Filozofická fakulta Masarykovy univerzityÚstav románských jazyků a literatur
Diglossie au Maghreb – Histoire et situation actuelle
Monika Langerová
Magisterská diplomová práce
Vedoucí práce
Mgr. Christophe Cusimano, Ph.D.
Brno 2012
Prohlašuji, že jsem magisterskou diplomovou práci vypracovala
samostatně, s použitím uvedených zdrojů a literatury a že se elektronická verze práce shoduje
s verzí tištěnou.
V Brně dne _______________________
2
Děkuji panu Mgr. Christophu Cusimanovi, PhD. za cenné rady a
připomínky, které mi velmi pomohly při psaní této práce. Velký dík patří mé rodině za to, že
mě podporovala po celou dobu mého studia.
3
Table des matières
I. Introduction.............................................................................................................................5II. Diglossie – histoire du concept théorique..............................................................................7
II. 1. Bilinguisme et cheminement vers la diglossie...............................................................7II. 2. Diglossie – évolution du concept...................................................................................8II. 2. 1. Lancement de la notion..............................................................................................9II. 2. 2. La standardisation du terme.....................................................................................10II. 2. 3. Conflit linguistique...................................................................................................14II. 2. 4. Termes parallèles - d’autres « glossies »..................................................................16
III. Situation linguistique au Maghreb......................................................................................18III. 1. Langues du Maghreb avant la colonisation française.................................................18III. 2. Colonisation française et politiques linguistiques et scolaires au Maghreb...............19III. 2. 1. Algérie.....................................................................................................................19III. 2. 2. Tunisie.....................................................................................................................21III. 2. 3. Maroc......................................................................................................................24III. 3. Tendances générales en politiques linguistiques post-coloniales...............................26III. 4. Langues du Maghreb d’aujourd’hui............................................................................27
IV. Situations de diglossie sur le territoire maghrébin.............................................................30IV. 1. Diglossie berbère/arabe classique...............................................................................30IV. 1. 1. Maroc......................................................................................................................31IV. 1. 2. Algérie....................................................................................................................36IV. 2. Diglossie arabe dialectal/arabe classique....................................................................42IV. 2. 1. Arabe classique/arabe dialectal – contextes d’usage différents..............................42IV. 2. 2. Diglossie arabe classique/arabe maghrébin ?.........................................................43IV. 3. Diglossie arabe/ français.............................................................................................49IV. 3. 1. Les politiques d’arabisation - rejet total du français ?............................................50IV. 3. 2. Facteurs favorisant l’usage de la langue française au Maghreb.............................52IV. 3. 2. 1. Facteurs socio-économiques...............................................................................52IV. 3. 2. 2. Facteurs éducatifs et culturels.............................................................................53IV. 3. 3. Français – l’une des langues d’enseignement au Maghreb....................................56IV. 3. 4. Enseignement du français au Maghreb - réalité et perspectives.............................57IV. 3. 4. 1. Algérie................................................................................................................57IV. 3. 4. 2. Tunisie................................................................................................................59IV. 3. 4. 3. Maroc..................................................................................................................61
V. Conclusion...........................................................................................................................64VI. Bibliographie......................................................................................................................67
4
I. Introduction
Le Maghreb est un lieu prototypique des contacts des langues. L’arabisation du
Moyen-âge et la colonisation française sont deux étapes historiques qui ont radicalement
modifié le profil linguistique de l’Algérie, de la Tunisie et du Maroc. La diversité des langues
qui sont de nos jours en usage sur le territoire maghrébin nous permet de discerner plusieurs
relations auxquelles elles satisfont.
La population usant de deux langues est souvent qualifiée de bilingue. Or
l’étiquette « bilinguisme » ne peut englober toutes les situations linguistiques du Maghreb.
C’est pourquoi nous avons décidé d’adopter le terme « diglossie » qui introduit la notion de
« variété » ou « variante » pour les situations où deux formes apparentées d’une même langue
sont en usage. Par exemple, le concept de bilinguisme est insuffisant lorsqu’il est question
d’un locuteur parlant une langue officielle à l’école et usant une autre variante de cette même
langue à la maison. Or toutes les situations linguistiques que nous analyserons dans le cadre
de ce mémoire peuvent être qualifiées de diglossiques. Le bilinguisme, quant à lui, est un
concept trop restreint pour pouvoir être appliqué dans le contexte linguistique du Maghreb.
Les questions concernant l’évolution du concept de diglossie ainsi que l’orientation théorique
que nous adopterons dans ce travail seront traitées dans le premier chapitre.
Il convient à présent de brièvement décrire les spécificités linguistiques du Maghreb.
En premier lieu, il faut mentionner l’arabe classique1 qui, tout en jouissant du statut de langue
officielle, ne constitue pas un moyen majeur de communication. Étant donné qu’il s’agit avant
tout de la langue de l’instruction et de la religion, son emploi est assez restreint et touche
essentiellement l’écrit. Le domaine de la communication quotidienne, quant à lui, est
largement réservé à d’autres variantes (ou dialectes) de l’arabe, à savoir les dialectes algérien,
tunisien et marocain. Une partie de notre travail sera donc consacrée à la diglossie entre
l’arabe classique et l’arabe dialectal.
Le berbère sous ses formes régionales constitue une autre langue locale du Maghreb.
En Tunisie, la présence des langues berbères n’est qu’un phénomène marginal, le Maroc et
l’Algérie comptent un nombre relativement important des locuteurs berbérophones. Comme
nous le montrerons dans la suite, la coexistence de l’arabe classique et du berbère ne s’est pas
toujours faite sans problèmes. D’où la situation diglossique opposant l’usage de ces deux
langues et ne manquant pas d’aspect conflictuel. 1 Sous la plume de certains auteurs, on trouve la notion d’« arabe standard ». Nous employons uniquement le terme « arabe classique » pour désigner la langue officielle du Maghreb.
5
La spécificité de l’espace linguistique du Maghreb vient de ce qu’il est marqué par la
présence de la langue française, due à son passé colonial. Le fait que les statistiques comptent
un nombre appréciable de locuteurs francophones montre que la langue de l’ex-colonisateur
joue encore aujourd’hui un rôle important dans les pays maghrébins. C’est la diglossie entre le
français et l’arabe que nous étudierons de plus près puisque ces deux langues se font
concurrence dans plusieurs domaines. Il s’agit notamment du domaine de l’enseignement, car
le système éducatif dans les trois pays se fait partiellement en français et la langue française
est aussi une matière à enseigner ayant un statut privilégié parmi les autres langues étrangères.
Nous ne disposons d’aucun ouvrage qui traite la problématique spécifique de la
diglossie au Maghreb mais il existe plusieurs articles portant sur l’évolution du concept de
diglossie en général. Encore plus nombreux sont les articles dont les auteurs s’occupent de la
situation linguistique des pays maghrébins. On peut constater que les articles publiés dans les
revues linguistiques constituent une source majeure sur laquelle nous allons appuyer notre
réflexion.
En somme, l’objectif de ce mémoire est d’appliquer la conception de la diglossie sur
les langues qui sont en usage au Maghreb. Nous voudrions montrer les différents enjeux
linguistiques que nous offre le contexte spécifique des pays maghrébins. Nous envisageons
d’étudier les relations souvent conflictuelles qu’entretiennent les langues du Maghreb, sans
toutefois les envisager sous le terme de « conflit linguistique ».
II. Diglossie – histoire du concept théorique
6
Avant de commencer à traiter le sujet de notre mémoire, nous voudrions préciser ce
que nous entendons par « diglossie ». Pour cela, il est nécessaire de préciser que le concept de
diglossie a subi une importante évolution et qu’il peut être compris de plusieurs façons et
appliqué à des situations de communication très diverses.
Tout d’abord, nous allons faire une distinction importante entre « diglossie »
et « bilinguisme ». Il est souhaitable de ne pas omettre cette partie parce que si l’explication
était incomplète, on risquerait de considérer ces deux termes commes synonymes. Ensuite,
nous allons présenter les auteurs importants qui ont forgé le concept de diglossie pour enfin
expliquer la conception que nous avons décidé d’adopter dans notre travail.
II. 1. Bilinguisme et cheminement vers la diglossie
Il n’est pas facile de faire la distinction nette entre « bilinguisme » et « diglossie »
étant donné que ces termes sont très proches par leurs significations et qu’ils peuvent être
confondus dans certains contextes. Tout d’abord, nous allons nous concentrer sur la définition
de la première des deux notions.
Pour ce qui est du bilinguisme, voici la définition qu’on peut trouver dans le Trésor de
la langue française : « fait de pratiquer couramment deux langues ; état ou situation qui en
résulte » ou par métonymie « ensemble des dispositions officielles qui assurent ou tendent à
assurer à chacune des langues parlées dans le pays un statut officiel ».2 Une remarque
s’impose face à cette définition : la préposition « bi- » dans « bilinguisme » implique
seulement « deux » ce qui est en opposition avec la deuxième partie de la définition
(évidemment, il n’y pas toujours deux langues seulement). On pourrait avoir tendance à
employer le mot « plurilinguisme » pour souligner le fait qu’il s’agit de plusieurs langues.
Mais puisque l’analyse de ce terme ne constitue pas le sujet de notre travail, il ne nous
incombe pas rendre plus polémique qu’elle ne l’est la définition donnée.
Ce qui est important pour nous, c’est de pouvoir initier le cheminement vers le concept
de diglossie. Avant que le terme de diglossie n’ait commencé à s’imposer, le débat
scientifique avait souvent été lié à la problématique du bilinguisme.
De ce point de vue, il convient de mentionner Edward Sapir qui dans son article
Dialect, publié en 1931 dans Encyclopaedia of Social Sciences, parle du bilinguisme en
relation avec la notion de dialecte. Celui-ci affirme que tous les locuteurs qui utilisent la 2 Trésor de la langue française informatisé. Accessible sur le site : <http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=200588100;>. Consulté le 16 janvier, 2012.
7
langue normalisée pour les besoins officiels et le dialecte local dans la vie courante sont
bilingues.3
Dans les années 1950, Charles Ferguson ajoute une dimension sociolinguistique à
cette conception en constatant que la version normalisée de la langue est une variété haute,
alors que la version dialectale peut être qualifiée de basse.
On peut voir que l’on entre déjà dans le domaine sociolinguistique. On y reste avec la
distinction de Joshua Fishman qui affirme que le bilinguisme est un « fait individuel qui
relève de la psycholinguistique»4 tandis que la diglossie est un « fait social qui rentre dans le
domaine de la sociolinguistique».5
On peut dire, comme on le verra encore plus loin, que certains auteurs qui s’occupent de
la problématique de diglossie ont le souci de bien distinguer cette notion du bilinguisme. Dans
la partie suivante, nous allons essayer de montrer l’évolution du phénomène qu’on appelle
aujourd’hui diglossie.
II. 2. Diglossie – évolution du concept
Partant d’une signification jadis restreinte, la diglossie est devenue un phénomène
beaucoup plus complexe. Aujourd’hui, on accepte en général d’attribuer ce terme à des
situations linguistiques diverses. Il existe néanmoins plusieurs courants qui diffèrent dans
leurs interprétations de ce qu’on peut englober sous l’étiquette de diglossie. Notre but ne sera
pas de nommer tous les linguistes s’occupant de la problématique qui nous intéresse. Nous
visons à parler de ceux qui ont contribué à l’évolution du concept en modifiant la définition
originelle. Pour mieux discerner toutes les étapes pertinentes dans l’évolution de la
conception, nous allons essayer de ranger ses auteurs en groupes ou en écoles. Il faut dire que
ces différentes opinions ne constituent pas de vraies écoles mais cette méthode nous paraît la
plus convenable lorsqu’il est question de la classification bien ordonnée. Pour cela, il est
indispensable de procéder par l’ordre chronologique.
II. 2. 1. Lancement de la notion
3 Sapir, Edward : Dialect. Encyclopaedia of Social Sciences, 5, 1931. Cité par Andrée Tabouret-Keller.4 Kremnitz, Georg : Du « bilinguisme » au « conflit linguistique ». Cheminement de termes et de concepts. In : Langages, 15e année, n° 61, 1981, p. 64.5 Id.
8
Si l’on en croit aux sources6 dont nous disposons pour nous renseigner sur la
problématique, il semble que le premier à proposer le terme diglossie fut Jean Psichari. Ce
philologue et écrivain français d’origine grecque a vulgarisé le terme dans un article paru dans
Mercure de France en 1928.7 En Grèce, Psichari est devenu une personnalité importante de
la « nouvelle école » qui, dès les années 1880, proposait de substituer à la langue littéraire, le
« khatarévusa », une langue orale, le « démotiki ».8
En ce qui concerne l’origine du terme diglossie, le mot est emprunté au grec et
constitué de deux parties dont la préposition di- signifie « deux fois » et la deuxième partie,
issue du mot glôssa, signifie « langue ». On voit que le phénomène auquel Psichari a attribué
le nom de diglossie se traduit par dualité des langues. Il faut souligner que pour lui et ses
contemporains, la diglossie et le bilinguisme sont encore des quasi-synonymes.
Comment Psichari, polémiste engagé qui luttait contre les « pédants et les puristes » et
qui visait à supprimer la langue calquée sur le grec ancien au profit de la langue
vivante, caractérise-t-il la situation de diglossie ? Il la décrit dans son article de 1928 : « La
diglossie ne consiste pas seulement dans l’usage d’un double vocabulaire [...] ; la diglossie
porte sur le système grammatical tout entier. Il y a deux façons de décliner, deux façons de
conjuguer, deux façons de prononcer ; en un mot, il y a deux langues, la langue parlée et la
langue écrite. » (p. 66) Telle est donc la perspective de Jean Psichari. Il qualifie de
diglossique toute situation où deux variantes (parlée et écrite) d’une même langue sont en
usage dans un pays.
La réflexion sur la diglossie fut développée par son élève Hubert Pernot9 à qui l’on
doit une définition approfondie, annonçant déjà l’approche sociolinguistique. On peut
remarquer que l’aspect social est pris en considération parce que l’auteur mentionne le fait
que les différentes formes des langues sont employées dans des contextes différents. On
apprend par exemple que katarévousa est une « langue écrite par excellence » et « parlée
dans les cérémonies officielles » alors que le démotiki « n’est enseigné nulle part » et pourtant
« demeure la seule langue vraiment courante ».10 Malgré cela, Pernot ne distingue pas la
diglossie et le bilinguisme qui restent synonymes pour lui.
Un autre représentant de ce courant que nous voudrions mentionner est William
Marcais. En 1930, il a écrit un article consacré à la diglossie arabe dans lequel il ne fait
6 Pour suivre l’évolution du concept de diglossie, nous nous appuyons essentiellement sur deux articles publiés dans les revues Langages et Langage et société que nous allons citer plus bas.7 Psichari, Jean : Un pays qui ne veut pas de sa langue. Mercure de France, tome 207, 1928, pp. 63-121.8 Prudent, Lambert-Félix : Diglossie et interlecte. In Langages, 15e année, n° 61, 1981, pp. 13-38.9 Pernot, Hubert : Grammaire grecque moderne. Garnier Frères, 1897.10 Prudent, Lambert-Félix : Diglossie et interlecte. In Langages, 15e année, n° 61, 1981, p. 15.
9
aucune référence à Psichari ou Pernot.11 Or, il faut noter le fait que le mot diglossie n’apparaît
plus avec des guillemets ou en italique, ce qui prouve qu’il est déjà lexicalisé. En ce qui
concerne l’étude de Marcais, sa première partie consiste à opposer l’arabe littéraire à l’arabe
dialectal.12 Nous n’allons pas en parler ici parce que son auteur s’occupe de la question du
français au Maghreb qui sera traitée plus en détails dans les parties suivantes de notre travail.
On peut constater que les auteurs que nous avons passés en revue ont un point commun. Ils
perçoivent la diglossie comme un élément négatif, obstacle qui menace l’unilinguisme, l’idéal
que chaque société européenne semblait vouloir atteindre. On peut citer à titre d’exemple les
mots de Psichari qui dans les Essais de grammaire néo-grecque parle de l’ « étrange diglossie
dont souffre la Grèce ».13 Pour lui, la diglossie est un vrai obstacle non seulement pour les
étrangers qui veulent apprendre le grec moderne, mais aussi pour les Grecs qui sont obligés à
posséder un double système lexicologique et grammatical.
S’il est vrai que la littérature française fut « invoquée comme argument définitif de la
supériorité des communautés monoglottes »14, il sera intéressant de voir plus bas comment
cette perception se reflète dans les débats français sur l’arabe.
II. 2. 2. La standardisation du terme
La publication de l’article Diglossia15 de Charles Ferguson en 1959 marque la reprise
du concept de diglossie aux États-Unis. L’article a connu un succès immédiat et aujourd’hui il
s’agit d’une œuvre classique de la sociolinguistique américaine.
Comment Ferguson définit-il la diglossie ? Pour lui, c’est une « situation linguistique
relativement stable dans laquelle, en plus des dialectes premiers de la langue [...] il existe une
variété superposée très différente, rigoureusement codifiée [...] qui est largement apprise par
le biais de l’école, et qui est utilisée pour la plupart des textes écrits et des discours formels,
mais qui n’est jamais utilisée [...] pour une conversation ordinaire ».16
Quand on essaie de comparer l’approche de Ferguson avec celle de Psichari, on
s’aperçoit que Ferguson s’inspire probablement de son précurseur en limitant la diglossie à
11 Marcais, William : La diglossie arabe, dans l’Enseignement public. In : Revue pédagogique, tome 104, n° 12, pp.401-409, tome 105, pp. 20-39 et 120-133.12 Prudent, Lambert-Félix : Diglossie et interlecte. In Langages, 15e année, n° 61, 1981, pp. 13-38.13 Psichari, Jean : Essais de grammaire néo-grecque. 1885, 633p. Cité par Lambert-Félix Prudent.14 Prudent, Lambert-Félix : Diglossie et interlecte. In Langages, 15e année, n° 61, 1981, p. 18.15 Ferguson, Charles : Diglossia, Word, 1959. Cité par L.-J. Calvet. 16 Prudent, Lambert-Félix : Diglossie et interlecte. In Langages, 15e année, n° 61, 1981, p. 22.
10
des communautés où « deux formes linguistiques génétiquement parentes sont en usage ».17
Nous avons déjà mentionné les remarques de Ferguson sur le bilinguisme. Nous savons qu’il
distingue deux formes linguistiques – « variété haute » et « variété basse ».
Pour illustrer les situations où les deux variétés linguistiques coexistent dans une
communauté, Ferguson prend quatre exemples :
- les situations arabophones : arabe classique/arabe dialectal
- la Grèce : demotiki/katharevousa
- Haïti : créole/français
- la partie germanophone de la Suisse : suisse alémanique/allemand
Les situations de diglossie sont d’après lui caractérisées par un ensemble des traits :
- répartition des domaines fonctionnels des variétés : pour la variété haute, ce domaine
est celui de la culture et de la littérature, de la religion et de la
communication « formelle » en général; la variété basse, au contraire, est réservée à la
conversation « informelle », celle de la vie quotidienne ;
- le prestige social de la variété haute (dont ne jouit pas la variété basse) ;
- la variété haute est une langue de la littérature reconnue et admirée (alors que la
variété basse est une langue de la littérature populaire) ;
- la variété basse est une langue première des locuteurs (acquise « naturellement »)
tandis que la variété haute est acquise à l’école ;
- la situation de diglossie est stable est peut durer plusieurs siècles ;
- ces deux variétés d’une même langue ont une grammaire, un lexique et une
phonologie relativement divergents18.
Après ce bref résumé des idées de Ferguson, nous voudrions faire quelques remarques
à propos du concept tel qu’il le perçoit. Au niveau des répartitions fonctionnelles des usages,
nous trouvons la réflexion de Ferguson fondée puisqu’il montre bien les différentes situations
dans lesquelles les locuteurs utilisent les deux variétés. Nous approuvons également
l’affirmation que la variété haute jouit d’un prestige social dont la variété basse ne jouit pas.
Or, à notre avis, la conception est un peu rigide, n’admettant pas la possibilité de changement
de situation linguistique. Ferguson considère la diglossie comme un phénomène stable et
durable. Mais évidemment, ce raisonnement ne peut pas être valable pour tous les exemples
qu’il propose dans son article. 17 Kremnitz, Georg : Du « bilinguisme » au « conflit linguistique ». Cheminement de termes et de concepts. In : Langages, 15e année, n° 61, 1981, p. 64.18 Calvet, Louis-Jean : La Sociolinguistique. 1996.
11
Nous estimons qu’il faudrait prendre en considération le fait que le statut d’une langue
change parfois sans qu’on puisse le prévoir. Une langue qui est perçue comme supérieure peut
dans quelques années ou décennies (sous l’influence de changement de politique linguistique
d’un pays ou à la suite d’une réforme scolaire par exemple) perdre cette position privilégiée
au profit d’une langue qui n’avait jadis qu’un statut inférieur. Certes, ceci n’est pas toujours le
cas des variantes parlée et écrite d’une même langue. Il suffit pourtant de rappeler que le grec
démotique, la variété basse selon la terminologie de Ferguson, est devenue une langue
officielle alors que l’ancienne variété haute est presque tombée dans l’oubli.
La définition de Ferguson est problématique aussi en question de répartition de l’usage
créole/français. Comme le dit Henri Boyer, il serait « abusif de ne voir le créole que comme
basilectal et le français que comme langue haute ».19 Il faut se rendre compte que certains
locuteurs utilisent le français populaire et qu’il existe une variante distinguée20 du créole.
Boyer estime qu’un autre aspect qu’il faut prendre en considération est une variation
géographique et sociologique. Il est fort probable que le langage d’un locuteur citadin n’est
pas celui d’un locuteur rural. Mais le parler d’un locuteur peut aussi varier en fonction de la
couche sociale à laquelle il appartient. Ainsi, les lectes d’un médecin ou d’un avocat ne sont
pas ceux d’un ouvrier bien que ce dernier réside en ville.
Pour conclure cette réflexion, on peut constater que malgré le fait que Ferguson a
contribué considérablement à la diffusion du terme diglossie, sa conception est trop restreinte
et ne prend pas en considération les situations plus complexes.
Quelques années plus tard, ce modèle de diglossie a été repris par Joshua Fishman.21
Nous avons déjà parlé de cet auteur dans la partie consacrée à la distinction entre bilinguisme
et diglossie. Pour lui, la diglossie est un phénomène social qui relève de la sociolinguistique.
Fishman ne vise pas à modifier complètement la conception de Ferguson. On peut dire
plutôt qu’il se place aux côtés de son précurseur en reprenant ses notions de variété haute et
basse. Sa contribution à l’élargissement de la conception consiste à dire que la diglossie
caractérise toute société où deux formes linguistiques sont en usage, qu’elles aient une origine
commune ou non. C’est-à-dire que le terme de diglossie n’englobe pas seulement les
situations où l’on utilise deux variantes de la même langue (variantes haute et basse chez
Ferguson) mais aussi celles où des langues complètement différentes sont en usage. Ainsi, on
19 Boyer, Henri : Les notions de diglossie et de variété. Texte de conférence de 13 avril 2011 à Brno. 20 Id. (H. Boyer parle du « créole acrolectal » ou du « créole distingué ».) 21 Fishman, Joshua : Bilingualism with and without diglossia, diglossia with and without bilingualism. Journal of Social Issues, 1967.
12
peut considérer toute situation coloniale (où la langue européenne et la langue du pays
colonisé sont présentes) comme diglossique. En effet, Fishman suppose que dans toutes les
sociétés de quelque étendue on peut trouver les traits de diglossie.
Pour que la présentation de la conception de Fishman soit complète, il faut rappeler
ses réflexions concernant les rapports entre bilinguisme et diglossie qu’il résume en proposant
quatre situations possibles :
bilinguisme et diglossie : tous les membres d’une société connaissent la forme haute
et la forme basse (l’auteur cite l’exemple d’espagnol et de guarani au Paraguay)
bilinguisme sans diglossie : il y a de nombreux locuteurs bilingues dans une société,
mais ils n’utilisent pas les formes linguistiques pour des usages spécifiques (les
situations en transition entre une diglossie et une autre forme de la communauté
linguistique)
diglossie sans bilinguisme : présence d’une répartition fonctionnelle des usages entre
deux langues, mais il y a un groupe n’utilisant que la forme haute tandis que l’autre
ne parle qu’une forme basse (la Russie tsariste où la noblesse parlait français et le
peuple russe)
ni diglossie ni bilinguisme : les locuteurs ne parlent qu’une seule langue (situation
imaginable uniquement dans une très petite communauté)22
On a vu que Ferguson et Fishman représentent par leur terminologie descriptive les
conceptions de diglossie de façon plutôt théorique. Bien que Fishman ait enrichi la définition
de la diglossie comme nous l’avons montré, la répartition des situations qu’il propose reste
trop schématique pour pouvoir être applicable en pratique. Un autre défaut qu’on peut
observer dans les théories de ces deux auteurs est l’idée que la diglossie est un phénomène
caractérisé par sa stabilité. L’omission du fait que la diglossie n’évolue pas dans un espace
vide mais change en fonction du changement des rapports sociaux est la raison pour laquelle
la conception de Ferguson a fait plus tard l’objet de sévères critiques.
II. 2. 3. Conflit linguistique
Étant donné que le concept canonique de Ferguson était peu satisfaisant, la critique
postérieure s’efforçait de corriger les schémas trop idéalisés et superficiels. Ce que certains 22 Calvet, Louis-Jean : La Sociolinguistique, 1996.
13
auteurs reprochaient à leurs précurseurs, c’est la « vision idylique de la stabilité, de
l’homogénéité et de l’harmonie du schéma canonique ».23
Certains linguistes, notamment d’origine catalane et occitane, étaient d’avis que
derrière le système d’alternance fonctionnelle des deux variétés il y a un conflit linguistique.
Les auteurs catalans ont proposé d’utiliser ce terme pour mieux saisir tous les aspects de la
problématique. Pour eux, le conflit linguistique est un phénomène le plus complexe qui
englobe d’autres phénomènes parmi lesquels la diglossie.
Voici la définition du conflit linguistique publiée dans le cadre des travaux du Congrés
de cultura catalana (1975-1977) : « Il y a conflit linguistique quand deux langues clairement
différenciées s’affrontent, l’une comme politiquement dominante (emploi officiel, public) et
l’autre comme politiquement dominée. »24 Le concept permet de distinguer plusieurs formes
de domination : elle peut être explicitement répressive (les pratiques de l’État espagnol sous le
franquisme) ou bien répressive uniquement sur le plan idéologique (les pratiques de l’État
français). Les auteurs du concept définissent deux types de conflit linguistique : dans une
société préindustrielle où la situation de diglossie est stabilisée, le conflit linguistique est
habituellement latent alors que dans une société industrialisée le conflit apparaît d’habitude
sous sa forme aiguë.25
Quand on analyse la définition donnée, on peut s’apercevoir d’un certain glissement
dans la terminologie. L’expression « deux langues clairement différenciées » marque un
changement par rapport au concept de Ferguson ou de Fishman. Désormais, on peut appliquer
la notion de conflit diglossique à chaque situation où « deux groupes linguistiquement
différenciées cohabitent dans une même organisation étatique, dès que l’une des deux a sur
l’autre un avantage, en droit ou en fait ».26 Les termes « langue dominante » et « langue
dominée » nous intéressent particulièrement étant donné que ceux-ci apparaissent souvent
dans le contexte des situations coloniales que nous allons étudier de plus près.
Mais cette distinction nous indique encore une chose importante. La diglossie,
phénomène plutôt statique dans le concept originel, commence à bouger. Pour les
sociolinguistes catalans, ce mouvement est possible dans deux directions. C’est pourquoi ils
introduisent les termes « normalisation » pour la situation où la langue dominée s’émancipe
entièrement et fait disparaître la langue jadis dominante. La deuxième situation qui peut se
23 Prudent, Lambert-Félix : Diglossie et interlecte. In Langages, 15e année, n° 61, 1981, p. 23. (l’auteur de l’article traduit)24 Kremnitz, Georg : Du « bilinguisme » au « conflit linguistique ». Cheminement de termes et de concepts. In : Langages, 15e année, n° 61, 1981, p. 65.25 Ibid.26 Ibid., p. 65.
14
produire est celle de la « substitution » caractérisée par la disparition de la langue dominée au
profit de la langue dominante.27
En rapport avec cette problématique, nous voudrions mentionner la conception que
propose Louis-Jean Calvet.28 Ce dernier parle de la « glottophagie » qui désigne une situation
où une langue « digère » une autre, en d’autres termes, où une langue est repoussée par une
autre et disparaît. On peut dire que la glottophagie est un terme plus expressif caractérisant le
même processus que les auteurs catalans qualifient de substitution.
Nous n’allons pas développer ici d’avantage la réflexion sur ce sujet en analysant les
raisons qui peuvent mener à telle ou telle situation linguistique mentionnée. Nous reviendrons
à cette question quand nous analyserons les situations concrètes dans les pays qui font l’objet
de notre étude.
Nous pouvons observer que la conception de conflit linguistique est relativement
répandue, notamment chez les auteurs catalans mais aussi chez ceux qui s’occupent de la
situation linguistique en France (le rapport entre le français et l’occitan par exemple). Il
convient cependant de se poser la question de savoir si toute diglossie est nécessairement
indicatrice d’un conflit linguistique. Est-ce qu’il est question du conflit diglossique dont parle
Henri Boyer29 ou bien s’agit-il seulement d’un aspect conflictuel de la diglossie ? F.
Vallverdú, l’un des auteurs catalans, propose de distinguer deux types de base de diglossie : la
diglossie « neutre » et la diglossie « conflictuelle ». Il constate que, dans le cas de diglossie
neutre, « le conflit linguistique a été neutralisé au niveau idéologique, mais on ne peut pas
dire qu’il y ait une véritable aliénation linguistique, parce qu’il ne répond pas [...] à des
tensions sociales réelles. »30
On pourrait reprocher à la théorie des sociolinguistes catalans que ces derniers
l’appliquent avant tout au Pays catalan ce qui rend difficile son transfert à d’autres situations.
Or, en ce qui concerne l’objet de notre travail que sont les situations coloniales, on peut
supposer que celles-ci constitueront un bon exemple de la diglossie conflictuelle. C’est
pourquoi nous estimons que la terminologie utilisant justement les notions de langue dominée
et langue dominante sera adéquate pour le traitement de notre problématique.
27 Kremnitz, Georg : Du « bilinguisme » au « conflit linguistique ». Cheminement de termes et de concepts. In : Langages, 15e année, n° 61, 1981, pp. 63-74.28 Calvet, Louis-Jean : Linguistique et colonialisme. Petit traité de glottophagie. Paris : Petite Bibliothèque Payot, 2002 (rééd.), 328 p.29 Boyer, Henri : Matériaux pour une approche des représentations sociolinguistiques. Éléments de définition et parcours documentaire en diglossie. In : Langue française, n° 85, 1990, pp. 102-124.30 Kremnitz, Georg : Du « bilinguisme » au « conflit linguistique ». Cheminement de termes et de concepts. In : Langages, 15e année, n° 61, 1981, p. 70.
15
II. 2. 4. Termes parallèles - d’autres « glossies »
Pour terminer la liste des conceptions relatives à la diglossie, qui ne sera pourtant pas
exhaustive, nous voudrions mentionner les auteurs qui ont proposé les termes que l’on
pourrait dire parallèles à la diglossie.
Le conflit linguistique dont nous avons parlé précédemment pourrait être considéré
comme l’un de ces termes. Or, il faut rappeler que pour ces auteurs, le conflit linguistique ne
remplace pas la notion de diglossie, il est compris plutôt comme son hyperonyme.
Einar Haugen, un chercheur norvégien, a contribué à la discussion sur la diglossie en
avançant la notion de « schizoglossie » qu’il définit comme « la maladie linguistique qui
affecte les locuteurs et les scripteurs qui sont exposés à plus d’une variété de leur propre
langue ».31 Son but était de prouver la présence de la variation aussi dans les sociétés
prétendument « unilingues ». Soucieux également des problèmes quotidiens des locuteurs, il
s’intéresse à la norme linguistique. Sa critique, assez modérée, de Ferguson se contente de
rappeler qu’à côté des variantes standard et le dialecte, il peut exister des styles
intermédiaires.
L’une des dérives intéressantes de la conception de diglossie, la triglossie, est attestée
chez trois auteurs. Le premier, Robert Lafont introduit cette notion en 1971, la deuxième
mention est due à Guy Hazael-Massieux en 1978. La même année, ce terme apparaît chez
Jean-Baptiste Marcellesi32 qui s’en occupe de façon la plus détaillée. Sa contribution consiste
à établir l’existence d’une variété prestigieuse au sud de la Corse qui s’oppose à la fois à la
variété autochtone et au français. Ainsi, il parle de la triglossie français/variété
autochtone/système prestigieux.33
Henri Gobard34 qui prétend s’intéresser à la psychanalyse transculturelle ou à
l’ethnopsychiatrie plutôt qu’à la sociolinguistique avance la notion de « tétraglossie ». Il
distingue « quatre types de langages quelle que soit la langue utilisée » : le vernaculaire, le
véhiculaire, le référentiaire et le mythique. Son modèle est intéressant mais manque de
31 Prudent, Lambert-Félix : Diglossie et interlecte. In Langages, 15e année, n° 61, 1981, p. 22.32 Marcellesi, Jean-Baptiste : Détermination sociolinguistique et phantasmes : Le sud de la Corse. Proceedings of the twelth International Congres of Linguists. Insbruck 1978, pp.317-320.33 Prudent, Lambert-Félix : Diglossie et interlecte. In Langages, 15e année, n° 61, 1981, pp. 13-38.34 Gobard, Henri : L’Aliénation linguistique. Analyse tétraglossique. Flammarion, 298 p.
16
démonstration. La seule application connue de la tetraglossie est donc celle d’Albert Valdman
(1979) qui finit malgré tout par défendre le concept de la diglossie.35
Cette typologie des dérives de diglossie est à notre avis très intéressante parce qu’elle
développe les différents types de situations diglossiques. Il peut exister une variante
linguistique (ou peut-être une langue) qui s’oppose à deux ou plusieurs autres
variantes/langues. Ainsi, il sera intéressant de voir s’il est possible d’appliquer une pareille
conception à la situation linguistique au Maghreb où l’on peut étudier en fait plusieurs types
de diglossie (arabe dialectal/arabe classique/français).
Après avoir montré l’évolution du terme de diglossie, il convient d’expliquer la
conception que nous avons choisi d’adopter dans notre travail. Évidemment, nous n’allons pas
respecter le schème canonique de Ferguson vu que nous ambitionnons d’appliquer la notion à
des langues qui ne sont pas toutes de la même origine. Il faut souligner également le fait que
nous intégrerons à notre étude l’aspect conflictuel de la diglossie, ce qui nous permettra
d’utiliser éventuellement la terminologie de langue dominante/langue dominée. Nous
n’excluons pas non plus la possibilité de nous inspirer des termes parallèles à la diglossie, tels
que la triglossie par exemple, puisque notre réflexion portera essentiellement sur trois
langues.
35 Prudent, Lambert-Félix : Diglossie et interlecte. In Langages, 15e année, n° 61, 1981, pp. 13-38.
17
III. Situation linguistique au Maghreb
Nous voudrions consacrer cette partie de notre travail à l’étude de la situation
linguistique dans les trois anciennes colonies françaises du Maghreb : Algérie, Tunisie et
Maroc. Nous allons procéder chronologiquement en portant notre attention tout d’abord sur la
période avant la colonisation puis sur l’époque coloniale. Ensuite, nous allons montrer les
tendances générales quant aux politiques linguistiques des pays maghrébins dans les
premières années de leur indépendance pour enfin passer en revue les langues qui sont
aujourd’hui en usage dans ces pays.
Cet aperçu des langues du Maghreb nous aidera à discerner les différentes situations
diglossiques qu’on peut analyser sur ce territoire.
III. 1. Langues du Maghreb avant la colonisation française
Pour bien parler de la situation linguistique au Maghreb avant la colonisation
française, il faut d’abord mentionner les langues des Berbères qui ont été les premiers à
s’installer sur ce territoire.
La recherche systématique sur les langues berbères n’a commencé qu’au XIXe siècle.
Aujourd’hui, il existe approximativement trois cent langues et dialectes berbères dans
l’Afrique du Nord. La langue des Touaregs constitue une branche particulière parmi ces
langues. Elle n’est que très peu influencée par l’arabe et diffère donc le plus des autres
langues berbères. Celles-ci peuvent être classées en deux groupes : les langues de l’ouest et
les langues du nord. Le premier groupe contient les dialectes utilisés dans diverses parties de
la Mauritanie, du Maroc et de l’Algérie. Au deuxième groupe appartiennent par exemple les
langues kabyles en Algérie. Les autres dialectes berbères sont dispersés sur tout le territoire de
l’Afrique du Nord.36
Il y a des variétés des langues berbères qui sont en usage de nos jours : le kabyle en
Kabylie (région située dans le nord de l’Algérie), le chaoui dans les Aurès (un territoire
montagneux à l’est de l’Algérie) et le tamachek chez les Touaregs.37
36 Krupa, Viktor : Jazyky sveta. Bratislava : Obzor, 1983.37 Benrabah, Mohamed : Langue et pouvoir en Algérie. Histoire d’un traumatisme linguistique. Paris, Séguier, les Colonnes d’Hercule, 1999, 350 p.
18
La conquête de l’Afrique du Nord par les Arabes commença au VIIe siècle. Au fur et à
mesure, la population indigène, notamment celle qui résidait en ville, fut assimilée par les
envahisseurs en adoptant leur religion ainsi que leur langue. Au contraire, les habitants des
régions rurales, bien que largement convertis à l’islam, continuaient à utiliser le berbère. En
raison de l’assimilation de ces deux ethnies, la plupart de la population du Maghreb comporte
aujourd’hui des Berbères arabisés, les Arabes d’origine ne se trouvant que dans les grandes
villes.38
III. 2. Colonisation française et politiques linguistiques et scolaires au Maghreb
Quant à l’époque coloniale, nous voudrions au préalable essayer de montrer certains
aspects de la politique menée par les Français dans les trois pays maghrébins. Dans le cas de
l’Algérie, nous allons nous intéresser surtout à la question de l’administration coloniale. En ce
qui concerne la Tunisie et le Maroc, nous allons présenter deux personnalités qui sont
intervenues dans l’évolution des pays et dont les opinions sur la colonisation constituent les
courants de pensée importants de la société française à l’époque coloniale.
Ensuite, nous allons nous concentrer sur la question des politiques linguistiques dans
les anciennes colonies du Maghreb. Le système scolaire mis en place par le pouvoir colonial
et l’enseignement du français nous intéresseront particulièrement.
III. 2. 1. Algérie
L’Algérie fut la première colonie française sur le continent africain. Colonisée sous
Charles X en 1830, elle ne gagna son indépendance qu’en 1962.
On peut dire que l’Algérie avait un statut spécifique parmi les colonies maghrébines.
En 1848, le pays fut divisé en trois départements : Alger, Oran et Constantine.39 Cela nous
montre bien que les Français visaient à l’administrer comme la France métropolitaine. Les
colonisateurs menaient en Algérie la politique d’assimilation qui se traduisait par la
soumission directe de la colonie au parlement français et au conseil des financiers dans la
colonie. À la tête de l’Algérie fut placé le gouverneur général qui avait sous son autorité les
38 Hrbek, Ivan : Dějiny Afriky. Tome 1. Praha: Svoboda, 1966, 481 p.39 Hrbek, Ivan : Dějiny Afriky. Tome 2. Praha : Svoboda, 1966, 654 p.
19
préfets des trois départements. Ceci dit, on pourrait avoir l’impression que la conquête de
l’Algérie fut une entreprise facile pour l’armée coloniale et que le pays a été soumis
paisiblement au contrôle de la France. Mais il faut dire que la pacification du territoire ne
s’effectuait que par étapes et que jusqu’à la fin du XIXe siècle l’Algérie connut toute une série
des révoltes sanglantes.40
Tout habitant venu d’Europe jouissait des droits du citoyen français, alors que les
Algériens étaient soumis à un statut spécial. L’administration de leurs affaires était confiée
aux « bureaux arabes » dirigés par les officiers français. Il y avait aussi des officiers indigènes
mais ceux-ci ne disposaient d’aucun pouvoir réel. Les Algériens n’avaient le droit ni de créer
des partis politiques ni de voter. Or, ils n’étaient pas jugés d’après les lois françaises mais par
le « codex indigène ». Une situation insolite, semble-t-il. Pourtant, elle s’explique facilement
par le fait que les lois « traditionnelles » étaient beaucoup plus sévères et permettaient les
punitions corporelles.41 En somme, sous la colonisation, les Algériens étaient des « citoyens
de seconde zone ».42
Dès les premières étapes de la colonisation de l’Algérie, les Français manifestèrent des
efforts pour fonder partout et très vite des écoles. Les colonisateurs tentaient de démontrer aux
habitants que les connaissances et les religions étaient des choses différentes et que leur but
n’était pas de les christianiser. Or, l’enseignement traditionnel en Algérie, comme celui du
reste du monde arabe à l’époque, fut très étroitement lié à la religion. C’est pourquoi les
tentatives de scolarisation inquiétaient la population et furent souvent causes de panique ou de
révolte.
Avant l’arrivée des Français, l’enseignement algérien fut financé par le dit « habous ».
Ce terme arabe désigne « les fonds religieux qui constituaient la source principale des
revenus pour les institutions religieuses, y compris les écoles ».43 En 1843, lorsque l’État
s’appropria les biens habous, commença le déclin du système éducatif algérien. Les officiers
coloniaux refusèrent de subventionner les écoles et les mosquées et d’assurer les postes pour
le nombre adéquat d’enseignants. En raison du nombre insuffisant d’enseignants musulmans,
40 Balta, Paul : Le grand Maghreb. Des indépendences à l’an 2000. Paris : Découverte, 1990, 326 p.41 Hrbek, Ivan : Dějiny Afriky. Tome 2. Praha : Svoboda, 1966, 654 p.42 Balta, Paul : Le grand Maghreb. Des indépendences à l’an 2000. Paris : Découverte, 1990, p. 83.43 Chapan Metz, Helen, ed. : Algeria: A Country Study. Washington: GPO for the Library of Congress, 1994. Accessible sur le site: <http://countrystudies.us/algeria/23.htm>. Consulté le 7 février, 2012. (traduit par nos soins)
20
c’étaient les Français qui enseignaient dans beaucoup d’écoles - même dans les écoles
« madrasa ».44
Il y eut des tentatives de lancer des écoles bilingues, biculturelles, pour que les enfants
européens et musulmans soient ensemble dans une classe. Mais elles furent un échec complet,
étant rejetées par les deux communautés et finalement arrêtées en 1870. D’après certaines
estimations, moins de 5 % d’enfants algériens fréquentaient une école en 1870.45
À partir de 1890, on commença à enseigner à un petit nombre de musulmans avec les
étudiants européens dans le cadre du système scolaire français. Les plans scolaires furent
élaborés en langue française, l’arabe ne fut guère enseigné.46 Dans les années suivantes, on vit
apparaître une génération dans laquelle un certain nombre de musulmans étaient éduqués.
Ceux-ci appartenaient à la classe des « évolués ». Ce terme désigne un groupe de musulmans
privilégiés, influencés par la culture et la politique françaises.
Nous pouvons constater que les Français ont réussi, en quelques années, à détruire
complètement le système éducatif traditionnel en Algérie et qu’ils n’ont été capables de le
remplacer que vers la fin du XIXe siècle.
À partir de 1930, le français avait déjà pénétré partout. Bien sûr, l’école n’est pas le
seul moyen par lequel la langue a pris place dans la vie des habitants. Il est logique que le
français s’est imposé surtout par la communication orale. L’année 1930 marque également le
moment où « les Français d’Algérie n’ont plus éprouvé le besoin d’apprendre l’arabe ».47
III. 2. 2. Tunisie
À la différence de l’Algérie qui avait le statut d’une colonie française à part entière, la
Tunisie et le Maroc furent soumis aux régimes d’administration indirecte, ayant le statut des
protectorats français.
Le protectorat sur la Tunisie fut établi en 1881. Les premières années de son existence
sont liées à la personnalité de Jules Ferry. Ce dernier est connu notamment comme le
promoteur de l’« école gratuite, laïque et obligatoire » mail il était aussi un partisan actif de
44 Le terme madrasa désigne un établissement d’enseignement secondaire et supérieur soumis au pouvoir religieux, dans les pays de confession musulmane. Le dictionnaire Mediadico. Accessible sur le site : <http://www.mediadico.com/dictionnaire/definition/madrasa/1>. Consulté le 7 février, 2012. 45 Chapan Metz, Helen, ed. : Algeria: A Country Study. Washington: GPO for the Library of Congress, 1994. Accessible sur le site: <http://countrystudies.us/algeria/23.htm>. Consulté le 7 février, 2012.46 Ibid.47 Walter, Henriette : Le français dans tous les sens : grandes et petites histoires de notre langage. Paris : Robert Laffont, 2008, p. 229.
21
l’expansion coloniale française. Pour Ferry, la colonisation est liée au patriotisme, il s’agit
d’un signe de prestige de la France. S’il défend l’expansion coloniale, c’est parce qu’elle aide
à « mieux enraciner la légitimité nationale de la République ».48 Il est évident que les
opinions de Ferry s’appuient égalemment sur les principes économiques puisqu’il souligne
que seul le commerce colonial peut offrir des débouchés assurés. Or il ne perçoit pas le
protectorat seulement comme un moyen de domination ou d’exploitation économique, le
régime permet à son avis aussi de réformer le pays au nom de la « mission civilisatrice ».
Cette fameuse formule exprime le « triomphe de la liberté par l’éducation des peuples »49 qui
sont, à l’aide des colonisateurs, amenés à la civilisation. Ainsi, les « écoles Ferry » sont
fondées en Tunisie pour accomplir cette « mission ».
Il faut souligner le fait que la France a mis sous protectorat un pays qui disposait d’un
système scolaire déjà bien organisé et diversifié. Ce système comportait l’enseignement
religieux traditionnel mais aussi de nouvelles institutions offrant l’enseignement des matières
anciennes (c.f. la théologie) ainsi que des sciences profanes comme les mathématiques, la
littérature ou l’histoire. Le but de l’enseignement « officiel », dirigé par l’État, fut de rattraper
le retard des pays musulmans50 à l’égard de l’Europe.
Dans les premières années de l’occupation, les Français n’ont pas créé une nouvelle
politique scolaire en Tunisie. Jules Ferry refusait de détruire le système d’enseignement
préexistant à l’arrivée des Français sachant que la religion jouait un « rôle encore
prépondérant »51 dans le pays. Pour lui, « l’œuvre vraiment politique et civilisatrice serait
l’école française pour les musulmans, l’école où des instituteurs arabes professeraient le
français pour les Arabes ».52
Ferry voulait franciser à travers l’enseignement du français non seulement les
musulmans, mais aussi la population européenne non française. L’assimilation des Européens
vivant en Tunisie aurait dû renforcer la position de la France par rapport à l’Italie qui
représentait sa concurrence directe dans le protectorat.
48 Luizard, Pierre-Jean : La politique coloniale de Jules Ferry en Algérie et en Tunisie. In : Pierre-Jean Luizard : Le choc colonial et l’islam. La Découverte « TAP/HIST Contemporaine », 2006, p. 93.49 Luizard, Pierre-Jean : La politique coloniale de Jules Ferry en Algérie et en Tunisie. In : Pierre-Jean Luizard : Le choc colonial et l’islam. La Découverte « TAP/HIST Contemporaine », 2006, p. 91.50 On peut observer les efforts pour réformer l’enseignement par exemple en Turquie ou en Égypte.51 Sraieb, Noureddine: L’idéologie de l’école en Tunisie coloniale (1881-1945). In : Revue du monde musulman et de la Méditerranée, n° 68-69, 1993. Etats modernes, nationalismes et islamismes, p. 240.52 Id.
22
Une autre idée fondamentale de Ferry fut d’offrir aux habitants une formation
professionnelle pour assurer au protectorat une main-d’œuvre qualifiée, nécessaire pour le
fonctionnement des entreprises.
On peut s’apercevoir de l’importance accordée à l’apprentissage du français qui fut
perçu comme un instrument d’assimilation par excellence. Jules Jusserand, un haut
fonctionnaire aux Affaires Étrangères qui fut envoyé en Tunisie pour s’occuper des Affaires
tunisiennes a rédigé la Note sur l’instruction en Tunisie. Ce document aurait dû, avec le
travail de Ferry, servir de base à la politique scolaire en Tunisie. Jusserand affirme que les
Arabes sont « intelligents, capables d’apprendre et dociles » et que les Français ont « grand
intérêt à essayer de mettre à profit ces qualités et de transformer par une instruction
française les éléments les meilleurs de cette population».53
La direction des affaires concernant l’enseignement au protectorat fut confiée au
directeur général de l’Instruction publique. Le premier qui en fut chargé, Louis Machuel,
voulait introduire en Tunisie les écoles franco-arabes qui existaient déjà en Algérie. Ce type
d’écoles réunissait les colons et les indigènes pour que les deux groupes soient parvenus à la
compréhension et au respect mutuels. L’enseignement dans les écoles franco-arabes, qui ont
adopté le modèle de l’enseignement primaire français, se donnait en français et en arabe. Les
enfants européens apprenaient l’arabe dialectal et les enfants tunisiens suivaient
l’enseignement du Coran et de l’arabe classique. En 1894 fut créée une école spéciale, « al-
madrasa al-‘asfuriyya » dont le but était de former les enseignants autochtones, bilingues, qui
instruiraient les élèves tunisiens aussi bien en arabe qu’en français.
Au fur et à mesure, la capacité de parler français devenait indispensable pour la
communication et la bonne maîtrise de la langue française facilitait la recherche d’emploi.
Malgré cela, l’attitude envers le nouveau type d’enseignement fut variable. Les gens
provenant des milieux aisés étaient plutôt partisans du nouvel enseignement. Mais il y avait
aussi des familles qui refusaient même d’envoyer leurs enfants aux écoles franco-arabes.
Cette attitude conduisit à la formation de deux groupes opposés qui exprimèrent leurs
opinions sur l’enseignement au cours du Congrès colonial à Paris en 1908. Les partisans de
l’école franco-arabe y proposèrent de maintenir ce modèle au moins en milieu urbain et dans
les zones où les Tunisiens et les colons devaient cohabiter. Le Parti colon qui s’opposait à
cette idée affirmait que l’instruction faisait de l’indigène le concurrent du Français, que
l’indigène pouvait se transformer en ennemi et que cette même instruction le rendait « difficile
53 Sraieb, Noureddine: L’idéologie de l’école en Tunisie coloniale (1881-1945). In : Revue du monde musulman et de la Méditerranée, n° 68-69, 1993. Etats modernes, nationalismes et islamismes, p. 241.
23
à gouverner ».54 En d’autres mots, certains colons craignaient la concurrence que pouvaient
représenter les Tunisiens éduqués. Or, aux yeux des colonisateurs, l’enseignement de la
langue française et de l’histoire de France ne devait que « civiliser » les Tunisiens pour qu’ils
admettent enfin la présence des Français dans le pays. De plus, les locuteurs bilingues issus de
l’enseignement franco-arabe pouvaient servir d’intermédiaires entre la population tunisienne
et le pouvoir colonial.
Les Français étaient conscients du fait que la langue française était l’un des
instruments importants assurant l’hégémonie coloniale. De crainte que celle-ci ne soit remise
en cause, il fut interdit aux Tunisiens d’accéder à certaines grandes écoles sous prétexte qu’ils
n’étaient pas des citoyens français. Ce ne fut qu’en 1945, avec la création de l’Institut des
hautes études à Tunis, que les Tunisiens purent postuler à certains postes de la fonction
publique. Mais cela ne marque pas un grand changement puisque le gouvernement français
réservait toujours les postes stratégiques uniquement aux Français pour ne pas compromettre
la présence française en Afrique du Nord.
Il y eut des tentatives de changer cette politique en proposant une réforme de
l’enseignement mais ces projets ne se réalisèrent pas. Ce ne fut qu’à la veille de
l’indépendance que le débat s’éleva sur le développement de l’Instruction publique en
Tunisie.55
III. 2. 3. Maroc
Le traité instituant le Protectorat français dans l’Empire chérifien fut signé le 30 mars
1912. Le poste du résident général fut occupé jusqu’en 1925 par le général Lyautey qui fut
chargé de « pacifier le Maroc ».56 Certaines régions durent effectivement être « pacifiées » par
les troupes françaises à cause de la résistance des chefs locaux.57 Or, Lyautey n’était pas
comme la plupart de ses contemporains favorables à la colonisation. Il ne considérait pas les
Marocains comme « un peuple inférieur aux Français » mais comme « une société
différenciée par une histoire qui leur est propre et mérite considération ». À ses yeux, l’islam
54 Sraieb, Noureddine: L’idéologie de l’école en Tunisie coloniale (1881-1945). In : Revue du monde musulman et de la Méditerranée, n° 68-69, 1993. Etats modernes, nationalismes et islamismes, p. 246.55 Sraieb, Noureddine: L’idéologie de l’école en Tunisie coloniale (1881-1945). In : Revue du monde musulman et de la Méditerranée, n° 68-69, 1993. Etats modernes, nationalismes et islamismes, pp. 239-254.56 Bernard, Augustin : La France au Maroc. In : Annales de Géographie, 1917, t. 26, n° 139, p. 42. 57 Ibid.
24
n’est pas « une version appauvrie et déformée du monothéisme sémitique, mais une des plus
hautes élaborations de l’esprit humain en quête de transcendance absolue ».58
Cette attitude vis-à-vis de la population marocaine et sa culture se reflète dans la
politique de Lyautey pendant le protectorat. Ses opinions sur la formation des élites nous
semblent particulièrement intéressantes. Lyautey refusait les notables issus des colons, visant
au contraire à promouvoir les élites indigènes. Il a fondé par exemple les « écoles de fils de
notables » pour les élites urbaines qui sélectionnaient les élèves des « collèges musulmans ».
Mais en même temps, il ne voulait pas que les élèves de ces collèges eussent accès à
l’Université française.59 Pourquoi cette attitude équivoque ? Lyautey croyait
qu’un « musulman européanisé (...) n’est plus un musulman, mais un déraciné coupé des
siens et condamné à être une force perdue et pour la cité indigène et pour la puissance
protectrice ».60 Il semble que Lyautey était contre le métissage. Son effort d’empêcher les
élèves marocains de faire leurs études supérieures en France aura des conséquences qui sont
encore observables dans le Maroc contemporain et dont nous allons parler plus bas. Son
respect, voire son admiration envers la culture et religion indigènes lui ont néanmoins apporté
d’une part le mépris du milieu ultra-colonial et de l’autre la sympathie des Marocains qui l’ont
surnommé « maréchal d’islam ».61
Quant à la politique linguistique, nous estimons qu’il serait intéressant de voir quel est
le bilan des efforts français en matière d’enseignement au Maroc sous le protectorat. Voici
quelques chiffres qui montrent le taux de scolarisation des enfants marocains musulmans. En
1935, moins de 2 % des enfants marocains scolarisables fréquentaient l’école française.62
Malgré les tentatives d’étendre la scolarisation, le nombre de Marocains formés dans le
système scolaire de protectorat fut, encore à la veille de l’indépendance, très restreint : « 3669
titulaires du certificat d’études primaires, 519 titulaires du brevet et 269 bacheliers ».63
Comme l’attestent ces chiffres, l’école française pendant le protectorat a formé un contingent
peu nombreux des élites marocaines. Ces élites modernes ont contribué à maintenir la langue
58 Rivet, Daniel : Quelques propos sur la politique musulmane de Lyautey au Maroc (1912-1925). In : Pierre-Jean Luizard : Le choc colonial et l’islam. La Découverte « TAP/HIST Contemporaine », 2006, pp. 255-270.59 Vermeren, Pierre : La formation des élites marocaines, miroir de la mondialisation ? In : Le Télémaque, 2011/1, n° 39, pp. 53-66.60 Rivet, Daniel : Quelques propos sur la politique musulmane de Lyautey au Maroc (1912-1925). In : Pierre-Jean Luizard : Le choc colonial et l’islam. La Découverte « TAP/HIST Contemporaine », 2006, p. 259.61 Ibid.62 Benzakour, Fouzia : Langue française et langues locales en terre marocaine : rapports de force et reconstructions identitaires. Hérodote, 2007/3, n° 126, pp. 45-56.63 Ibid., p. 45.
25
et la culture françaises au Maroc indépendant « en défendant une politique de bilinguisme,
s’opposant ainsi à l’élite arabisante ».64
Si l’on essaie de comparer les politiques linguistiques et scolaires françaises dans les
trois pays mentionnés, on pourrait constater que le mot clé de cette politique est « la
francisation » des populations. Par l’intermédiaire de l’enseignement du français aux
Maghrébins, les colonisateurs visaient à implanter au Maghreb non seulement la langue, mais
aussi la culture et civilisation françaises, tout cela pour accomplir « la mission civilisatrice ».
La réaction immédiate à cette politique de la part des autorités maghrébines au
lendemain des indépendances est caractérisée par le rejet du français.
III. 3. Tendances générales en politiques linguistiques post-coloniales
Au lendemain de sa libération, toute ancienne colonie doit faire face à de nombreux
dilemmes. Il faut trancher les questions concernant la future orientation économique, sociale
et culturelle du pays en s’efforçant en général de légitimiser son statut en tant qu’un État
indépendant.
Pour les pays du Maghreb, c’est le discours sur la politique linguistique qui représente
un vrai symbole de la légitimité, « une prise de conscience de soi-même, un acte de liberté et
d’appropriation de la parole confisquée, une démarcation par rapport au colonisateur, un
acte de commandement au nom de la souveraineté, une aptitude à prendre des décisions et
(...) une compétence dans le débat sur la langue ».65
Ces mots témoignent du fait que les langues sont dotées du pouvoir confirmant la
légitimité ainsi que l’autorité de celui qui prend publiquement la parole. D’ailleurs, la langue
n’est-elle pas un outil majeur de transmission du pouvoir colonial ? Le but principal des
hommes politiques maghrébins au regard de la politique linguistique est donc de renverser ce
pouvoir, c’est-à-dire « renverser le statut des langues ».66 Pour certains, il peut même s’agir
de poursuivre la lutte pour l’indépendance en luttant pour la langue. Les gouvernements des
pays nouvellement indépendants sont donc confrontés aux questions telles que quelle langue
privilégier ou quel statut accorder aux autres langues en usage.
64 Benzakour, Fouzia : Langue française et langues locales en terre marocaine : rapports de force et reconstructions identitaires. Hérodote, 2007/3, n° 126,, p. 46.65 Chetouani, Lamria : Langues du pouvoir et pouvoirs de la parole dans les pays maghrébins. In : Mots, 1997, n° 52, p. 75.66 Ibid., p. 76.
26
Les trois pays du Maghreb ont décidé d’adopter la politique dite d’arabisation. C’est-
à-dire que l’arabe devient la seule langue officielle dans les pays maghrébins. Pourquoi
l’arabe ? Non seulement cette langue sert-elle d’un moyen d’une expression légitime, mais
elle constitue aussi l’un des éléments essentiels de l’identité nationale. Pour les populations
maghrébines dont la langue et la culture furent systématiquement opprimées par les régimes
coloniaux, le renouveau de l’identité nationale véhiculée par l’arabe était une question de
première importance. Quant au discours officiel de l’époque, on peut citer les mots de
Youssel Ben Abbès, ministre de l’Éducation du Maroc. En 1963, ce dernier affirme que « la
langue est l’élément essentiel de la personnalité d’un pays » et ajoute que « l’histoire de notre
pays est liée à l’histoire de sa langue nationale ».67 Le mouvement d’Istiqlal68 déclare, en
1970, que « l’arabisation n’est pas le remplacement d’une langue par une autre ; la langue
n’est pas un instrument, c’est l’âme du peuple ».69
La politique d’arabisation fut-elle réussie ? Quels sont ses résultats ? A quel point a-t-
elle influencé le statut du français en Algérie, en Tunisie et au Maroc ? Avant d’aborder ces
questions, nous allons parler des langues qui sont aujourd’hui en usage au Maghreb.
III. 4. Langues du Maghreb d’aujourd’hui
En parlant de l’arabisation, nous avons mentionné le fait que l’arabe fut déclaré langue
officielle dans les trois pays maghrébins. Or ce constat exige une précision puisqu’il existe en
réalité plusieurs variantes de la langue arabe qu’il faut nettement distinguer.
L’usage commun permet d’englober sous le mot arabe deux variantes de cette langue :
arabe classique et standard. Or en linguistique, il faut préciser que l’arabe classique est une
langue codifiée par les grammairiens du VIIIe siècle à partir de l’arabe du Coran; l’arabe
standard, nommé aussi arabe moderne ou arabe littéral (pour souligner son statut de la langue
de l’écrit) est l’arabe classique modernisé au XIXe siècle à l’occasion du mouvement de la
Nahda (renaissance culturelle).70 On peut trouver d’autres définitions de l’arabe standard dont
67 Cité par Chetouani, Lamria : Langues du pouvoir et pouvoirs de la parole dans les pays maghrébins. In : Mots, 1997, n° 52, p. 82.68 Parti politique marocain. 69 Cité par Chetouani, Lamria : Langues du pouvoir et pouvoirs de la parole dans les pays maghrébins. In : Mots, 1997, n° 52, p. 82.70 Barontini, Alexandrine : Valorisation des langues vivantes en France : le cas de l’arabe maghrébin. In : Le français aujourd’hui, 2007, n° 158, pp. 20-27.
27
l’une dit que c’est une variante simplifiée de l’arabe classique utilisée par les médias
et « adaptée à l’expression scientifique, technique, économique, politique, contemporaine ».71
Pour éviter les confusions en terminologie, nous choisissons d’employer la notion
d’arabe classique en parlant de la langue officielle unique du Maghreb, celle qui est acquise à
l’école, servant avant tout à la communication écrite des érudits et puisque « la langue de
Dieu » étant dotée également d’une dimension religieuse.72
Le registre oral de l’arabe offre toute une variété des langues (on dit le plus souvent
des « dialectes ») qui servent à la communication orale. Au Maghreb, les dialectes algérien,
tunisien et marocain sont en usage. Certains auteurs considèrent ces variétés comme de
véritables langues nationales,73 d’autres parlent de plusieurs dialectes qui varient « non
seulement d’un pays à un autre mais aussi d’une région à une autre ».74
Nous utiliserons le plus souvent les termes arabe dialectal ou arabe tunisien, marocain
et algérien. Il convient de souligner que le mot « dialectal » n’a pour nous aucune connotation
péjorative - nous ne percevons point ces « dialectes » comme usage impropre de la langue
arabe. Le mot « dialectal » qui permet la distinction entre les formes orale et écrite d’arabe ne
se rapporte qu’aux différences en usage et en statut entre ces deux variantes. À notre sens, il
s’agit de langues à part entière qui représentent un moyen majeur de la communication
usuelle dans les pays maghrébins, mais qui n’y sont pas reconnues officiellement.
En parlant aujourd’hui de l’arabe, il faut donc spécifier à quelle langue on pense. Nous
rappelons seulement que les politiques d’arabisation au Maghreb visaient uniquement la
promotion de l’arabe classique en la proclamant seule langue officielle.
Pour que notre aperçu sur la situation linguistique au Maghreb soit complet, il ne faut
pas oublier de mentionner d’autres langues qui sont en usage sur ce territoire, à savoir le
français et les langues berbères.
Malgré le fait qu’elle n’est une langue nationale dans aucun des pays maghrébins, la
langue française n’a guère disparu de l’Afrique du Nord. Les arguments qui favorisent son
usage s’appuient sur le fait que le français est une langue internationale, capable de véhiculer
les connaissances des domaines scientifique et technique. Étant donné que la maîtrise du
71 Maume, J.-L. : L’apprentissage du français chez les Arabophones maghrébins (diglossie et plurilinguisme en Tunisie). In : Langue française, n° 19, 1973, p. 94 72 Cohen, Anouk : La langue du silence dans le Maroc urbain contemporain. In : Revue de l’histoire des religions, n° 2, 2011, pp. 245-263.73 Cf. Miled, Mohamed : Le français dans le monde arbophone : quels statuts, quels contacts avec la langue arabe ? In : Langue française, n° 167, 2010/3, pp. 157-171. 74 Chetouani, Lamria : Langues du pouvoir et pouvoirs de la parole dans les pays maghrébins. In : Mots, 1997, n° 52, p. 79.
28
français est appreciée sur le marché du travail, la langue est aussi un moyen de promotion
sociale. En bref, le français est considéré comme une langue de modernité et de
développement.75
Les langues berbères qui ont résisté à l’influence de l’arabe sont encore en usage dans
certaines régions du Maghreb. Selon les chiffres dont dispose Ahmed Moatassime76, le
berbère fut parlé en 1992 par 45 à 60 % de la population au Maroc, 25 à 30 % en Algérie et
seulement 2 % en Tunisie. On peut voir que le Maroc et l’Algérie disposent d’un nombre
relativement élevé des locuteurs en berbère malgré le fait que celui-ci ne cesse, depuis le VIIe
siècle, de reculer devant l’arabe. Favorisée ni par la colonisation, ni par les politiques
d’arabisation, cette vieille langue a su se maintenir, notamment dans les montagnes et le
désert.77
Nous avons brièvement résumé la situation linguistique actuelle au Maghreb pour voir
quelles langues y sont en usage. Nous développerons la réflexion sur le statut de ces langues
quand nous parlerons des situations diglossiques qu’on peut analyser dans les trois pays du
Maghreb.
75 Chetouani, Lamria : Langues du pouvoir et pouvoirs de la parole dans les pays maghrébins. In : Mots, 1997, n° 52, pp. 74-92.76 Moatassime, Ahmed : Arabisation et langue française au Maghreb. Paris, PUF, 1992, p. 21.77 Haddadou, Mohand-Akli : L’État algérien face à la revendication berbère : de la répression aux concessions. In : Glottopol. Revue sociolinguistique en ligne, n° 1, janvier 2003, pp. 131-138.
29
IV. Situations de diglossie sur le territoire maghrébin
Nous nous sommes posée la question de savoir quelles langues sont en usage au
Maghreb de nos jours. On peut constater que celles-ci sont les suivantes : arabe (sous ses
formes variées), français et langues berbères. Selon la conception que nous adoptons dans ce
travail, ces langues se trouvent à la situation de diglossie.
Nous avons déjà parlé des différentes conceptions relatives à la diglossie en montrant
la perspective de laquelle nous visons traiter le sujet. On peut rappeler que nous considérons
comme diglossique toute situation ou deux langues sont en usage, qu’il s’agisse de
deux « variétés » d’une même langue ou non. Ainsi, nous étudierons d’une part les rapports
diglossiques entre deux variantes de l’arabe et, de l’autre, la diglossie entre les langues qui ne
sont guère apparentées.
Une autre remarque que nous voudrions faire au niveau de la terminologie concerne le
mot « diglossie ». Comme nous l’avons déjà noté, l’une des conceptions « parallèles »
introduit la notion de « triglossie » lorsqu’il est question de trois langues. Or, nous nous
sommes décidée à mettre à l’opposition chaque fois deux langues qui sont généralement
perçues comme concurrentes ou qui semblent se trouver en situation linguistique
conflictuelle. De ce point de vue, nous estimons que l’on peut établir trois situations
principales de diglossie au Maghreb : berbère/arabe, arabe dialectal/arabe classique,
arabe/français. Tout en sachant que nous n’épuisons pas entièrement le sujet (on pourrait
certes parler de l’arabe moderne ou étudier d’autres langues régionales minoritaires), nous
avons décidé de nous occuper des diglossies mentionnées que nous trouvons les plus
intéressantes à étudier.
Nous verrons quels étaient et quels sont aujourd’hui les relations entres les langues
étudiées. Notre objectif est d’analyser des changements éventuels de leur statut ou des
tentatives pour l’émancipation d’une langue jadis minorée (notamment le cas du berbère).
Nous voudrions aussi nous poser la question de savoir quel statut occupe le français en tant
qu’une langue des anciens colonisateurs parmi les langues « nationales » du Maghreb.
IV. 1. Diglossie berbère/arabe classique
Nous proposons de faire cette distinction puisque le berbère s’oppose avant tout à
l’arabe classique promu après les indépendances. Nous allons porter notre attention
30
notamment sur la question des langues berbères en essayant de tracer les points les plus
importants de l’émancipation du berbère jusqu’à présent.
Nous avons déjà noté que le berbère fut parlé, en 1992, par une partie appréciable des
populations du Maghreb. Au Maroc, les locuteurs berbérophones étaient les plus nombreux ;
en Algérie, le berbère fut parlé à peu près par un tiers de la population ; la Tunisie, par contre,
ne disposait que d’une minorité des locuteurs berbérophones. C’est la raison pour laquelle
nous ne regarderons de plus près que les cas marocain et algérien.
Avant d’aborder le sujet de ce chapitre, il convient de faire quelques remarques
concernant la terminologie. Devrait-on parler de plusieurs langues berbères qu’il faut
distinguer ou s’agit-il d’une seule langue ? Selon ce que nous avons appris,78 les Berbères se
servent du terme commun « Amazigh » pour se définir. Celui-ci est utilisé également pour la
langue berbère, de même que le mot « tamazight ». Cette langue commune se divise en
plusieurs parlers locaux dont nous allons encore parler.
IV. 1. 1. Maroc
Au royaume du Maroc, les populations berbérophones se situent dans les régions
rurales et montagneuses, notamment dans trois zones qui distinguent trois parlers : le tachelhit
au sud et sud-ouest, le tamazight au centre et le tarifit dans le Nord.79
Au lendemain de l’indépendance du Maroc, la politique d’arabisation entamée par les
dirigeants du pays eut pour l’objectif de promouvoir uniquement l’arabe classique. La
nouvelle politique continuait donc à marginaliser le berbère, réprimé déjà par le pouvoir
colonial.
Or, les intellectuels berbérophones ont décidé de lutter pour la promotion de leur
langue et culture. Pour se construire une identité commune, ils ont choisi le
terme « Amazigh », rejetant catégoriquement le nom « Berbère » qui était perçu comme
péjoratif. Signifiant « langue des hommes libres »80, le mot « Amazigh » avait sans doute une
symbolique importante dans la construction identitaire de ce groupe. Il faut noter cependant
que le terme « Amazigh » n’est explicitement utilisé qu’à partir des années 1980. Dans les
anées 1960 et 1970, le terme le plus courant est encore « berbère ». La politique marocaine
78 En terminologie, nous nous appuyons sur les articles portant sur la question des langues berbères. 79 Filhon, Alexandra : Parler berbère en famille : une revendication identitaire. In : Revue Européenne des Migrations Internationales, vol. 23 - n° 1/2007, pp. 95-115.80 Benzakour, Fouzia : Langue française et langues locales en terre marocaine : rapports de force et reconstructions identitaires. Hérodote, 2007/3, n° 126, p. 49.
31
des années 1960 et 1970 fermée à la liberté d’expression et la fragilité du mouvement naissant
sont deux facteurs qui expliquent cette tactique des représentants de l’amazighité.81
Quelle est donc la chronologie du mouvement amazighe et quels sont ses objectifs ?
Les débuts de la revendication amazighe remontent à la fin des années 1960 et au début des
années 1970. En 1967 est créée, à Rabat, l’Association Marocaine pour la Recherche et les
Échanges culturels (AMREC) qui a pour objectifs de « promouvoir la culture et les arts
populaires et d’effectuer un travail de collecte et de consignation de la tradition orale ».82 On
peut s’apercevoir d’une stratégie semblable à celle dont nous avons déjà parlé : au lieu du
mot « berbère », on qualifie l’association de « marocaine » pour souligner son caractère
national. Cela n’est pas étonnant si l’on se rend compte que la question de l’unité nationale
était un thème encore sensible dans les premières années de l’indépendance.
Cependant, le mouvement se répand avec la création, dans les années 1970, d’autres
associations à Rabat, Nador, Agadir et Casablanca. En 1980, la première session de
l’université d’été d’Agadir a pour thème « La culture populaire. L’unité dans la diversité ».83
On voit que le mouvement amazigh se cache toujours derrière d’autres notions, dans ce cas-là,
c’est la « culture populaire ». Le changement dans cette rhétorique ne vient qu’en 1991,
lorsque six associations signent la Charte d’Agadir Relative aux Droits Linguistiques et
Culturels.84 Cette « Charte d’Agadir » a permis de parler publiquement des revendications
amazighes sans avoir recours aux termes suppléants. La Charte critique l’état de la culture et
langue amazighes et dénonce leur marginalisation sur les plans législatif, politique,
socioculturel et économique.
La Charte formule sept objectifs du mouvement amazigh, dont on peut citer à titre
d’exemple :
- la stipulation dans la Constitution du caractère national de la langue amazighe à côté
de la langue arabe;
- l'intégration de la langue et de la culture amazighes dans les divers domaines
d'activités culturelles et éducatives;
- confectionner, diffuser et utiliser les moyens d'expression et d'apprentissage en langue
amazighe.85
81 Aït Mous, Fadma : Les enjeux de l’amazighité au Maroc. In : Confluences Méditerranée, 2011/3, n° 78, pp. 121-131. 82 Ibid., p. 123.83 Id.84 Le texte intégral de la Charte est accessible sur le site : <http://mondeberbere.com/mouvement/>. Consulté le 21 février 2012. 85 Charte d’Agadir Relative aux Droits Linguistiques et Culturels. Accessible sur le site : <http://mondeberbere.com/mouvement/>. Consulté le 21 février 2012.
32
On peut observer que les revendications inscrites dans la Charte sont orientées vers la
reconnaissance de l’amazigh en tant qu’une langue nationale au même titre que l’arabe.
L’accent est mis également sur l’introduction de l’amazigh dans l’enseignement,
l’administration et les médias. Ce n’est pas donc la seule culture amazighe qu’il faut protéger
mais surtout la langue amazighe qui véhicule cette culture.
Dans les années 1990, le mouvement d’étudiants reprend la cause amazighe et veut
lutter à son tour pour sa promotion en agissant politiquement au sein de l’Union Nationale des
Étudiants du Maroc (UNEM).86 En 1994, sept membres de l’association Tilelli (Liberté) sont
arrêtés à la suite du défilé du 1er mai pendant lequel ils scandaient des slogans revendiquant la
reconnaissance constitutionnelle de la langue amazighe et son introduction à l’école. Leur
arrestation engendre la mobilisation de la part des autorités internes et internationales en
faveur des détenus. Le gouvernement marocain réagit par une déclaration du premier ministre
qui annonce, le 14 juin 1994, que « la télévision marocaine allait désormais diffuser des
informations en ‘langue amazighe’ ».87 Le discours du roi Hassan II qui déclare, en 1991, que
la langue amazighe sera introduite dans les écoles primaires, a pour seul effet l’instauration
d’un journal télévisé dans les trois dialectes amazighs qui ne durent chacun que quelques
minutes.88
On peut constater que dans les années 1990, l’intérêt pour la question amazighe
grandit mais sans aucun effet considérable, la seule réponse aux revendications étant des
gestes plutôt symboliques. Or, on peut observer une évolution du mouvement qui, entre 1993
et 2000 devient international, notamment avec la création du Congrès Mondial Amazigh en
1995. Cette organisation « internationale non gouvernementale indépendante des États et des
partis politiques »89 a pour l’objectif de promouvoir des droits linguistiques et culturels
amazighs.
Le début d’un nouveau millénaire marque une autre phase du mouvement amazigh,
lorsque celui-ci entre dans la politique. Ainsi, on assiste à de nombreux débats entre les
représentants de l’amazighité et les islamistes. En mars 2000 est signé le « Manifeste
berbère » qui souligne la nécessité d’une reconnaissance officielle de l’amazighité au Maroc.
Le discours de Mohammed VI, prononcé le 17 octobre 2001 à Ajdir, constitue une sorte de
réponse à ces revendications, puisque le roi reconnaît pour la première fois « l’intégralité de 86 Aït Mous, Fadma : Les enjeux de l’amazighité au Maroc. In : Confluences Méditerranée, 2011/3, n° 78, pp. 121-131.87 Ibid., p. 124.88 Ibid.89 Ibid., p. 124.
33
notre histoire commune et de notre identité culturelle nationale bâtie autour d’apports
multiples et variés. (…) L’amazighité, qui plonge ses racines au plus profond de l’histoire du
peuple marocain, appartient à tous les Marocains ». Le roi se montre aussi partisan de la
promotion de la culture amazighe « dans l’espace éducatif, socioculturel et médiatique ».90
À la suite de ce discours est créé, par dahir91 royal, l’Institut Royal de la Culture
Amazighe (IRCAM) à Rabat. Les auteurs du texte fondateur de l’Institut92 déclarent que celui-
ci vise « à sauvegarder et à promouvoir la culture amazighe dans toutes ses expressions ». Ils
revendiquent « l'introduction de l'amazigh dans le système éducatif » et, en termes plus
généraux, « son rayonnement dans l'espace social, culturel et médiatique, national, régional
et local ».
En ce qui concerne la question de l’enseignement, celle-ci est abordée en 2003
lorsqu’un grand débat s’élève, portant sur le choix de la graphie pour l’enseignement de la
langue amazighe. Il y a trois possibilités de transcription : le tifinagh, le latin et l’arabe.
L’IRCAM qui est chargé de prendre décision choisit le tifinagh qui est désormais un seul
système officiel de transcription de la langue amazighe. On peut noter que ce choix est très
significatif puisque le fait de posséder sa propre alphabète peut être considéré comme garantie
de l’authenticité de la langue amazighe.
La question de transcription résolue, le ministère de l’Éducation nationale lance, le 15
septembre 2003, l’enseignement « expérimental » de l’amazighe « dans 317 écoles du pays,
au niveau de la première année du primaire, à raison de trois heures par semaine, réparties
sur 5 jours ».93 Malgré certaines critiques portées sur les activités de l’IRCAM, ses efforts ont
apporté des résultats non négligeables comme ceux dont parle Ahmed Boukous, recteur de
l’IRCAM. En 2009, il a pu constater que « malgré l’insuffisance des ressources
pédagogiques, 500 000 élèves suivent des cours de langue amazighe, contre 2500 en 2003 ».94
Si l’on prend en considération le nombre croissant95 des écoles qui participent à
l’enseignement de l’amazighe, la création des manuels scolaires et l’élaboration des
programmes scolaires et des curricula, il est évident qu’en matière de l’enseigment, les choses 90 Slimani, Leila : La relève amazighe. Jeune Afrique, 30/11/2009, accessible sur le site : <http://www.jeuneafrique.com/Articles/Dossier/ARTJAJA2551p024-031.xml1/education-enseignement-universite-berberela-releve-amazighe.html>. Consulté le 28 février 2012.91 Décret. 92 Le texte du dahir portant création de l’Institut Royal de la Culture Amazighe est accessible sur le site : <http://www.ircam.ma/fr/index.php?soc=ircam&rd=18 >. Consulté le 27 février 2012. 93 Aït Mous, Fadma : Les enjeux de l’amazighité au Maroc. In : Confluences Méditerranée, 2011/3, n° 78, p. 125.94 Marmié, Nicolas : 3 questions à ... Ahmed Boukous. Jeune Afrique, 30/11/2009, accessible sur le site : <http://www.jeuneafrique.com/Articles/Dossier/ARTJAJA2551p024-031.xml3/interview-berbere-ahmed-boukous-ircam3-questions-a-ahmed-boukous.html>. Consulté le 28 février 2012. 95 354 écoles en 2003-2004, 914 en 2004-2005, 2 204 en 2005-2006. Les chiffres cités par Fadma Aït Mous.
34
« bougent » et que la langue amazighe n’est plus tellement marginalisée au profit de la langue
officielle du Maroc.
Un autre domaine qui devrait, selon l’IRCAM, promouvoir la langue amazighe sont
des médias. L’amazigh est-il diffusé par le biais de la radio ou la télévision, par exemple ?
Existe-t-il au Maroc des médias entièrement « amazighophones » ? Le discours du roi
Mohammed VI soutenant l’idée de promouvoir l’amazighe dans la sphère médiatique date de
2001, pourtant il a fallu attendre 2010 pour que soit créée la chaîne Tamazight TV. Ahmed
Boukous perçoit son lancement comme « l'aboutissement des attentes sociales et des
revendications des Amazighs ».96 Les émissions sont diffusées en trois principaux parlers
amazighs (tarifit, tamazight et tachelhit), six heures par jour en semaine et dix le week-end.97
La chaîne offre des programmes culturels, de l’information et des téléfilms, dont certains sont
sous-titrés en arabe « pour ne pas en faire un ghetto amazigh »98, explique Khalid Naciri, le
ministre marocain de la Communication. Ahmed Boukous affirme que Tamazight TV
constitue « un aboutissement des attentes sociales et des revendications des Amazighs ».99
Les représentants du mouvement amazigh considèrent cependant que pour garantir la
protection de la langue et la culture amazighes, il est indispensable d’ancrer celles-ci dans la
constitution. Ainsi, deux courants se forment dont l’un défend la langue amazighe comme
langue nationale et l’autre exige que celle-ci obtienne le statut de langue officielle.100
Finalement, l’amazigh est effectivement officialisé. Le texte constitutionnel101 du 29
juillet 2011 stipule que « l’arabe demeure la langue officielle de l’État (...) De même,
l’amazighe constitue une langue officielle de l’État, en tant que patrimoine commun de tous
les Marocains sans exception. Une loi organique définit le processus de mise en œuvre du
caractère officielle de cette langue, ainsi que les modalités de son intégration dans
l’enseignement et aux domaines prioritaires de la vie publique, et ce afin de lui permettre de
remplir à terme sa fonction de langue officielle» (article 5). Certains représentants du
mouvement amazigh critiquent la configuration du texte constitutionnel qui permet des
interprétations diverses alors qu’elle devrait être claire et précise. Ainsi, il peut sembler que
deux paragraphes consacrés à l’officialisation de l’arabe et l’amazigh suggèrent qu’il y a une
96 Tamazight, la première chaîne de télévision en berbère. Jeune Afrique/AFP, 07/01/2010, accessible sur le site : <http://www.jeuneafrique.com/Article/DEPAFP20100107T152654Z/>. Consulté le 28 février 2012. 97 Ibid. Consulté le 3 mars 2012.98 Ibid.99 Ibid.100 Aït Mous, Fadma : Les enjeux de l’amazighité au Maroc. In : Confluences Méditerranée, 2011/3, n° 78, pp. 121-131.101 Le texte intégral de la Constitution est accessible sur le site : <http://www.sgg.gov.ma/constitution_2011_Fr.pdf>. Consulté le 3 mars 2012.
35
relation hiérarchique entre ces langues. De plus, la constitution n’assure pas elle-même
l’officialisation de l’amazighe, il faut attendre la vote d’une loi organique.
Quelle conclusion peut-on tirer de ce qu’on a appris sur le statut du berbère au
Maroc ? Malgré le succès du mouvement amazigh sur le champ de l’enseignement et des
médias, le royaume semble ne pas être favorable à ce que l’amazigh soit une lanngue
officielle à part entière. En lisant la Constitution, nous avons l’impression que l’amazigh est
considéré comme une partie du patrimoine national qu’il faut protéger, plutôt qu’une langue
vivante qui mériterait être placée officiellement sur le même niveau que la langue arabe.
IV. 1. 2. Algérie
En Algérie, la plus grande partie des populations berbères se situe en Kabylie dans le
Nord du pays et dans le massif de l’Aurès à la frontière tunisienne (parler chaouia). Il s’agit
des berbérophones qui maintiennent le plus assidûment l’emploi de la langue berbère.
Avant de commencer à parler de la revendication berbère, il faut noter qu’il s’agit
essentiellement de revendication kabyle étant donné que seuls les Kabyles s’engageaient
vraiment dans le combat pour la reconnaissance de la langue berbère. Les débuts de l’intérêt
pour le berbère remontent jusqu’à la fin du XIXe siècle, lorsque les jeunes Kabyles ont
commencé à écrire les ouvrages en leur langue pour la faire connaître et pour l’enseigner.
En 1949, les militants kabyles et les chefs nationalistes s’affrontent au sein de la
Fédération de France du P.P.A / M.T.L.D102. Les Kabyles refusent l’idée que l’Algérie serait
un pays exclusivement arabe. Ils exigent que l’arabe et le berbère soient des langues égales et
que l’Algérie ne soit plus définie comme « arabo-musulmane », adoptant la conception
d’« algérianité de l’Algérie » qui exclut « toute ‘ethnicisation’ de l’identité nationale
algérienne ».103 Les nationalistes agissent immédiatement en expulsant les radicaux et en
dénonçant le complot berbère, initié par les autorités coloniales. On a forgé à cette occasion
les mots « berbériste » et « berbérisme » pour désigner péjorativement les partisans de la
langue et la culture berbères.104
Les accords d’Évian, signés le 18 mars 1962, mettent fin à la guerre d’Algérie et
concluent une étape d’histoire du pays qui est marquée par 132 ans de présence coloniale
française. L’indépendance de l’Algérie est proclamée officiellement à la suite du référendum 102 Parti du peuple algérien / Mouvement pour le Triomphe des Libertés démocratiques. 103 Kaki, Aït : Les États du Maghreb face aux revendications berbères. In : Politique étrangère, n°1, 2003, p. 106. 104 Haddadou, Mohand-Akli : L’État algérien face à la revendication berbère : de la répression aux concessions. In : Glottopol. Revue sociolinguistique en ligne, n° 1, janvier 2003, pp. 131-138.
36
du 1er juillet 1962. Le pouvoir est bientôt pris par Ahmed Ben Bella qui devient chef du
gouvernement puis le premier président de la République algérienne, mais qui ne reste à la
tête du pays que jusqu’en 1965.105
Pour nous renseigner sur les bases de la politique linguistique de l’État algérien dans
toutes premières années de l’indépendance, il convient de nous appuyer sur le texte de la
Constitution106 de 1963. Le texte constitutionnel déclare que « l’Islam et la langue arabe ont
été des forces de résistance efficaces contre la tentative de dépersonnalisation des Algériens
menée par le régime colonial » et que « l’Algérie se doit d’affirmer que la langue arabe est la
langue nationale et officielle et qu’elle tient sa force spirituelle essentielle de l’Islam ». De
même, la constituion stipule que « la réalisation effective de l’arabisation doit avoir lieu dans
les meilleurs délais sur le territoire de la République. Toutefois, par dérogation aux
dispositions de la présente loi, la langue française pourra être utilisée provisoirement avec la
langue arabe ».
On peut observer que les nouveaux dirigeants de l’Algérie optent pour la politique
d’arabisation dès les premières années de l’indépendance, visant à remplacer progressivement
le français par l’arabe. Une autre remarque que l’on peut faire concerne la langue berbère à
laquelle le texte constitutionnel ne fait point allusion. Cela a probablement une raison simple.
L’État nouvellement indépendant s’efforce de définir ce qu’on peut appeler une identité
algérienne, ainsi que démontrer l’unité du peuple algérien. Pour faire cela, il se sert des
éléments « unificateurs » sur lesquels la nation algérienne devrait se fonder, à savoir la
religion et la langue. Étant donné que ces deux éléments sont étroitement liés l’un à l’autre, la
langue qu’il faut promouvoir est celle du Coran, c’est-à-dire l’arabe classique (même si le
texte constitutionnel ne le spécifie pas). Ahmed Ben Bella confirme cette orientation par sa
formule célèbre « Nous sommes arabes, nous sommes arabes, nous sommes arabes ».107 La
conscience collective kabyle était considérablement touchée par l’intervention de l’Armée
Nationale Populaire (ANP) en Kabylie dûe à la révolte d’Aït-Ahmed, en septembre 1963. En
réalité, l’ANP était perçue par les Kabyles « comme une (nouvelle) armée d’occupation ».108
En 1965, à la suite du coup d’État, Houari Boumédienne prend le pouvoir en Algérie.
Sous son régime, l’enseignement informel de berbère à l’université est toléré pendant
quelques années. Mais cela ne change pas le statut du berbère, perçu toujours comme une
105 Rocherieux, Julien : L’évolution de l’Algérie depuis l’indépendance. In : Sud/Nord, n° 14, pp. 27-50.106 Le texte intégral de la Constitution est accessible sur le site : <http://www.conseil-constitutionnel.dz/indexFR.htm>. Consulté le 4 mars 2012.107 Déclaration du 14 avril 1962. Cité par Mohand-Akli Haddadou.108 Chaker, Salem : La question berbère dans l’Algérie indépendante : la fracture inévitable ? In : Revue du monde musulman et de la Méditerranée, n° 65, 1992, p. 98.
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langue de désunion, voire du séparatisme. En fait, Boumédienne ne prête pas l’attention à la
question berbère, l’objectif de sa politique linguistique étant d’assurer la domination de la
langue arabe. Il atteint cet objectif par l’intermédiaire des principaux textes de loi qu’il
promulgue. Parmi ces textes, on peut citer l’ordonnance 68/92 du 26 avril 1968 obligeant les
fonctionnaires et assimilés à connaître la langue arabe, ordonnance 73/55 du 1er octobre 1973,
portant l’arabisation des sceaux nationaux et la Constitution109 de 1976.110 La nouvelle
Constitution déclare que « l’arabe est la langue nationale et officielle » et que « l’État œuvre
à généraliser l’utilisation de la langue nationale au plan officiel ». Bien que ces textes soient
évidemment destinés à supprimer l’usage de la langue française, ils contribuent en même
temps considérablement à nier l’existence légale du berbère. Le mot berbère ne peut pas être
utilisé dans le discours officiel, la langue et la culture berbères sont niées. Malgré la
reconnaissance de l’origine berbère de la population algérienne, la culture de ce peuple est
qualifiée d’être arabe.111
Cependant, la politique d’arabisation ne réussit pas à étouffer le mouvement berbère
qui ne cesse de produire les ouvrages, chansons et travaux universitaires. À partir des années
1970, le mouvement berbère intègre une dimension politique qui se manifeste par le dessin
d’un « projet de société laïque et démocratique, pluraliste aux plans linguistique et
culturel ».112 Au fur et à mesure, la revendication berbère se radicalise, exigeant que le régime
mette fin à la répression contre la langue et la culture berbères. En mars 1980, on interdit une
conférence de l’écrivain Mouloud Mammeri à l’université de Tizi-Ouzou, à l’occasion de la
parution de son livre Poèmes kabyles anciennes. L’interdiction déclenche une série
d’événements que l’on désigne d’habitude comme « printemps berbère ».113
Une grève générale éclate en Kabylie, les voix revendiquant la constitutionalisation du
berbère s’élèvent, le mot « berbère » est débarrassé de sa connotation négative lorsque le
quotidien El Moudjahid l’emploie sans l’associer au colonialisme français. On peut observer
également une certaine évolution dans la terminologie puisque le berbère n’est désormais plus
considéré comme langue étrangère, véhiculant la culture dont l’origine algérienne est
reconnue. Répondant partiellement à la revendication en matière de scolarisation en berbère,
on accepte de créer des départements de cultures populaires dans les universités d’Alger et de
109 Le texte intégral de la Constitution est accessible sur le site : <http://www.conseil-constitutionnel.dz/Constituion1976.htm>. Consulté le 5 mars 2012.110 Haddadou, Mohand-Akli : L’État algérien face à la revendication berbère : de la répression aux concessions. In : Glottopol. Revue sociolinguistique en ligne, n° 1, janvier 2003, pp. 131-138.111 Ibid.112 Chaker, Salem : La question berbère dans l’Algérie indépendante : la fracture inévitable ? In : Revue du monde musulman et de la Méditerranée, n° 65, 1992, p. 99.113 Rocherieux, Julien : L’évolution de l’Algérie depuis l’indépendance. In : Sud/Nord, n° 14, pp. 27-50.
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Tlemcen. Paradoxalement, la Kabylie où cette revendication est la plus forte, reste privée de
structures d’enseignement.114
Les émeutes dans la capitale de l’Algérie, en octobre 1988, ouvrent la voie au
« printemps d’Alger » qui entraîne une brève libéralisation du système politique. L’ouverture
démocratique permet, entre autres, de réclamer clairement le statut de langue nationale et
officielle pour le berbère. La Constitution de 1989115 qui ne fait plus référence au socialisme,
ni au FLN n’apporte cependant aucun changement en question berbère, stipulant à l’article 2
que « l’Islam est la religion de l’État » et à l’article 3 que « l’Arabe est la langue nationale et
officielle ». De nouveau, on ne trouve aucune mention du berbère dans le texte
constitutionnel.
Au début des années 1990, les revendications en faveur de la langue berbère sont
freinées par la loi promulguée le 16 janvier 1991 dite de généralisation de l’utilisation de la
langue arabe.116 La loi impose l’usage unique de la langue arabe, visant à exclure l’usage de
toute « langue étrangère ». La généralisation de l’usage de l’arabe touche tous les domaines
de la vie publique. Les administrations publiques, les institutions, les entreprises et les
associations sont obligées à rédiger leurs documents, rapports et procès verbaux
exclusivement en arabe (article 5) ; tout enseignement est dispensé en arabe, sauf
l’enseignement des langues étrangères (article 15) ; le cinéma et la publicité ne peuvent
s’exprimer qu’en arabe (articles 17 et 19). La loi ne manque pas une composante répressive,
tous contrevenants étant obligés à payer une amende.
La loi de 1991 fut « gelée » en 1992 et mise en vigueur seulement en 1998. Entre-
temps, le mouvement berbère poursuit ses efforts de promouvoir la langue berbère. En 1995, à
la suite du boycott de l’école en Kabylie, le Haut Commissariat à l’Amazighité (H. C. A.) est
créé. Il s’agit d’une instance gouvernementale, chargée de promouvoir le tamazight,
« notamment en l’introduisant dans le système scolaire ».117 L’emploi des termes Amazighité
ou tamazight peut être perçu comme symbole de l’émancipation du mouvement qui ne cesse
de revendiquer le statut de langue nationale pour le berbère. Ces revendications semblent être
prises en compte par les autorités algériennes lorsque, après les éléctions de 1995, une
révision constitutionnelle est décidée. Qu’est-ce qui donc apporte la constitution amendée de
114 Haddadou, Mohand-Akli : L’État algérien face à la revendication berbère : de la répression aux concessions. In : Glottopol. Revue sociolinguistique en ligne, n° 1, janvier 2003, pp. 131-138.115 Le texte intégral de la Constitution est accessible sur le site : < http://www.conseil-constitutionnel.dz/Constituion89_2.htm>. Consulté le 6 mars 2012.116 Le texte intégral de la loi est accessible sur le site : <http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/afrique/algerie_loi-91.htm>. Consulté le 6 mars 2012. 117 Haddadou, Mohand-Akli : L’État algérien face à la revendication berbère : de la répression aux concessions. In : Glottopol. Revue sociolinguistique en ligne, n° 1, janvier 2003, p. 135.
39
1996 ? Au préambule, on peut lire que les valeurs fondamentales de l’identité algérienne sont
« l’Islam, l’Arabité et l’Amazighité ». La langue berbère est considérée comme l’une des
composantes de la « personnalité algérienne » mais c’est toujours l’arabe qui reste la seule
langue nationale et officielle.
Le processus de légitimation du berbère se précipite suite à des événements du
printemps 2001118, avec les revendications proclamées par le mouvement citoyen à El-kseur.
Celui-ci exige que le tamazight soit finalement reconnu comme langue nationale et officielle
de l’Algérie. Les autorités répondent en ajoutant un amendement à la constitution : l’article 3
bis stipulant que « Tamazigh est également langue nationale » est ajouté à l’article 3 qui
accorde le même statut à l’arabe. Le fait que les deux langues nationales ne sont pas
mentionnées ensemble dans un article peut créer l’impression que ces langues ne sont pas sur
le même niveau. Cette impression est encore renforcée par la formulation disant que le
tamazigh est également la langue officielle.
Bien que la question de constitutionnalisation du berbère soit fondamentale pour le
mouvement berbère, nous trouvons indispensable de revenier en bref au domaine de
l’enseignement. Celui-ci, paradoxalement, ne profite pas de la reconnaissance
constitutionnelle de la langue berbère. L’enseignement du tamazigh n’étant pas obligatoire, la
langue est réduite « à une simple discipline facultative » et ce qui est pire encore, « les classes
de tamazight se dépeuplent et les enseignants abandonnent cette vocation », comme
l’explique Fatiha Agdader, enseignante à Alger.119
Après avoir analysé la situtation en Algérie, une comparaison intéressante s’impose
avec celle du Maroc. Si l’on regarde par exemple les constitutions des deux pays, on peut
observer une analogie concernant le statut de la langue berbère. Dans les deux cas, celle-ci
semble être mise au second rang par rapport à l’arabe. Or, il y a une différence considérable
qui peut jouer un rôle non négligeable en perception d’une langue. Au Maroc, l’amazigh jouit,
selon le texte constitutionnel de 2011, de statut d’une langue officielle, alors que le tamazigh
en Algérie n’est qu’une langue nationale de l’État. Certes, le statut de langue nationale
accorde à une langue un certain prestige, mais c’est la langue officielle seulement qui dispose
des droits réels : « droit à être utilisée dans l’administration, à l’école, dans les
médias, ... ».120 Dans ces domaines, le Maroc semble être en avance par rapport à l’Algérie :
l’enseignement de l’amazigh au Maroc avait du succès (au moins relatif) en comparaison avec 118 Une série de violentes émeutes en Kabylie en avril 2001, désignée parfois comme « second printemps berbère » ou « printemps noir ».119 Cherif Ouazani : Le paradoxe berbère. Jeune Afrique, 25/11/2009, accessible sur le site : <http://www.jeuneafrique.com/Articles/Dossier/ARTJAJA2549p024-028.xml0/algerie-rebellion-constitution-histoirele-paradoxe-berbere.html>. Consulté le 13 mars 2012.
40
la situation en Algérie ; la chaîne de télévision amazighe a été créée au Maroc, alors que la
télévision nationale en Algérie continue à diffuser les émissions exclusivement en langue
arabe.
En somme, on peut constater que le statut de langue officielle accordé à l’amazigh par
la constitution a permis au mouvement berbère du Maroc d’arracher des acquis importants
dans les domaines de l’éducation et des médias. Par contre, le mouvement kabyle en Algérie a
assuré au tamazigh le statut de langue nationale qui, malgré le prestige qu’il confère à cette
langue, ne peut lui accorder les mêmes droits qu’à une langue officielle. Le mouvement
berbère au Maroc était donc plus réussi que celui en Algérie en ce qui concerne
l’émancipation de la langue berbère. De longues luttes pour la promotion de la langue berbère
montrent toutefois l’effort de briser une image unificatrice de l’identité arabo-musulmane et
de faire accepter la diversité culturelle en parlant de l’identité arabo-berbère. Les
représentants du mouvement ont montré une volonté d’atteindre leurs objectifs que les
autorités marocaine et algérienne ne pouvaient pas ignorer, malgré la supériorité subsistante
de la langue arabe dans leurs pays.
IV. 2. Diglossie arabe dialectal/arabe classique
Nous avons déjà noté que nous qualifions toute situation où deux ou plusieurs langues
sont en usage de diglossique. C’est-à-dire que ce que nous entendons sous le terme de
diglossie ne s’identifie pas avec la conception originelle de la notion. Le sujet de notre travail
nous oblige cependant à y revenir, puisque ce chapitre sera consacré à l’étude de diglossie
entre deux variantes d’une même langue.
Rappelons que la conception originelle, vulgarisée par Charles Ferguson, introduit les
termes de « variété haute » et « variété basse » pour deux formes apparentées d’une langue.
On peut dire que tous les pays du Maghreb sont des lieux prototypiques de cette diglossie,
étant donné que plusieurs variantes d’arabe y sont en usage. Notre analyse reposera sur la
situation diglossique entre l’arabe classique ayant le statut de langue officielle et l’arabe
dialectal qui sert à la communication quotidienne.
Or nous trouvons que la conception canonique de Ferguson nécessite une
modification au niveau de terminologie. Nous évitons d’utiliser les notions des variantes
« haute » et « basse » parce que celles-ci ont, à notre avis, des connotations qui pourraient 120 Haddadou, Mohand-Akli : L’État algérien face à la revendication berbère : de la répression aux concessions. In : Glottopol. Revue sociolinguistique en ligne, n° 1, janvier 2003, p. 137.
41
mener à une perception hiérarchique des deux variantes. Nous ne voulons pas dire, par
exemple, qu’une variante est supérieure à l’autre parce que c’est une langue officielle,
savante, etc.
Dans le chapitre précédent, nous avons parlé des revendications du mouvement
berbère qui luttait, entre autres, pour la reconnaissance constitutionnelle de la langue berbère.
Dans le cas de diglossie arabe classique/arabe dialectal, il ne s’agira plus de la problématique
d’émancipation d’une langue. C’est la question de l’usage qui retiendra en première place
notre attention. Dans ce cas-là, nous n’étudierons pas les situations diglossiques isolément
dans chacun des pays. Nous trouvons qu’il convient de nous occuper plutôt des points clés
communs à tout le Maghreb, ce qui nous permettra d’analyser ce type de diglossie en sa
complexité.
IV. 2. 1. Arabe classique/arabe dialectal – contextes d’usage différents
La politique d’arabisation mise en place à l’indépendance des pays maghrébins, nous
l’avons dit, visait uniquement la promotion de l’arabe standard. Cette stratégie fondée sur
l’idée de l’identité arabo-islamique devait avant tout supprimer l’usage du français. Comme
nous l’avons vu, elle agissait au détriment des langues berbères. Mais quel était son impacte
sur l’usage de l’arabe dialectal ? La politique d’arabisation pouvait-elle promouvoir une
variante de la langue arabe en mettant l’autre totalement à l’écart ?
En premier lieu, il faut rappeler que l’arabe classique est une langue dont la
connaissance est acquise uniquement à l’école, alors que l’arabe dialectal est une langue
qu’on apprend en familles, donc une langue maternelle. Ceci dit, on peut supposer qu’une
langue essentiellement écrite ne pouvait pas remplacer une langue de la communication
quotidienne dans tous les domaines de la société. C’est pourquoi nous considérons qu’il sera
intéressant de nous occuper de la question d’usage, c’est-à-dire de montrer les différentes
situations où telle ou telle variante est employée. Notre hypothèse vis-à-vis cette
problématique consiste qu’il y a deux sphères distinctes, à savoir les domaines de l’usage
« officiel » et « quotidien » ou « courant ». Nous supposons que l’arabe dialectal, malgré sa
prédomination incontestable dans les rues, occupe toujours une position inférieure par rapport
à l’arabe classique, ce dernier jouissant d’un statut privilégié de langue officielle. Or la
question qui nous intéressera particulièrement exigera des réflexions au niveau plus général.
Notre objectif sera de définir les arguments justifiant le choix de l’arabe classique en tant que
42
langue officielle et, par conséquent, conduisant à marginaliser les autres langues, parmi
lesquelles l’arabe dialectal.
IV. 2. 2. Diglossie arabe classique/arabe maghrébin ?
Avant d’aborder ce sujet, encore une petite remarque au niveau de terminologie : en
parlant de l’arabe dialectal utilisé sur le territoire maghrébin, on se sert parfois du
terme « arabe maghrébin ».121 Pour bien distinguer les deux variantes de la langue arabe
(évidemment, dans notre cas, le terme « arabe » employé sans adjectif serait extrêmement
ambigu), nous avons décidé d’emprunter cette dénomination et l’utiliser à côté du terme
« arabe dialectal » lorsqu’il sera question de l’ensemble des dialectes algérien, tunisien et
marocain.
La première distinction qu’on peut faire en ce qui concerne l’usage des deux variantes
est celle entre l’écrit et l’oral. Étant donné que l’arabe algérien, tunisien et marocain sont des
langues acquises naturellement, c’est-à-dire en famille, les locuteurs s’en servent
spontanément à l’oral. L’arabe classique qui ne peut être acquis qu’en milieu scolaire se
présente le plus souvent sous la forme écrite. Vers la fin du XXe siècle, on peut constater
que « quelques-uns parviennent à avoir une maîtrise quasi-spontanée de l’arabe classique à
l’oral », notamment les journalistes et enseignants ; mais ceux-ci sont peu nombreux et «
leur débit est très ralenti ».122 Un constat étonnant, semble-t-il, vu qu’il est question de deux
variantes d’une même langue. Pourquoi la maîtrise parfaite de l’arabe classique à l’oral pose-
t-elle des problèmes aux arabophones ? Pour expliquer ce phénomène, il faut revenir au passé
linguistique du Maghreb. On peut dire que l’arabe classique n’y est jamais devenu une langue
courante et populaire, son usage n’étant pendant des siècles réservé qu’aux clercs et aux
scribes. La forme dialectale, de son côté, s’épanouissait progressivement et puisque fortement
influencée par le berbère, elle s’éloignait de plus en plus de sa forme écrite. Il en résulte que
l’arabe maghrébin s’apparente beaucoup plus aux langues berbères qu’à l’arabe classique.
Ainsi, bien qu’elles partagent le même nom, les deux variantes de l’arabe constituent en
réalité deux langues nettement différentes.123
121 Cf. Caubet, Dominique : Arabe maghrébin : passage à l’écrit et institutions. In : Fait de langues, n° 13, mars 1999, pp. 235-244.122 Caubet, Dominique : Arabe maghrébin : passage à l’écrit et institutions. In : Fait de langues, n° 13, mars 1999, p. 235.123 Cheriguen, Foudil : Politiques linguistiques en Algérie. In : Mots, septembre 1997, n° 52, pp. 62-73.
43
Revenons à présent à notre réflexion sur l’usage de l’arabe. On a pu noter qu’en tant
qu’une langue de communication quotidienne, l’arabe maghrébin n’avait point de concurrent
en arabe classique. On peut se poser la question de savoir comment les locuteurs arabophones
perçoivent la contradiction dont nous avons parlé : une seule langue vraiment courante sur le
territoire maghrébin n’a pas de statut de langue officielle.
Si l’on regarde les constitutions des trois pays maghrébins, on s’aperçoit de l’absence
de précision concernant le mot « arabe ». Ce fait est très important et il nous mène à deux
réflexions fondamentales. Premièrement, l’emploi du mot « arabe » non-spécifié peut être lié
au principe affirmé par les pays maghrébins dès leur indépendance, à savoir l’idée de la nation
une qui par conséquent exige la langue une «sans aucune autre concurrente ».124
Deuxièmement, il peut s’agir d’une stratégie intentionnelle ayant pour objectif de permettre
l’interprétation double du mot. Ainsi, les locuteurs pourraient penser que le terme « arabe »
englobe les deux variantes de la langue. Cela expliquerait le fait que l’arabe dialectal ne
faisait pas objet des revendications linguistiques avec le berbère.
Ce qui est encore plus intéressant, c’est que l’on peut observer même une
dévalorisation de l’arabe dialectal de la part des locuteurs. La péjoration des variantes
dialectales due au prestige de l’arabe classique en tant qu’une langue écrite a influencé la
grande majorité des locuteurs de sorte qu’ils privilégient l’arabe classique.125 Il semble donc
que l’on pourrait désigner l’arabe dialectal comme langue de la majorité silencieuse des
Maghrébins qui l’utilisent dans les échanges quotidiennes mais ne manifestent pas l’effort
pour sa promotion au niveau constitutionnel.
Si l’on veut étudier les rapports entre l’arabe classique et l’arabe dialectal, il est
intéressant de voir comment ces deux variantes sont employées hors du Maghreb. C’est
pourquoi nous voudrions en guise d’exemple brièvement mentionner quelques aspects de
l’enseignement d’arabe marocain en France. Pour cela, nous nous appuyons sur l’article
datant de 1999 qui ne fournit donc pas des informations actuelles mais peut cependant
enrichir la réflexion sur notre problématique.
Dans les années 1970, lorsque la France met fin au recrutement des travailleurs
étrangers, la majorité de ceux-ci restent en France et on assiste à un regroupement familial.
C’est alors où l’enseignement des langues et cultures d’origine (ELCO) est mis en place ayant
pour objectif de permettre aisément le retour des familles dans les pays d’origine. À l’époque,
on enseigne donc la même langue qu’au Maroc, à savoir l’arabe classique. Les années 1990
124 Ibid., p. 64.125 Cheriguen, Foudil : Politiques linguistiques en Algérie. In : Mots, septembre 1997, n° 52, pp. 62-73.
44
sont marquées par les querelles entre le côté français et marocain, l’un voulant commencer par
enseigner l’arabe marocain pour aborder par la suite l’arabe classique et l’autre s’y opposant.
Enfin, pour signer l’accord, la partie française doit céder sur la langue enseignée qui reste
donc l’arabe classique. La concession que fait la partie arabe concerne la suppression de la
religion dans l’enseignement et l’amélioration des méthodes d’enseignement.126
Depuis 1995, tous les enfants en France sont obligés à choisir une langue étrangère au
cours de l’enseignement primaire. En matière d’arabe, le Ministère adopte officiellement
l’arabe dialectal pour cette initiation à la langue.127 Nous n’avons pas trouvé la raison de cette
attitude mais on peut supposer que l’arabe dialectal, en comparaison avec l’arabe classique,
est plus facile à apprendre non seulement pour les Maghrébins, mais aussi pour les locuteurs
francophones.
On peut observer sur ces exemples concernant l’apprentissage de l’arabe dialectal que
cette variante d’arabe, malgré certains acquis, reste en quelque sorte marginalisé par rapport à
la langue officielle du Maghreb.
Les constats que nous avons pu faire nous mènent à nous poser la question de savoir
ce qui fait que l’arabe classique garde malgré tout une position privilégiée ou supérieure par
rapport à l’arabe dialectal. Pour pousser la réflexion au niveau plus général, nous étudierons à
présent les facteurs qui légitiment l’arabe classique en tant que langue officielle. Pour pouvoir
le faire, nous aborderons la problématique du pouvoir d’une langue que nous avons
mentionné précédemment. Autrement dit, nous nous occuperons des mécanismes de la
domination linguistique.128
Nous constatons avec J.-M. Klinkenberg que la domination ou l’expansion d’une
variété linguistique a des causes qui ne sont pas toujours proprement linguistiques (il cite
l’exemple d’esperanto qui devrait, vu la facilité de son apprentissage, être une langue la plus
utilisée du monde, ce qui évidemment n’est pas le cas). Par contre, il y a d’autres facteurs qui
contribuent à l’épanouissement d’une langue (ou d’une variété linguistique). On pourrait dire
qu’il s’agit des facteurs extralinguistiques, Klinkenberg, lui, se sert du terme mécanismes
objectifs. De son point de vue, l’espace économique donne lieu à une domination linguistique
la plus évidente. L’auteur mentionne l’anglais ce qui est tout-à-fait justifiable, surtout
puisqu’il parle aussi de la globalisation. Or si l’on essaie d’appliquer cette opinion à l’arabe 126 Caubet, Dominique : Arabe maghrébin : passage à l’écrit et institutions. In : Fait de langues, n° 13, mars 1999, pp. 235-244.127 Ibid.128 Pour traiter des questions théoriques de cette problématique, nous prenons appui sur l’ouvrage de J.-M. Klinkenberg : Klinkenberg, J.-M. : La langue et le citoyen. Paris 2001, 197 p.
45
classique, on se heurte à un obstacle majeur. Celui-ci est fondé sur le fait qu’une langue
dominant l’espace économique est essentiellement une langue de communication orale. Ainsi,
il nous paraît que c’est plutôt le français qui pourrait jouer ce rôle au Maghreb.
Certes, comme le constate Klinkenberg, le facteur économique « n’est pas déterminant
à lui seul ».129 Il ajoute qu’il faut prendre en considération la politique internationale ainsi que
la politique externe. Ce facteur nous paraît déterminant pour la position de l’arabe classique
puisque le choix de celui-ci comme seule langue officielle du Maghreb aux indépendances a
décidément des raisons politiques ou, plus précisément, idéologiques. Il existe plusieurs
courants idéologiques qui ont influcencé les politiques linguistiques au Maghreb. Nous les
passerons brièvement en revue pour montrer leur impacte sur les questions linguistiques dans
les pays maghrébins.130
On peut distinguer deux groupes parmi ces courants. Ce sont le nationalisme arabe (ou
le panarabisme) et l’islamisme politique. En ce qui concerne l’idéologie du nationalisme
arabe, il englobe deux courants de pensée principaux, à savoir le nassérisme131 et le
baasisme132. Pour résumer les points communs de ces deux courants, il faut noter avant tout
qu’ils visent à créer l’union du monde arabe, voire un État arabe unique. L’arabe classique
remplit une fonction unificatrice et puisque perçue comme divine, on décide de rejetter la
pluralité linguistique au profit de cet idiome coranique.133 On peut constater que l’idée du
panarabisme a connu du succès dans les trois pays maghrébins et qu’elle constitue l’un des
points d’appui de leurs politiques d’arabisation.
L’islamisme politique qui a également trouvé ses partisans en Algérie, en Tunisie et au
Maroc opère notamment avec des termes religieux et vise à fonder un État islamique.134 Ainsi,
les questions de politique linguistique sont mises au second rang.
On peut constater toutefois que le facteur politique dont parle J.-M. Klinkenberg joue
un rôle non négligeable en promotion de l’arabe classique. Mais évidemment, ce facteur ne
peut agir tout seul. Nous trouvons qu’il convient de parler des représentations, un autre
facteur mentionné par Klinkenberg. Ce dernier dit à ce propos que « pour qu’une langue
129 Klinkenberg, J.-M. : La langue et le citoyen. Paris 2001, p. 87.130 Pour nous renseigner sur la problématique des idéologies, nous prenons largement appui sur l’article de Foued Laroussi : Laroussi, Foued : Glottopolitique, idéologies linguistiques et État-nation au Maghreb. In : Glottopol. Revue sociolinguistique en ligne, n° 1, janvier 2003, pp. 139-150.131 Ce terme renvoie à Jamal Abdel Nasser (1918-1970). En 1952, à la suite d’un coup d’État, il prend le pouvoir en Égypte et proclame la République. En 1956, il devient président. 132 Ce nom est formé à partir de la racine « B’A T », c’est-à-dire « envoyer », au sens figuré « ressusciter » car il s’agit de ressusciter la civilisation arabo-islamique. 133 Laroussi, Foued : Glottopolitique, idéologies linguistiques et État-nation au Maghreb. In : Glottopol. Revue sociolinguistique en ligne, n° 1, janvier 2003, pp. 139-150.134 Ibid.
46
s’étende – ou se contente de survivre –, il faut un acte collectif : il faut qu’une communauté
s’investisse symboliquement de certains projets, en fasse une promesse d’avenir ».135 Si l’on
cherche les raisons pourquoi l’arabe classique est devenu une langue officielle au Maghreb, il
est même indispensable d’orienter notre réflexion vers les représentations puisque aux
indépendances, l’arabe fut effectivement doté d’une valeur symbolique.
En fait, il y a plusieurs arguments pour la promotion de cette langue au niveau des
représentations. Premièrement, l’arabe classique en tant que langue du Coran a une capacité
d’ « unifier la communauté islamique »136; la sacralité véhiculée par l’arabe classique lui
assure une supériorité à toute autre langue. Deuxièmement, l’arabe classique jouit d’une
légitimité historique, évoquant l’âge d’or de la civilisation arabo-islamique. Enfin, la langue
arabe est véhicule du patrimoine culturel et du savoir commun à tous les Musulmans - ainsi,
elle assume le rôle culturel intégratif.137
Après avoir essayé de trouver les causes de la domination de l’arabe classique, nous
pouvons constater que cette stratégie s’appuyait au niveau des représentations sur les
arguments d’ordre religieux, historique et culturel. Cette valeur symbolique de la langue arabe
renforçait encore le poids de l’idéologie qui était, à notre avis, décisif.
Quelle conclusion peut-on tirer de nos réflexions concernant la diglossie arabe
classique/arabe dialectal ? Ce que nous osons affirmer, c’est que dans ce cas-là, il n’est pas
question de conflit diglossique. Certes, on pourrait dire que l’arabe classique est devenu
injustement - puisque c’est l’usage qui doit légitimer une langue - langue officielle et
nationale unique, refusant ainsi implicitement ce statut à l’arabe maghrébin. Or les locuteurs
ne semblent pas condamner cette attitude (au moins ne protestent-ils pas comme le faisaient
les locuteurs berbérophones). À notre avis, la raison pour laquelle la majorité des locuteurs
qui parlent arabe maghrébin se tait est celle qu’ils ne sentent pas que leur langue soit
réellement menacée par la minoration, voire la disparition totale. Le fait que l’arabe dialectal
est une langue vivante de communication quotidienne exclut pratiquement cette possibilité.
Nous finirons par dire que la diglossie que nous avons analysée manque d’aspect
conflictuel. Par conséquent, nous avons trouvé des arguments qui valorisent l’usage de l’arabe
classique mais qui ne menacent pas le statut d’une seule langue vraiment courante au
Maghreb dont jouit l’arabe dialectal.
135 Klinkenberg, J.-M. : La langue et le citoyen. Paris 2001, p. 90.136 Laroussi, Foued : Glottopolitique, idéologies linguistiques et État-nation au Maghreb. In : Glottopol. Revue sociolinguistique en ligne, n° 1, janvier 2003, p. 144.137 Ibid.
47
IV. 3. Diglossie arabe/ français
Dans la partie qui suit, nous voudrions étudier la situation diglossique qui est
particulièrement typique pour le Maghreb, à savoir la diglossie entre l’arabe et le français.
L’usage répandu de la langue française dans les pays maghrébins est dû notamment à la
présence des Français sur ce territoire à l’époque coloniale. Au lendemain des indépendances,
on observe dans tout le Maghreb des tentatives pour arabiser de nouveau cet espace
linguistique par l’intermédiaire de la politique dite d’arabisation. L’arabe devient la langue
officielle unique et les autorités dirigeantes insistent sur la généralisation de son usage. Le
français jouit cependant toujours d’un statut privilégié, et ceci pour plusieurs raisons que nous
voulons analyser.
En premier lieu, nous voudrions brièvement montrer la façon dont le français est perçu
au Maghreb, c’est-à-dire le statut qui lui est accordé par les locuteurs maghrébins. Ensuite,
nous orienterons notre réflexion vers un niveau plus général en essayant d’analyser les
facteurs objectifs qui expliqueraient un usage aussi répandu de la langue française.
Parallèlement, nous voudrions nous occuper des facteurs défavorisant dans certaines
situations l’usage de la langue arabe, ce qui nous permettra de discerner les différentes
situations de l’usage des deux langues. Toutes ces réflexions nous amèneront à la question de
l’enseignement du français (et aussi de l’enseignement en français) au Maghreb, le milieu
scolaire constituant à notre avis un indicateur excellent du statut d’une langue dans un pays.
Avant d’aborder la problématique esquissée ci-dessus, il est nécessaire de faire une
petite note terminologique. Le fait qu’il existe plusieurs variantes de la langue arabe nous
oblige à expliquer pourquoi nous avons décidé d’employer dans ce cas-là le mot « arabe »
sans adjectif.
Les politiques d’arabisation, nous l’avons dit, visent avant tout la promotion de l’arabe
classique et rejettent les autres langues en usage : l’arabe dialectal, le berbère et le français.
Ainsi, l’arabe dialectal et le français pourraient être perçus comme étant sur le même niveau
et s’opposant ensemble à l’arabe classique. Or nous estimons que l’usage du français s’oppose
en effet à l’usage de toute variante de l’arabe. C’est pourquoi nous avons décidé de noter
l’arabe tout court, sachant cependant que l’opposition entre le français et l’arabe classique se
revèle la plus évidente.
49
IV. 3. 1. Les politiques d’arabisation - rejet total du français ?
L’un des objectifs des politiques d’arabisation mises en place à l’indépendance des
trois pays maghrébins était de supprimer le statut privilégié de la langue française en
promulguant l’arabe seule langue officielle. Or le lien à la langue de l’ancienne administration
coloniale n’était pas complètement brisé et celle-ci ne cesse d’assumer un rôle important dans
l’espace linguistique maghrébin. Le français fait une véritable concurrence à l’arabe dans
plusieurs domaines, tels que l’enseignement, les médias ou l’économie.
On peut constater que le français jouit au Maghreb d’un statut « spécial ». Comme
nous le savons, le français n’est pas une langue officielle dans aucun pays maghrébin. Chacun
d’entre eux compte cependant plus d’une moitié de la population maîtrisant la langue
française. En 2007, on a pu constater que le Maghreb regroupait quelque 33, 4 millions de
locuteurs francophones (64 % de Tunisiens, 57 % d’Algériens, 41, 5 % de Marocains).138 Le
maintien de l’usage de la langue française est dû au fait qu’elle a une longue tradition sur le
territoire maghrébin. En effet, la présence du français remonte plus loin au Maroc et en
Tunisie que l’époque coloniale. Au Maroc, le français est présent depuis 1907 et en Tunisie
depuis 1840. En Algérie, sa présence coïncide avec le débarquement des premiers
colonisateurs en 1830.
Il convient à présent de nous poser la question de savoir quelle évolution a subie le
français du point de vue des locuteurs et quel statut ils accordent aujourd’hui à cette langue.
Nous dirons avec M. Miled que la langue française a parcouru deux différentes étapes au
niveau des représentations.
La première étape, qui se situe à l’époque de post-indépendance, est caractérisée par
deux opinions contrastées : pour certains, le français constituait un moyen d’ « ouverture
nécessaire à l’enrichissement d’une culture nationale »139, d’autres le considéraient comme un
élément menaçant la langue et la culture arabes.
La deuxième étape est marquée par un passage vers des représentations moins
négatives, voire favorables, du français. Au fur et à mesure, on tend à dépassionner le conflit
entre l’arabe et le français et l’on commence à découvrir le « côté positif » de la langue
française. Celle-ci remplit désormais la fonction d’une langue véhiculaire dans plusieurs
domaines sur lesquels nous reviendrons en détails. 138 Bianchini, Laura : L’usage du français au Maghreb. In : Constellations francophones, Publiafarum, n° 7, 2007. Accessible sur le site : <http://www.publifarum.farum.it/ezine_articles.php?art_id=77>. Consulté le 30 mars 2012.139 Miled, Mohamed : Le français dans le monde arabophone : quels statuts, quels contacts avec la langue arabe ? In : Langue française, 2010/3, n° 167, p. 166.
50
En parlant des représentations, il convient de présenter les tendances majeures dans les
politiques linguistiques des pays maghrébins qui sont liées à l’usage du français.
En Tunisie, la politique linguistique est axée à la fois sur l’arabisation et sur le
maintien du français.140 La perception positive de la langue française se traduit par les
expressions valorisantes que l’on lui accorde (véhicule de modernité, instrument culturel, etc.)
Cette valorisation du français est aussi évidente chez H. Bourguiba qui souligne en 1964 que
« la langue française peut être considérée comme un instrument qui permet de suivre la
marche de la civilisation et de puiser aux sources du savoir, du progrès. » En 1966, il ajoute
que « la langue arabe, certes indispensable, ne saurait à elle seule suffire. Pour vivre au
diapason du monde moderne, il faut élargir notre horizon culturel. » Fier du programme
politique officiel, H. Bourguiba ne manque pas de rappeler en 1968 qu’ « user du français ne
porte pas atteinte à notre souveraineté ou à notre fidélité à la langue arabe, mais nous
ménage une large ouverture sur le monde moderne. Si nous avons choisi le français comme
langue véhiculaire, c’est pour mieux nous intégrer dans le courant de la civilisation moderne
et rattraper plus vite notre retard. »141
Pour le Maroc, on peut résumer la perception favorable envers la langue française par
les mots d’A. Laraki, ancien ministre de l’Éducation. Ce dernier déclare en 1983 que le
français constitue dans le système éducatif marocain « le complément indispensable à la
formation dispensée en langue arabe : c’est un moyen d’ouverture sur le monde extérieur, un
instrument d’accès à une langue différente. »142
L’Algérie manifeste des opinions relativement proches à celles des deux autres pays
du Maghreb. En s’appuyant sur les textes des Chartes nationales de l’Algérie, on peut
constater que la « récupération totale de la langue nationale et sa nécessaire adaptation à
tous les besoins de la société n’excluent pas un ferme encouragement à l’acquistion des
langues étrangères » (Charte de 1976), et qu’il faut « veiller à ce que le citoyen puisse
maîtriser la langue nationale qui garde priorité en primauté, en même temps qu’il acquiert
l’usage d’autres langues » (Charte de 1986).143 Malgré le fait que les Chartes utilisent les
termes « langues étrangères » ou « autres langues », évitant soigneusement d’employer
140 Bianchini, Laura : L’usage du français au Maghreb. In : Constellations francophones, Publiafarum, n° 7, 2007. Accessible sur le site : <http://www.publifarum.farum.it/ezine_articles.php?art_id=77>. Consulté le 30 mars 2012.141 Chetouani, Lamria : Langues du pouvoir et pouvoirs de la parole dans les pays maghrébins. In : Mots, septembre 1997, n° 52, pp. 85-86. 142 Ibid., p. 86.143 Cheriguen, Foudil : Politiques linguistiques en Algérie. In : Mots, septembre 1997, n° 52, pp. 64-65.
51
« langue française », on peut constater que la perception du français est plutôt positive, se
traduisant toutefois pas des expressions plus modérées qu’en Tunisie et au Maroc.
Nous avons vu que la politique d’arabisation (qui selon les textes officiels semble
relativement rigide à la première vue) n’égalait pas un rejet total du français. Les expressions
valorisantes par lesquelles les dirigeants des pays maghrébins chantent le français montrent
que ceux-ci étaient conscients de l’importance subsistante de cette langue pour le Maghreb.
Dans ce qui suit, nous essaierons de montrer les facteurs objectifs qui contribuaient au
maintien du français sur le territoire maghrébin.
IV. 3. 2. Facteurs favorisant l’usage de la langue française au Maghreb
Le facteur de prime importance contribuant à l’usage répandu de la langue française
au Maghreb est, nous l’avons dit, la longue présence de cette langue sur le territoire
maghrébin. Or il existe d’autres facteurs importants qui agissent encore aujourd’hui au profit
de l’apprentissage du français et que nous essairons de résumer.
Nous pensons que l’on peut discerner deux principaux groupes de facteurs, à savoir les
facteurs socio-économiques et les facteurs éducatifs et culturels.144
IV. 3. 2. 1. Facteurs socio-économiques
L’un des points communs des politiques d’arabisation mises en place au Maghreb est
le débat sur le développement et progrès, choses tant désirées dans les trois pays maghrébins.
Malgré les discours nationalistes condamnant la langue de l’ex-colonisateur perçue comme
une menace pour la langue arabe ainsi que pour la culture arabo-islamique, les arguments en
faveur du français étaient à cet égard incontestables : langue véhiculaire des sciences et
techniques, le français permet « une formation moderne et, par conséquent, des débouchés
professionnels. »145
Certes, la maîtrise de la langue arabe permettait la coopération économique avec
d’autres pays arabophones, mais pour arriver à l’ouverture internationale, la maîtrise du
français est en fait devenue une nécessité. C’est pourquoi nous pourrions parler d’une
144 Nous nous appyuons sur la distinction faite par Lamria Chetouani mais d’autres auteurs citent plus ou moins les mêmes facteurs. 145 Chetouani, Lamria : Langues du pouvoir et pouvoirs de la parole dans les pays maghrébins. In : Mots, septembre 1997, n° 52, p. 85.
52
diglossie au niveau professionnel146 qui touche notamment les domaines scientifiques et
techniques où la langue française est encore aujourd’hui « nettement prédominante. »147 En
somme, le français est perçu comme une langue de promotion sociale et de développement ce
qui lui assure le soutien des autorités du Maghreb ainsi que des locuteurs maghrébins qui
aspirent à devenier les élites de la société.
IV. 3. 2. 2. Facteurs éducatifs et culturels
Avant d’aborder la question de l’enseignement du français au Maghreb, nous
voudrions parler des aspects généraux dans ce domaine, c’est-à-dire du statut de français dans
la sphère de l’éducation. Est-ce que le français constitue seulement une matière à enseigner ou
s’agit-il également d’une langue d’enseignement ? Le français est-il considéré comme une
langue étrangère ou jouit-il d’un statut de langue seconde ? Ce sont des questions générales
auxquelles nous voulons répondre avant de parler de l’enseignement du français dans les trois
pays maghrébins.
Il faut remarquer que le statut de la langue française au Maghreb est assez fluctuant, ce
qui est dû notamment à la politique d’arabisation marquée de nombreuses contradictions.
D’une part, l’intérêt pour l’apprentissage du français augmente, étant motivé par les besoins
des cadres ou techniciens qui maîtriseraient cette langue. D’autre part, cette tendance est
freinée par la volonté, s’appuyant souvent sur les facteurs purement idéologiques, de
« chasser » la langue française et de renforcer l’arabisation de toute société, y compris le
domaine de l’enseignement. Les tentatives pour valoriser le français peuvent aussi se heurter à
des arguments nationalistes soulignant la nécessité de promouvoir l’arabe menacé par la
langue de l’ancien colonisateur.148
En dépit de tous les obstacles, le français a su garder sa position privilégiée dans le
domaine de l’enseignement. En ce qui concerne son statut officiel, on peut dire que celui-ci
oscille entre langue étrangère et langue seconde. Pour mieux expliquer ce phénomène, il
convient d’exposer les définitions des deux notions. Selon M. Miled, la langue étrangère
suscite « essentiellement des effets de neutralité ou d’exotisme dans leurs rapports ».149 D.
146 M. Miled parle du bilinguisme social. Miled, Mohamed : Le français dans le monde arabophone : quels statuts, quels contacts avec la langue arabe ? In : Langue française, 2010/3, n° 167, p. 164. 147 Miled, Mohamed : Le français dans le monde arabophone : quels statuts, quels contacts avec la langue arabe ? In : Langue française, 2010/3, n° 167, p. 164.148 Ibid.149 Miled, Mohamed : Le français dans le monde arabophone : quels statuts, quels contacts avec la langue arabe ? In : Langue française, 2010/3, n° 167, p. 170.
53
Temim constate que la « langue seconde est différente de la langue étrangère en ce sens que
c’est une langue qui, pour des besoins de communication au sein d’une communauté donnée,
est utilisée en plus de la langue maternelle et peut donc entrer en concurrence avec elle ».150
De cette perspective, on peut affirmer que de nos jours, le français n’est pas considéré
au Maghreb comme une langue étrangère (se trouvant sur le même niveau que les autres
langues étrangères) puisque faisant par son usage une concurrence importante à l’arabe. On
peut trouver aussi une notion de « langue étrangère privilégiée »151 ce qui est en effet une
autre façon de désigner une langue seconde. D’où le statut du français en milieu scolaire :
l’Algérie et le Maroc adoptent le français dans les études universitaires, la Tunisie aussi au
lycée.152 En général, le français au Maghreb est à la fois une matière à enseigner et une langue
d’enseignement. Nous reviendrons à cette question pour montrer la situtation dans chacun des
pays maghrébins.
Nous avons essayé de résumer les arguments agissant en faveur de l’usage du français.
Or nous trouvons intéressant de montrer un autre facteur qui peut défavoriser l’usage de
l’arabe au profit du français. Celui-ci rentre dans le domaine culturel et peut être relévé grâce
aux médias. Pour monter cet aspect intéressant de la diglossie français/arabe, nous nous
permettons de citer l’exemple d’un événement relativement récent.
En 2006, l’hebdomadaire marocain Nichane (écrit en arabe classique et dialectal) est
interdit par décision du Premier ministre pour avoir publié un dossier intitulé – en traduction
française : « Blagues : comment les Marocains rient de la religion, du sexe et de la
politique ».153 L’article dans le magazine Tel Quel, publié en français et portant sur le même
sujet, n’entraîne aucune sanction, alors que le rédacteur en chef de Nichane est poursuivi pour
« atteinte aux valeurs sacrées » et la « publication et distribution d’écrits contraires à la
morale et aux mœurs ».154
Comment expliquer qu’un article soit condamné pour la seule raison d’être écrit en
arabe ? L’« affaire Nichane » montre bien que dans certains contextes, l’arabe semble imposer
le silence et rendre certains sujets tabous. Si l’on s’appuie sur le titre de l’article publié dans
150 Temim, Dalida : Politiques scolaire et linguistique : quelle(s) perpective(s) pour l’Algérie ? In : Le français aujourd’hui, 2006/3, n° 154, p. 22.151 Cf. Marzouki, Samir : La francophonie des élites : le cas de la Tunisie. In : Hérodote, 2007/3, n° 126, pp. 35-43.152 Miled, Mohamed : Le français dans le monde arabophone : quels statuts, quels contacts avec la langue arabe ? In : Langue française, 2010/3, n° 167, pp. 159-171.153 Cohen, Anouk : La langue du silence dans le Maroc urbain contemporain. In : Revue de l’histoire des religions, 2011, n° 2, pp. 245-263.154 Cohen, Anouk : La langue du silence dans le Maroc urbain contemporain. In : Revue de l’histoire des religions, 2011, n° 2, pp. 245-263.
54
Nichane, on peut estimer que ces sujets sont la religion, la sexualité et la politique. Essayons à
présent d’analyser le rôle de ces trois éléments dans la société marocaine (en supposant que
nos constats soient valables pour tout le Maghreb).
Il faut dire que l’arabe classique, en tant que langue du Coran, a une dimension
singulière pour les Marocains qui éprouvent un grand respect pour cette langue. Or la valeur
religieuse qu’incarne l’arabe classique pose parfois des problèmes aux locuteurs. Ceux-ci
disent eux-mêmes qu’ils ne parviennent pas à considérer l’arabe classique comme langue de
l’intime, c’est-à-dire qu’ils « éprouvent des difficultés à exprimer leurs sentiments et leurs
idées propres ».155 C’est le moment où ils ont recours au français qui est ressenti comme une
langue de la liberté d’expression. En arabe, par exemple, il existe plusieurs mots exprimant
l’état amoureux ce qui rend impossible la dissimulation, souvent exigée dans ce registre.
Ainsi, les locuteurs tendent à user du français au lieu de l’arabe pour dire « je t’aime ».
Ce constat est intéressant pour notre problématique parce qu’il nous permet de
montrer un autre aspect de l’usage concernant la diglossie français/ arabe. On peut dire que le
français symbolise la parole libérée, alors que l’arabe est une langue de contrainte.
Si l’on revient à l’« affaire Nichane », donc à l’usage de l’arabe dans la presse écrite, il
convient de mentionner encore l’existence des deux groupes de lecteurs au Maroc. Le lectorat
francophone comporte les gens issus des milieux aisés « ayant réalisé leurs études à la
Mission française et à l’étranger ».156 Ces lecteurs s’avèrent plus proches des valeurs
françaises, telles que la liberté ou la laïcité. Quant au lectorat arabophone, il se compose des
Marocains issus des milieux populaires ou bourgeois. Ceux-ci éprouvent un attachement plus
grand à la religion et au roi et sont moins critiques par rapport à ces sujets que les lecteurs
francophones.157 Il semble donc que le scandale autour de Nichane a été déclenché par la
partie conservatrice de la société marocaine.
Dans tous les cas, ce qu’il faut retenir pour notre réflexion, c’est le fait que tant à
l’écrit qu’à l’oral, la langue arabe est soumise à des contraintes vis-à-vis certains sujets. Par
conséquent, les locuteurs préfèrent d’user le français pour exprimer les sentiments et l’usage
de l’arabe dans la presse écrite rend tabous les sujets tels que la religion, la sexualité ou le roi.
Certes, on ne peut pas transférer la réalité marocaine aux autres pays maghrébins.
Nous estimons toutefois que la nature de l’arabe classique qui est une langue officielle pour
les trois pays permet de faire un constat valable pour tout le Maghreb. Parmi les arguments 155 Cohen, Anouk : La langue du silence dans le Maroc urbain contemporain. In : Revue de l’histoire des religions, 2011, n° 2, p. 250.156 Ibid., p. 255. 157 Ibid.
55
« typiques » qui agissent en faveur de l’usage de la langue française - facteurs économique,
social, éducatif - il y a un facteur d’ordre culturel qui montre les différences entre deux
cultures qui se rencontrent sur le territoire maghrébin. Le français en tant que véhicule de la
culture française permet de dire des choses qui sont irrecevables, voire scandaleuses dans le
contexte arabo-musulman et ne peuvent donc être exprimées en langue arabe.
IV. 3. 3. Français – l’une des langues d’enseignement au Maghreb
À l’époque coloniale, l’enseignement du français au Maghreb faisait partie de la
« mission civilisatrice ». Son objectif était que les Maghrébins aient acquis le mode de pensée
et de raisonnement « à la française ». D’où la marginalisation de l’arabe à laquelle ont mis
terme les politiques d’arabisation, mises en place au lendemain de l’indépendance des pays
maghrébins. L’arabisation a touché bien sûr le domaine de l’enseignement, mais son succès y
était incomplet. Tandis que la connaissance de l’arabe dialectal s’est maintenue pendant l’ère
coloniale grâce à la culture populaire (chants folkloriques, proverbes, etc.), l’arabe classique
est devenu une véritable langue étrangère aux populations maghrébines. C’est pourquoi il était
en fait inévitable de maintenir la langue française à l’école. Grâce à l’arabisation progressive,
l’arabe s’impose de plus en plus à l’école mais ne pénètre cependant dans tous les cycles
d’enseignement et surtout dans toutes les matières.
On a pu constater en 2007 que les matières techniques et scientifiques étaient
enseignées en français dès la première année du collège dans les trois pays du Maghreb. En ce
qui concerne les universités, il existe en Algérie et au Maroc des filières francophones offrant
de nombreuses possibilités d’enseignement; c’est notamment le cas du Maroc, où l’on
comptait en 2007 plus de 600 filières francophones. En Tunisie, il y a même des universités
où l’enseignement se donne entièrement en français. En général, on constate que le statut du
français au secondaire et à l’université n’est pas menacé par l’arabe, celui-ci n’étant réservé
qu’à l’enseignement des matières littéraires.158
On peut dire que ces données justifient la position privilégiée du français au
Maghreb. Considéré comme langue de l’instruction des élites, le français ouvre la voie aux
débouchés professionnels et donc à un bon statut social.
158 Bianchini, Laura : L’usage du français au Maghreb. In : Constellations francophones, Publiafarum, n° 7, 2007. Accessible sur le site : <http://www.publifarum.farum.it/ezine_articles.php?art_id=77>. Consulté le 10 avril 2012.
56
IV. 3. 4. Enseignement du français au Maghreb - réalité et perspectives
Nous avons parlé du fait que le français au Maghreb n’est pas seulement une matière à
enseigner – il s’agit aussi d’une langue d’enseignement. Nous voudrions à présent aborder la
problématique de l’enseignement du français dans les trois pays maghrébins. Notre réflexion
sera axée sur la situation au début du XXIe siècle et nous amènera à la question des
perspectives pour l’enseignement de la langue française au Maghreb.
IV. 3. 4. 1. Algérie
En parlant de l’enseignement du français en Algérie, il faut au préalable mentionner la
réforme globale de l’éducation, mise en place en 2000. Cette année-là, on a établi la
Commission nationale de la réforme du système éducatif (CNRSE), plus connue sous le nom
de Commission Benzaghou (issu du nom de son président). Cette institution, composée « de
pédagogues et de représentants de différents secteurs d’activités ou de la société civile »159,
était chargée de toutes les activités liées à l’enseignement (organisation des structures
éducatives, statut des enseignants etc.). Les propositions de la CNRSE ont été transmises à
une nouvelle instance, la Commission nationale des programmes (CNP). Les Groupes
spécialisés de disciplines (GSD) qui dépendaient de la CNP avaient pour tâche de « traduire
les nouvelles orientations sous forme de programmes, d’outils pédagogiques et de manuels
scolaires. »160
La réforme de l’éducation constitue un grand progrès justement dans le domaine de
l’enseignement des langues étrangères. Les mots du président Bouteflika montrent qu’il est
conscient de l’importance de la question de l’apprentissage des langues étrangères, parmi
lesquelles le français a un statut privilégié. Il affrme que « la maîtrise des langues étrangères
est devenue incontournable » et qu’il faut que les élèves apprennent « une ou deux langues de
grande diffusion [...] »161 Avant la mise en place de la réforme, l’apprentissage des langues
étrangères a été considéré comme peu important et celles-ci n’occupaient qu’une place
159 Ferhani, Fatiha Fatma : Algérie, l’enseignement du français à la lumière de la réforme. Le Français aujourd’hui 2006/3, n° 154, pp. 11-18.160 Ibid.161 Palais des Nations, Alger, samedi 13 mai 2000. Site Web de la présidence de la République : <www.el-mouradia.dz>. Cité par Fatiha Fatma Ferhani.
57
marginale dans les emplois du temps. Quant au français, il était enseigné avant la réforme dès
la quatrième année du primaire.162
La mise en œuvre de la réforme n’a rien changé sur le statut privilégié du français qui
demeurait la première langue étrangère. Or il convient de noter que la réforme joue également
au profit de la langue anglaise dont l’apprentissage commence désormais en première année
de collège au lieu de la deuxième. Ce fait nous indique que l’anglais s’impose petit à petit
comme concurrent du français.
La réforme agit cependant surtout au profit de la langue française. Depuis la rentrée
2003-2004, l’enseignement du français débutait en deuxième année (il était donc avancé de
deux années). La langue française était enseignée trois heures par semaine. L’année scolaire
suivante, ce volume a augmenté vers quatre heures par semaine pour atteindre finalement cinq
heures hebdomadaires d’apprentissage jusqu’à la fin du collège. L’augmentation des heures
destinées à l’apprentissage du français est certes un changement considérable. Nous dirons
toutefois avec F. F. Ferhani que « ce n’est pas tant le fait que l’on enseigne plus ou moins
d’heures de français que celui de les enseigner plus tôt qui fera la différence. »163 En fait, il
est déjà prouvé que l’apprentissage d’une langue à un âge précoce est un facteur qui contribue
largement à sa bonne maîtrise. Le fait que le français soit enseigné dès la deuxième année
constitue donc, à notre avis, un véritable avantage pour ceux qui l’apprennent. Un autre
facteur qui aide à l’amélioration de la maîtrise de la langue française à l’école est
l’introduction des nouvelles applications didactiques et pédagogiques, parmi lesquelles la
réhabilitation de l’oral notamment. Et si l’on compare son statut avec celui de tamazight dont
l’apprentissage ne commence qu’en quatrième année, le français ne peut que renforcer encore
sa position de langue seconde en Algérie.
IV. 3. 4. 2. Tunisie
À présent, nous allons nous interroger sur le statut de la langue française en Tunisie,
notamment à l’école tunisienne. De même qu’en Algérie, le français jouit d’un statut de
première langue étrangère et son apprentissage débute en troisième année du premier cycle.
Sa position « spéciale » par rapport aux autres langues étrangères se manifeste par le fait
qu’« après sept années d’apprentissage (les quatre dernières années du primaire et les trois
années au collège), elle devient, dans le cycle secondaire (les quatre années du lycée) la 162 L’anglais n’était alors introduit qu’en deuxième année de collège et l’allemand ou l’espagnol, en deuxième année de lycée. Ferhani, Fatiha Fatma : Algérie, l’enseignement du français à la lumière de la réforme. Le Français aujourd’hui 2006/3, n° 154, pp. 11-18.163 Ibid., p. 13.
58
langue d’enseignement des disciplines scientifiques, techniques, économiques et de
gestion.»164 Le renforcement de l’horaire du français, surtout durant le cycle secondaire, et la
réécriture des programmes ont entraîné une nouvelle réflexion sur la didactique des langues
étrangères, notamment du français. On a décidé de tester les acquis des élèves pour vérifier si
les programmes étaient efficaces. Une évaluation du niveau réel des élèves s’est effectuée
essentiellement à la suite des examens nationaux. Il s’agissait en fait de deux évaluations : de
la part de l’Inspection générale tunisienne ayant élaboré un rapport de synthèse et de la part
des experts étrangers. Les deux évaluations ont montré que les acquis des élèves étaient
insuffisants.
Les résultats insatisfaisants de cette double évaluation ont engagé une réflexion
approfondie sur la didactique de la langue française. La commission du français, composée
des inspecteurs des collèges et des lycées, a effectué plusieurs recherches-actions s’occupant
des principales activités de la classe : l’oral, la grammaire, la lecture etc. Les données issues
de ces recherches ont servi de base à la réforme profonde du système éducatif tunisien. Parmi
les objectifs généraux de cette réforme, on peut citer le « développement des compétences de
communication orale et écrite, leur importance en tant que vecteur d’apprentissage,
l’articulation de ces activités langagières, le souci constant d’aider l’élève à intégrer et à
exploiter ses acquis et l’exigence de l’accès au sens dans les différentes disciplines. »165
La première tâche des innovations était d’améliorer la maîtrise du français à l’oral ce
qui entraîne plusieurs difficultés. Par exemple, le langage oral est souvent enseigné comme
l’écrit avec lequel il finit souvent par se confondre. En plus, certains enseignants ne tiennent
pas suffisamment compte des spécificités du langage oral et ont tendance à l’hypercorrection
des élèves, ce qui est une approche extrêmement décourageante. Une autre difficulté est liée à
l’évaluation du langage oral, c’est-à-dire à la problématique de trouver des critères appropriés
pour l’évaluer. On peut citer encore d’autres problèmes, tels que l’hésitation entre différentes
approches pédagogiques ou la formation spécifique insuffisante des enseignants en français.
Pour montrer les forces et les faiblesses de l’enseignement du français et pour pouvoir
améliorer par la suite sa qualité, le ministère tunisien de l’Éducation et de la Formation a
mené « avec le concours du Service de coopération et d’action culturelle (SCAC) de
l’ambassade de France »166 une évaluation externe de l’enseignement de la langue française.
164 Hammami, Mounira - Durtey, Jean-François : L’enseignement du français en Tunisie : un programme ambitieux de rénovation et de soutien. Le Français aujourd’hui 2006/3, n° 154, p. 67.165 Boukhari, Amel : La réforme de l’enseignement du français en Tunisie : enjeux et difficultés. Le Français aujourd’hui 2006/3, n° 154, p. 36.166 Hammami, Mounira, Durtey, Jean-François : L’enseignement du français en Tunisie : un programme ambitieux de rénovation et de soutien. Le Français aujourd’hui 2006/3, n° 154, p. 68.
59
Celle-ci a servi de base à l’élaboration du projet de Programme de rénovation de
l’enseignement du français dans le système éducatif tunisien (PREF-SET).
Il s’agit d’un projet commun de la France et de la Tunisie, financé à parité par le
ministère de l’Éducation et de la Formation et le ministère français des Affaires étrangères.
Tous les éléments du programme ont été définis d’un commun accord entre la Tunisie et la
France. Sa mise en œuvre a commencé le 1er janvier 2003 et devait finir en décembre 2007.
L’objectif principal du programme, défini d’une façon très générale, était de « renforcer
l’efficacité de l’apprentissage du français dans l’enseignement de base et dans
l’enseignement secondaire. »167 Il y avait également plusieurs objectifs secondaires :
« renforcer la formation des enseignants du primaire et du secondaire » et « favoriser un
meilleur environnement culturel francophone à destination des élèves (et des enseignants) en
dehors de la classe. »168
Parmi les activités comprises dans ce projet, l’une nous paraît particulièrement
intéressante. Il s’agit de la formation conjointe s’effectuant par l’intermédiaire des stages.
D’abord, les formateurs tunisiens ont reçu la formation en France pendant un stage d’une à
deux semaines, généralement au printemps. Ensuite, il y avait une session de formation des
enseignants en Tunisie (une à deux semaines) pendant les vacances scolaires. Ces stages ont
permis la coopération plus aisée entre les formateurs tunisiens et leurs homologues français.169
Nous avons vu que le système éducatif tunisien met un accent particulier sur la bonne
maîtrise de la langue française. On peut constater que la réforme de l’enseignement vise avant
tout à « rapprocher l’école des réalités sociales, culturelles, intellectuelles des élèves » pour
que l’enseignement du français aide les élèves à « appréhender le monde dans sa richesse et
sa diversité. »170
IV. 3. 4. 3. Maroc
De même que l’Algérie et la Tunisie, le Maroc s’est engagé dans une réforme de
l’enseignement qui a débuté dans ce pays en 2001. Elle visait atteindre à peu près les mêmes
objectifs que les réformes des autres pays du Maghreb. Il s’agissait notamment de
167 Id.168 Ibid., p. 68-69.169 Id.170 Boukhari, Amel : La réforme de l’enseignement du français en Tunisie : enjeux et difficultés. Le Français aujourd’hui 2006/3, n° 154, p. 39.
60
« généraliser la scolarisation fondamentale » (notamment dans les zones rurales) et
« d’adapter et moderniser les programmes et les pratiques d’enseignement. »171
Pour étudier la problématique de l’enseignement du français au Maroc, nous disposons
de chiffres intéressants. La proportion de francophones au début du XXIe siècle était de 13,5 à
16,5% de bons francophones et de 16,5 à 20% des francophones partiels. Une autre chose à
noter est à la fois qu’il y a de bons locuteurs français peu scolarisés mais aussi que, certains
bacheliers sont incapables d’écrire un texte simple en français.172
Parmi les quatre langues173 qui traversent le système éducatif marocain, seul l’arabe
classique jouit d’un véritable statut, le français n’étant reconnu officiellement que comme « la
première langue étrangère » ou « la langue étrangère privilégiée ». Le rôle qu’assume le
français dans le système éducatif marocain n’est que vaguement défini par les caractéristiques
précédentes. On peut toutefois constater que le français est « un instrument majeur de
sélection et de promotion scolaire, sociale et professionnelle. »174
Si l’on revient à ce que l’on a déjà dit, la politique d’arabisation n’a pas touché
l’enseignement supérieur. Ainsi, la maîtrise de la langue française était presque indispensable
à la poursuite d’études (sauf les matières littéraires pour lesquelles l’arabe demeure la langue
d’enseignement). Or beaucoup de bacheliers rencontraient de grandes difficultés au moment
d’aborder l’enseignement supérieur. Ces difficultés découlent du système scolaire qui
comporte l’enseignement secondaire arabisé et l’enseignement supérieur en français. La
maîtrise souvent insuffisante de la langue française posait des problèmes aux étudiants
désormais obligés à suivre des cours enseignés en français.
En 2006, les programmes prévoyaient que l’enseignement du français serait
obligatoire dès la deuxième année de l’école fondamentale jusqu’à la terminale (huit ans au
total). Cette pratique n’a été introduite qu’en 2003 ; jusqu’alors, les élèves n’apprenaient le
français qu’en troisième année. Selon les nouveaux programmes, durant les quatre dernières
années de l’école primaire, « c’est le quart de l’horaire hebdomadaire qui est consacré à la
langue française! »175 Grâce à ce changement qui a touché l’enseignement du français, de
nombreux étudiants sont parvenus à maîtriser parfaitement cette langue. Il y avait cependant
toujours une bonne partie des élèves qui rencontraient les difficultés dans l’enseignement
171 Bourdereau, Frédéric : Politique linguistique, politique scolaire : la situation du Maroc. Le Français aujourd’hui 2006/3, n° 154, p. 25.172 Ibid.173 L’arabe dialectal, l’arabe classique, l’amazighe, le français.174 Bourdereau, Frédéric : Politique linguistique, politique scolaire : la situation du Maroc. Le Français aujourd’hui 2006/3, n° 154, p. 26.175 Bourdereau, Frédéric : Politique linguistique, politique scolaire : la situation du Maroc. Le Français aujourd’hui 2006/3, n° 154, p. 28.
61
supérieur. On peut constater que la réforme a apporté un succès relatif mais ces effets se
manifesteront peut-être dans une plus grande mesure dans les années à venir.
Après avoir analysé la problématique de l’enseignement du français en Algérie, en
Tunisie et au Maroc, nous pouvons discerner des tendances qui sont communes pour tout le
Maghreb. Les trois pays ont entrepris les réformes de l’enseignement qui visaient notamment
l’amélioration de la maîtrise du français chez les apprenants. Les moyens par lesquels ils
voulaient y parvenir étaient notamment le renforcement des horaires hebdomadaires consacrés
à la langue française et son apprentissage à l’âge précoce. Les réformes répondent en fait aux
problèmes liés aux spécificités des systèmes éducatifs étant en vigueur dans les trois pays. La
distinction entre le secondaire arabisé et le supérieur où le français prédomine largement dans
l’enseignement entraînait souvent les difficultés que nous avons évoquées. Une autre tendance
que l’on peut observer est l’effort d’introduire de nouvelles méthodes didactiques dans
l’enseignement du français (ainsi que d’autres langues étrangères). Il s’agit notamment de
méthodes orales qui devraient aider les apprenants à appliquer les acquis dans les divers
domaines de communication. Étant donné que le français nécessite « un niveau d’abstraction
et de conceptualisation exigé par les tâches langagières et discursives en rapport avec les
disciplines en question »,176 il est indispensable que l’on veille à son apprentissage approfondi.
Les efforts de réformer les systèmes éducatifs montrent que les dirigeants maghrébins
dont la compétence concerne la sphère de l’enseignement sont conscients de l’intérêt que
présente l’apprentissage des langues étrangères, parmi lesquelles le français garde toujours un
statut privilégié.
On a pu constater que la baisse de la maîtrise du français chez les apprenants
maghrébins représente un problème qui est encore à résoudre. Peut-il menacer le statut du
français au Maghreb ? Il est fort probable que non vu les avantages qu’apporte la
connaissance de cette langue, notamment pour la vie professionnelle. Or il y a un phénomène
qui pourrait constituer une menace réelle pour le français - l’expansion de l’anglais. Pour
l’instant, l’anglais est une deuxième langue étrangère au Maghreb, le français jouissant quant
à lui du statut d’une langue seconde. Nous ne sommes pas en mesure de prévoyer l’évolution
de cette situation linguistique. Nous supposons cependant que la langue française l’emportera
quand même dans les prochaines années sur l’anglais grâce aux liens forts (de nature
historique, culturelle ou économique) entre les pays du Maghreb et la France.
176 Miled, Mohamed : Le français langue seconde en Tunisie : une évolution sociolinguistique et didactique spécifique. In : Le français aujourd’hui, 2007/1, n° 156, p. 81.
62
À notre avis, il y a deux facteurs principaux qui devraient entrer dans le domaine de
l’enseignement du français pour que cet enseignement soit effectif. D’une part, il faut prêter
attention à la formation des enseignants. Ceci posait problème dans les années 1990 puisque,
comme G. Vigner a pu constater, « la formation des enseignants s’est largement confondue
avec la formation générale en français, la dimension proprement professionnelle
n’intervenant qu’à la marge du processus ».177 Ce ne sont évidemment que des enseignants
bien formés (c’est-à dire ceux qui savent non seulement user du français mais le transmettre à
leurs élèves) qui peuvent aider les apprenants à surmonter les difficultés tant à l’oral qu’à
l’écrit. D’autre part, la complémentarité entre l’arabe et le français pourrait contribuer à de
meilleurs résultats des apprenants. En d’autres termes, il faudrait prendre en considération les
spécificités d’apprentissage du français chez les locuteurs maghrébins. Les enseignants
devraient connaître le dialecte dont on parle dans le pays où ils enseignent le français et en
profiter pour faciliter l’acquisition de cette langue à leurs élèves.
177 Vigner, Gérard : Les formations à l’enseignement du F.L.E.S. au Maghreb et dans les pays d’Afrique francophone. Études de linguistique appliquée, 1994, p. 75.
63
V. Conclusion
La diglossie est un concept ayant subi une importante évolution depuis son lancement.
La conception canonique, vulgarisée par Ch. Ferguson et relativement restreinte dans sa
signification, est devenue progressivement beaucoup plus complexe. Ne se rapportant jadis
qu’à l’usage de deux variantes d’une même langue, la diglossie peut aujourd’hui désigner les
situations où deux langues différentes sont en usage.
Notre mémoire avait pour l’objectif d’appliquer la conception de diglossie aux trois
pays du Maghreb. Le contexte linguistique maghrébin nous a permis de discerner trois types
principaux de situations diglossiques. Elles sont liées notamment au passé colonial du
Maghreb et aux politiques d’arabisation mises en place dans les trois pays maghrébins après
leur indépendance. Ces événements ont constitué en effet notre point de départ pour la
problématique traitée.
En premier lieu, nous avons parlé de la diglossie entre le berbère et l’arabe classique.
Vu la lutte du mouvement amazigh pour la promotion de la langue et la culture amazighes,
marginalisées à la suite de l’arabisation, on peut constater que cette diglossie présentait un
aspect conflictuel. Les revendications des représentants de l’amazighité ont été prises en
considération notamment par les autorités du Maroc où l’amazighe est aujourd’hui langue
officielle.
Le deuxième type de diglossie que nous avons étudié concerne l’arabe classique et
l’arabe dialectal. Étant donné qu’il s’agit de deux variantes d’une même langue, nous étions
obligée de revenir au concept originel, (sans employer toutefois les termes de « variété
haute » et de « variété basse »). Or nous avons pu constater qu’il s’agit en effet de deux
langues tellement différentes que leur parenté n’est pas évidente. On peut observer que la
diglossie entre l’arabe classique et l’arabe dialectal ne porte pas les marques du conflit
linguistique puisque les populations usant du dialecte ne protestent pas contre sa non-
reconnaissance en tant que langue officielle. Le statut de l’arabe classique, légitimé par les
arguments d’ordre culturel, historique ou religieux, ne menace pas pour autant la position de
l’arabe dialectal qui demeure le seul moyen vraiment courant de communication quotidienne.
Enfin, nous nous sommes occupée de la diglossie entre l’arabe et le français. On peut
dire que celle-ci est marquée par deux tendances opposées. La politique d’arabisation
officielle agissait contre la langue de l’ancien colonisateur en proclamant la nécessité de
généraliser l’usage de l’arabe. Or l’arabe classique qui constituait une véritable langue
64
étrangère pour les populations usant des dialectes n’était pas en mesure de remplacer
immédiatement la langue française dans tous les domaines. En dépit de l’arabisation
progressive de l’enseignement, le système éducatif des trois pays maghrébins fonctionne
partiellement en français. C’est aussi l’une des raisons pour laquelle les États maghrébins
veillent à la bonne maîtrise de cette langue chez les élèves.
Enfin, nous voudrions nous interroger une dernière fois sur les représentations que
l’on pourrait attribuer aux langues du Maghreb dont nous nous sommes occupée dans ce
mémoire.
En ce qui concerne la langue amazighe, on peut constater qu’il s’agit d’un véhicule
important de la culture berbère, l’une des composantes essentielles de l’identité maghrébine.
Or ce point de vue est trop simplifié et semble renvoyer à l’époque où les dirigeants algériens
et marocains considéraient l’amazighité comme un patrimoine, certes précieux, mais qui ne
faisait plus partie des États modernes du Maghreb. Aujourd’hui, vu l’existence des médias
amazighes et le fait que l’amazighe est reconnu comme langue officielle du Maroc, on peut
constater le succès du mouvement amazigh. En effet, la langue amazighe n’a jamais cessé de
constituer une partie indissociable de l’identité maghrébine. Or ce rôle ne lui a été
définitivement reconnu qu’au moment où elle n’a plus été perçue comme un vestige de
l’histoire, mais comme une langue vivante.
L’arabe classique, quant à lui, a été valorisé notamment grâce à sa valeur symbolique.
En tant que langue de Dieu, l’arabe classique incarne une dimension religieuse à l’importance
non négligeable au Maghreb. Étant donné que cette langue n’aspire point à la modernité ni à
l’usage pratique, elle servait plutôt comme instrument politique qui devait symboliser
l’identité commune de tous les Maghrébins, voire de tous les Arabes.
Par contre, l’arabe dialectal est un « produit authentique de l’histoire maghrébine »178,
au même titre que l’amazigh. Il ne s’agit pas d’une langue des élites ni de l’enseignement.
Son statut d’une langue servant à la communication pour la majorité des populations
maghrébines est cependant incontestable.
Nous avons plusieurs fois évoqué le fait que la langue française jouit d’un statut
« spécial » au Maghreb. Le français n’est pas une langue simplement « tolérée » pour des
raisons analysées dans ce travail. On peut observer que les autorités dirigeantes des États
maghrébins veillent à l’apprentissage des langues étrangères puisque la capacité langagière est
l’un des éléments ouvrant la voie à la modernisation. Parmi toutes les langues étrangères, le
français occupe toujours la première place. Et comme nous avons abordé la question des
178 Cheriguen, Foudil : Politiques linguistiques en Algérie. In : Mots, septembre 1997, n° 52, p. 71.
65
représentations et de l’identité, nous finirons par dire avec M. Miled que le français, et par
conséquent la culture francophone, représentent « en définitive l’un des constituants de cette
identité maghrébine ».179
179 Miled, Mohamed : Le français dans le monde arabophone : quels statuts, quels contacts avec la langue arabe ? In : Langue française, 2010/3, n° 167, p. 167.
66
VI. Bibliographie
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