféode aux Ahl-e-Haqq locaux.

La sission proprement dite apparut à la succession de Hajj Motahar ALISHAH.

Celui-ci prétendit notamment un temps que la succession légitime de Bahar ALISHAH [FIGURE 4.1, maillon 47] revenait á Hajj Mastur ALI(SHAH) [FIGURE 4.1, maillon 49], un vétéran de la khanqah de Kufah. Mais ce dernier, á son tour, prêta finalement allégeance á Mir Taher ALISHAH, dit « MIR ALISHAH » (1927-2003 AD) [FIGURE 4.1, maillon 51], le fils de Agha Seyed Ali, dit « MIR VAHED », deux ans plus tard. Hormis la loge de Darvazeh Dowlat à Téhéran, qui était acquise á Hajj Motahar ALISHAH, les deux principales loges qui lui firent allégeance furent celles de Mustagh ALISHAH (dans le Nord-Est actuel de Téhéran) et celle de Rahmat ALISHAH (khanqah attenante á la mosquée Momeniyyeh á Mashhad). Curieusement, la succession de Hajj Motahar ALISHAH á Téhéran fut finalement emportée par Mir MIZBAH, un ancien rival de celui-ci. Les autres prétendants furent les éminents Khāksārs seyyed Hasan Safavi MIR AFZAL (Ahvaz), seyyed Ghafar MIR BAGHI (Dezful), Hosein Mojemi Khoshal ALISHAH (Tehran), Amir Azizi Mast ALISHAH (Karaj) et Rahmat ALISHAH « TOROGHI » (Mashhad).

SOLTANI prétend que la branche de Rahmat ALISHAH « DEHKARDI »

(Mashhad) s’est éteinte á sa mort. Reprise par son fils, la khanqah « Khāksār Motahari » de Rahmat ALISHAH, fondée vers 1960 á proximité de la mosquée Mommeniyyeh (Mashhad), se réclame á present de Hajj Motahar ALISHAH. Elle est toujours en activité de nos jours, et compterait environ 70 membres, essentiellement des laics riverains et des « javanmard » du zurkhaneh du quartier.

Cependant, le consensus temporaire autour de Mir MIZBAH ALISHAH ne fit pas

long feu, il fut bientôt critiqué, tant par les membres que par son rival Mir Taher ALISHAH, dit « MIR ALISHAH »199 de la communauté de Kermanshah (Kurdistan d’Iran). En fait de sission, la branche de Kermanshah s’avère pour l’ordre un foyer de revival mystique significatif, sans doute favorisé par la vigueur des Ahl-e Haqq et des ordres Nimatullahi. La silsila Khāksār « Abu Torabi » s’ennorgueillit d’ailleurs des sheikhs Abul Ghassem « KERMANSHAHI » (1858-1919 AD) et Seyed Abdollah Ojaq « KERMANSHAHI », tous deux originaires de cette ville200, ainsi que de quelques fakirs significatifs: Bahar ALISHAH, Gohar ALISHAH, Zaker ALISHAH, Marouf ALISHAH201.

196 Cf [ALISHAH, 1956] 197 Cf [ALISHAH, 1956] 198 Cf [ALISHAH, 1956] 199 Cf [ALISHAH, 1956] 200 Cf [MODARRAEI & PANAHI , 2015] 201 Cf [MODARRAEI & PANAHI , 2015]

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En sus de son ambition à la succession de Motahar ALISHAH, l’érection d’une khanqah « sédentaire » par Mir Taher ALISHAH dans cette ville a été critiquée dés sa construction, vers 1956. Sans doute parce qu’elle semblait contre nature aux puristes, tandis qu’elle s’imposait comme un vecteur d’autorité morale, voire d’ordre public dans le paysage du fakirisme et du qalendarisme202. Ce monastère conserve néanmoins son nom de « Khanqah Khaksar Jalali ». A la disparition de Mir Taher ALISHAH, l’autorité spirituelle de la branche de Kermanshah fut confiée à seyyed Jamal JABERI « MOUSAVI »203.

A l’heure oú nous écrivons, l’organisation (toutes obédiences confondues) réunit

hebdomadairement une cinquantaine d’errants dans chacune des khanqahs restantes ( Kermanshah, Téhéran, Téhéran Est et Mashhad). La situation actuelle des centres d’Isfahan, Shiraz, Dezful, Kufa (Irak) et Ahvaz n’est pas claire. Forte de son image d’Epinal de « Qalandar », la confrérie jouit en fait d’un capital de sympathisants plus large, notamment dans le voisinage immédiat de ces centres actifs: les riverains, les commercants, les artisans proches et le zurkhaneh du quartier Mommeniyyeh (Mashhad) constituent ce que BATESTI baptisaient « les membres lais » 204, c’est-á-dire des membres seculiers de ces communautés. Sur les images de la cérémonie annuelle de la branche de Mir Taher (Kermanshah), on distingue clairement plusieurs centaines de participants dans l’enclos de la khanqah Khāksār du quartier Sard Cheshmeh. Dans ses écrits récents, Sharokh RAEI signale en outre que la possibilité d’intégrer des femmes à l’ordre semble avoir fait l’objet d’un débat à partir des années 1990, notamment au sein de cette même communauté de Kermanshah.

Conclusions

On le voit , de par les distorsions et ses approximations chronologiques, l’histoire inédite des Khāksārs-Jalali demeure encore un terrain considérable d’investigation spéculative.

Globalement, l’histoire de son « ère mythique » reste á éclaircir. En effet, la ra’iyyah constitue

sans doute le noyau opaque de cette silsila á cette ère. Il serait intéressant également d’inventorier paralèllement les emprunts hagiographiques de cette ère par les Ahl-e Haqq. Pour l’ére suivante, Toraj ADHAMI a opté pour une explicitation quasi–dhahabi de l’histoire du lignage, et ce jusqu’á sa bifurcation historique (Makhdumiyyah) . De cette facon, il n’a fait qu’éluder l’absence de correspondance avec les patronymes de la silsila officielle. A l’ère rishi, son travail d’érudit est commenté fort à propos par la monographie d’Ishaq KHAN205. Réunis ensemble, ces deux documents permettent de comprendre á la fois historiquement et chronologiquement le rapprochement entre rishis et sohrawardis. Pour un eclaircissement de certains maillons isolés, il parait indispensable de réaliser désormais une analyse comparée avec les silsilas jalalis d’Inde du Nord (Chihil Tan).

On note, tout au long de cette épopée, un conflit récurrent entre les sa’dat locales (incarnant

souvent l’orthodoxie) et les ascètes extrêmes. Ce débat, trés ancien dans le confrérisme, est littéralement compilé dans cette silsila. On peut caractériser la Khāksāriyyah comme la persistance historique de ce seul débat contradictoire. On parle aussi souvent de neo-traditionnalisme á l’endroit du revivalisme contemporain de la Javanmardi (chevalerie spirituelle), y compris dans les ordres soufis duodécimains orthodoxes d Iran – Dhahbiyyah, Nimatullahiyyah, Gonabadiyyah, Safi Alishaiyyah -.

202 Cf [MODARRAEI & PANAHI , 2015], citant l”Histoire du Soufisme à Kermanshah” de SOLTANI : « “The social situation were emerging that like the initial years of Safaviyeh era and middle of the Qajariyeh era that regulations were done by a leader, in this time the big leader Haj Motahar Ali Shah went to Hajiyeh convent and .. other leaders as well started giving orders and arranging things of the poor following people to control the situation and avoid the disseminate of any inappropriate, and every crime commited by unfair beggars and also drug vogue, magic and prayer in the name of the group” » 203 Cf [MODARRAEI & PANAHI , 2015] 204 Cf [BATESTI, 1994]: « à coté des membres des confréries menant la vie spécifique des derviches, voyageant, mendiant vivant dans les khanehkahs, ermitages , il y a les membres lais » 205 Cf [KHAN, 1994].

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Les détracteurs de l’ordre soulignent par exemple le mimétisme et les emprunts historiques de

l’hégire mythique du pôle Nur ALISHAH (d. 1797 AD) – coté nimatullahiyyah -, à l’endroit de Ghulam ALISHAH - pour les Khāksārs -. La silsila de la branche « doudeh-e ajam » renforce ses références au safavides, à sheikh NIMATULLAH VALI en personne, et enfin

Il est evidemment surprenant de constater á quel point les Khāksārs d’Iran ont, quant á eux,

perpetué des pratiques hyper-anachroniques des errants hétérodoxes (ex : tamat, talqin, siyafi, agape degjushi mavlon, naqqali, rites corporatistes, etc....), possiblement moins par tradition que par goût du revivalisme. Ce, y compris des traditions des Qalandars depuis longtemps oubliées, si on en croit Anna TROTSKAJA. Dans un ordre dont les sources et les archives sont aussi obscures, ce sens du détail est troublant, et peu laisser croire qu’ils héritèrent effectivement cette tradition superficielle comme telle. Enfin, une autre étape importante á franchir est l’analyse comparée des traités et de la Futuwwatnameh des Khāksārs-Jalalis206, ouvrage clé pour notre comprehension.

Enfin, l’allégeance aux maitres des Ahl-e Haqq kurdes répond un enième besoin de légimitation.

206 Cf [AFSHARI, 2003]

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1. Prophete Muhammad

2. Imam Ali Ali Ibn Hasan BASRI dervish Ali SODEYRI Salaheddin Ali Nader Shah ANGHA

. Uweys QARANI Serajedin Abolfath Mammud Ibn Mahmudi SABOUNI BEYZAVI

dervish Kamaleddin SODEYRI seyyed Galip Hassan KUSCUOGLU

3. Salman FARSI Ruzbehan BAQLI dervish Muhammad Mozaheb KARANDEHI « Pir Palandouz »

Habib Ibn Salim RAI Najm ud Din KUBRA Mir Muhammad Momen SODEYRI

SABZEVARI

Sultan Ebrahim ADHAM Ali Lala GHAZNAVI" Mir Muhammad Taghi Shahi MASHHADI

Abu Ali Shaqiq BALKHI" Ahmad Zaker JOWZEGHANI Mir Mozafar ALI

Abu Torab NAKHSHABI Nureddin Abdul Rahman ESFAREYNI seyyed Shamseddin MUHAMMAD

Sheikh Abi Amro Istakhri Alaudaulaleh AS-SEMNANI Abdulvahab « NAINI »

Abu Jaffar HAZZA Seyyed Ali HAMEDANI Hajj Muhammad Hazan KOUZEKANANI

Abu Abdullah IBN KHAFIF

« SHIRAZI »

Muh’d Abdullah Khatifi AL HASAVI NURBAKHSH

Agha Abdukqader « JAHROMI »

sheikh Hosein AKKAR Shah Qasem FEYZBAKHSH Jalaled Din Ali Mir Abolfazl ANGHA

21. Morshed KAZERUNI I Hosein Abarghoui JANBAKHSH Mir Qutbuddin Muhammad ANGHA"

Khatib abul fath Abdulkarim dervish Malek Ali JOVEYNI Shah Maghsud Muham-mad Sadegh ANGHA

ANNEXE 1 : silsilah officielle de la branche uwaysi des kubrawi . En rouge les maillons cités par ADHAMI dans son analyse historique de la Khāksāriyyah [FIGURE 4.4], en gras ceux qui figurent également dans la silsila officielle des Khāksārs [FIGURE 4.1]

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1. Prophete Muhammad

2. Imam Ali Bahauddin Zakariya « MULTANI» Kaleemullah « SHAHJANABADI » CHISHTI

Hasan BASRI . Sadaruddin AARIF Nizamuddin « AURAGABADI » CHISHTI

Abdul Wahi Bin ZAYD Rukn Ud Din ABUL FATAH Fakharuddin « DEHLAVI » CHISHTI

Fuzail Ibn AYAZ Bahauddin Zakariya « MULTANI» ( 2 ) Nur Muh’d « MAHARAVI » CHISHTI

(Sultan) Ebrahim ADHAM « BALKHI »

23. Seyyed Jalal Din Heidar "BUKHARI"

Pir Pathan « TAUNSVI » CHISHTI

Sheikh Haytham AL ASAM Saruddin Raju QATAL Haji Muh’d Najmuddeen Sulaimani CHISHTI

Abu Torab NAKHSHABI Qazi Ilmuddin Ghulam Sarwar Najmi Sulaimani CHISHTI

Abu Abbas « NIHAVANDI » Qadin e Millat WA DIN Nur ul Hassan Najmi Sulaimani CHISHTI

Akhi Siraj « ZANJAANI » Mahmud Urf Raja CHISHTI Ghulam Naseer Najmi Sulaimani CHISHTI Al

Faruqi Madda Zillahun Nurani

Muhd Bin Abdullah « SUHRAWARDI »

Jamaluddin Jaman Shah CHISHTI »

Wajeehuddin « SUHRAWARDI » Muhd Hasan CHISHTI

Zyauddin Najib « SUHRAWARDI » Muhammad CHISHTI

Shahab Ud Din « SUHRAWARDI »

Muhd Yahya « MADANI » CHISHTI

ANNEXE 2 : silsilah sohrawardi officielle des branches Pir Pathan et Najmi-Suleimaiyyah des Chishti . En rouge les maillons cités par ADHAMI dans son analyse historique de la Khāksāriyyah [FIGURE 4.4], en gras ceux qui figurent également dans la silsila officielle des Khāksārs [FIGURE 4.1]. La présence d’Abu TORABI montre clairement que l’analyse d’ADHAMI s’est inspirée de généalogies sohrawardi anecdotiques anciennes, répandues en Inde .

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2a. ADAM

CAIN

ABEL

3a. SETH 16a. ISAAC 10a. DAVID

4a. IDRIS (ENOCH) 17a. YAGHUB / JACOB 13a. JONAS

8a. Prophète HOUD 12a. JOB 27a. ZAKARIA

15a. ISMAEL 18a. YUSUF / JOSEPH 32a. ISSA / JESUS

19a. SALIH 31a ?. DHUL KIFL MUHAMMAD

14a. ABRAHAM 24a. SHUHAYB (JETHRO ?) Caliphe ABU BAKR

9a. LOTH ”Ahl –e Qaf” Caliphe OSMAN

ANNEXE 3 : Silsilah prophétique d’initiation à la Futuwwat d’après le Traité « Futuwwat » d’AS-SULAMI . La présence des

premiers caliphes trahit l’obédience sunnite - avérée - de la source. Les numéros d’ordre se réfèrent à la silsilah de la FIGURE 4.1.

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2a. ADAM

3a. SETH SHELAH (ou 19a. hz. SALEH) KHUMEIJA MALIK

4a. ENOCH EBER (ou 8a. proph. HOUD) (Hz ?) ELIE (1) FIHR

KENAN FALEG UDDED/ EDDA GALIB

MAHALEL ARJU / REU UDO /EBI LÜVEY / YÜNEI

ELYARIZ JARUJ ADNAN KAAB

JARED KASRA MAAD / MUABBIR MÜRRE / MURAB

5a. IDRIS (1) /HENOCH NAHOR NIZAR GULAB

MUTUSELAH 14a. ABRAHAM MUDAR KUSAI

LAMEK 15a. ISMAEL fils d’ABRAHAM (Hz ?) ELIE (2) ABDIMENAF

6. NOE KAYZER MUDRIKE HASIM

7a. prophète SÂM BENNA KHUZEIME ABDULMUTALIP

ARFAJAD NEBT KINANE ABDULLAH

KAINAN EKMAIL NADIR Prophète MUHAMMAD

ANNEXE 4 : silsilah adamite du Prophète MUHAMMAD chez les Alévis, d’après Kuresanli SEYYID KEKIL. Les numéros d’ordre se réfèrent à la silsilah de la FIGURE1.

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Abul Najib SOHRAWARDI Azerbaijan

Sharaf ad Din AL-MANIRI

SOHRAWARDIYYAH d. 1167

FIRDAWSIYYAH

Abul Hafs SOHRAWARDI

Ammar Yaser BEDJLISI IMahan)

Sheikh Abu Said TABRIZI IIran) Shiabuddin SOHRAWARDI IMahan)

Ghotbuddin ABHARII Mahan

ZAHABIYYAH d. 1186

d. 1234 ABHARIYYAH d. 1181

Najmuddin KUBRA IMahan) Sheikh Jalaluddin TABRIZI IBengal) Bahauddin ZAKARIYYA IMultan) Ali BOZGHASHIIShiraz) Rukneddin SOJASI

KUBRAWIYYAH d. 1221

« MULTANI » 1182-1262 d. 1279

Najmuddin « BAGDADI »

Baha VALAD d. 1239 Fakr ud Din « IRAQI » Mahmud TABRIZI ITabriz ?)

d. 1210

« Aref » SADRUDDIN Multan IRAQIYYAH

Alaoudowleh « SEMNANI » ISufi abad)

Jalaleddin Mawlana RUMI IKonya Ruknuddin Abu’l FATH Multan Abulsah amad NATANZI INatanz) Jamaleddin TABRIZI ITabriz ?)

ALAODOULIYYAH d. 1335

MEVLEVIYYAH d. 1186 d.1334

d. 1249

Sayfyfaddin BAKHARZI

Seyyed ALI « HAMEDANI» IKhandar)

Shams TABRIZI Tabriz Sheikh HUD Multan Mahmud ESFAHANI Ikurde ?) Zaid JILANI (rdabil

HAMEDANIYYAH d. 1384

SHAMS TABRIZIYYAH BaBadra addin Samarqandi FIRDAWSI

ZAHEDIYYAH

Eshagh KHATLANI IBalkh)

Nuraldin RISHI Jalaluddin ShahMir SURKOSH Bukhara Omar HALVETI Afghan Saifuddin ARDABILI I Ardabil

IGHTISHASHIYYAH d. 1422

RISHIYYAH (Kashmir) JALALIYYAH 1307-1374 KHALVATIYYAHYAH SAFAVIYYAH

Muhammad NURBAKHSH IBorzehabad)

Abdullah BORZESH-ABADI Borzehabad) JalalaDin Hussain KABIR Uchch Yusef GOURANI Egypt Hajji BAYRAM I Ankara

NURBAKHSHIYYAH d. 1467

ABDULLAHYYAH -ZAHIBIYYAH

d. 1467 MAKHDUMIYYAH 1308-1384 BAYRAMIYYAH Fig. 320

Bihar Sharaf d Din AL-MANIRI Zaineddin KHAFAFFI Tabriz

Moh’d SODAKHARI SABZEVARI (Iran)

Asiri LAHIJI ((Shiraz) d.1380 FIRDAWSIYYAH ZAINIYYAH d.1434

SABZEVARIYYAH

LAHIJANIYYAH d. 1506

Ali SODAYLI (Iran)

Miran Muhamad Shah Mawji ILahore) Muh’d Shah ALAM Bukhara)

SODAYLIYYAH

Mohammad NAYRIZI INajaf) DARYA BUKHARI JALALIYYAH 1475

d. 1759 MIRAN SHAHIYYAH 1600

Moh’d Hasan KOZEH KANANI(Iran)

d. 1834

Raza Gholi SAFA (Iran)

Abulfazl ANGHA IReyr) Hafiz M.Ismail “Miyan WA’DA” Inde Musa Shahi SUHAG Ahmedabad

KUMAYLIYYAH d. 1974

OWEYSIYYAH d. 1913 ISMAIL SHAHIYYAH 1683 SUHAGIYYAH 1499 Shah MAGHSOUD Iran Ahmad SHARIFI IShiraz)

SHAHMAGSOUDIYYAH d. 1980 SHARIFIYYAH d. 1932

ANNEXE 5 : silsilah de khaksars d’un point de vue sohrawadi

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ANNEXE 6. Châsse du mausolée de Salman « FARSI » à Ctesiphon (Irak) [source : Revue de Téhéran]

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ANNEXE 7. Le mausolée du chishti Shah Jamal HANSAVI à Hansi. Il est le présumé « Chermineh Push » de la silsila Jalaliyyah – Khāksāriyyah [source : wikipedia]

ANNEXE 8. La tombe de Jalal Ad Din SURKHPOSH , á Uchh (Sindh)

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ANNEXE 9. La khanqah située sur la tombe Nuruddin RISHI après sa rénovation à Charar-e-Sharrif, proche de Srinagar, au Cachemire. [source : flick.fr]

ANNEXE 10. La tombe de Baba Heidar RISHI á Anantag, (Cachemire) A présent, il est fréquemment assimilé á Baba Harde RISHI

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ANNEXE 11 La khanqah de la Khāksāriyyah-Motahariyyah, Téhéran, janvier 2010 [source : auteur]

ANNEXE 12. La khanqah « Khāksāriyyah-Motahariyyah » à Mashhad en mai 2010 [source : auteur

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ANNEXE 13. La khanqah Khāksāriyyah- de la branche de Mir Taher ALISHAH à Kermanshah. Vue depuis la rue Sard Cheshmeh. Au centre, la face de la Sema khaneh. A gauche en contrebas des derviches : l’hospice [source : auteur]

ANNEXE 14. La khanqah Khāksāriyyah- de la branche de Mir Taher ALISHAH à Kermanshah. Ici, la Sema khaneh vue depuis la tombe de Mir Taher. [source : auteur]

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ANNEXE 15. Le Mausolée de Seyyed Muhammad NURBAKHSH à Sulqan (route de l’emamzadeh Davud, Nord Ouest de Téhéran). Encore fréqunté, l’endroit est aujourd’hui rebaptisé « emamzadeh Mir Aleddin & Bibi Kokab »

ANNEXE 16. Seyyed Muhammad KELARDASHTI [source : auteur]

ANNEXE 17. La

ANNEXE 18. La

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ANNEXE 19 : Rubrique « ḴĀKSĀR » par Zahra TAHERI pour encyclopaedia iranica, Vol. XV, Fasc. 4, pp. 356-359. Publiée le 15 décembre 2010; mise à jour le 19 avril 2012, http://www.iranicaonline.org/articles/kaksar “ḴĀKSĀR a strictly popular order of Persian dervishes, favored by artisans and shopkeepers. The name “Ḵāksār” (lit. ‘dust-like’) was probably chosen to figuratively denote a lowly, humble, and modest person. ḴĀKSĀR, a strictly popular order of Persian dervishes, favored by artisans and shopkeepers (see also IRAN ix. ISLAM IN IRAN [2.3]). The name “Ḵāksār” (lit. ‘dust-like’) was probably chosen to figuratively denote a lowly, humble, and modest person (Dehḵodā, pp. 9338-39; Moʿin, p. 422). The earliest mention of a group called the Ḵāksārs is provided by Zayn-al-ʿĀbedin Širvāni, known as Mast-ʿAlišāh (d. 1837), in Riāż al-siāḥa (p. 131), in which he mentions that he had on occasion associated with them. It is doubtful, however, that the Ḵāksārs mentioned by him are identical to the Ḵāksār wandering dervishes (Gramlich, I, p. 82). The history of the Ḵāksār dervishes is replete with fanciful tales and mythologies, conveyed in oral narratives, the origins of which are thus difficult to trace. The source of some of the rites and rituals practiced in this Shiʿite order can be traced to Qalandari, Malāmati, Fetyān, ʿAyyārān, and Javānmardi (qq.v.) movements and, to some extent, even to the traditions of the Banu Sāsān beggars (q.v.; Gramlich, I, pp. 76, 78-80; Zarrinkub, 1978, pp. 360, 377-78). It is, therefore, not easy to assign the Ḵāksār to any of the well-known categories in the Perso-Islamic tradition. Nevertheless, it is noteworthy that the Ḵāksār dervishes emphasized their Persian and non-Arabic origins and character (Gramlich, I, p. 82). Origins. The absence of any major literary works produced by this order, together with the Ḵāksār dervishes’ lack of knowledge of classical Sufi texts, makes it all but impossible to provide even an outline of the order’s history (Zarrinkub, 1978, p. 377; Gramlich, I, pp. 85-86). The Ḵāksār “poles” (aqtāb; leaders of the order) did not believe in the value of writing, and thus most of the order’s rituals and customs, and their symbolic meaning, have been transmitted orally. One of the last poles of the order, Moṭahhar-ʿAlišāh (mid-19th century) remarked that “the poverty (faqr; i.e., Sufi practice) of the Ḵāksār is an untouched and pure subject; no one has yet published anything about our states and precepts. We live as dervishes in practice, not with forms and books” (Ḵᵛāja-al-Din, p. 1). The oral narratives and tales regarding the order’s founder are unreliable and do not permit us to infer much of historical significance. Some Ḵāksār dervishes maintained that the genealogy of their path dates back to Adam, while others recounted fanciful tales about Salmān-e Fārsi (d. 653), who in their mythology was a Zoroastrian Magus that, like all other Zoroastrian priests, was waiting for the advent of the Prophet Moḥammad, and who set out to become a witness to his appearance. The Prophet initiated him to his most secret doctrines and, subsequently, he was appointed as the first pole and founder of the Ḵāksār order by ʿAli, the first Imam (Gramlich, I, pp. 82-84; Modarresi Čahārdehi, p. 79). Others in the order have narrated the story of a man called Ḡolām-ʿAlišāh, whom they believed to be the son of Karim Khan Zand (q.v.; r. 1751-79), and who supposedly returned to Iran from India in the early 19th century to establish the order (Modarresi Čahārdehi, p. 8). This account is most probably a distortion of Maʿṣum-ʿAlišāh’s (d. 1797) migration from India to Iran in the late 18th century for the purpose of reviving the Neʿmat-Allāhi order; and it lacks any connection to the history of the Ḵāksār. ʿAbd-al-Ḥosayn Zarrinkub, however, believes that this Ḡolām-ʿAlišāh was one of the Jalāli poles in the beginning of the Qajar period (late 18th century), who brought major changes to the order through his strong Shiʿite tendencies, and who caused the Ḵāksār to branch off from the Jalāli order (Zarrinkub, 1978, p. 376). It is reasonable to assume that the Ḵāksār originated as a branch of the Jalāli order, which was founded, according to the Jalālis themselves, by Solṭān Jalāl-al-Din Ḥaydar. However, nothing about Jalāl-al-Din Ḥaydar, who also features in the fanciful lineage of the Ḵāksār, can be learned from the dervishes’ own narratives and tales. His presence in the oral history of the order is restricted to his name and his title in Ḵāksār terminology: the pole, the king, the lion (Pir, Mir, Šir). It is, however, almost certain that this character, whose life is covered in a veil of obscurity, is Jalāl-al-Din Boḵāri (q.v.; 1308-84), better known as Maḵdum-e Jahāniān-e Jahāngašt. He was the grandson of Sayyed Jalāl-al-Din Sorḵ, who had migrated from Bukhara to Multan and was initiated into the Sohravardi order by Shaikh Bahāʾ-al-Dīn Zakarīyāʾ (see BOḴĀRI, SHAIKH JALĀL-AL-DIN). Sayyed Jalāl-al-Din Sorḵ is much revered by the Ḵāksār, and we can assume with a high degree of probability that the Ḵāksār are, as a Sufi order, a branch of the Sohravardi order and have the same founder as the Jalāli dervishes who still exist in India (Gramlich, I, p. 72). Zarrinkub, however, believes that Solṭān Jalāl-al-Din Ḥaydar, the supposed founder of the Jalāli order, is not a historical figure but a fictional one combining the names of Jalāl-al-Din Ṯāni and Sayyed Qoṭb-al-Din Ḥaydar ʿAlawi (d. 1221), who lived in India and from whom Ebn Baṭṭuṭa (q. v.; d. 1368 or 1369) received his ḵerqa “cloak” (q.v.; Zarrinkub, 1978, pp. 373, 376). Solṭān Jalāl-al-Din Ḥaydar has a mythical character in Ḵāksār oral narratives; he is said to have possessed a magical power for self-multiplication, often appearing simultaneously as seven or forty men. Dervishes believe accordingly that his burial place is in the cemeteries known as čehel-tan (forty men) and haft-tan (seven men) in Shiraz. Some other dervishes believe that his burial place is in Torbat-e Ḥaydariya in Khorasan, and that the name of the city is related to the name of their founder (Gramlich, I, p. 73). Nur-al-Din Modarresi Čahārdehi, who spent a number of years among the Ḵāksār to study and document their doctrine, customs, rites, and traditions believes that four branches have developed within the Ḵāksār order: 1) Ḵāksār-e Jalāli—also known as Abutorābi and Ḡolām-ʿAlišāhi; 2) Duda-ye ʿAjam; 3) Maʿṣum-ʿAlišāhi; and 4) Nurāʾi (Modarresi Čahārdehi, p. 3). Zarrinkub considers the Jalāli as the main order

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and branches such as Ḵāksār, Ahl-e Ḥaqq (q.v.; people of the truth), and the Jalāliān-e Ḡolām-Ališāhi as its offshoots (Zarrinkub, 1978, pp. 375-76). Although the Ḵāksār order is presumably one of the lines deriving from the Jalāli order, the novel features occurring in the order’s hierarchy and ceremonies make it entirely distinct from its origin. The Ḵāksār doctrines and rites. The basis of the Ḵāksār doctrines are transmigration (ḥolul) and metempsychosis (tanāsoḵ). They believe that God transmigrates from one garment (jāma) or personality to another, and that he has appeared in seven personalities during different periods. They also believe that after death the soul is transferred to a different body from the one it inhabited in life, in order to be requited for its deeds. After the progression of the soul through one thousand bodies, it will ultimately be united with the truth (the purification of the soul through 1,001 rebirths; see AHL-E ḤAQQ). The Ḵāksārs’ conviction in the continuous manifestation of ʿAli, the first Imam, in different periods of history is also based on their belief in metempsychosis. ʿAli is revered and worshipped as the perfect Man and, in some Ḵāksār branches, as God Himself (Modarresi Čahārdehi, pp. 46, 146-47, 171). The stages of the path in the Ḵāksār hierarchy. Although the Ḵāksār cannot be strictly considered either as a Sufi order or as a distinct sect, as many Sufi ideas and customs are found among them as in Sufi communities (Gramlich, I, p. 81). The stages of the path in the Ḵāksār order are, however, completely different from those in the Sufi orders. There is little doubt that the Ḵāksār dervishes are less punctilious with respect to their religious duties than are other Sufis (Gramlich, I, p. 74). It seems that almost all the stages in the Ḵāksār initiation are material and outward. In their traditions, ceremonies, and rituals one can rarely find an exercise relating to inner practices such as contemplation and asceticism. However, one might consider the binding of a large stone to one’s stomach in order to suppress hunger as an ascetic practice. The stone was termed sang-e qanāʿat “stone of contentment” and this action was attributed to the Prophet (Gramlich, III, p. 5). Gramlich maintains that there are seven stages through which a Ḵāksār dervish attains the stage of poverty and annihilation (faqr o fanāʾ; Gramlich, III, pp. 80-81); odarresi Čahārdehi gives details of six ceremonies through which an aspirant or seeker (ṭāleb) attains the stage of leadership (eršād; Modarresi Čahārdehi, p. 12). These stages are all practical, and hardly anything in common can be found between the ceremonies of admission into this order and initiation into the major Sufi orders. The first stage in the initiation ceremony of the Ḵāksār order is “tongue” (lesān), during which the guide (pir-e dalil) takes the candidate to the public baths, ceremoniously washes his body in accordance with religious law, places a shroud on him, and then takes him before the master of the path (pir-e ṭariqat). In this ceremony, the candidate requests a new name, and the master grants him a name usually chosen according to his profession and temperament. At the end of this ceremony, the guide cuts a small lock of hair off the ṭāleb’s head, and pieces from the eyebrows, beard, and mustache. This tradition is called “sealing” (mohr kardan), and after this ceremony the ṭāleb is not allowed to cut the sealed hair for the rest of his life. This ceremony resembles the Qalandars’ custom of shaving off these four areas of hair growth (Gramlich, III, p. 76). The main difference between the two orders, however, is that while Ḵāksār dervishes “seal” their hair from cutting (that is, terminate the cutting of their hair in these four areas in order to grow it continuously), the Qalandars do the opposite and “seal” its growth, thereby shaving their hair consistently for the rest of their lives (Modarresi Čahārdehi, pp. 12-13; Gramlich, III, pp. 79-81). The second stage is “goblet” (piāla), that is, drinking the goblet of poverty and the wine of heaven (kawṯar). In this ceremony the guide provides a drink of water, sugar cube, and rose water in a cup, and after reciting the rules of the twelve goblets (the goblets of power, light, wisdom, love, earth, heaven, religious law, path, truth, knowledge, death, and the master ʿAli), presents the sherbet to the moršed and the ṭāleb. They all in turn take a sip from the drink. This ceremony resembles the Fetyān custom called “drinking from the goblet of fotowwat” (see javānmardi; see also Modarresi Čahārdehi, pp. 16-17; Gramlich, III, pp. 82-108). In the third stage, “garment” (keswat), the guide places a coin on the ṭāleb’s right arm in the presence of the master and the master of invocation (pir-e doʿā), brands a circle on his skin using a candle, and rubs the burnt skin causing a wound to appear. The ṭāleb is forbidden to wash or have intercourse with his wife until the burnt skin of the wound peels off. The resulting scar is considered to be “the seal of prophethood” (mohr-e nobowwat). According to Ḵāksār rules, after this ceremony the ṭāleb is allowed to accept disciples and promote them to the stages of lesān and piyāla (Modarresi Čahārdehi, pp. 21-22; Gramlich, III, pp. 108-12). “Depositing the ‘flower’” (gol sepordegi), that is, the burnt skin, with the master, is the fourth stage in the Ḵāksār initiation ceremony. In this ceremony, the master kisses the wound and assumes responsibility for delivering the burnt skin to the treasury of the first Imam, Ḥażrat-e Amir (Modarresi Čahārdehi, pp. 26-27; Gramlich, pp. 112-13). The fifth stage in the initiation ceremony is “breaking the walnut” (jawz šekastan), which must take place in the presence of a Sayyed from an Ahl-e Ḥaqq family. In this ritual, the ṭāleb subordinates himself to an elite member of an Ahl-e Ḥaqq family, highly revered among the Ḵāksār. High-ranking initiates of the Ḵāksār order thus become affiliated to the Ahl-e Ḥaqq and pledge obedience to one of their masters (Modarresi Čahārdehi, p. 33; Gramlich, I, p. 81; III, pp. 113-15). The sixth stage of the ceremony is “wearing the loincloth of God’s love” (long-e ʿešq-e Allāh pušidan) according to Modarresi, or “choosing another dervish as the lamp holder” (čerāḡi gereftan) according to Gramlich. In this stage, the ṭāleb attains the rank of leadership. In this culminating ritual, the title “master” (moršed) is granted to the ṭāleb, and he is thereby placed in charge of the affairs of the foqarā (dervishes). The supreme master of the order designates a dervish as “the lamp holder” (čerāḡi) for the newly promoted master; the dervish accepting this designation remains at the same stage throughout his life, and in exchange will receive lifelong material support from his master (Modarresi Čahārdehi, pp. 33-34; Gramlich, III, pp. 115-17). The last stage, according to Gramlich, is the initiation into the degree of poverty and annihilation (faqr o fanāʾ), through which the hierarchical structure of the order is brought to seven—the number of pure spirituality for the Ḵāksār (Gramlich, III, p. 117).

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After each stage of the six-fold initiation ceremony described by Modarresi Čahārdehi, the ṭāleb is responsible for organizing a rite known as “food boiled in the caldron” (dig juš), to feed the dervishes. He must slaughter a camel or a cow, skin it carefully without scratching any part of the animal’s meat, and then cook it in one piece in a huge cauldron. When the meal is prepared, the dervishes spread a tablecloth (sofra), gather around it, and after reciting verses from the Qurʾān, serve the meal (Moddaresi Čahārdehi, p. 113; Gramlich, III, pp. 49-53). The rites and ceremonies of admission enumerated here are more or less also found in the other branches of the Jalāli order. The outfit of Ḵāksār dervishes consists of: the ḵerqa (cloak); long (loincloth); kafani (shroud), a white simple garment worn by dervishes indicating that they have detached themselves from the physical life, hayāt-e heyvāni, to be attached to the spiritual life, ḥayāt-e ruhāni; the jāfi ziršalvār (underpants) worn with kafani; a headgear called tāj, usually artfully crafted with twelve folds (Gramlich, III, pp. 3-4); and a headgear with a rope around it consisting of forty threads twisted together, called rešta-ye darviši (the thread of dervishhood; Gramlich, III, p. 6). The loincloth stands out as the most important piece of the outfit for the Ḵāksār (Gramlich, I, p. 80), which the order is said to have referred to as selsela-ye longbandān (lit. ‘chain of the loincloth wearers’; Jurgen Wasim Frembgen, pp. 49-70). The wearing of a loincloth is one of the several traditions shared between the Fetyān confederation and the Ḵāksār, and can be considered as an indication of inner relationship between these two groups (Gramlich, I, p. 80). The rosary (tasbih), bag (čanteh), begging bowl (kaškul), and horn (šah-nafir) were also inseparable parts of their outfit. Although the Ḵāksār were known as a peaceful people, the axe (tabarzin) and the club (mantas), which are also essential pieces of their traditional outfit, can connect them to the tradition of a group of Fetyān and ʿAyyārān who were known as rebels against the government and society (Gramlich, I, p. 79). Some Ḵāksār dervishes were known for their jugglery tricks demonstrated to the public (maʾreka-gereftan). They were also known for, in a notorious begging style, pitching a tent, called čādor-e qalandari, in front of certain houses and asked a certain wish to be fulfilled by the owner of the house. Throughout their history, these dervishes have been accused of consuming opium, bang, kondor, and hashish, which they considered as “the leaf of secret” (barg-e asrār; Modarresi Čahārdehi, p. 83; Gramlich, I, p. 76). The suppression of their public appearance by Reza Shah (r. 1925–41) led to the transformation of the remnants of the Ḵāksār Dervishes into a regular and distinct Sufi order under their Qoṭb, Ḥāji Moṭahhar, during the post-Reza Shah period in the 1940s (Gramlich, I, p. 73). Ḵāksār Dervishes, along with other Sufi orders have been repressed by authorities since the advent of the Islamic Republic of Iran in 1979. What is certain is that they precisely represent the current definition of the word “dervish” in Persian; white-bearded men with long hair, wearing long white robes and dervish caps, and carrying a battle-axe and a begging bowl, are the images that spring to mind when one hears the word “Ḵāksār.” Bibliography: ʿAli Akbar Dehḵodā, “Ḵāksār,” Loḡat-nāma-ye Dehḵodā VI, Tehran, 1998. Jürgen Wasim Frembgen, “Tying and Untying the Trouser-Cord,” The Asia Pacific Journal of Anthropology, 5/1, April 2004, pp. 49–70. Richard Gramlich, “Die Affiliation der Ḥāksār,” in Die schiitischen Derwischorden Persiens. Erster Teil: die Affiliationen, Deutsche Morgenlandische Gesellschaft, Wiesbaden, 1965, pp. 70–88. Idem, Die schiitischen Derwischorden Persiens. Dritter Teil: Brauchtum und Riten, Wiesbaden, 1981. Sayyed Moḥammad-ʿAli Ḵᵛāja-al-Din, Kaškul-e Ḵāksāri, Tabriz, 1981. Nur-al-Din Modarresi Čahārdehi, Ḵāksār va Ahl-e Ḥaqq, Tehran, 1979. Moḥammad Moʿin, Farhang-e Fārsi, Tehran, 2003. Annemarie Schimmel, Deciphering the Signs of God: A Phenomenological Approach to Islam, Edinburgh University Press, 1994. Zayn-al-ʿĀbedin Širvāni, Riāż al-siāḥa, ed. Aṣḡar Ḥāmed Rabbāni, Tehran, 1920. ʿAbd-al-Ḥosayn Zarrinkub, Jostoju dar tāriḵ-e taṣawwof-e Irān, Tehran, 1978. Idem, “Ahl-e malāmat va rāh-e qalandar, moṭāleʿa-yi dar bāb-e vākonešhā-ye daruni-e Ṣufiya,” Majalla-ye Dāneškada-ye Adabiyāt, Dānešgāh-e Tehrān 22/1, Tehran, 1975.”


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