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III. Situation linguistique au Maghreb

Date post: 05-Jan-2017
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Filozofická fakulta Masarykovy univerzity Ústav románských jazyků a literatur Diglossie au Maghreb – Histoire et situation actuelle Monika Langerová Magisterská diplomová práce Vedoucí práce
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Filozofická fakulta Masarykovy univerzityÚstav románských jazyků a literatur

Diglossie au Maghreb – Histoire et situation actuelle

Monika Langerová

Magisterská diplomová práce

Vedoucí práce

Mgr. Christophe Cusimano, Ph.D.

Brno 2012

Prohlašuji, že jsem magisterskou diplomovou práci vypracovala

samostatně, s použitím uvedených zdrojů a literatury a že se elektronická verze práce shoduje

s verzí tištěnou.

V Brně dne _______________________

2

Děkuji panu Mgr. Christophu Cusimanovi, PhD. za cenné rady a

připomínky, které mi velmi pomohly při psaní této práce. Velký dík patří mé rodině za to, že

mě podporovala po celou dobu mého studia.

3

Table des matières

I. Introduction.............................................................................................................................5II. Diglossie – histoire du concept théorique..............................................................................7

II. 1. Bilinguisme et cheminement vers la diglossie...............................................................7II. 2. Diglossie – évolution du concept...................................................................................8II. 2. 1. Lancement de la notion..............................................................................................9II. 2. 2. La standardisation du terme.....................................................................................10II. 2. 3. Conflit linguistique...................................................................................................14II. 2. 4. Termes parallèles - d’autres « glossies »..................................................................16

III. Situation linguistique au Maghreb......................................................................................18III. 1. Langues du Maghreb avant la colonisation française.................................................18III. 2. Colonisation française et politiques linguistiques et scolaires au Maghreb...............19III. 2. 1. Algérie.....................................................................................................................19III. 2. 2. Tunisie.....................................................................................................................21III. 2. 3. Maroc......................................................................................................................24III. 3. Tendances générales en politiques linguistiques post-coloniales...............................26III. 4. Langues du Maghreb d’aujourd’hui............................................................................27

IV. Situations de diglossie sur le territoire maghrébin.............................................................30IV. 1. Diglossie berbère/arabe classique...............................................................................30IV. 1. 1. Maroc......................................................................................................................31IV. 1. 2. Algérie....................................................................................................................36IV. 2. Diglossie arabe dialectal/arabe classique....................................................................42IV. 2. 1. Arabe classique/arabe dialectal – contextes d’usage différents..............................42IV. 2. 2. Diglossie arabe classique/arabe maghrébin ?.........................................................43IV. 3. Diglossie arabe/ français.............................................................................................49IV. 3. 1. Les politiques d’arabisation - rejet total du français ?............................................50IV. 3. 2. Facteurs favorisant l’usage de la langue française au Maghreb.............................52IV. 3. 2. 1. Facteurs socio-économiques...............................................................................52IV. 3. 2. 2. Facteurs éducatifs et culturels.............................................................................53IV. 3. 3. Français – l’une des langues d’enseignement au Maghreb....................................56IV. 3. 4. Enseignement du français au Maghreb - réalité et perspectives.............................57IV. 3. 4. 1. Algérie................................................................................................................57IV. 3. 4. 2. Tunisie................................................................................................................59IV. 3. 4. 3. Maroc..................................................................................................................61

V. Conclusion...........................................................................................................................64VI. Bibliographie......................................................................................................................67

4

I. Introduction

Le Maghreb est un lieu prototypique des contacts des langues. L’arabisation du

Moyen-âge et la colonisation française sont deux étapes historiques qui ont radicalement

modifié le profil linguistique de l’Algérie, de la Tunisie et du Maroc. La diversité des langues

qui sont de nos jours en usage sur le territoire maghrébin nous permet de discerner plusieurs

relations auxquelles elles satisfont.

La population usant de deux langues est souvent qualifiée de bilingue. Or

l’étiquette « bilinguisme » ne peut englober toutes les situations linguistiques du Maghreb.

C’est pourquoi nous avons décidé d’adopter le terme « diglossie » qui introduit la notion de

« variété » ou « variante » pour les situations où deux formes apparentées d’une même langue

sont en usage. Par exemple, le concept de bilinguisme est insuffisant lorsqu’il est question

d’un locuteur parlant une langue officielle à l’école et usant une autre variante de cette même

langue à la maison. Or toutes les situations linguistiques que nous analyserons dans le cadre

de ce mémoire peuvent être qualifiées de diglossiques. Le bilinguisme, quant à lui, est un

concept trop restreint pour pouvoir être appliqué dans le contexte linguistique du Maghreb.

Les questions concernant l’évolution du concept de diglossie ainsi que l’orientation théorique

que nous adopterons dans ce travail seront traitées dans le premier chapitre.

Il convient à présent de brièvement décrire les spécificités linguistiques du Maghreb.

En premier lieu, il faut mentionner l’arabe classique1 qui, tout en jouissant du statut de langue

officielle, ne constitue pas un moyen majeur de communication. Étant donné qu’il s’agit avant

tout de la langue de l’instruction et de la religion, son emploi est assez restreint et touche

essentiellement l’écrit. Le domaine de la communication quotidienne, quant à lui, est

largement réservé à d’autres variantes (ou dialectes) de l’arabe, à savoir les dialectes algérien,

tunisien et marocain. Une partie de notre travail sera donc consacrée à la diglossie entre

l’arabe classique et l’arabe dialectal.

Le berbère sous ses formes régionales constitue une autre langue locale du Maghreb.

En Tunisie, la présence des langues berbères n’est qu’un phénomène marginal, le Maroc et

l’Algérie comptent un nombre relativement important des locuteurs berbérophones. Comme

nous le montrerons dans la suite, la coexistence de l’arabe classique et du berbère ne s’est pas

toujours faite sans problèmes. D’où la situation diglossique opposant l’usage de ces deux

langues et ne manquant pas d’aspect conflictuel. 1 Sous la plume de certains auteurs, on trouve la notion d’« arabe standard ». Nous employons uniquement le terme « arabe classique » pour désigner la langue officielle du Maghreb.

5

La spécificité de l’espace linguistique du Maghreb vient de ce qu’il est marqué par la

présence de la langue française, due à son passé colonial. Le fait que les statistiques comptent

un nombre appréciable de locuteurs francophones montre que la langue de l’ex-colonisateur

joue encore aujourd’hui un rôle important dans les pays maghrébins. C’est la diglossie entre le

français et l’arabe que nous étudierons de plus près puisque ces deux langues se font

concurrence dans plusieurs domaines. Il s’agit notamment du domaine de l’enseignement, car

le système éducatif dans les trois pays se fait partiellement en français et la langue française

est aussi une matière à enseigner ayant un statut privilégié parmi les autres langues étrangères.

Nous ne disposons d’aucun ouvrage qui traite la problématique spécifique de la

diglossie au Maghreb mais il existe plusieurs articles portant sur l’évolution du concept de

diglossie en général. Encore plus nombreux sont les articles dont les auteurs s’occupent de la

situation linguistique des pays maghrébins. On peut constater que les articles publiés dans les

revues linguistiques constituent une source majeure sur laquelle nous allons appuyer notre

réflexion.

En somme, l’objectif de ce mémoire est d’appliquer la conception de la diglossie sur

les langues qui sont en usage au Maghreb. Nous voudrions montrer les différents enjeux

linguistiques que nous offre le contexte spécifique des pays maghrébins. Nous envisageons

d’étudier les relations souvent conflictuelles qu’entretiennent les langues du Maghreb, sans

toutefois les envisager sous le terme de « conflit linguistique ».

II. Diglossie – histoire du concept théorique

6

Avant de commencer à traiter le sujet de notre mémoire, nous voudrions préciser ce

que nous entendons par « diglossie ». Pour cela, il est nécessaire de préciser que le concept de

diglossie a subi une importante évolution et qu’il peut être compris de plusieurs façons et

appliqué à des situations de communication très diverses.

Tout d’abord, nous allons faire une distinction importante entre « diglossie »

et « bilinguisme ». Il est souhaitable de ne pas omettre cette partie parce que si l’explication

était incomplète, on risquerait de considérer ces deux termes commes synonymes. Ensuite,

nous allons présenter les auteurs importants qui ont forgé le concept de diglossie pour enfin

expliquer la conception que nous avons décidé d’adopter dans notre travail.

II. 1. Bilinguisme et cheminement vers la diglossie

Il n’est pas facile de faire la distinction nette entre « bilinguisme » et « diglossie »

étant donné que ces termes sont très proches par leurs significations et qu’ils peuvent être

confondus dans certains contextes. Tout d’abord, nous allons nous concentrer sur la définition

de la première des deux notions.

Pour ce qui est du bilinguisme, voici la définition qu’on peut trouver dans le Trésor de

la langue française : « fait de pratiquer couramment deux langues ; état ou situation qui en

résulte » ou par métonymie « ensemble des dispositions officielles qui assurent ou tendent à

assurer à chacune des langues parlées dans le pays un statut officiel ».2 Une remarque

s’impose face à cette définition : la préposition « bi- »  dans « bilinguisme » implique

seulement « deux » ce qui est en opposition avec la deuxième partie de la définition

(évidemment, il n’y pas toujours deux langues seulement). On pourrait avoir tendance à

employer le mot « plurilinguisme » pour souligner le fait qu’il s’agit de plusieurs langues.

Mais puisque l’analyse de ce terme ne constitue pas le sujet de notre travail, il ne nous

incombe pas rendre plus polémique qu’elle ne l’est la définition donnée.

Ce qui est important pour nous, c’est de pouvoir initier le cheminement vers le concept

de diglossie. Avant que le terme de diglossie n’ait commencé à s’imposer, le débat

scientifique avait souvent été lié à la problématique du bilinguisme.

De ce point de vue, il convient de mentionner Edward Sapir qui dans son article

Dialect, publié en 1931 dans Encyclopaedia of Social Sciences, parle du bilinguisme en

relation avec la notion de dialecte. Celui-ci affirme que tous les locuteurs qui utilisent la 2 Trésor de la langue française informatisé. Accessible sur le site : <http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=200588100;>. Consulté le 16 janvier, 2012.

7

langue normalisée pour les besoins officiels et le dialecte local dans la vie courante sont

bilingues.3

Dans les années 1950, Charles Ferguson ajoute une dimension sociolinguistique à

cette conception en constatant que la version normalisée de la langue est une variété haute,

alors que la version dialectale peut être qualifiée de basse.

On peut voir que l’on entre déjà dans le domaine sociolinguistique. On y reste avec la

distinction de Joshua Fishman qui affirme que le bilinguisme est un « fait individuel qui

relève de la psycholinguistique»4 tandis que la diglossie est un « fait social qui rentre dans le

domaine de la sociolinguistique».5

On peut dire, comme on le verra encore plus loin, que certains auteurs qui s’occupent de

la problématique de diglossie ont le souci de bien distinguer cette notion du bilinguisme. Dans

la partie suivante, nous allons essayer de montrer l’évolution du phénomène qu’on appelle

aujourd’hui diglossie.

II. 2. Diglossie – évolution du concept

Partant d’une signification jadis restreinte, la diglossie est devenue un phénomène

beaucoup plus complexe. Aujourd’hui, on accepte en général d’attribuer ce terme à des

situations linguistiques diverses. Il existe néanmoins plusieurs courants qui diffèrent dans

leurs interprétations de ce qu’on peut englober sous l’étiquette de diglossie. Notre but ne sera

pas de nommer tous les linguistes s’occupant de la problématique qui nous intéresse. Nous

visons à parler de ceux qui ont contribué à l’évolution du concept en modifiant la définition

originelle. Pour mieux discerner toutes les étapes pertinentes dans l’évolution de la

conception, nous allons essayer de ranger ses auteurs en groupes ou en écoles. Il faut dire que

ces différentes opinions ne constituent pas de vraies écoles mais cette méthode nous paraît la

plus convenable lorsqu’il est question de la classification bien ordonnée. Pour cela, il est

indispensable de procéder par l’ordre chronologique.

II. 2. 1. Lancement de la notion

3 Sapir, Edward : Dialect. Encyclopaedia of Social Sciences, 5, 1931. Cité par Andrée Tabouret-Keller.4 Kremnitz, Georg : Du « bilinguisme » au  « conflit linguistique ». Cheminement de termes et de concepts. In : Langages, 15e année, n° 61, 1981, p. 64.5 Id.

8

Si l’on en croit aux sources6 dont nous disposons pour nous renseigner sur la

problématique, il semble que le premier à proposer le terme diglossie fut Jean Psichari. Ce

philologue et écrivain français d’origine grecque a vulgarisé le terme dans un article paru dans

Mercure de France en 1928.7 En Grèce, Psichari est devenu une personnalité importante de

la « nouvelle école » qui, dès les années 1880, proposait de substituer à la langue littéraire, le

« khatarévusa », une langue orale, le « démotiki ».8

En ce qui concerne l’origine du terme diglossie, le mot est emprunté au grec et

constitué de deux parties dont la préposition di- signifie « deux fois » et la deuxième partie,

issue du mot glôssa, signifie « langue ». On voit que le phénomène auquel Psichari a attribué

le nom de diglossie se traduit par dualité des langues. Il faut souligner que pour lui et ses

contemporains, la diglossie et le bilinguisme sont encore des quasi-synonymes.

Comment Psichari, polémiste engagé qui luttait contre les « pédants et les puristes » et

qui visait à supprimer la langue calquée sur le grec ancien au profit de la langue

vivante, caractérise-t-il la situation de diglossie ? Il la décrit dans son article de 1928 : « La

diglossie ne consiste pas seulement dans l’usage d’un double vocabulaire [...] ; la diglossie

porte sur le système grammatical tout entier. Il y a deux façons de décliner, deux façons de

conjuguer, deux façons de prononcer ; en un mot, il y a deux langues, la langue parlée et la

langue écrite. » (p. 66) Telle est donc la perspective de Jean Psichari. Il qualifie de

diglossique toute situation où deux variantes (parlée et écrite) d’une même langue sont en

usage dans un pays.

La réflexion sur la diglossie fut développée par son élève Hubert Pernot9 à qui l’on

doit une définition approfondie, annonçant déjà l’approche sociolinguistique. On peut

remarquer que l’aspect social est pris en considération parce que l’auteur mentionne le fait

que les différentes formes des langues sont employées dans des contextes différents. On

apprend par exemple que katarévousa est une « langue écrite par excellence » et « parlée

dans les cérémonies officielles » alors que le démotiki « n’est enseigné nulle part » et pourtant

« demeure la seule langue vraiment courante ».10 Malgré cela, Pernot ne distingue pas la

diglossie et le bilinguisme qui restent synonymes pour lui.

Un autre représentant de ce courant que nous voudrions mentionner est William

Marcais. En 1930, il a écrit un article consacré à la diglossie arabe dans lequel il ne fait

6 Pour suivre l’évolution du concept de diglossie, nous nous appuyons essentiellement sur deux articles publiés dans les revues Langages et Langage et société que nous allons citer plus bas.7 Psichari, Jean : Un pays qui ne veut pas de sa langue. Mercure de France, tome 207, 1928, pp. 63-121.8 Prudent, Lambert-Félix : Diglossie et interlecte. In Langages, 15e année, n° 61, 1981, pp. 13-38.9 Pernot, Hubert : Grammaire grecque moderne. Garnier Frères, 1897.10 Prudent, Lambert-Félix : Diglossie et interlecte. In Langages, 15e année, n° 61, 1981, p. 15.

9

aucune référence à Psichari ou Pernot.11 Or, il faut noter le fait que le mot diglossie n’apparaît

plus avec des guillemets ou en italique, ce qui prouve qu’il est déjà lexicalisé. En ce qui

concerne l’étude de Marcais, sa première partie consiste à opposer l’arabe littéraire à l’arabe

dialectal.12 Nous n’allons pas en parler ici parce que son auteur s’occupe de la question du

français au Maghreb qui sera traitée plus en détails dans les parties suivantes de notre travail.

On peut constater que les auteurs que nous avons passés en revue ont un point commun. Ils

perçoivent la diglossie comme un élément négatif, obstacle qui menace l’unilinguisme, l’idéal

que chaque société européenne semblait vouloir atteindre. On peut citer à titre d’exemple les

mots de Psichari qui dans les Essais de grammaire néo-grecque parle de l’ « étrange diglossie

dont souffre la Grèce ».13 Pour lui, la diglossie est un vrai obstacle non seulement pour les

étrangers qui veulent apprendre le grec moderne, mais aussi pour les Grecs qui sont obligés à

posséder un double système lexicologique et grammatical.

S’il est vrai que la littérature française fut « invoquée comme argument définitif de la

supériorité des communautés monoglottes »14, il sera intéressant de voir plus bas comment

cette perception se reflète dans les débats français sur l’arabe.

II. 2. 2. La standardisation du terme

La publication de l’article Diglossia15 de Charles Ferguson en 1959 marque la reprise

du concept de diglossie aux États-Unis. L’article a connu un succès immédiat et aujourd’hui il

s’agit d’une œuvre classique de la sociolinguistique américaine.

Comment Ferguson définit-il la diglossie ? Pour lui, c’est une « situation linguistique

relativement stable dans laquelle, en plus des dialectes premiers de la langue [...] il existe une

variété superposée très différente, rigoureusement codifiée [...] qui est largement apprise par

le biais de l’école, et qui est utilisée pour la plupart des textes écrits et des discours formels,

mais qui n’est jamais utilisée [...] pour une conversation ordinaire ».16 

Quand on essaie de comparer l’approche de Ferguson avec celle de Psichari, on

s’aperçoit que Ferguson s’inspire probablement de son précurseur en limitant la diglossie à

11 Marcais, William : La diglossie arabe, dans l’Enseignement public. In : Revue pédagogique, tome 104, n° 12, pp.401-409, tome 105, pp. 20-39 et 120-133.12 Prudent, Lambert-Félix : Diglossie et interlecte. In Langages, 15e année, n° 61, 1981, pp. 13-38.13 Psichari, Jean : Essais de grammaire néo-grecque. 1885, 633p. Cité par Lambert-Félix Prudent.14 Prudent, Lambert-Félix : Diglossie et interlecte. In Langages, 15e année, n° 61, 1981, p. 18.15 Ferguson, Charles : Diglossia, Word, 1959. Cité par L.-J. Calvet. 16 Prudent, Lambert-Félix : Diglossie et interlecte. In Langages, 15e année, n° 61, 1981, p. 22.

10

des communautés où « deux formes linguistiques génétiquement parentes sont en usage ».17

Nous avons déjà mentionné les remarques de Ferguson sur le bilinguisme. Nous savons qu’il

distingue deux formes linguistiques – « variété haute » et « variété basse ».

Pour illustrer les situations où les deux variétés linguistiques coexistent dans une

communauté, Ferguson prend quatre exemples :

- les situations arabophones : arabe classique/arabe dialectal

- la Grèce : demotiki/katharevousa

- Haïti : créole/français

- la partie germanophone de la Suisse : suisse alémanique/allemand

Les situations de diglossie sont d’après lui caractérisées par un ensemble des traits :

- répartition des domaines fonctionnels des variétés : pour la variété haute, ce domaine

est celui de la culture et de la littérature, de la religion et de la

communication « formelle » en général; la variété basse, au contraire, est réservée à la

conversation « informelle », celle de la vie quotidienne ;

- le prestige social de la variété haute (dont ne jouit pas la variété basse) ;

- la variété haute est une langue de la littérature reconnue et admirée (alors que la

variété basse est une langue de la littérature populaire) ;

- la variété basse est une langue première des locuteurs (acquise « naturellement »)

tandis que la variété haute est acquise à l’école ;

- la situation de diglossie est stable est peut durer plusieurs siècles ;

- ces deux variétés d’une même langue ont une grammaire, un lexique et une

phonologie relativement divergents18.

Après ce bref résumé des idées de Ferguson, nous voudrions faire quelques remarques

à propos du concept tel qu’il le perçoit. Au niveau des répartitions fonctionnelles des usages,

nous trouvons la réflexion de Ferguson fondée puisqu’il montre bien les différentes situations

dans lesquelles les locuteurs utilisent les deux variétés. Nous approuvons également

l’affirmation que la variété haute jouit d’un prestige social dont la variété basse ne jouit pas.

Or, à notre avis, la conception est un peu rigide, n’admettant pas la possibilité de changement

de situation linguistique. Ferguson considère la diglossie comme un phénomène stable et

durable. Mais évidemment, ce raisonnement ne peut pas être valable pour tous les exemples

qu’il propose dans son article. 17 Kremnitz, Georg : Du « bilinguisme » au  « conflit linguistique ». Cheminement de termes et de concepts. In : Langages, 15e année, n° 61, 1981, p. 64.18 Calvet, Louis-Jean : La Sociolinguistique. 1996.

11

Nous estimons qu’il faudrait prendre en considération le fait que le statut d’une langue

change parfois sans qu’on puisse le prévoir. Une langue qui est perçue comme supérieure peut

dans quelques années ou décennies (sous l’influence de changement de politique linguistique

d’un pays ou à la suite d’une réforme scolaire par exemple) perdre cette position privilégiée

au profit d’une langue qui n’avait jadis qu’un statut inférieur. Certes, ceci n’est pas toujours le

cas des variantes parlée et écrite d’une même langue. Il suffit pourtant de rappeler que le grec

démotique, la variété basse selon la terminologie de Ferguson, est devenue une langue

officielle alors que l’ancienne variété haute est presque tombée dans l’oubli.

La définition de Ferguson est problématique aussi en question de répartition de l’usage

créole/français. Comme le dit Henri Boyer, il serait « abusif de ne voir le créole que comme

basilectal et le français que comme langue haute ».19 Il faut se rendre compte que certains

locuteurs utilisent le français populaire et qu’il existe une variante distinguée20 du créole.

Boyer estime qu’un autre aspect qu’il faut prendre en considération est une variation

géographique et sociologique. Il est fort probable que le langage d’un locuteur citadin n’est

pas celui d’un locuteur rural. Mais le parler d’un locuteur peut aussi varier en fonction de la

couche sociale à laquelle il appartient. Ainsi, les lectes d’un médecin ou d’un avocat ne sont

pas ceux d’un ouvrier bien que ce dernier réside en ville.

Pour conclure cette réflexion, on peut constater que malgré le fait que Ferguson a

contribué considérablement à la diffusion du terme diglossie, sa conception est trop restreinte

et ne prend pas en considération les situations plus complexes.

Quelques années plus tard, ce modèle de diglossie a été repris par Joshua Fishman.21

Nous avons déjà parlé de cet auteur dans la partie consacrée à la distinction entre bilinguisme

et diglossie. Pour lui, la diglossie est un phénomène social qui relève de la sociolinguistique.

Fishman ne vise pas à modifier complètement la conception de Ferguson. On peut dire

plutôt qu’il se place aux côtés de son précurseur en reprenant ses notions de variété haute et

basse. Sa contribution à l’élargissement de la conception consiste à dire que la diglossie

caractérise toute société où deux formes linguistiques sont en usage, qu’elles aient une origine

commune ou non. C’est-à-dire que le terme de diglossie n’englobe pas seulement les

situations où l’on utilise deux variantes de la même langue (variantes haute et basse chez

Ferguson) mais aussi celles où des langues complètement différentes sont en usage. Ainsi, on

19 Boyer, Henri : Les notions de diglossie et de variété. Texte de conférence de 13 avril 2011 à Brno. 20 Id. (H. Boyer parle du « créole acrolectal » ou du « créole distingué ».) 21 Fishman, Joshua : Bilingualism with and without diglossia, diglossia with and without bilingualism. Journal of Social Issues, 1967.

12

peut considérer toute situation coloniale (où la langue européenne et la langue du pays

colonisé sont présentes) comme diglossique. En effet, Fishman suppose que dans toutes les

sociétés de quelque étendue on peut trouver les traits de diglossie.

Pour que la présentation de la conception de Fishman soit complète, il faut rappeler

ses réflexions concernant les rapports entre bilinguisme et diglossie qu’il résume en proposant

quatre situations possibles :

bilinguisme et diglossie : tous les membres d’une société connaissent la forme haute

et la forme basse (l’auteur cite l’exemple d’espagnol et de guarani au Paraguay)

bilinguisme sans diglossie : il y a de nombreux locuteurs bilingues dans une société,

mais ils n’utilisent pas les formes linguistiques pour des usages spécifiques (les

situations en transition entre une diglossie et une autre forme de la communauté

linguistique)

diglossie sans bilinguisme : présence d’une répartition fonctionnelle des usages entre

deux langues, mais il y a un groupe n’utilisant que la forme haute tandis que l’autre

ne parle qu’une forme basse (la Russie tsariste où la noblesse parlait français et le

peuple russe)

ni diglossie ni bilinguisme : les locuteurs ne parlent qu’une seule langue (situation

imaginable uniquement dans une très petite communauté)22

On a vu que Ferguson et Fishman représentent par leur terminologie descriptive les

conceptions de diglossie de façon plutôt théorique. Bien que Fishman ait enrichi la définition

de la diglossie comme nous l’avons montré, la répartition des situations qu’il propose reste

trop schématique pour pouvoir être applicable en pratique. Un autre défaut qu’on peut

observer dans les théories de ces deux auteurs est l’idée que la diglossie est un phénomène

caractérisé par sa stabilité. L’omission du fait que la diglossie n’évolue pas dans un espace

vide mais change en fonction du changement des rapports sociaux est la raison pour laquelle

la conception de Ferguson a fait plus tard l’objet de sévères critiques.

II. 2. 3. Conflit linguistique

Étant donné que le concept canonique de Ferguson était peu satisfaisant, la critique

postérieure s’efforçait de corriger les schémas trop idéalisés et superficiels. Ce que certains 22 Calvet, Louis-Jean : La Sociolinguistique, 1996.

13

auteurs reprochaient à leurs précurseurs, c’est la « vision idylique de la stabilité, de

l’homogénéité et de l’harmonie du schéma canonique ».23

Certains linguistes, notamment d’origine catalane et occitane, étaient d’avis que

derrière le système d’alternance fonctionnelle des deux variétés il y a un conflit linguistique.

Les auteurs catalans ont proposé d’utiliser ce terme pour mieux saisir tous les aspects de la

problématique. Pour eux, le conflit linguistique est un phénomène le plus complexe qui

englobe d’autres phénomènes parmi lesquels la diglossie.

Voici la définition du conflit linguistique publiée dans le cadre des travaux du Congrés

de cultura catalana (1975-1977) : « Il y a conflit linguistique quand deux langues clairement

différenciées s’affrontent, l’une comme politiquement dominante (emploi officiel, public) et

l’autre comme politiquement dominée. »24 Le concept permet de distinguer plusieurs formes

de domination : elle peut être explicitement répressive (les pratiques de l’État espagnol sous le

franquisme) ou bien répressive uniquement sur le plan idéologique (les pratiques de l’État

français). Les auteurs du concept définissent deux types de conflit linguistique : dans une

société préindustrielle où la situation de diglossie est stabilisée, le conflit linguistique est

habituellement latent alors que dans une société industrialisée le conflit apparaît d’habitude

sous sa forme aiguë.25

Quand on analyse la définition donnée, on peut s’apercevoir d’un certain glissement

dans la terminologie. L’expression « deux langues clairement différenciées » marque un

changement par rapport au concept de Ferguson ou de Fishman. Désormais, on peut appliquer

la notion de conflit diglossique à chaque situation où « deux groupes linguistiquement

différenciées cohabitent dans une même organisation étatique, dès que l’une des deux a sur

l’autre un avantage, en droit ou en fait ».26 Les termes « langue dominante » et « langue

dominée » nous intéressent particulièrement étant donné que ceux-ci apparaissent souvent

dans le contexte des situations coloniales que nous allons étudier de plus près.

Mais cette distinction nous indique encore une chose importante. La diglossie,

phénomène plutôt statique dans le concept originel, commence à bouger. Pour les

sociolinguistes catalans, ce mouvement est possible dans deux directions. C’est pourquoi ils

introduisent les termes « normalisation » pour la situation où la langue dominée s’émancipe

entièrement et fait disparaître la langue jadis dominante. La deuxième situation qui peut se

23 Prudent, Lambert-Félix : Diglossie et interlecte. In Langages, 15e année, n° 61, 1981, p. 23. (l’auteur de l’article traduit)24 Kremnitz, Georg : Du « bilinguisme » au  « conflit linguistique ». Cheminement de termes et de concepts. In : Langages, 15e année, n° 61, 1981, p. 65.25 Ibid.26 Ibid., p. 65.

14

produire est celle de la « substitution » caractérisée par la disparition de la langue dominée au

profit de la langue dominante.27

En rapport avec cette problématique, nous voudrions mentionner la conception que

propose Louis-Jean Calvet.28 Ce dernier parle de la « glottophagie » qui désigne une situation

où une langue « digère » une autre, en d’autres termes, où une langue est repoussée par une

autre et disparaît. On peut dire que la glottophagie est un terme plus expressif caractérisant le

même processus que les auteurs catalans qualifient de substitution.

Nous n’allons pas développer ici d’avantage la réflexion sur ce sujet en analysant les

raisons qui peuvent mener à telle ou telle situation linguistique mentionnée. Nous reviendrons

à cette question quand nous analyserons les situations concrètes dans les pays qui font l’objet

de notre étude.

Nous pouvons observer que la conception de conflit linguistique est relativement

répandue, notamment chez les auteurs catalans mais aussi chez ceux qui s’occupent de la

situation linguistique en France (le rapport entre le français et l’occitan par exemple). Il

convient cependant de se poser la question de savoir si toute diglossie est nécessairement

indicatrice d’un conflit linguistique. Est-ce qu’il est question du conflit diglossique dont parle

Henri Boyer29 ou bien s’agit-il seulement d’un aspect conflictuel de la diglossie ? F.

Vallverdú, l’un des auteurs catalans, propose de distinguer deux types de base de diglossie : la

diglossie « neutre » et la diglossie « conflictuelle ». Il constate que, dans le cas de diglossie

neutre, « le conflit linguistique a été neutralisé au niveau idéologique, mais on ne peut pas

dire qu’il y ait une véritable aliénation linguistique, parce qu’il ne répond pas [...] à des

tensions sociales réelles. »30

On pourrait reprocher à la théorie des sociolinguistes catalans que ces derniers

l’appliquent avant tout au Pays catalan ce qui rend difficile son transfert à d’autres situations.

Or, en ce qui concerne l’objet de notre travail que sont les situations coloniales, on peut

supposer que celles-ci constitueront un bon exemple de la diglossie conflictuelle. C’est

pourquoi nous estimons que la terminologie utilisant justement les notions de langue dominée

et langue dominante sera adéquate pour le traitement de notre problématique.

27 Kremnitz, Georg : Du « bilinguisme » au  « conflit linguistique ». Cheminement de termes et de concepts. In : Langages, 15e année, n° 61, 1981, pp. 63-74.28 Calvet, Louis-Jean : Linguistique et colonialisme. Petit traité de glottophagie. Paris : Petite Bibliothèque Payot, 2002 (rééd.), 328 p.29 Boyer, Henri : Matériaux pour une approche des représentations sociolinguistiques. Éléments de définition et parcours documentaire en diglossie. In : Langue française, n° 85, 1990, pp. 102-124.30 Kremnitz, Georg : Du « bilinguisme » au  « conflit linguistique ». Cheminement de termes et de concepts. In : Langages, 15e année, n° 61, 1981, p. 70.

15

II. 2. 4. Termes parallèles - d’autres « glossies »

Pour terminer la liste des conceptions relatives à la diglossie, qui ne sera pourtant pas

exhaustive, nous voudrions mentionner les auteurs qui ont proposé les termes que l’on

pourrait dire parallèles à la diglossie.

Le conflit linguistique dont nous avons parlé précédemment pourrait être considéré

comme l’un de ces termes. Or, il faut rappeler que pour ces auteurs, le conflit linguistique ne

remplace pas la notion de diglossie, il est compris plutôt comme son hyperonyme.

Einar Haugen, un chercheur norvégien, a contribué à la discussion sur la diglossie en

avançant la notion de « schizoglossie » qu’il définit comme « la maladie linguistique qui

affecte les locuteurs et les scripteurs qui sont exposés à plus d’une variété de leur propre

langue ».31 Son but était de prouver la présence de la variation aussi dans les sociétés

prétendument « unilingues ». Soucieux également des problèmes quotidiens des locuteurs, il

s’intéresse à la norme linguistique. Sa critique, assez modérée, de Ferguson se contente de

rappeler qu’à côté des variantes standard et le dialecte, il peut exister des styles

intermédiaires.

L’une des dérives intéressantes de la conception de diglossie, la triglossie, est attestée

chez trois auteurs. Le premier, Robert Lafont introduit cette notion en 1971, la deuxième

mention est due à Guy Hazael-Massieux en 1978. La même année, ce terme apparaît chez

Jean-Baptiste Marcellesi32 qui s’en occupe de façon la plus détaillée. Sa contribution consiste

à établir l’existence d’une variété prestigieuse au sud de la Corse qui s’oppose à la fois à la

variété autochtone et au français. Ainsi, il parle de la triglossie français/variété

autochtone/système prestigieux.33

Henri Gobard34 qui prétend s’intéresser à la psychanalyse transculturelle ou à

l’ethnopsychiatrie plutôt qu’à la sociolinguistique avance la notion de « tétraglossie ». Il

distingue « quatre types de langages quelle que soit la langue utilisée » : le vernaculaire, le

véhiculaire, le référentiaire et le mythique. Son modèle est intéressant mais manque de

31 Prudent, Lambert-Félix : Diglossie et interlecte. In Langages, 15e année, n° 61, 1981, p. 22.32 Marcellesi, Jean-Baptiste : Détermination sociolinguistique et phantasmes : Le sud de la Corse. Proceedings of the twelth International Congres of Linguists. Insbruck 1978, pp.317-320.33 Prudent, Lambert-Félix : Diglossie et interlecte. In Langages, 15e année, n° 61, 1981, pp. 13-38.34 Gobard, Henri : L’Aliénation linguistique. Analyse tétraglossique. Flammarion, 298 p.

16

démonstration. La seule application connue de la tetraglossie est donc celle d’Albert Valdman

(1979) qui finit malgré tout par défendre le concept de la diglossie.35

Cette typologie des dérives de diglossie est à notre avis très intéressante parce qu’elle

développe les différents types de situations diglossiques. Il peut exister une variante

linguistique (ou peut-être une langue) qui s’oppose à deux ou plusieurs autres

variantes/langues. Ainsi, il sera intéressant de voir s’il est possible d’appliquer une pareille

conception à la situation linguistique au Maghreb où l’on peut étudier en fait plusieurs types

de diglossie (arabe dialectal/arabe classique/français).

Après avoir montré l’évolution du terme de diglossie, il convient d’expliquer la

conception que nous avons choisi d’adopter dans notre travail. Évidemment, nous n’allons pas

respecter le schème canonique de Ferguson vu que nous ambitionnons d’appliquer la notion à

des langues qui ne sont pas toutes de la même origine. Il faut souligner également le fait que

nous intégrerons à notre étude l’aspect conflictuel de la diglossie, ce qui nous permettra

d’utiliser éventuellement la terminologie de langue dominante/langue dominée. Nous

n’excluons pas non plus la possibilité de nous inspirer des termes parallèles à la diglossie, tels

que la triglossie par exemple, puisque notre réflexion portera essentiellement sur trois

langues.

35 Prudent, Lambert-Félix : Diglossie et interlecte. In Langages, 15e année, n° 61, 1981, pp. 13-38.

17

III. Situation linguistique au Maghreb

Nous voudrions consacrer cette partie de notre travail à l’étude de la situation

linguistique dans les trois anciennes colonies françaises du Maghreb : Algérie, Tunisie et

Maroc. Nous allons procéder chronologiquement en portant notre attention tout d’abord sur la

période avant la colonisation puis sur l’époque coloniale. Ensuite, nous allons montrer les

tendances générales quant aux politiques linguistiques des pays maghrébins dans les

premières années de leur indépendance pour enfin passer en revue les langues qui sont

aujourd’hui en usage dans ces pays.

Cet aperçu des langues du Maghreb nous aidera à discerner les différentes situations

diglossiques qu’on peut analyser sur ce territoire.

III. 1. Langues du Maghreb avant la colonisation française

Pour bien parler de la situation linguistique au Maghreb avant la colonisation

française, il faut d’abord mentionner les langues des Berbères qui ont été les premiers à

s’installer sur ce territoire.

La recherche systématique sur les langues berbères n’a commencé qu’au XIXe siècle.

Aujourd’hui, il existe approximativement trois cent langues et dialectes berbères dans

l’Afrique du Nord. La langue des Touaregs constitue une branche particulière parmi ces

langues. Elle n’est que très peu influencée par l’arabe et diffère donc le plus des autres

langues berbères. Celles-ci peuvent être classées en deux groupes : les langues de l’ouest et

les langues du nord. Le premier groupe contient les dialectes utilisés dans diverses parties de

la Mauritanie, du Maroc et de l’Algérie. Au deuxième groupe appartiennent par exemple les

langues kabyles en Algérie. Les autres dialectes berbères sont dispersés sur tout le territoire de

l’Afrique du Nord.36

Il y a des variétés des langues berbères qui sont en usage de nos jours : le kabyle en

Kabylie (région située dans le nord de l’Algérie), le chaoui dans les Aurès (un territoire

montagneux à l’est de l’Algérie) et le tamachek chez les Touaregs.37

36 Krupa, Viktor : Jazyky sveta. Bratislava : Obzor, 1983.37 Benrabah, Mohamed : Langue et pouvoir en Algérie. Histoire d’un traumatisme linguistique. Paris, Séguier, les Colonnes d’Hercule, 1999, 350 p.

18

La conquête de l’Afrique du Nord par les Arabes commença au VIIe siècle. Au fur et à

mesure, la population indigène, notamment celle qui résidait en ville, fut assimilée par les

envahisseurs en adoptant leur religion ainsi que leur langue. Au contraire, les habitants des

régions rurales, bien que largement convertis à l’islam, continuaient à utiliser le berbère. En

raison de l’assimilation de ces deux ethnies, la plupart de la population du Maghreb comporte

aujourd’hui des Berbères arabisés, les Arabes d’origine ne se trouvant que dans les grandes

villes.38

III. 2. Colonisation française et politiques linguistiques et scolaires au Maghreb

Quant à l’époque coloniale, nous voudrions au préalable essayer de montrer certains

aspects de la politique menée par les Français dans les trois pays maghrébins. Dans le cas de

l’Algérie, nous allons nous intéresser surtout à la question de l’administration coloniale. En ce

qui concerne la Tunisie et le Maroc, nous allons présenter deux personnalités qui sont

intervenues dans l’évolution des pays et dont les opinions sur la colonisation constituent les

courants de pensée importants de la société française à l’époque coloniale.

Ensuite, nous allons nous concentrer sur la question des politiques linguistiques dans

les anciennes colonies du Maghreb. Le système scolaire mis en place par le pouvoir colonial

et l’enseignement du français nous intéresseront particulièrement.

III. 2. 1. Algérie

L’Algérie fut la première colonie française sur le continent africain. Colonisée sous

Charles X en 1830, elle ne gagna son indépendance qu’en 1962.

On peut dire que l’Algérie avait un statut spécifique parmi les colonies maghrébines.

En 1848, le pays fut divisé en trois départements : Alger, Oran et Constantine.39 Cela nous

montre bien que les Français visaient à l’administrer comme la France métropolitaine. Les

colonisateurs menaient en Algérie la politique d’assimilation qui se traduisait par la

soumission directe de la colonie au parlement français et au conseil des financiers dans la

colonie. À la tête de l’Algérie fut placé le gouverneur général qui avait sous son autorité les

38 Hrbek, Ivan : Dějiny Afriky. Tome 1. Praha: Svoboda, 1966, 481 p.39 Hrbek, Ivan : Dějiny Afriky. Tome 2. Praha : Svoboda, 1966, 654 p.

19

préfets des trois départements. Ceci dit, on pourrait avoir l’impression que la conquête de

l’Algérie fut une entreprise facile pour l’armée coloniale et que le pays a été soumis

paisiblement au contrôle de la France. Mais il faut dire que la pacification du territoire ne

s’effectuait que par étapes et que jusqu’à la fin du XIXe siècle l’Algérie connut toute une série

des révoltes sanglantes.40

Tout habitant venu d’Europe jouissait des droits du citoyen français, alors que les

Algériens étaient soumis à un statut spécial. L’administration de leurs affaires était confiée

aux « bureaux arabes » dirigés par les officiers français. Il y avait aussi des officiers indigènes

mais ceux-ci ne disposaient d’aucun pouvoir réel. Les Algériens n’avaient le droit ni de créer

des partis politiques ni de voter. Or, ils n’étaient pas jugés d’après les lois françaises mais par

le « codex indigène ». Une situation insolite, semble-t-il. Pourtant, elle s’explique facilement

par le fait que les lois « traditionnelles » étaient beaucoup plus sévères et permettaient les

punitions corporelles.41 En somme, sous la colonisation, les Algériens étaient des « citoyens

de seconde zone ».42

Dès les premières étapes de la colonisation de l’Algérie, les Français manifestèrent des

efforts pour fonder partout et très vite des écoles. Les colonisateurs tentaient de démontrer aux

habitants que les connaissances et les religions étaient des choses différentes et que leur but

n’était pas de les christianiser. Or, l’enseignement traditionnel en Algérie, comme celui du

reste du monde arabe à l’époque, fut très étroitement lié à la religion. C’est pourquoi les

tentatives de scolarisation inquiétaient la population et furent souvent causes de panique ou de

révolte.

Avant l’arrivée des Français, l’enseignement algérien fut financé par le dit « habous ».

Ce terme arabe désigne « les fonds religieux qui constituaient la source principale des

revenus pour les institutions religieuses, y compris les écoles ».43 En 1843, lorsque l’État

s’appropria les biens habous, commença le déclin du système éducatif algérien. Les officiers

coloniaux refusèrent de subventionner les écoles et les mosquées et d’assurer les postes pour

le nombre adéquat d’enseignants. En raison du nombre insuffisant d’enseignants musulmans,

40 Balta, Paul : Le grand Maghreb. Des indépendences à l’an 2000. Paris : Découverte, 1990, 326 p.41 Hrbek, Ivan : Dějiny Afriky. Tome 2. Praha : Svoboda, 1966, 654 p.42 Balta, Paul : Le grand Maghreb. Des indépendences à l’an 2000. Paris : Découverte, 1990, p. 83.43 Chapan Metz, Helen, ed. : Algeria: A Country Study. Washington: GPO for the Library of Congress, 1994. Accessible sur le site: <http://countrystudies.us/algeria/23.htm>. Consulté le 7 février, 2012. (traduit par nos soins)

20

c’étaient les Français qui enseignaient dans beaucoup d’écoles - même dans les écoles

« madrasa ».44

Il y eut des tentatives de lancer des écoles bilingues, biculturelles, pour que les enfants

européens et musulmans soient ensemble dans une classe. Mais elles furent un échec complet,

étant rejetées par les deux communautés et finalement arrêtées en 1870. D’après certaines

estimations, moins de 5 % d’enfants algériens fréquentaient une école en 1870.45

À partir de 1890, on commença à enseigner à un petit nombre de musulmans avec les

étudiants européens dans le cadre du système scolaire français. Les plans scolaires furent

élaborés en langue française, l’arabe ne fut guère enseigné.46 Dans les années suivantes, on vit

apparaître une génération dans laquelle un certain nombre de musulmans étaient éduqués.

Ceux-ci appartenaient à la classe des « évolués ». Ce terme désigne un groupe de musulmans

privilégiés, influencés par la culture et la politique françaises.

Nous pouvons constater que les Français ont réussi, en quelques années, à détruire

complètement le système éducatif traditionnel en Algérie et qu’ils n’ont été capables de le

remplacer que vers la fin du XIXe siècle.

À partir de 1930, le français avait déjà pénétré partout. Bien sûr, l’école n’est pas le

seul moyen par lequel la langue a pris place dans la vie des habitants. Il est logique que le

français s’est imposé surtout par la communication orale. L’année 1930 marque également le

moment où « les Français d’Algérie n’ont plus éprouvé le besoin d’apprendre l’arabe ».47

III. 2. 2. Tunisie

À la différence de l’Algérie qui avait le statut d’une colonie française à part entière, la

Tunisie et le Maroc furent soumis aux régimes d’administration indirecte, ayant le statut des

protectorats français.

Le protectorat sur la Tunisie fut établi en 1881. Les premières années de son existence

sont liées à la personnalité de Jules Ferry. Ce dernier est connu notamment comme le

promoteur de l’« école gratuite, laïque et obligatoire » mail il était aussi un partisan actif de

44 Le terme madrasa désigne un établissement d’enseignement secondaire et supérieur soumis au pouvoir religieux, dans les pays de confession musulmane. Le dictionnaire Mediadico. Accessible sur le site : <http://www.mediadico.com/dictionnaire/definition/madrasa/1>. Consulté le 7 février, 2012. 45 Chapan Metz, Helen, ed. : Algeria: A Country Study. Washington: GPO for the Library of Congress, 1994. Accessible sur le site: <http://countrystudies.us/algeria/23.htm>. Consulté le 7 février, 2012.46 Ibid.47 Walter, Henriette : Le français dans tous les sens : grandes et petites histoires de notre langage. Paris : Robert Laffont, 2008, p. 229.

21

l’expansion coloniale française. Pour Ferry, la colonisation est liée au patriotisme, il s’agit

d’un signe de prestige de la France. S’il défend l’expansion coloniale, c’est parce qu’elle aide

à « mieux enraciner la légitimité nationale de la République ».48 Il est évident que les

opinions de Ferry s’appuient égalemment sur les principes économiques puisqu’il souligne

que seul le commerce colonial peut offrir des débouchés assurés. Or il ne perçoit pas le

protectorat seulement comme un moyen de domination ou d’exploitation économique, le

régime permet à son avis aussi de réformer le pays au nom de la « mission civilisatrice ».

Cette fameuse formule exprime le « triomphe de la liberté par l’éducation des peuples »49 qui

sont, à l’aide des colonisateurs, amenés à la civilisation. Ainsi, les « écoles Ferry » sont

fondées en Tunisie pour accomplir cette « mission ».

Il faut souligner le fait que la France a mis sous protectorat un pays qui disposait d’un

système scolaire déjà bien organisé et diversifié. Ce système comportait l’enseignement

religieux traditionnel mais aussi de nouvelles institutions offrant l’enseignement des matières

anciennes (c.f. la théologie) ainsi que des sciences profanes comme les mathématiques, la

littérature ou l’histoire. Le but de l’enseignement « officiel », dirigé par l’État, fut de rattraper

le retard des pays musulmans50 à l’égard de l’Europe.

Dans les premières années de l’occupation, les Français n’ont pas créé une nouvelle

politique scolaire en Tunisie. Jules Ferry refusait de détruire le système d’enseignement

préexistant à l’arrivée des Français sachant que la religion jouait un « rôle encore

prépondérant »51 dans le pays. Pour lui, « l’œuvre vraiment politique et civilisatrice serait

l’école française pour les musulmans, l’école où des instituteurs arabes professeraient le

français pour les Arabes ».52

Ferry voulait franciser à travers l’enseignement du français non seulement les

musulmans, mais aussi la population européenne non française. L’assimilation des Européens

vivant en Tunisie aurait dû renforcer la position de la France par rapport à l’Italie qui

représentait sa concurrence directe dans le protectorat.

48 Luizard, Pierre-Jean : La politique coloniale de Jules Ferry en Algérie et en Tunisie. In : Pierre-Jean Luizard : Le choc colonial et l’islam. La Découverte « TAP/HIST Contemporaine », 2006, p. 93.49 Luizard, Pierre-Jean : La politique coloniale de Jules Ferry en Algérie et en Tunisie. In : Pierre-Jean Luizard : Le choc colonial et l’islam. La Découverte « TAP/HIST Contemporaine », 2006, p. 91.50 On peut observer les efforts pour réformer l’enseignement par exemple en Turquie ou en Égypte.51 Sraieb, Noureddine: L’idéologie de l’école en Tunisie coloniale (1881-1945). In : Revue du monde musulman et de la Méditerranée, n° 68-69, 1993. Etats modernes, nationalismes et islamismes, p. 240.52 Id.

22

Une autre idée fondamentale de Ferry fut d’offrir aux habitants une formation

professionnelle pour assurer au protectorat une main-d’œuvre qualifiée, nécessaire pour le

fonctionnement des entreprises.

On peut s’apercevoir de l’importance accordée à l’apprentissage du français qui fut

perçu comme un instrument d’assimilation par excellence. Jules Jusserand, un haut

fonctionnaire aux Affaires Étrangères qui fut envoyé en Tunisie pour s’occuper des Affaires

tunisiennes a rédigé la Note sur l’instruction en Tunisie. Ce document aurait dû, avec le

travail de Ferry, servir de base à la politique scolaire en Tunisie. Jusserand affirme que les

Arabes sont « intelligents, capables d’apprendre et dociles » et que les Français ont « grand

intérêt à essayer de mettre à profit ces qualités et de transformer par une instruction

française les éléments les meilleurs de cette population».53

La direction des affaires concernant l’enseignement au protectorat fut confiée au

directeur général de l’Instruction publique. Le premier qui en fut chargé, Louis Machuel,

voulait introduire en Tunisie les écoles franco-arabes qui existaient déjà en Algérie. Ce type

d’écoles réunissait les colons et les indigènes pour que les deux groupes soient parvenus à la

compréhension et au respect mutuels. L’enseignement dans les écoles franco-arabes, qui ont

adopté le modèle de l’enseignement primaire français, se donnait en français et en arabe. Les

enfants européens apprenaient l’arabe dialectal et les enfants tunisiens suivaient

l’enseignement du Coran et de l’arabe classique. En 1894 fut créée une école spéciale, « al-

madrasa al-‘asfuriyya » dont le but était de former les enseignants autochtones, bilingues, qui

instruiraient les élèves tunisiens aussi bien en arabe qu’en français.

Au fur et à mesure, la capacité de parler français devenait indispensable pour la

communication et la bonne maîtrise de la langue française facilitait la recherche d’emploi.

Malgré cela, l’attitude envers le nouveau type d’enseignement fut variable. Les gens

provenant des milieux aisés étaient plutôt partisans du nouvel enseignement. Mais il y avait

aussi des familles qui refusaient même d’envoyer leurs enfants aux écoles franco-arabes.

Cette attitude conduisit à la formation de deux groupes opposés qui exprimèrent leurs

opinions sur l’enseignement au cours du Congrès colonial à Paris en 1908. Les partisans de

l’école franco-arabe y proposèrent de maintenir ce modèle au moins en milieu urbain et dans

les zones où les Tunisiens et les colons devaient cohabiter. Le Parti colon qui s’opposait à

cette idée affirmait que l’instruction faisait de l’indigène le concurrent du Français, que

l’indigène pouvait se transformer en ennemi et que cette même instruction le rendait « difficile

53 Sraieb, Noureddine: L’idéologie de l’école en Tunisie coloniale (1881-1945). In : Revue du monde musulman et de la Méditerranée, n° 68-69, 1993. Etats modernes, nationalismes et islamismes, p. 241.

23

à gouverner ».54 En d’autres mots, certains colons craignaient la concurrence que pouvaient

représenter les Tunisiens éduqués. Or, aux yeux des colonisateurs, l’enseignement de la

langue française et de l’histoire de France ne devait que « civiliser » les Tunisiens pour qu’ils

admettent enfin la présence des Français dans le pays. De plus, les locuteurs bilingues issus de

l’enseignement franco-arabe pouvaient servir d’intermédiaires entre la population tunisienne

et le pouvoir colonial.

Les Français étaient conscients du fait que la langue française était l’un des

instruments importants assurant l’hégémonie coloniale. De crainte que celle-ci ne soit remise

en cause, il fut interdit aux Tunisiens d’accéder à certaines grandes écoles sous prétexte qu’ils

n’étaient pas des citoyens français. Ce ne fut qu’en 1945, avec la création de l’Institut des

hautes études à Tunis, que les Tunisiens purent postuler à certains postes de la fonction

publique. Mais cela ne marque pas un grand changement puisque le gouvernement français

réservait toujours les postes stratégiques uniquement aux Français pour ne pas compromettre

la présence française en Afrique du Nord.

Il y eut des tentatives de changer cette politique en proposant une réforme de

l’enseignement mais ces projets ne se réalisèrent pas. Ce ne fut qu’à la veille de

l’indépendance que le débat s’éleva sur le développement de l’Instruction publique en

Tunisie.55

III. 2. 3. Maroc

Le traité instituant le Protectorat français dans l’Empire chérifien fut signé le 30 mars

1912. Le poste du résident général fut occupé jusqu’en 1925 par le général Lyautey qui fut

chargé de « pacifier le Maroc ».56 Certaines régions durent effectivement être « pacifiées » par

les troupes françaises à cause de la résistance des chefs locaux.57 Or, Lyautey n’était pas

comme la plupart de ses contemporains favorables à la colonisation. Il ne considérait pas les

Marocains comme « un peuple inférieur aux Français » mais comme « une société

différenciée par une histoire qui leur est propre et mérite considération ». À ses yeux, l’islam

54 Sraieb, Noureddine: L’idéologie de l’école en Tunisie coloniale (1881-1945). In : Revue du monde musulman et de la Méditerranée, n° 68-69, 1993. Etats modernes, nationalismes et islamismes, p. 246.55 Sraieb, Noureddine: L’idéologie de l’école en Tunisie coloniale (1881-1945). In : Revue du monde musulman et de la Méditerranée, n° 68-69, 1993. Etats modernes, nationalismes et islamismes, pp. 239-254.56 Bernard, Augustin : La France au Maroc. In : Annales de Géographie, 1917, t. 26, n° 139, p. 42. 57 Ibid.

24

n’est pas « une version appauvrie et déformée du monothéisme sémitique, mais une des plus

hautes élaborations de l’esprit humain en quête de transcendance absolue ».58

Cette attitude vis-à-vis de la population marocaine et sa culture se reflète dans la

politique de Lyautey pendant le protectorat. Ses opinions sur la formation des élites nous

semblent particulièrement intéressantes. Lyautey refusait les notables issus des colons, visant

au contraire à promouvoir les élites indigènes. Il a fondé par exemple les « écoles de fils de

notables » pour les élites urbaines qui sélectionnaient les élèves des « collèges musulmans ».

Mais en même temps, il ne voulait pas que les élèves de ces collèges eussent accès à

l’Université française.59 Pourquoi cette attitude équivoque ? Lyautey croyait

qu’un « musulman européanisé (...) n’est plus un musulman, mais un déraciné coupé des

siens et condamné à être une force perdue et pour la cité indigène et pour la puissance

protectrice ».60 Il semble que Lyautey était contre le métissage. Son effort d’empêcher les

élèves marocains de faire leurs études supérieures en France aura des conséquences qui sont

encore observables dans le Maroc contemporain et dont nous allons parler plus bas. Son

respect, voire son admiration envers la culture et religion indigènes lui ont néanmoins apporté

d’une part le mépris du milieu ultra-colonial et de l’autre la sympathie des Marocains qui l’ont

surnommé « maréchal d’islam ».61

Quant à la politique linguistique, nous estimons qu’il serait intéressant de voir quel est

le bilan des efforts français en matière d’enseignement au Maroc sous le protectorat. Voici

quelques chiffres qui montrent le taux de scolarisation des enfants marocains musulmans. En

1935, moins de 2 % des enfants marocains scolarisables fréquentaient l’école française.62

Malgré les tentatives d’étendre la scolarisation, le nombre de Marocains formés dans le

système scolaire de protectorat fut, encore à la veille de l’indépendance, très restreint : « 3669

titulaires du certificat d’études primaires, 519 titulaires du brevet et 269 bacheliers ».63

Comme l’attestent ces chiffres, l’école française pendant le protectorat a formé un contingent

peu nombreux des élites marocaines. Ces élites modernes ont contribué à maintenir la langue

58 Rivet, Daniel : Quelques propos sur la politique musulmane de Lyautey au Maroc (1912-1925). In : Pierre-Jean Luizard : Le choc colonial et l’islam. La Découverte « TAP/HIST Contemporaine », 2006, pp. 255-270.59 Vermeren, Pierre : La formation des élites marocaines, miroir de la mondialisation ? In : Le Télémaque, 2011/1, n° 39, pp. 53-66.60 Rivet, Daniel : Quelques propos sur la politique musulmane de Lyautey au Maroc (1912-1925). In : Pierre-Jean Luizard : Le choc colonial et l’islam. La Découverte « TAP/HIST Contemporaine », 2006, p. 259.61 Ibid.62 Benzakour, Fouzia : Langue française et langues locales en terre marocaine : rapports de force et reconstructions identitaires. Hérodote, 2007/3, n° 126, pp. 45-56.63 Ibid., p. 45.

25

et la culture françaises au Maroc indépendant « en défendant une politique de bilinguisme,

s’opposant ainsi à l’élite arabisante ».64

Si l’on essaie de comparer les politiques linguistiques et scolaires françaises dans les

trois pays mentionnés, on pourrait constater que le mot clé de cette politique est « la

francisation » des populations. Par l’intermédiaire de l’enseignement du français aux

Maghrébins, les colonisateurs visaient à implanter au Maghreb non seulement la langue, mais

aussi la culture et civilisation françaises, tout cela pour accomplir « la mission civilisatrice ».

La réaction immédiate à cette politique de la part des autorités maghrébines au

lendemain des indépendances est caractérisée par le rejet du français.

III. 3. Tendances générales en politiques linguistiques post-coloniales

Au lendemain de sa libération, toute ancienne colonie doit faire face à de nombreux

dilemmes. Il faut trancher les questions concernant la future orientation économique, sociale

et culturelle du pays en s’efforçant en général de légitimiser son statut en tant qu’un État

indépendant.

Pour les pays du Maghreb, c’est le discours sur la politique linguistique qui représente

un vrai symbole de la légitimité, « une prise de conscience de soi-même, un acte de liberté et

d’appropriation de la parole confisquée, une démarcation par rapport au colonisateur, un

acte de commandement au nom de la souveraineté, une aptitude à prendre des décisions et

(...) une compétence dans le débat sur la langue ».65

Ces mots témoignent du fait que les langues sont dotées du pouvoir confirmant la

légitimité ainsi que l’autorité de celui qui prend publiquement la parole. D’ailleurs, la langue

n’est-elle pas un outil majeur de transmission du pouvoir colonial ? Le but principal des

hommes politiques maghrébins au regard de la politique linguistique est donc de renverser ce

pouvoir, c’est-à-dire « renverser le statut des langues ».66 Pour certains, il peut même s’agir

de poursuivre la lutte pour l’indépendance en luttant pour la langue. Les gouvernements des

pays nouvellement indépendants sont donc confrontés aux questions telles que quelle langue

privilégier ou quel statut accorder aux autres langues en usage.

64 Benzakour, Fouzia : Langue française et langues locales en terre marocaine : rapports de force et reconstructions identitaires. Hérodote, 2007/3, n° 126,, p. 46.65 Chetouani, Lamria : Langues du pouvoir et pouvoirs de la parole dans les pays maghrébins. In : Mots, 1997, n° 52, p. 75.66 Ibid., p. 76.

26

Les trois pays du Maghreb ont décidé d’adopter la politique dite d’arabisation. C’est-

à-dire que l’arabe devient la seule langue officielle dans les pays maghrébins. Pourquoi

l’arabe ? Non seulement cette langue sert-elle d’un moyen d’une expression légitime, mais

elle constitue aussi l’un des éléments essentiels de l’identité nationale. Pour les populations

maghrébines dont la langue et la culture furent systématiquement opprimées par les régimes

coloniaux, le renouveau de l’identité nationale véhiculée par l’arabe était une question de

première importance. Quant au discours officiel de l’époque, on peut citer les mots de

Youssel Ben Abbès, ministre de l’Éducation du Maroc. En 1963, ce dernier affirme que « la

langue est l’élément essentiel de la personnalité d’un pays » et ajoute que « l’histoire de notre

pays est liée à l’histoire de sa langue nationale ».67 Le mouvement d’Istiqlal68 déclare, en

1970, que « l’arabisation n’est pas le remplacement d’une langue par une autre ; la langue

n’est pas un instrument, c’est l’âme du peuple ».69

La politique d’arabisation fut-elle réussie ? Quels sont ses résultats ? A quel point a-t-

elle influencé le statut du français en Algérie, en Tunisie et au Maroc ? Avant d’aborder ces

questions, nous allons parler des langues qui sont aujourd’hui en usage au Maghreb.

III. 4. Langues du Maghreb d’aujourd’hui

En parlant de l’arabisation, nous avons mentionné le fait que l’arabe fut déclaré langue

officielle dans les trois pays maghrébins. Or ce constat exige une précision puisqu’il existe en

réalité plusieurs variantes de la langue arabe qu’il faut nettement distinguer.

L’usage commun permet d’englober sous le mot arabe deux variantes de cette langue :

arabe classique et standard. Or en linguistique, il faut préciser que l’arabe classique est une

langue codifiée par les grammairiens du VIIIe siècle à partir de l’arabe du Coran; l’arabe

standard, nommé aussi arabe moderne ou arabe littéral (pour souligner son statut de la langue

de l’écrit) est l’arabe classique modernisé au XIXe siècle à l’occasion du mouvement de la

Nahda (renaissance culturelle).70 On peut trouver d’autres définitions de l’arabe standard dont

67 Cité par Chetouani, Lamria : Langues du pouvoir et pouvoirs de la parole dans les pays maghrébins. In : Mots, 1997, n° 52, p. 82.68 Parti politique marocain. 69 Cité par Chetouani, Lamria : Langues du pouvoir et pouvoirs de la parole dans les pays maghrébins. In : Mots, 1997, n° 52, p. 82.70 Barontini, Alexandrine : Valorisation des langues vivantes en France : le cas de l’arabe maghrébin. In : Le français aujourd’hui, 2007, n° 158, pp. 20-27.

27

l’une dit que c’est une variante simplifiée de l’arabe classique utilisée par les médias

et « adaptée à l’expression scientifique, technique, économique, politique, contemporaine ».71

Pour éviter les confusions en terminologie, nous choisissons d’employer la notion

d’arabe classique en parlant de la langue officielle unique du Maghreb, celle qui est acquise à

l’école, servant avant tout à la communication écrite des érudits et puisque « la langue de

Dieu » étant dotée également d’une dimension religieuse.72

Le registre oral de l’arabe offre toute une variété des langues (on dit le plus souvent 

des « dialectes ») qui servent à la communication orale. Au Maghreb, les dialectes algérien,

tunisien et marocain sont en usage. Certains auteurs considèrent ces variétés comme de

véritables langues nationales,73 d’autres parlent de plusieurs dialectes qui varient « non

seulement d’un pays à un autre mais aussi d’une région à une autre ».74

Nous utiliserons le plus souvent les termes arabe dialectal ou arabe tunisien, marocain

et algérien. Il convient de souligner que le mot « dialectal » n’a pour nous aucune connotation

péjorative - nous ne percevons point ces « dialectes » comme usage impropre de la langue

arabe. Le mot « dialectal » qui permet la distinction entre les formes orale et écrite d’arabe ne

se rapporte qu’aux différences en usage et en statut entre ces deux variantes. À notre sens, il

s’agit de langues à part entière qui représentent un moyen majeur de la communication

usuelle dans les pays maghrébins, mais qui n’y sont pas reconnues officiellement.

En parlant aujourd’hui de l’arabe, il faut donc spécifier à quelle langue on pense. Nous

rappelons seulement que les politiques d’arabisation au Maghreb visaient uniquement la

promotion de l’arabe classique en la proclamant seule langue officielle.

Pour que notre aperçu sur la situation linguistique au Maghreb soit complet, il ne faut

pas oublier de mentionner d’autres langues qui sont en usage sur ce territoire, à savoir le

français et les langues berbères.

Malgré le fait qu’elle n’est une langue nationale dans aucun des pays maghrébins, la

langue française n’a guère disparu de l’Afrique du Nord. Les arguments qui favorisent son

usage s’appuient sur le fait que le français est une langue internationale, capable de véhiculer

les connaissances des domaines scientifique et technique. Étant donné que la maîtrise du

71 Maume, J.-L. : L’apprentissage du français chez les Arabophones maghrébins (diglossie et plurilinguisme en Tunisie). In : Langue française, n° 19, 1973, p. 94 72 Cohen, Anouk : La langue du silence dans le Maroc urbain contemporain. In : Revue de l’histoire des religions, n° 2, 2011, pp. 245-263.73 Cf. Miled, Mohamed : Le français dans le monde arbophone : quels statuts, quels contacts avec la langue arabe ? In : Langue française, n° 167, 2010/3, pp. 157-171. 74 Chetouani, Lamria : Langues du pouvoir et pouvoirs de la parole dans les pays maghrébins. In : Mots, 1997, n° 52, p. 79.

28

français est appreciée sur le marché du travail, la langue est aussi un moyen de promotion

sociale. En bref, le français est considéré comme une langue de modernité et de

développement.75

Les langues berbères qui ont résisté à l’influence de l’arabe sont encore en usage dans

certaines régions du Maghreb. Selon les chiffres dont dispose Ahmed Moatassime76, le

berbère fut parlé en 1992 par 45 à 60 % de la population au Maroc, 25 à 30 % en Algérie et

seulement 2 % en Tunisie. On peut voir que le Maroc et l’Algérie disposent d’un nombre

relativement élevé des locuteurs en berbère malgré le fait que celui-ci ne cesse, depuis le VIIe

siècle, de reculer devant l’arabe. Favorisée ni par la colonisation, ni par les politiques

d’arabisation, cette vieille langue a su se maintenir, notamment dans les montagnes et le

désert.77

Nous avons brièvement résumé la situation linguistique actuelle au Maghreb pour voir

quelles langues y sont en usage. Nous développerons la réflexion sur le statut de ces langues

quand nous parlerons des situations diglossiques qu’on peut analyser dans les trois pays du

Maghreb.

75 Chetouani, Lamria : Langues du pouvoir et pouvoirs de la parole dans les pays maghrébins. In : Mots, 1997, n° 52, pp. 74-92.76 Moatassime, Ahmed : Arabisation et langue française au Maghreb. Paris, PUF, 1992, p. 21.77 Haddadou, Mohand-Akli : L’État algérien face à la revendication berbère : de la répression aux concessions. In : Glottopol. Revue sociolinguistique en ligne, n° 1, janvier 2003, pp. 131-138.

29

IV. Situations de diglossie sur le territoire maghrébin

Nous nous sommes posée la question de savoir quelles langues sont en usage au

Maghreb de nos jours. On peut constater que celles-ci sont les suivantes : arabe (sous ses

formes variées), français et langues berbères. Selon la conception que nous adoptons dans ce

travail, ces langues se trouvent à la situation de diglossie.

Nous avons déjà parlé des différentes conceptions relatives à la diglossie en montrant

la perspective de laquelle nous visons traiter le sujet. On peut rappeler que nous considérons

comme diglossique toute situation ou deux langues sont en usage, qu’il s’agisse de

deux « variétés » d’une même langue ou non. Ainsi, nous étudierons d’une part les rapports

diglossiques entre deux variantes de l’arabe et, de l’autre, la diglossie entre les langues qui ne

sont guère apparentées.

Une autre remarque que nous voudrions faire au niveau de la terminologie concerne le

mot « diglossie ». Comme nous l’avons déjà noté, l’une des conceptions « parallèles »

introduit la notion de « triglossie » lorsqu’il est question de trois langues. Or, nous nous

sommes décidée à mettre à l’opposition chaque fois deux langues qui sont généralement

perçues comme concurrentes ou qui semblent se trouver en situation linguistique

conflictuelle. De ce point de vue, nous estimons que l’on peut établir trois situations

principales de diglossie au Maghreb : berbère/arabe, arabe dialectal/arabe classique,

arabe/français. Tout en sachant que nous n’épuisons pas entièrement le sujet (on pourrait

certes parler de l’arabe moderne ou étudier d’autres langues régionales minoritaires), nous

avons décidé de nous occuper des diglossies mentionnées que nous trouvons les plus

intéressantes à étudier.

Nous verrons quels étaient et quels sont aujourd’hui les relations entres les langues

étudiées. Notre objectif est d’analyser des changements éventuels de leur statut ou des

tentatives pour l’émancipation d’une langue jadis minorée (notamment le cas du berbère).

Nous voudrions aussi nous poser la question de savoir quel statut occupe le français en tant

qu’une langue des anciens colonisateurs parmi les langues « nationales » du Maghreb.

IV. 1. Diglossie berbère/arabe classique

Nous proposons de faire cette distinction puisque le berbère s’oppose avant tout à

l’arabe classique promu après les indépendances. Nous allons porter notre attention

30

notamment sur la question des langues berbères en essayant de tracer les points les plus

importants de l’émancipation du berbère jusqu’à présent.

Nous avons déjà noté que le berbère fut parlé, en 1992, par une partie appréciable des

populations du Maghreb. Au Maroc, les locuteurs berbérophones étaient les plus nombreux ;

en Algérie, le berbère fut parlé à peu près par un tiers de la population ; la Tunisie, par contre,

ne disposait que d’une minorité des locuteurs berbérophones. C’est la raison pour laquelle

nous ne regarderons de plus près que les cas marocain et algérien.

Avant d’aborder le sujet de ce chapitre, il convient de faire quelques remarques

concernant la terminologie. Devrait-on parler de plusieurs langues berbères qu’il faut

distinguer ou s’agit-il d’une seule langue ? Selon ce que nous avons appris,78 les Berbères se

servent du terme commun « Amazigh » pour se définir. Celui-ci est utilisé également pour la

langue berbère, de même que le mot « tamazight ». Cette langue commune se divise en

plusieurs parlers locaux dont nous allons encore parler.

IV. 1. 1. Maroc

Au royaume du Maroc, les populations berbérophones se situent dans les régions

rurales et montagneuses, notamment dans trois zones qui distinguent trois parlers : le tachelhit

au sud et sud-ouest, le tamazight au centre et le tarifit dans le Nord.79

Au lendemain de l’indépendance du Maroc, la politique d’arabisation entamée par les

dirigeants du pays eut pour l’objectif de promouvoir uniquement l’arabe classique. La

nouvelle politique continuait donc à marginaliser le berbère, réprimé déjà par le pouvoir

colonial.

Or, les intellectuels berbérophones ont décidé de lutter pour la promotion de leur

langue et culture. Pour se construire une identité commune, ils ont choisi le

terme « Amazigh », rejetant catégoriquement le nom « Berbère » qui était perçu comme

péjoratif. Signifiant « langue des hommes libres »80, le mot « Amazigh » avait sans doute une

symbolique importante dans la construction identitaire de ce groupe. Il faut noter cependant

que le terme « Amazigh » n’est explicitement utilisé qu’à partir des années 1980. Dans les

anées 1960 et 1970, le terme le plus courant est encore « berbère ». La politique marocaine

78 En terminologie, nous nous appuyons sur les articles portant sur la question des langues berbères. 79 Filhon, Alexandra : Parler berbère en famille : une revendication identitaire. In : Revue Européenne des Migrations Internationales, vol. 23 - n° 1/2007, pp. 95-115.80 Benzakour, Fouzia : Langue française et langues locales en terre marocaine : rapports de force et reconstructions identitaires. Hérodote, 2007/3, n° 126, p. 49.

31

des années 1960 et 1970 fermée à la liberté d’expression et la fragilité du mouvement naissant

sont deux facteurs qui expliquent cette tactique des représentants de l’amazighité.81

Quelle est donc la chronologie du mouvement amazighe et quels sont ses objectifs ?

Les débuts de la revendication amazighe remontent à la fin des années 1960 et au début des

années 1970. En 1967 est créée, à Rabat, l’Association Marocaine pour la Recherche et les

Échanges culturels (AMREC) qui a pour objectifs de « promouvoir la culture et les arts

populaires et d’effectuer un travail de collecte et de consignation de la tradition orale ».82 On

peut s’apercevoir d’une stratégie semblable à celle dont nous avons déjà parlé : au lieu du

mot « berbère », on qualifie l’association de « marocaine » pour souligner son caractère

national. Cela n’est pas étonnant si l’on se rend compte que la question de l’unité nationale

était un thème encore sensible dans les premières années de l’indépendance.

Cependant, le mouvement se répand avec la création, dans les années 1970, d’autres

associations à Rabat, Nador, Agadir et Casablanca. En 1980, la première session de

l’université d’été d’Agadir a pour thème « La culture populaire. L’unité dans la diversité ».83

On voit que le mouvement amazigh se cache toujours derrière d’autres notions, dans ce cas-là,

c’est la « culture populaire ». Le changement dans cette rhétorique ne vient qu’en 1991,

lorsque six associations signent la Charte d’Agadir Relative aux Droits Linguistiques et

Culturels.84 Cette « Charte d’Agadir » a permis de parler publiquement des revendications

amazighes sans avoir recours aux termes suppléants. La Charte critique l’état de la culture et

langue amazighes et dénonce leur marginalisation sur les plans législatif, politique,

socioculturel et économique.

La Charte formule sept objectifs du mouvement amazigh, dont on peut citer à titre

d’exemple :

- la stipulation dans la Constitution du caractère national de la langue amazighe à côté

de la langue arabe;

- l'intégration de la langue et de la culture amazighes dans les divers domaines

d'activités culturelles et éducatives;

- confectionner, diffuser et utiliser les moyens d'expression et d'apprentissage en langue

amazighe.85

81 Aït Mous, Fadma : Les enjeux de l’amazighité au Maroc. In : Confluences Méditerranée, 2011/3, n° 78, pp. 121-131. 82 Ibid., p. 123.83 Id.84 Le texte intégral de la Charte est accessible sur le site : <http://mondeberbere.com/mouvement/>. Consulté le 21 février 2012. 85 Charte d’Agadir Relative aux Droits Linguistiques et Culturels. Accessible sur le site : <http://mondeberbere.com/mouvement/>. Consulté le 21 février 2012.

32

On peut observer que les revendications inscrites dans la Charte sont orientées vers la

reconnaissance de l’amazigh en tant qu’une langue nationale au même titre que l’arabe.

L’accent est mis également sur l’introduction de l’amazigh dans l’enseignement,

l’administration et les médias. Ce n’est pas donc la seule culture amazighe qu’il faut protéger

mais surtout la langue amazighe qui véhicule cette culture.

Dans les années 1990, le mouvement d’étudiants reprend la cause amazighe et veut

lutter à son tour pour sa promotion en agissant politiquement au sein de l’Union Nationale des

Étudiants du Maroc (UNEM).86 En 1994, sept membres de l’association Tilelli (Liberté) sont

arrêtés à la suite du défilé du 1er mai pendant lequel ils scandaient des slogans revendiquant la

reconnaissance constitutionnelle de la langue amazighe et son introduction à l’école. Leur

arrestation engendre la mobilisation de la part des autorités internes et internationales en

faveur des détenus. Le gouvernement marocain réagit par une déclaration du premier ministre

qui annonce, le 14 juin 1994, que « la télévision marocaine allait désormais diffuser des

informations en ‘langue amazighe’ ».87 Le discours du roi Hassan II qui déclare, en 1991, que

la langue amazighe sera introduite dans les écoles primaires, a pour seul effet l’instauration

d’un journal télévisé dans les trois dialectes amazighs qui ne durent chacun que quelques

minutes.88

On peut constater que dans les années 1990, l’intérêt pour la question amazighe

grandit mais sans aucun effet considérable, la seule réponse aux revendications étant des

gestes plutôt symboliques. Or, on peut observer une évolution du mouvement qui, entre 1993

et 2000 devient international, notamment avec la création du Congrès Mondial Amazigh en

1995. Cette organisation « internationale non gouvernementale indépendante des États et des

partis politiques »89 a pour l’objectif de promouvoir des droits linguistiques et culturels

amazighs.

Le début d’un nouveau millénaire marque une autre phase du mouvement amazigh,

lorsque celui-ci entre dans la politique. Ainsi, on assiste à de nombreux débats entre les

représentants de l’amazighité et les islamistes. En mars 2000 est signé le « Manifeste

berbère » qui souligne la nécessité d’une reconnaissance officielle de l’amazighité au Maroc.

Le discours de Mohammed VI, prononcé le 17 octobre 2001 à Ajdir, constitue une sorte de

réponse à ces revendications, puisque le roi reconnaît pour la première fois « l’intégralité de 86 Aït Mous, Fadma : Les enjeux de l’amazighité au Maroc. In : Confluences Méditerranée, 2011/3, n° 78, pp. 121-131.87 Ibid., p. 124.88 Ibid.89 Ibid., p. 124.

33

notre histoire commune et de notre identité culturelle nationale bâtie autour d’apports

multiples et variés. (…) L’amazighité, qui plonge ses racines au plus profond de l’histoire du

peuple marocain, appartient à tous les Marocains ». Le roi se montre aussi partisan de la

promotion de la culture amazighe « dans l’espace éducatif, socioculturel et médiatique ».90

À la suite de ce discours est créé, par dahir91 royal, l’Institut Royal de la Culture

Amazighe (IRCAM) à Rabat. Les auteurs du texte fondateur de l’Institut92 déclarent que celui-

ci vise « à sauvegarder et à promouvoir la culture amazighe dans toutes ses expressions ». Ils

revendiquent « l'introduction de l'amazigh dans le système éducatif » et, en termes plus

généraux, « son rayonnement dans l'espace social, culturel et médiatique, national, régional

et local ».

En ce qui concerne la question de l’enseignement, celle-ci est abordée en 2003

lorsqu’un grand débat s’élève, portant sur le choix de la graphie pour l’enseignement de la

langue amazighe. Il y a trois possibilités de transcription : le tifinagh, le latin et l’arabe.

L’IRCAM qui est chargé de prendre décision choisit le tifinagh qui est désormais un seul

système officiel de transcription de la langue amazighe. On peut noter que ce choix est très

significatif puisque le fait de posséder sa propre alphabète peut être considéré comme garantie

de l’authenticité de la langue amazighe.

La question de transcription résolue, le ministère de l’Éducation nationale lance, le 15

septembre 2003, l’enseignement « expérimental » de l’amazighe « dans 317 écoles du pays,

au niveau de la première année du primaire, à raison de trois heures par semaine, réparties

sur 5 jours ».93 Malgré certaines critiques portées sur les activités de l’IRCAM, ses efforts ont

apporté des résultats non négligeables comme ceux dont parle Ahmed Boukous, recteur de

l’IRCAM. En 2009, il a pu constater que « malgré l’insuffisance des ressources

pédagogiques, 500 000 élèves suivent des cours de langue amazighe, contre 2500 en 2003 ».94

Si l’on prend en considération le nombre croissant95 des écoles qui participent à

l’enseignement de l’amazighe, la création des manuels scolaires et l’élaboration des

programmes scolaires et des curricula, il est évident qu’en matière de l’enseigment, les choses 90 Slimani, Leila : La relève amazighe. Jeune Afrique, 30/11/2009, accessible sur le site : <http://www.jeuneafrique.com/Articles/Dossier/ARTJAJA2551p024-031.xml1/education-enseignement-universite-berberela-releve-amazighe.html>. Consulté le 28 février 2012.91 Décret. 92 Le texte du dahir portant création de l’Institut Royal de la Culture Amazighe est accessible sur le site : <http://www.ircam.ma/fr/index.php?soc=ircam&rd=18 >. Consulté le 27 février 2012. 93 Aït Mous, Fadma : Les enjeux de l’amazighité au Maroc. In : Confluences Méditerranée, 2011/3, n° 78, p. 125.94 Marmié, Nicolas : 3 questions à ... Ahmed Boukous. Jeune Afrique, 30/11/2009, accessible sur le site : <http://www.jeuneafrique.com/Articles/Dossier/ARTJAJA2551p024-031.xml3/interview-berbere-ahmed-boukous-ircam3-questions-a-ahmed-boukous.html>. Consulté le 28 février 2012. 95 354 écoles en 2003-2004, 914 en 2004-2005, 2 204 en 2005-2006. Les chiffres cités par Fadma Aït Mous.

34

« bougent » et que la langue amazighe n’est plus tellement marginalisée au profit de la langue

officielle du Maroc.

Un autre domaine qui devrait, selon l’IRCAM, promouvoir la langue amazighe sont

des médias. L’amazigh est-il diffusé par le biais de la radio ou la télévision, par exemple ?

Existe-t-il au Maroc des médias entièrement « amazighophones » ? Le discours du roi

Mohammed VI soutenant l’idée de promouvoir l’amazighe dans la sphère médiatique date de

2001, pourtant il a fallu attendre 2010 pour que soit créée la chaîne Tamazight TV. Ahmed

Boukous perçoit son lancement comme « l'aboutissement des attentes sociales et des

revendications des Amazighs ».96 Les émissions sont diffusées en trois principaux parlers

amazighs (tarifit, tamazight et tachelhit), six heures par jour en semaine et dix le week-end.97

La chaîne offre des programmes culturels, de l’information et des téléfilms, dont certains sont

sous-titrés en arabe « pour ne pas en faire un ghetto amazigh »98, explique Khalid Naciri, le

ministre marocain de la Communication. Ahmed Boukous affirme que Tamazight TV

constitue « un aboutissement des attentes sociales et des revendications des Amazighs ».99

Les représentants du mouvement amazigh considèrent cependant que pour garantir la

protection de la langue et la culture amazighes, il est indispensable d’ancrer celles-ci dans la

constitution. Ainsi, deux courants se forment dont l’un défend la langue amazighe comme

langue nationale et l’autre exige que celle-ci obtienne le statut de langue officielle.100

Finalement, l’amazigh est effectivement officialisé. Le texte constitutionnel101 du 29

juillet 2011 stipule que « l’arabe demeure la langue officielle de l’État (...) De même,

l’amazighe constitue une langue officielle de l’État, en tant que patrimoine commun de tous

les Marocains sans exception. Une loi organique définit le processus de mise en œuvre du

caractère officielle de cette langue, ainsi que les modalités de son intégration dans

l’enseignement et aux domaines prioritaires de la vie publique, et ce afin de lui permettre de

remplir à terme sa fonction de langue officielle» (article 5). Certains représentants du

mouvement amazigh critiquent la configuration du texte constitutionnel qui permet des

interprétations diverses alors qu’elle devrait être claire et précise. Ainsi, il peut sembler que

deux paragraphes consacrés à l’officialisation de l’arabe et l’amazigh suggèrent qu’il y a une

96 Tamazight, la première chaîne de télévision en berbère. Jeune Afrique/AFP, 07/01/2010, accessible sur le site : <http://www.jeuneafrique.com/Article/DEPAFP20100107T152654Z/>. Consulté le 28 février 2012. 97 Ibid. Consulté le 3 mars 2012.98 Ibid.99 Ibid.100 Aït Mous, Fadma : Les enjeux de l’amazighité au Maroc. In : Confluences Méditerranée, 2011/3, n° 78, pp. 121-131.101 Le texte intégral de la Constitution est accessible sur le site : <http://www.sgg.gov.ma/constitution_2011_Fr.pdf>. Consulté le 3 mars 2012.

35

relation hiérarchique entre ces langues. De plus, la constitution n’assure pas elle-même

l’officialisation de l’amazighe, il faut attendre la vote d’une loi organique.

Quelle conclusion peut-on tirer de ce qu’on a appris sur le statut du berbère au

Maroc ? Malgré le succès du mouvement amazigh sur le champ de l’enseignement et des

médias, le royaume semble ne pas être favorable à ce que l’amazigh soit une lanngue

officielle à part entière. En lisant la Constitution, nous avons l’impression que l’amazigh est

considéré comme une partie du patrimoine national qu’il faut protéger, plutôt qu’une langue

vivante qui mériterait être placée officiellement sur le même niveau que la langue arabe.

IV. 1. 2. Algérie

En Algérie, la plus grande partie des populations berbères se situe en Kabylie dans le

Nord du pays et dans le massif de l’Aurès à la frontière tunisienne (parler chaouia). Il s’agit

des berbérophones qui maintiennent le plus assidûment l’emploi de la langue berbère.

Avant de commencer à parler de la revendication berbère, il faut noter qu’il s’agit

essentiellement de revendication kabyle étant donné que seuls les Kabyles s’engageaient

vraiment dans le combat pour la reconnaissance de la langue berbère. Les débuts de l’intérêt

pour le berbère remontent jusqu’à la fin du XIXe siècle, lorsque les jeunes Kabyles ont

commencé à écrire les ouvrages en leur langue pour la faire connaître et pour l’enseigner.

En 1949, les militants kabyles et les chefs nationalistes s’affrontent au sein de la

Fédération de France du P.P.A / M.T.L.D102. Les Kabyles refusent l’idée que l’Algérie serait

un pays exclusivement arabe. Ils exigent que l’arabe et le berbère soient des langues égales et

que l’Algérie ne soit plus définie comme « arabo-musulmane », adoptant la conception

d’« algérianité de l’Algérie » qui exclut « toute ‘ethnicisation’ de l’identité nationale

algérienne ».103 Les nationalistes agissent immédiatement en expulsant les radicaux et en

dénonçant le complot berbère, initié par les autorités coloniales. On a forgé à cette occasion

les mots « berbériste » et « berbérisme » pour désigner péjorativement les partisans de la

langue et la culture berbères.104

Les accords d’Évian, signés le 18 mars 1962, mettent fin à la guerre d’Algérie et

concluent une étape d’histoire du pays qui est marquée par 132 ans de présence coloniale

française. L’indépendance de l’Algérie est proclamée officiellement à la suite du référendum 102 Parti du peuple algérien / Mouvement pour le Triomphe des Libertés démocratiques. 103 Kaki, Aït : Les États du Maghreb face aux revendications berbères. In : Politique étrangère, n°1, 2003, p. 106. 104 Haddadou, Mohand-Akli : L’État algérien face à la revendication berbère : de la répression aux concessions. In : Glottopol. Revue sociolinguistique en ligne, n° 1, janvier 2003, pp. 131-138.

36

du 1er juillet 1962. Le pouvoir est bientôt pris par Ahmed Ben Bella qui devient chef du

gouvernement puis le premier président de la République algérienne, mais qui ne reste à la

tête du pays que jusqu’en 1965.105

Pour nous renseigner sur les bases de la politique linguistique de l’État algérien dans

toutes premières années de l’indépendance, il convient de nous appuyer sur le texte de la

Constitution106 de 1963. Le texte constitutionnel déclare que « l’Islam et la langue arabe ont

été des forces de résistance efficaces contre la tentative de dépersonnalisation des Algériens

menée par le régime colonial » et que « l’Algérie se doit d’affirmer que la langue arabe est la

langue nationale et officielle et qu’elle tient sa force spirituelle essentielle de l’Islam ». De

même, la constituion stipule que « la réalisation effective de l’arabisation doit avoir lieu dans

les meilleurs délais sur le territoire de la République. Toutefois, par dérogation aux

dispositions de la présente loi, la langue française pourra être utilisée provisoirement avec la

langue arabe ».

On peut observer que les nouveaux dirigeants de l’Algérie optent pour la politique

d’arabisation dès les premières années de l’indépendance, visant à remplacer progressivement

le français par l’arabe. Une autre remarque que l’on peut faire concerne la langue berbère à

laquelle le texte constitutionnel ne fait point allusion. Cela a probablement une raison simple.

L’État nouvellement indépendant s’efforce de définir ce qu’on peut appeler une identité

algérienne, ainsi que démontrer l’unité du peuple algérien. Pour faire cela, il se sert des

éléments « unificateurs » sur lesquels la nation algérienne devrait se fonder, à savoir la

religion et la langue. Étant donné que ces deux éléments sont étroitement liés l’un à l’autre, la

langue qu’il faut promouvoir est celle du Coran, c’est-à-dire l’arabe classique (même si le

texte constitutionnel ne le spécifie pas). Ahmed Ben Bella confirme cette orientation par sa

formule célèbre « Nous sommes arabes, nous sommes arabes, nous sommes arabes ».107 La

conscience collective kabyle était considérablement touchée par l’intervention de l’Armée

Nationale Populaire (ANP) en Kabylie dûe à la révolte d’Aït-Ahmed, en septembre 1963. En

réalité, l’ANP était perçue par les Kabyles « comme une (nouvelle) armée d’occupation ».108

En 1965, à la suite du coup d’État, Houari Boumédienne prend le pouvoir en Algérie.

Sous son régime, l’enseignement informel de berbère à l’université est toléré pendant

quelques années. Mais cela ne change pas le statut du berbère, perçu toujours comme une

105 Rocherieux, Julien : L’évolution de l’Algérie depuis l’indépendance. In : Sud/Nord, n° 14, pp. 27-50.106 Le texte intégral de la Constitution est accessible sur le site : <http://www.conseil-constitutionnel.dz/indexFR.htm>. Consulté le 4 mars 2012.107 Déclaration du 14 avril 1962. Cité par Mohand-Akli Haddadou.108 Chaker, Salem : La question berbère dans l’Algérie indépendante : la fracture inévitable ? In : Revue du monde musulman et de la Méditerranée, n° 65, 1992, p. 98.

37

langue de désunion, voire du séparatisme. En fait, Boumédienne ne prête pas l’attention à la

question berbère, l’objectif de sa politique linguistique étant d’assurer la domination de la

langue arabe. Il atteint cet objectif par l’intermédiaire des principaux textes de loi qu’il

promulgue. Parmi ces textes, on peut citer l’ordonnance 68/92 du 26 avril 1968 obligeant les

fonctionnaires et assimilés à connaître la langue arabe, ordonnance 73/55 du 1er octobre 1973,

portant l’arabisation des sceaux nationaux et la Constitution109 de 1976.110 La nouvelle

Constitution déclare que « l’arabe est la langue nationale et officielle » et que « l’État œuvre

à généraliser l’utilisation de la langue nationale au plan officiel ». Bien que ces textes soient

évidemment destinés à supprimer l’usage de la langue française, ils contribuent en même

temps considérablement à nier l’existence légale du berbère. Le mot berbère ne peut pas être

utilisé dans le discours officiel, la langue et la culture berbères sont niées. Malgré la

reconnaissance de l’origine berbère de la population algérienne, la culture de ce peuple est

qualifiée d’être arabe.111

Cependant, la politique d’arabisation ne réussit pas à étouffer le mouvement berbère

qui ne cesse de produire les ouvrages, chansons et travaux universitaires. À partir des années

1970, le mouvement berbère intègre une dimension politique qui se manifeste par le dessin

d’un « projet de société laïque et démocratique, pluraliste aux plans linguistique et

culturel ».112 Au fur et à mesure, la revendication berbère se radicalise, exigeant que le régime

mette fin à la répression contre la langue et la culture berbères. En mars 1980, on interdit une

conférence de l’écrivain Mouloud Mammeri à l’université de Tizi-Ouzou, à l’occasion de la

parution de son livre Poèmes kabyles anciennes. L’interdiction déclenche une série

d’événements que l’on désigne d’habitude comme « printemps berbère ».113

Une grève générale éclate en Kabylie, les voix revendiquant la constitutionalisation du

berbère s’élèvent, le mot « berbère » est débarrassé de sa connotation négative lorsque le

quotidien El Moudjahid l’emploie sans l’associer au colonialisme français. On peut observer

également une certaine évolution dans la terminologie puisque le berbère n’est désormais plus

considéré comme langue étrangère, véhiculant la culture dont l’origine algérienne est

reconnue. Répondant partiellement à la revendication en matière de scolarisation en berbère,

on accepte de créer des départements de cultures populaires dans les universités d’Alger et de

109 Le texte intégral de la Constitution est accessible sur le site : <http://www.conseil-constitutionnel.dz/Constituion1976.htm>. Consulté le 5 mars 2012.110 Haddadou, Mohand-Akli : L’État algérien face à la revendication berbère : de la répression aux concessions. In : Glottopol. Revue sociolinguistique en ligne, n° 1, janvier 2003, pp. 131-138.111 Ibid.112 Chaker, Salem : La question berbère dans l’Algérie indépendante : la fracture inévitable ? In : Revue du monde musulman et de la Méditerranée, n° 65, 1992, p. 99.113 Rocherieux, Julien : L’évolution de l’Algérie depuis l’indépendance. In : Sud/Nord, n° 14, pp. 27-50.

38

Tlemcen. Paradoxalement, la Kabylie où cette revendication est la plus forte, reste privée de

structures d’enseignement.114

Les émeutes dans la capitale de l’Algérie, en octobre 1988, ouvrent la voie au

« printemps d’Alger » qui entraîne une brève libéralisation du système politique. L’ouverture

démocratique permet, entre autres, de réclamer clairement le statut de langue nationale et

officielle pour le berbère. La Constitution de 1989115 qui ne fait plus référence au socialisme,

ni au FLN n’apporte cependant aucun changement en question berbère, stipulant à l’article 2

que « l’Islam est la religion de l’État » et à l’article 3 que « l’Arabe est la langue nationale et

officielle ». De nouveau, on ne trouve aucune mention du berbère dans le texte

constitutionnel.

Au début des années 1990, les revendications en faveur de la langue berbère sont

freinées par la loi promulguée le 16 janvier 1991 dite de généralisation de l’utilisation de la

langue arabe.116 La loi impose l’usage unique de la langue arabe, visant à exclure l’usage de

toute « langue étrangère ». La généralisation de l’usage de l’arabe touche tous les domaines

de la vie publique. Les administrations publiques, les institutions, les entreprises et les

associations sont obligées à rédiger leurs documents, rapports et procès verbaux

exclusivement en arabe (article 5) ; tout enseignement est dispensé en arabe, sauf

l’enseignement des langues étrangères (article 15) ; le cinéma et la publicité ne peuvent

s’exprimer qu’en arabe (articles 17 et 19). La loi ne manque pas une composante répressive,

tous contrevenants étant obligés à payer une amende.

La loi de 1991 fut « gelée » en 1992 et mise en vigueur seulement en 1998. Entre-

temps, le mouvement berbère poursuit ses efforts de promouvoir la langue berbère. En 1995, à

la suite du boycott de l’école en Kabylie, le Haut Commissariat à l’Amazighité (H. C. A.) est

créé. Il s’agit d’une instance gouvernementale, chargée de promouvoir le tamazight,

« notamment en l’introduisant dans le système scolaire ».117 L’emploi des termes Amazighité

ou tamazight peut être perçu comme symbole de l’émancipation du mouvement qui ne cesse

de revendiquer le statut de langue nationale pour le berbère. Ces revendications semblent être

prises en compte par les autorités algériennes lorsque, après les éléctions de 1995, une

révision constitutionnelle est décidée. Qu’est-ce qui donc apporte la constitution amendée de

114 Haddadou, Mohand-Akli : L’État algérien face à la revendication berbère : de la répression aux concessions. In : Glottopol. Revue sociolinguistique en ligne, n° 1, janvier 2003, pp. 131-138.115 Le texte intégral de la Constitution est accessible sur le site : < http://www.conseil-constitutionnel.dz/Constituion89_2.htm>. Consulté le 6 mars 2012.116 Le texte intégral de la loi est accessible sur le site : <http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/afrique/algerie_loi-91.htm>. Consulté le 6 mars 2012. 117 Haddadou, Mohand-Akli : L’État algérien face à la revendication berbère : de la répression aux concessions. In : Glottopol. Revue sociolinguistique en ligne, n° 1, janvier 2003, p. 135.

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1996 ? Au préambule, on peut lire que les valeurs fondamentales de l’identité algérienne sont

« l’Islam, l’Arabité et l’Amazighité ». La langue berbère est considérée comme l’une des

composantes de la « personnalité algérienne » mais c’est toujours l’arabe qui reste la seule

langue nationale et officielle.

Le processus de légitimation du berbère se précipite suite à des événements du

printemps 2001118, avec les revendications proclamées par le mouvement citoyen à El-kseur.

Celui-ci exige que le tamazight soit finalement reconnu comme langue nationale et officielle

de l’Algérie. Les autorités répondent en ajoutant un amendement à la constitution : l’article 3

bis stipulant que « Tamazigh est également langue nationale » est ajouté à l’article 3 qui

accorde le même statut à l’arabe. Le fait que les deux langues nationales ne sont pas

mentionnées ensemble dans un article peut créer l’impression que ces langues ne sont pas sur

le même niveau. Cette impression est encore renforcée par la formulation disant que le

tamazigh est également la langue officielle.

Bien que la question de constitutionnalisation du berbère soit fondamentale pour le

mouvement berbère, nous trouvons indispensable de revenier en bref au domaine de

l’enseignement. Celui-ci, paradoxalement, ne profite pas de la reconnaissance

constitutionnelle de la langue berbère. L’enseignement du tamazigh n’étant pas obligatoire, la

langue est réduite « à une simple discipline facultative » et ce qui est pire encore, « les classes

de tamazight se dépeuplent et les enseignants abandonnent cette vocation », comme

l’explique Fatiha Agdader, enseignante à Alger.119

Après avoir analysé la situtation en Algérie, une comparaison intéressante s’impose

avec celle du Maroc. Si l’on regarde par exemple les constitutions des deux pays, on peut

observer une analogie concernant le statut de la langue berbère. Dans les deux cas, celle-ci

semble être mise au second rang par rapport à l’arabe. Or, il y a une différence considérable

qui peut jouer un rôle non négligeable en perception d’une langue. Au Maroc, l’amazigh jouit,

selon le texte constitutionnel de 2011, de statut d’une langue officielle, alors que le tamazigh

en Algérie n’est qu’une langue nationale de l’État. Certes, le statut de langue nationale

accorde à une langue un certain prestige, mais c’est la langue officielle seulement qui dispose

des droits réels : « droit à être utilisée dans l’administration, à l’école, dans les

médias, ... ».120 Dans ces domaines, le Maroc semble être en avance par rapport à l’Algérie :

l’enseignement de l’amazigh au Maroc avait du succès (au moins relatif) en comparaison avec 118 Une série de violentes émeutes en Kabylie en avril 2001, désignée parfois comme « second printemps berbère » ou « printemps noir ».119 Cherif Ouazani : Le paradoxe berbère. Jeune Afrique, 25/11/2009, accessible sur le site : <http://www.jeuneafrique.com/Articles/Dossier/ARTJAJA2549p024-028.xml0/algerie-rebellion-constitution-histoirele-paradoxe-berbere.html>. Consulté le 13 mars 2012.

40

la situation en Algérie ; la chaîne de télévision amazighe a été créée au Maroc, alors que la

télévision nationale en Algérie continue à diffuser les émissions exclusivement en langue

arabe.

En somme, on peut constater que le statut de langue officielle accordé à l’amazigh par

la constitution a permis au mouvement berbère du Maroc d’arracher des acquis importants

dans les domaines de l’éducation et des médias. Par contre, le mouvement kabyle en Algérie a

assuré au tamazigh le statut de langue nationale qui, malgré le prestige qu’il confère à cette

langue, ne peut lui accorder les mêmes droits qu’à une langue officielle. Le mouvement

berbère au Maroc était donc plus réussi que celui en Algérie en ce qui concerne

l’émancipation de la langue berbère. De longues luttes pour la promotion de la langue berbère

montrent toutefois l’effort de briser une image unificatrice de l’identité arabo-musulmane et

de faire accepter la diversité culturelle en parlant de l’identité arabo-berbère. Les

représentants du mouvement ont montré une volonté d’atteindre leurs objectifs que les

autorités marocaine et algérienne ne pouvaient pas ignorer, malgré la supériorité subsistante

de la langue arabe dans leurs pays.

IV. 2. Diglossie arabe dialectal/arabe classique

Nous avons déjà noté que nous qualifions toute situation où deux ou plusieurs langues

sont en usage de diglossique. C’est-à-dire que ce que nous entendons sous le terme de

diglossie ne s’identifie pas avec la conception originelle de la notion. Le sujet de notre travail

nous oblige cependant à y revenir, puisque ce chapitre sera consacré à l’étude de diglossie

entre deux variantes d’une même langue.

Rappelons que la conception originelle, vulgarisée par Charles Ferguson, introduit les

termes de « variété haute » et « variété basse » pour deux formes apparentées d’une langue.

On peut dire que tous les pays du Maghreb sont des lieux prototypiques de cette diglossie,

étant donné que plusieurs variantes d’arabe y sont en usage. Notre analyse reposera sur la

situation diglossique entre l’arabe classique ayant le statut de langue officielle et l’arabe

dialectal qui sert à la communication quotidienne.

Or nous trouvons que la conception canonique de Ferguson nécessite une

modification au niveau de terminologie. Nous évitons d’utiliser les notions des variantes

« haute » et « basse » parce que celles-ci ont, à notre avis, des connotations qui pourraient 120 Haddadou, Mohand-Akli : L’État algérien face à la revendication berbère : de la répression aux concessions. In : Glottopol. Revue sociolinguistique en ligne, n° 1, janvier 2003, p. 137.

41

mener à une perception hiérarchique des deux variantes. Nous ne voulons pas dire, par

exemple, qu’une variante est supérieure à l’autre parce que c’est une langue officielle,

savante, etc.

Dans le chapitre précédent, nous avons parlé des revendications du mouvement

berbère qui luttait, entre autres, pour la reconnaissance constitutionnelle de la langue berbère.

Dans le cas de diglossie arabe classique/arabe dialectal, il ne s’agira plus de la problématique

d’émancipation d’une langue. C’est la question de l’usage qui retiendra en première place

notre attention. Dans ce cas-là, nous n’étudierons pas les situations diglossiques isolément

dans chacun des pays. Nous trouvons qu’il convient de nous occuper plutôt des points clés

communs à tout le Maghreb, ce qui nous permettra d’analyser ce type de diglossie en sa

complexité.

IV. 2. 1. Arabe classique/arabe dialectal – contextes d’usage différents

La politique d’arabisation mise en place à l’indépendance des pays maghrébins, nous

l’avons dit, visait uniquement la promotion de l’arabe standard. Cette stratégie fondée sur

l’idée de l’identité arabo-islamique devait avant tout supprimer l’usage du français. Comme

nous l’avons vu, elle agissait au détriment des langues berbères. Mais quel était son impacte

sur l’usage de l’arabe dialectal ? La politique d’arabisation pouvait-elle promouvoir une

variante de la langue arabe en mettant l’autre totalement à l’écart ?

En premier lieu, il faut rappeler que l’arabe classique est une langue dont la

connaissance est acquise uniquement à l’école, alors que l’arabe dialectal est une langue

qu’on apprend en familles, donc une langue maternelle. Ceci dit, on peut supposer qu’une

langue essentiellement écrite ne pouvait pas remplacer une langue de la communication

quotidienne dans tous les domaines de la société. C’est pourquoi nous considérons qu’il sera

intéressant de nous occuper de la question d’usage, c’est-à-dire de montrer les différentes

situations où telle ou telle variante est employée. Notre hypothèse vis-à-vis cette

problématique consiste qu’il y a deux sphères distinctes, à savoir les domaines de l’usage

« officiel » et « quotidien » ou « courant ». Nous supposons que l’arabe dialectal, malgré sa

prédomination incontestable dans les rues, occupe toujours une position inférieure par rapport

à l’arabe classique, ce dernier jouissant d’un statut privilégié de langue officielle. Or la

question qui nous intéressera particulièrement exigera des réflexions au niveau plus général.

Notre objectif sera de définir les arguments justifiant le choix de l’arabe classique en tant que

42

langue officielle et, par conséquent, conduisant à marginaliser les autres langues, parmi

lesquelles l’arabe dialectal.

IV. 2. 2. Diglossie arabe classique/arabe maghrébin ?

Avant d’aborder ce sujet, encore une petite remarque au niveau de terminologie : en

parlant de l’arabe dialectal utilisé sur le territoire maghrébin, on se sert parfois du

terme « arabe maghrébin ».121 Pour bien distinguer les deux variantes de la langue arabe

(évidemment, dans notre cas, le terme « arabe » employé sans adjectif serait extrêmement

ambigu), nous avons décidé d’emprunter cette dénomination et l’utiliser à côté du terme

« arabe dialectal » lorsqu’il sera question de l’ensemble des dialectes algérien, tunisien et

marocain.

La première distinction qu’on peut faire en ce qui concerne l’usage des deux variantes

est celle entre l’écrit et l’oral. Étant donné que l’arabe algérien, tunisien et marocain sont des

langues acquises naturellement, c’est-à-dire en famille, les locuteurs s’en servent

spontanément à l’oral. L’arabe classique qui ne peut être acquis qu’en milieu scolaire se

présente le plus souvent sous la forme écrite. Vers la fin du XXe siècle, on peut constater

que « quelques-uns parviennent à avoir une maîtrise quasi-spontanée de l’arabe classique à

l’oral », notamment les journalistes et enseignants ; mais ceux-ci sont peu nombreux et «

leur débit est très ralenti ».122 Un constat étonnant, semble-t-il, vu qu’il est question de deux

variantes d’une même langue. Pourquoi la maîtrise parfaite de l’arabe classique à l’oral pose-

t-elle des problèmes aux arabophones ? Pour expliquer ce phénomène, il faut revenir au passé

linguistique du Maghreb. On peut dire que l’arabe classique n’y est jamais devenu une langue

courante et populaire, son usage n’étant pendant des siècles réservé qu’aux clercs et aux

scribes. La forme dialectale, de son côté, s’épanouissait progressivement et puisque fortement

influencée par le berbère, elle s’éloignait de plus en plus de sa forme écrite. Il en résulte que

l’arabe maghrébin s’apparente beaucoup plus aux langues berbères qu’à l’arabe classique.

Ainsi, bien qu’elles partagent le même nom, les deux variantes de l’arabe constituent en

réalité deux langues nettement différentes.123

121 Cf. Caubet, Dominique : Arabe maghrébin : passage à l’écrit et institutions. In : Fait de langues, n° 13, mars 1999, pp. 235-244.122 Caubet, Dominique : Arabe maghrébin : passage à l’écrit et institutions. In : Fait de langues, n° 13, mars 1999, p. 235.123 Cheriguen, Foudil : Politiques linguistiques en Algérie. In : Mots, septembre 1997, n° 52, pp. 62-73.

43

Revenons à présent à notre réflexion sur l’usage de l’arabe. On a pu noter qu’en tant

qu’une langue de communication quotidienne, l’arabe maghrébin n’avait point de concurrent

en arabe classique. On peut se poser la question de savoir comment les locuteurs arabophones

perçoivent la contradiction dont nous avons parlé : une seule langue vraiment courante sur le

territoire maghrébin n’a pas de statut de langue officielle.

Si l’on regarde les constitutions des trois pays maghrébins, on s’aperçoit de l’absence

de précision concernant le mot « arabe ». Ce fait est très important et il nous mène à deux

réflexions fondamentales. Premièrement, l’emploi du mot « arabe » non-spécifié peut être lié

au principe affirmé par les pays maghrébins dès leur indépendance, à savoir l’idée de la nation

une qui par conséquent exige la langue une «sans aucune autre concurrente ».124

Deuxièmement, il peut s’agir d’une stratégie intentionnelle ayant pour objectif de permettre

l’interprétation double du mot. Ainsi, les locuteurs pourraient penser que le terme « arabe »

englobe les deux variantes de la langue. Cela expliquerait le fait que l’arabe dialectal ne

faisait pas objet des revendications linguistiques avec le berbère.

Ce qui est encore plus intéressant, c’est que l’on peut observer même une

dévalorisation de l’arabe dialectal de la part des locuteurs. La péjoration des variantes

dialectales due au prestige de l’arabe classique en tant qu’une langue écrite a influencé la

grande majorité des locuteurs de sorte qu’ils privilégient l’arabe classique.125 Il semble donc

que l’on pourrait désigner l’arabe dialectal comme langue de la majorité silencieuse des

Maghrébins qui l’utilisent dans les échanges quotidiennes mais ne manifestent pas l’effort

pour sa promotion au niveau constitutionnel.

Si l’on veut étudier les rapports entre l’arabe classique et l’arabe dialectal, il est

intéressant de voir comment ces deux variantes sont employées hors du Maghreb. C’est

pourquoi nous voudrions en guise d’exemple brièvement mentionner quelques aspects de

l’enseignement d’arabe marocain en France. Pour cela, nous nous appuyons sur l’article

datant de 1999 qui ne fournit donc pas des informations actuelles mais peut cependant

enrichir la réflexion sur notre problématique.

Dans les années 1970, lorsque la France met fin au recrutement des travailleurs

étrangers, la majorité de ceux-ci restent en France et on assiste à un regroupement familial.

C’est alors où l’enseignement des langues et cultures d’origine (ELCO) est mis en place ayant

pour objectif de permettre aisément le retour des familles dans les pays d’origine. À l’époque,

on enseigne donc la même langue qu’au Maroc, à savoir l’arabe classique. Les années 1990

124 Ibid., p. 64.125 Cheriguen, Foudil : Politiques linguistiques en Algérie. In : Mots, septembre 1997, n° 52, pp. 62-73.

44

sont marquées par les querelles entre le côté français et marocain, l’un voulant commencer par

enseigner l’arabe marocain pour aborder par la suite l’arabe classique et l’autre s’y opposant.

Enfin, pour signer l’accord, la partie française doit céder sur la langue enseignée qui reste

donc l’arabe classique. La concession que fait la partie arabe concerne la suppression de la

religion dans l’enseignement et l’amélioration des méthodes d’enseignement.126

Depuis 1995, tous les enfants en France sont obligés à choisir une langue étrangère au

cours de l’enseignement primaire. En matière d’arabe, le Ministère adopte officiellement

l’arabe dialectal pour cette initiation à la langue.127 Nous n’avons pas trouvé la raison de cette

attitude mais on peut supposer que l’arabe dialectal, en comparaison avec l’arabe classique,

est plus facile à apprendre non seulement pour les Maghrébins, mais aussi pour les locuteurs

francophones.

On peut observer sur ces exemples concernant l’apprentissage de l’arabe dialectal que

cette variante d’arabe, malgré certains acquis, reste en quelque sorte marginalisé par rapport à

la langue officielle du Maghreb.

Les constats que nous avons pu faire nous mènent à nous poser la question de savoir

ce qui fait que l’arabe classique garde malgré tout une position privilégiée ou supérieure par

rapport à l’arabe dialectal. Pour pousser la réflexion au niveau plus général, nous étudierons à

présent les facteurs qui légitiment l’arabe classique en tant que langue officielle. Pour pouvoir

le faire, nous aborderons la problématique du pouvoir d’une langue que nous avons

mentionné précédemment. Autrement dit, nous nous occuperons des mécanismes de la

domination linguistique.128

Nous constatons avec J.-M. Klinkenberg que la domination ou l’expansion d’une

variété linguistique a des causes qui ne sont pas toujours proprement linguistiques (il cite

l’exemple d’esperanto qui devrait, vu la facilité de son apprentissage, être une langue la plus

utilisée du monde, ce qui évidemment n’est pas le cas). Par contre, il y a d’autres facteurs qui

contribuent à l’épanouissement d’une langue (ou d’une variété linguistique). On pourrait dire

qu’il s’agit des facteurs extralinguistiques, Klinkenberg, lui, se sert du terme mécanismes

objectifs. De son point de vue, l’espace économique donne lieu à une domination linguistique

la plus évidente. L’auteur mentionne l’anglais ce qui est tout-à-fait justifiable, surtout

puisqu’il parle aussi de la globalisation. Or si l’on essaie d’appliquer cette opinion à l’arabe 126 Caubet, Dominique : Arabe maghrébin : passage à l’écrit et institutions. In : Fait de langues, n° 13, mars 1999, pp. 235-244.127 Ibid.128 Pour traiter des questions théoriques de cette problématique, nous prenons appui sur l’ouvrage de J.-M. Klinkenberg : Klinkenberg, J.-M. : La langue et le citoyen. Paris 2001, 197 p.

45

classique, on se heurte à un obstacle majeur. Celui-ci est fondé sur le fait qu’une langue

dominant l’espace économique est essentiellement une langue de communication orale. Ainsi,

il nous paraît que c’est plutôt le français qui pourrait jouer ce rôle au Maghreb.

Certes, comme le constate Klinkenberg, le facteur économique « n’est pas déterminant

à lui seul ».129 Il ajoute qu’il faut prendre en considération la politique internationale ainsi que

la politique externe. Ce facteur nous paraît déterminant pour la position de l’arabe classique

puisque le choix de celui-ci comme seule langue officielle du Maghreb aux indépendances a

décidément des raisons politiques ou, plus précisément, idéologiques. Il existe plusieurs

courants idéologiques qui ont influcencé les politiques linguistiques au Maghreb. Nous les

passerons brièvement en revue pour montrer leur impacte sur les questions linguistiques dans

les pays maghrébins.130

On peut distinguer deux groupes parmi ces courants. Ce sont le nationalisme arabe (ou

le panarabisme) et l’islamisme politique. En ce qui concerne l’idéologie du nationalisme

arabe, il englobe deux courants de pensée principaux, à savoir le nassérisme131 et le

baasisme132. Pour résumer les points communs de ces deux courants, il faut noter avant tout

qu’ils visent à créer l’union du monde arabe, voire un État arabe unique. L’arabe classique

remplit une fonction unificatrice et puisque perçue comme divine, on décide de rejetter la

pluralité linguistique au profit de cet idiome coranique.133 On peut constater que l’idée du

panarabisme a connu du succès dans les trois pays maghrébins et qu’elle constitue l’un des

points d’appui de leurs politiques d’arabisation.

L’islamisme politique qui a également trouvé ses partisans en Algérie, en Tunisie et au

Maroc opère notamment avec des termes religieux et vise à fonder un État islamique.134 Ainsi,

les questions de politique linguistique sont mises au second rang.

On peut constater toutefois que le facteur politique dont parle J.-M. Klinkenberg joue

un rôle non négligeable en promotion de l’arabe classique. Mais évidemment, ce facteur ne

peut agir tout seul. Nous trouvons qu’il convient de parler des représentations, un autre

facteur mentionné par Klinkenberg. Ce dernier dit à ce propos que « pour qu’une langue

129 Klinkenberg, J.-M. : La langue et le citoyen. Paris 2001, p. 87.130 Pour nous renseigner sur la problématique des idéologies, nous prenons largement appui sur l’article de Foued Laroussi : Laroussi, Foued : Glottopolitique, idéologies linguistiques et État-nation au Maghreb. In : Glottopol. Revue sociolinguistique en ligne, n° 1, janvier 2003, pp. 139-150.131 Ce terme renvoie à Jamal Abdel Nasser (1918-1970). En 1952, à la suite d’un coup d’État, il prend le pouvoir en Égypte et proclame la République. En 1956, il devient président. 132 Ce nom est formé à partir de la racine « B’A T », c’est-à-dire « envoyer », au sens figuré « ressusciter » car il s’agit de ressusciter la civilisation arabo-islamique. 133 Laroussi, Foued : Glottopolitique, idéologies linguistiques et État-nation au Maghreb. In : Glottopol. Revue sociolinguistique en ligne, n° 1, janvier 2003, pp. 139-150.134 Ibid.

46

s’étende – ou se contente de survivre –, il faut un acte collectif : il faut qu’une communauté

s’investisse symboliquement de certains projets, en fasse une promesse d’avenir ».135 Si l’on

cherche les raisons pourquoi l’arabe classique est devenu une langue officielle au Maghreb, il

est même indispensable d’orienter notre réflexion vers les représentations puisque aux

indépendances, l’arabe fut effectivement doté d’une valeur symbolique.

En fait, il y a plusieurs arguments pour la promotion de cette langue au niveau des

représentations. Premièrement, l’arabe classique en tant que langue du Coran a une capacité

d’ « unifier la communauté islamique »136; la sacralité véhiculée par l’arabe classique lui

assure une supériorité à toute autre langue. Deuxièmement, l’arabe classique jouit d’une

légitimité historique, évoquant l’âge d’or de la civilisation arabo-islamique. Enfin, la langue

arabe est véhicule du patrimoine culturel et du savoir commun à tous les Musulmans - ainsi,

elle assume le rôle culturel intégratif.137

Après avoir essayé de trouver les causes de la domination de l’arabe classique, nous

pouvons constater que cette stratégie s’appuyait au niveau des représentations sur les

arguments d’ordre religieux, historique et culturel. Cette valeur symbolique de la langue arabe

renforçait encore le poids de l’idéologie qui était, à notre avis, décisif.

Quelle conclusion peut-on tirer de nos réflexions concernant la diglossie arabe

classique/arabe dialectal ? Ce que nous osons affirmer, c’est que dans ce cas-là, il n’est pas

question de conflit diglossique. Certes, on pourrait dire que l’arabe classique est devenu

injustement - puisque c’est l’usage qui doit légitimer une langue - langue officielle et

nationale unique, refusant ainsi implicitement ce statut à l’arabe maghrébin. Or les locuteurs

ne semblent pas condamner cette attitude (au moins ne protestent-ils pas comme le faisaient

les locuteurs berbérophones). À notre avis, la raison pour laquelle la majorité des locuteurs

qui parlent arabe maghrébin se tait est celle qu’ils ne sentent pas que leur langue soit

réellement menacée par la minoration, voire la disparition totale. Le fait que l’arabe dialectal

est une langue vivante de communication quotidienne exclut pratiquement cette possibilité.

Nous finirons par dire que la diglossie que nous avons analysée manque d’aspect

conflictuel. Par conséquent, nous avons trouvé des arguments qui valorisent l’usage de l’arabe

classique mais qui ne menacent pas le statut d’une seule langue vraiment courante au

Maghreb dont jouit l’arabe dialectal.

135 Klinkenberg, J.-M. : La langue et le citoyen. Paris 2001, p. 90.136 Laroussi, Foued : Glottopolitique, idéologies linguistiques et État-nation au Maghreb. In : Glottopol. Revue sociolinguistique en ligne, n° 1, janvier 2003, p. 144.137 Ibid.

47

48

IV. 3. Diglossie arabe/ français

Dans la partie qui suit, nous voudrions étudier la situation diglossique qui est

particulièrement typique pour le Maghreb, à savoir la diglossie entre l’arabe et le français.

L’usage répandu de la langue française dans les pays maghrébins est dû notamment à la

présence des Français sur ce territoire à l’époque coloniale. Au lendemain des indépendances,

on observe dans tout le Maghreb des tentatives pour arabiser de nouveau cet espace

linguistique par l’intermédiaire de la politique dite d’arabisation. L’arabe devient la langue

officielle unique et les autorités dirigeantes insistent sur la généralisation de son usage. Le

français jouit cependant toujours d’un statut privilégié, et ceci pour plusieurs raisons que nous

voulons analyser.

En premier lieu, nous voudrions brièvement montrer la façon dont le français est perçu

au Maghreb, c’est-à-dire le statut qui lui est accordé par les locuteurs maghrébins. Ensuite,

nous orienterons notre réflexion vers un niveau plus général en essayant d’analyser les

facteurs objectifs qui expliqueraient un usage aussi répandu de la langue française.

Parallèlement, nous voudrions nous occuper des facteurs défavorisant dans certaines

situations l’usage de la langue arabe, ce qui nous permettra de discerner les différentes

situations de l’usage des deux langues. Toutes ces réflexions nous amèneront à la question de

l’enseignement du français (et aussi de l’enseignement en français) au Maghreb, le milieu

scolaire constituant à notre avis un indicateur excellent du statut d’une langue dans un pays.

Avant d’aborder la problématique esquissée ci-dessus, il est nécessaire de faire une

petite note terminologique. Le fait qu’il existe plusieurs variantes de la langue arabe nous

oblige à expliquer pourquoi nous avons décidé d’employer dans ce cas-là le mot « arabe »

sans adjectif.

Les politiques d’arabisation, nous l’avons dit, visent avant tout la promotion de l’arabe

classique et rejettent les autres langues en usage : l’arabe dialectal, le berbère et le français.

Ainsi, l’arabe dialectal et le français pourraient être perçus comme étant sur le même niveau

et s’opposant ensemble à l’arabe classique. Or nous estimons que l’usage du français s’oppose

en effet à l’usage de toute variante de l’arabe. C’est pourquoi nous avons décidé de noter

l’arabe tout court, sachant cependant que l’opposition entre le français et l’arabe classique se

revèle la plus évidente.

49

IV. 3. 1. Les politiques d’arabisation - rejet total du français ?

L’un des objectifs des politiques d’arabisation mises en place à l’indépendance des

trois pays maghrébins était de supprimer le statut privilégié de la langue française en

promulguant l’arabe seule langue officielle. Or le lien à la langue de l’ancienne administration

coloniale n’était pas complètement brisé et celle-ci ne cesse d’assumer un rôle important dans

l’espace linguistique maghrébin. Le français fait une véritable concurrence à l’arabe dans

plusieurs domaines, tels que l’enseignement, les médias ou l’économie.

On peut constater que le français jouit au Maghreb d’un statut « spécial ». Comme

nous le savons, le français n’est pas une langue officielle dans aucun pays maghrébin. Chacun

d’entre eux compte cependant plus d’une moitié de la population maîtrisant la langue

française. En 2007, on a pu constater que le Maghreb regroupait quelque 33, 4 millions de

locuteurs francophones (64 % de Tunisiens, 57 % d’Algériens, 41, 5 % de Marocains).138 Le

maintien de l’usage de la langue française est dû au fait qu’elle a une longue tradition sur le

territoire maghrébin. En effet, la présence du français remonte plus loin au Maroc et en

Tunisie que l’époque coloniale. Au Maroc, le français est présent depuis 1907 et en Tunisie

depuis 1840. En Algérie, sa présence coïncide avec le débarquement des premiers

colonisateurs en 1830.

Il convient à présent de nous poser la question de savoir quelle évolution a subie le

français du point de vue des locuteurs et quel statut ils accordent aujourd’hui à cette langue.

Nous dirons avec M. Miled que la langue française a parcouru deux différentes étapes au

niveau des représentations.

La première étape, qui se situe à l’époque de post-indépendance, est caractérisée par

deux opinions contrastées : pour certains, le français constituait un moyen d’ « ouverture

nécessaire à l’enrichissement d’une culture nationale »139, d’autres le considéraient comme un

élément menaçant la langue et la culture arabes.

La deuxième étape est marquée par un passage vers des représentations moins

négatives, voire favorables, du français. Au fur et à mesure, on tend à dépassionner le conflit

entre l’arabe et le français et l’on commence à découvrir le « côté positif » de la langue

française. Celle-ci remplit désormais la fonction d’une langue véhiculaire dans plusieurs

domaines sur lesquels nous reviendrons en détails. 138 Bianchini, Laura : L’usage du français au Maghreb. In : Constellations francophones, Publiafarum, n° 7, 2007. Accessible sur le site : <http://www.publifarum.farum.it/ezine_articles.php?art_id=77>. Consulté le 30 mars 2012.139 Miled, Mohamed : Le français dans le monde arabophone : quels statuts, quels contacts avec la langue arabe ? In : Langue française, 2010/3, n° 167, p. 166.

50

En parlant des représentations, il convient de présenter les tendances majeures dans les

politiques linguistiques des pays maghrébins qui sont liées à l’usage du français.

En Tunisie, la politique linguistique est axée à la fois sur l’arabisation et sur le

maintien du français.140 La perception positive de la langue française se traduit par les

expressions valorisantes que l’on lui accorde (véhicule de modernité, instrument culturel, etc.)

Cette valorisation du français est aussi évidente chez H. Bourguiba qui souligne en 1964 que

« la langue française peut être considérée comme un instrument qui permet de suivre la

marche de la civilisation et de puiser aux sources du savoir, du progrès. » En 1966, il ajoute

que « la langue arabe, certes indispensable, ne saurait à elle seule suffire. Pour vivre au

diapason du monde moderne, il faut élargir notre horizon culturel. » Fier du programme

politique officiel, H. Bourguiba ne manque pas de rappeler en 1968 qu’ « user du français ne

porte pas atteinte à notre souveraineté ou à notre fidélité à la langue arabe, mais nous

ménage une large ouverture sur le monde moderne. Si nous avons choisi le français comme

langue véhiculaire, c’est pour mieux nous intégrer dans le courant de la civilisation moderne

et rattraper plus vite notre retard. »141

Pour le Maroc, on peut résumer la perception favorable envers la langue française par

les mots d’A. Laraki, ancien ministre de l’Éducation. Ce dernier déclare en 1983 que le

français constitue dans le système éducatif marocain « le complément indispensable à la

formation dispensée en langue arabe : c’est un moyen d’ouverture sur le monde extérieur, un

instrument d’accès à une langue différente. »142

L’Algérie manifeste des opinions relativement proches à celles des deux autres pays

du Maghreb. En s’appuyant sur les textes des Chartes nationales de l’Algérie, on peut

constater que la « récupération totale de la langue nationale et sa nécessaire adaptation à

tous les besoins de la société n’excluent pas un ferme encouragement à l’acquistion des

langues étrangères » (Charte de 1976), et qu’il faut « veiller à ce que le citoyen puisse

maîtriser la langue nationale qui garde priorité en primauté, en même temps qu’il acquiert

l’usage d’autres langues » (Charte de 1986).143 Malgré le fait que les Chartes utilisent les

termes « langues étrangères » ou « autres langues », évitant soigneusement d’employer

140 Bianchini, Laura : L’usage du français au Maghreb. In : Constellations francophones, Publiafarum, n° 7, 2007. Accessible sur le site : <http://www.publifarum.farum.it/ezine_articles.php?art_id=77>. Consulté le 30 mars 2012.141 Chetouani, Lamria : Langues du pouvoir et pouvoirs de la parole dans les pays maghrébins. In : Mots, septembre 1997, n° 52, pp. 85-86. 142 Ibid., p. 86.143 Cheriguen, Foudil : Politiques linguistiques en Algérie. In : Mots, septembre 1997, n° 52, pp. 64-65.

51

« langue française », on peut constater que la perception du français est plutôt positive, se

traduisant toutefois pas des expressions plus modérées qu’en Tunisie et au Maroc.

Nous avons vu que la politique d’arabisation (qui selon les textes officiels semble

relativement rigide à la première vue) n’égalait pas un rejet total du français. Les expressions

valorisantes par lesquelles les dirigeants des pays maghrébins chantent le français montrent

que ceux-ci étaient conscients de l’importance subsistante de cette langue pour le Maghreb.

Dans ce qui suit, nous essaierons de montrer les facteurs objectifs qui contribuaient au

maintien du français sur le territoire maghrébin.

IV. 3. 2. Facteurs favorisant l’usage de la langue française au Maghreb

Le facteur de prime importance contribuant à l’usage répandu de la langue française

au Maghreb est, nous l’avons dit, la longue présence de cette langue sur le territoire

maghrébin. Or il existe d’autres facteurs importants qui agissent encore aujourd’hui au profit

de l’apprentissage du français et que nous essairons de résumer.

Nous pensons que l’on peut discerner deux principaux groupes de facteurs, à savoir les

facteurs socio-économiques et les facteurs éducatifs et culturels.144

IV. 3. 2. 1. Facteurs socio-économiques

 L’un des points communs des politiques d’arabisation mises en place au Maghreb est

le débat sur le développement et progrès, choses tant désirées dans les trois pays maghrébins.

Malgré les discours nationalistes condamnant la langue de l’ex-colonisateur perçue comme

une menace pour la langue arabe ainsi que pour la culture arabo-islamique, les arguments en

faveur du français étaient à cet égard incontestables : langue véhiculaire des sciences et

techniques, le français permet « une formation moderne et, par conséquent, des débouchés

professionnels. »145

Certes, la maîtrise de la langue arabe permettait la coopération économique avec

d’autres pays arabophones, mais pour arriver à l’ouverture internationale, la maîtrise du

français est en fait devenue une nécessité. C’est pourquoi nous pourrions parler d’une

144 Nous nous appyuons sur la distinction faite par Lamria Chetouani mais d’autres auteurs citent plus ou moins les mêmes facteurs. 145 Chetouani, Lamria : Langues du pouvoir et pouvoirs de la parole dans les pays maghrébins. In : Mots, septembre 1997, n° 52, p. 85.

52

diglossie au niveau professionnel146 qui touche notamment les domaines scientifiques et

techniques où la langue française est encore aujourd’hui  « nettement prédominante. »147 En

somme, le français est perçu comme une langue de promotion sociale et de développement ce

qui lui assure le soutien des autorités du Maghreb ainsi que des locuteurs maghrébins qui

aspirent à devenier les élites de la société.

IV. 3. 2. 2. Facteurs éducatifs et culturels

Avant d’aborder la question de l’enseignement du français au Maghreb, nous

voudrions parler des aspects généraux dans ce domaine, c’est-à-dire du statut de français dans

la sphère de l’éducation. Est-ce que le français constitue seulement une matière à enseigner ou

s’agit-il également d’une langue d’enseignement ? Le français est-il considéré comme une

langue étrangère ou jouit-il d’un statut de langue seconde ? Ce sont des questions générales

auxquelles nous voulons répondre avant de parler de l’enseignement du français dans les trois

pays maghrébins.

Il faut remarquer que le statut de la langue française au Maghreb est assez fluctuant, ce

qui est dû notamment à la politique d’arabisation marquée de nombreuses contradictions.

D’une part, l’intérêt pour l’apprentissage du français augmente, étant motivé par les besoins

des cadres ou techniciens qui maîtriseraient cette langue. D’autre part, cette tendance est

freinée par la volonté, s’appuyant souvent sur les facteurs purement idéologiques, de

« chasser » la langue française et de renforcer l’arabisation de toute société, y compris le

domaine de l’enseignement. Les tentatives pour valoriser le français peuvent aussi se heurter à

des arguments nationalistes soulignant la nécessité de promouvoir l’arabe menacé par la

langue de l’ancien colonisateur.148

En dépit de tous les obstacles, le français a su garder sa position privilégiée dans le

domaine de l’enseignement. En ce qui concerne son statut officiel, on peut dire que celui-ci

oscille entre langue étrangère et langue seconde. Pour mieux expliquer ce phénomène, il

convient d’exposer les définitions des deux notions. Selon M. Miled, la langue étrangère

suscite « essentiellement des effets de neutralité ou d’exotisme dans leurs rapports ».149 D.

146 M. Miled parle du bilinguisme social. Miled, Mohamed : Le français dans le monde arabophone : quels statuts, quels contacts avec la langue arabe ? In : Langue française, 2010/3, n° 167, p. 164. 147 Miled, Mohamed : Le français dans le monde arabophone : quels statuts, quels contacts avec la langue arabe ? In : Langue française, 2010/3, n° 167, p. 164.148 Ibid.149 Miled, Mohamed : Le français dans le monde arabophone : quels statuts, quels contacts avec la langue arabe ? In : Langue française, 2010/3, n° 167, p. 170.

53

Temim constate que la « langue seconde est différente de la langue étrangère en ce sens que

c’est une langue qui, pour des besoins de communication au sein d’une communauté donnée,

est utilisée en plus de la langue maternelle et peut donc entrer en concurrence avec elle ».150

De cette perspective, on peut affirmer que de nos jours, le français n’est pas considéré

au Maghreb comme une langue étrangère (se trouvant sur le même niveau que les autres

langues étrangères) puisque faisant par son usage une concurrence importante à l’arabe. On

peut trouver aussi une notion de « langue étrangère privilégiée »151 ce qui est en effet une

autre façon de désigner une langue seconde. D’où le statut du français en milieu scolaire :

l’Algérie et le Maroc adoptent le français dans les études universitaires, la Tunisie aussi au

lycée.152 En général, le français au Maghreb est à la fois une matière à enseigner et une langue

d’enseignement. Nous reviendrons à cette question pour montrer la situtation dans chacun des

pays maghrébins.

Nous avons essayé de résumer les arguments agissant en faveur de l’usage du français.

Or nous trouvons intéressant de montrer un autre facteur qui peut défavoriser l’usage de

l’arabe au profit du français. Celui-ci rentre dans le domaine culturel et peut être relévé grâce

aux médias. Pour monter cet aspect intéressant de la diglossie français/arabe, nous nous

permettons de citer l’exemple d’un événement relativement récent.

En 2006, l’hebdomadaire marocain Nichane (écrit en arabe classique et dialectal) est

interdit par décision du Premier ministre pour avoir publié un dossier intitulé – en traduction

française : « Blagues : comment les Marocains rient de la religion, du sexe et de la

politique ».153 L’article dans le magazine Tel Quel, publié en français et portant sur le même

sujet, n’entraîne aucune sanction, alors que le rédacteur en chef de Nichane est poursuivi pour

« atteinte aux valeurs sacrées » et la « publication et distribution d’écrits contraires à la

morale et aux mœurs ».154

Comment expliquer qu’un article soit condamné pour la seule raison d’être écrit en

arabe ? L’« affaire Nichane » montre bien que dans certains contextes, l’arabe semble imposer

le silence et rendre certains sujets tabous. Si l’on s’appuie sur le titre de l’article publié dans

150 Temim, Dalida : Politiques scolaire et linguistique : quelle(s) perpective(s) pour l’Algérie ? In : Le français aujourd’hui, 2006/3, n° 154, p. 22.151 Cf. Marzouki, Samir : La francophonie des élites : le cas de la Tunisie. In : Hérodote, 2007/3, n° 126, pp. 35-43.152 Miled, Mohamed : Le français dans le monde arabophone : quels statuts, quels contacts avec la langue arabe ? In : Langue française, 2010/3, n° 167, pp. 159-171.153 Cohen, Anouk : La langue du silence dans le Maroc urbain contemporain. In : Revue de l’histoire des religions, 2011, n° 2, pp. 245-263.154 Cohen, Anouk : La langue du silence dans le Maroc urbain contemporain. In : Revue de l’histoire des religions, 2011, n° 2, pp. 245-263.

54

Nichane, on peut estimer que ces sujets sont la religion, la sexualité et la politique. Essayons à

présent d’analyser le rôle de ces trois éléments dans la société marocaine (en supposant que

nos constats soient valables pour tout le Maghreb).

Il faut dire que l’arabe classique, en tant que langue du Coran, a une dimension

singulière pour les Marocains qui éprouvent un grand respect pour cette langue. Or la valeur

religieuse qu’incarne l’arabe classique pose parfois des problèmes aux locuteurs. Ceux-ci

disent eux-mêmes qu’ils ne parviennent pas à considérer l’arabe classique comme langue de

l’intime, c’est-à-dire qu’ils « éprouvent des difficultés à exprimer leurs sentiments et leurs

idées propres ».155 C’est le moment où ils ont recours au français qui est ressenti comme une

langue de la liberté d’expression. En arabe, par exemple, il existe plusieurs mots exprimant

l’état amoureux ce qui rend impossible la dissimulation, souvent exigée dans ce registre.

Ainsi, les locuteurs tendent à user du français au lieu de l’arabe pour dire « je t’aime ».

Ce constat est intéressant pour notre problématique parce qu’il nous permet de

montrer un autre aspect de l’usage concernant la diglossie français/ arabe. On peut dire que le

français symbolise la parole libérée, alors que l’arabe est une langue de contrainte.

Si l’on revient à l’« affaire Nichane », donc à l’usage de l’arabe dans la presse écrite, il

convient de mentionner encore l’existence des deux groupes de lecteurs au Maroc. Le lectorat

francophone comporte les gens issus des milieux aisés « ayant réalisé leurs études à la

Mission française et à l’étranger ».156 Ces lecteurs s’avèrent plus proches des valeurs

françaises, telles que la liberté ou la laïcité. Quant au lectorat arabophone, il se compose des

Marocains issus des milieux populaires ou bourgeois. Ceux-ci éprouvent un attachement plus

grand à la religion et au roi et sont moins critiques par rapport à ces sujets que les lecteurs

francophones.157 Il semble donc que le scandale autour de Nichane a été déclenché par la

partie conservatrice de la société marocaine.

Dans tous les cas, ce qu’il faut retenir pour notre réflexion, c’est le fait que tant à

l’écrit qu’à l’oral, la langue arabe est soumise à des contraintes vis-à-vis certains sujets. Par

conséquent, les locuteurs préfèrent d’user le français pour exprimer les sentiments et l’usage

de l’arabe dans la presse écrite rend tabous les sujets tels que la religion, la sexualité ou le roi.

Certes, on ne peut pas transférer la réalité marocaine aux autres pays maghrébins.

Nous estimons toutefois que la nature de l’arabe classique qui est une langue officielle pour

les trois pays permet de faire un constat valable pour tout le Maghreb. Parmi les arguments 155 Cohen, Anouk : La langue du silence dans le Maroc urbain contemporain. In : Revue de l’histoire des religions, 2011, n° 2, p. 250.156 Ibid., p. 255. 157 Ibid.

55

« typiques » qui agissent en faveur de l’usage de la langue française - facteurs économique,

social, éducatif - il y a un facteur d’ordre culturel qui montre les différences entre deux

cultures qui se rencontrent sur le territoire maghrébin. Le français en tant que véhicule de la

culture française permet de dire des choses qui sont irrecevables, voire scandaleuses dans le

contexte arabo-musulman et ne peuvent donc être exprimées en langue arabe.

IV. 3. 3. Français – l’une des langues d’enseignement au Maghreb

À l’époque coloniale, l’enseignement du français au Maghreb faisait partie de la

« mission civilisatrice ». Son objectif était que les Maghrébins aient acquis le mode de pensée

et de raisonnement « à la française ». D’où la marginalisation de l’arabe à laquelle ont mis

terme les politiques d’arabisation, mises en place au lendemain de l’indépendance des pays

maghrébins. L’arabisation a touché bien sûr le domaine de l’enseignement, mais son succès y

était incomplet. Tandis que la connaissance de l’arabe dialectal s’est maintenue pendant l’ère

coloniale grâce à la culture populaire (chants folkloriques, proverbes, etc.), l’arabe classique

est devenu une véritable langue étrangère aux populations maghrébines. C’est pourquoi il était

en fait inévitable de maintenir la langue française à l’école. Grâce à l’arabisation progressive,

l’arabe s’impose de plus en plus à l’école mais ne pénètre cependant dans tous les cycles

d’enseignement et surtout dans toutes les matières.

On a pu constater en 2007 que les matières techniques et scientifiques étaient

enseignées en français dès la première année du collège dans les trois pays du Maghreb. En ce

qui concerne les universités, il existe en Algérie et au Maroc des filières francophones offrant

de nombreuses possibilités d’enseignement; c’est notamment le cas du Maroc, où l’on

comptait en 2007 plus de 600 filières francophones. En Tunisie, il y a même des universités

où l’enseignement se donne entièrement en français. En général, on constate que le statut du

français au secondaire et à l’université n’est pas menacé par l’arabe, celui-ci n’étant réservé

qu’à l’enseignement des matières littéraires.158

On peut dire que ces données justifient la position privilégiée du français au

Maghreb. Considéré comme langue de l’instruction des élites, le français ouvre la voie aux

débouchés professionnels et donc à un bon statut social.

158 Bianchini, Laura : L’usage du français au Maghreb. In : Constellations francophones, Publiafarum, n° 7, 2007. Accessible sur le site : <http://www.publifarum.farum.it/ezine_articles.php?art_id=77>. Consulté le 10 avril 2012.

56

IV. 3. 4. Enseignement du français au Maghreb - réalité et perspectives

Nous avons parlé du fait que le français au Maghreb n’est pas seulement une matière à

enseigner – il s’agit aussi d’une langue d’enseignement. Nous voudrions à présent aborder la

problématique de l’enseignement du français dans les trois pays maghrébins. Notre réflexion

sera axée sur la situation au début du XXIe siècle et nous amènera à la question des

perspectives pour l’enseignement de la langue française au Maghreb.

IV. 3. 4. 1. Algérie

En parlant de l’enseignement du français en Algérie, il faut au préalable mentionner la

réforme globale de l’éducation, mise en place en 2000. Cette année-là, on a établi la

Commission nationale de la réforme du système éducatif (CNRSE), plus connue sous le nom

de Commission Benzaghou (issu du nom de son président). Cette institution, composée « de

pédagogues et de représentants de différents secteurs d’activités ou de la société civile »159,

était chargée de toutes les activités liées à l’enseignement (organisation des structures

éducatives, statut des enseignants etc.). Les propositions de la CNRSE ont été transmises à

une nouvelle instance, la Commission nationale des programmes (CNP). Les Groupes

spécialisés de disciplines (GSD) qui dépendaient de la CNP avaient pour tâche de « traduire

les nouvelles orientations sous forme de programmes, d’outils pédagogiques et de manuels

scolaires. »160

La réforme de l’éducation constitue un grand progrès justement dans le domaine de

l’enseignement des langues étrangères. Les mots du président Bouteflika montrent qu’il est

conscient de l’importance de la question de l’apprentissage des langues étrangères, parmi

lesquelles le français a un statut privilégié. Il affrme que « la maîtrise des langues étrangères

est devenue incontournable » et qu’il faut que les élèves apprennent « une ou deux langues de

grande diffusion [...] »161 Avant la mise en place de la réforme, l’apprentissage des langues

étrangères a été considéré comme peu important et celles-ci n’occupaient qu’une place

159 Ferhani, Fatiha Fatma : Algérie, l’enseignement du français à la lumière de la réforme. Le Français aujourd’hui 2006/3, n° 154, pp. 11-18.160 Ibid.161 Palais des Nations, Alger, samedi 13 mai 2000. Site Web de la présidence de la République : <www.el-mouradia.dz>. Cité par Fatiha Fatma Ferhani.

57

marginale dans les emplois du temps. Quant au français, il était enseigné avant la réforme dès

la quatrième année du primaire.162

La mise en œuvre de la réforme n’a rien changé sur le statut privilégié du français qui

demeurait la première langue étrangère. Or il convient de noter que la réforme joue également

au profit de la langue anglaise dont l’apprentissage commence désormais en première année

de collège au lieu de la deuxième. Ce fait nous indique que l’anglais s’impose petit à petit

comme concurrent du français.

La réforme agit cependant surtout au profit de la langue française. Depuis la rentrée

2003-2004, l’enseignement du français débutait en deuxième année (il était donc avancé de

deux années). La langue française était enseignée trois heures par semaine. L’année scolaire

suivante, ce volume a augmenté vers quatre heures par semaine pour atteindre finalement cinq

heures hebdomadaires d’apprentissage jusqu’à la fin du collège. L’augmentation des heures

destinées à l’apprentissage du français est certes un changement considérable. Nous dirons

toutefois avec F. F. Ferhani que « ce n’est pas tant le fait que l’on enseigne plus ou moins

d’heures de français que celui de les enseigner plus tôt qui fera la différence. »163 En fait, il

est déjà prouvé que l’apprentissage d’une langue à un âge précoce est un facteur qui contribue

largement à sa bonne maîtrise. Le fait que le français soit enseigné dès la deuxième année

constitue donc, à notre avis, un véritable avantage pour ceux qui l’apprennent. Un autre

facteur qui aide à l’amélioration de la maîtrise de la langue française à l’école est

l’introduction des nouvelles applications didactiques et pédagogiques, parmi lesquelles la

réhabilitation de l’oral notamment. Et si l’on compare son statut avec celui de tamazight dont

l’apprentissage ne commence qu’en quatrième année, le français ne peut que renforcer encore

sa position de langue seconde en Algérie.

IV. 3. 4. 2. Tunisie

À présent, nous allons nous interroger sur le statut de la langue française en Tunisie,

notamment à l’école tunisienne. De même qu’en Algérie, le français jouit d’un statut de

première langue étrangère et son apprentissage débute en troisième année du premier cycle.

Sa position « spéciale » par rapport aux autres langues étrangères se manifeste par le fait

qu’« après sept années d’apprentissage (les quatre dernières années du primaire et les trois

années au collège), elle devient, dans le cycle secondaire (les quatre années du lycée) la 162 L’anglais n’était alors introduit qu’en deuxième année de collège et l’allemand ou l’espagnol, en deuxième année de lycée. Ferhani, Fatiha Fatma : Algérie, l’enseignement du français à la lumière de la réforme. Le Français aujourd’hui 2006/3, n° 154, pp. 11-18.163 Ibid., p. 13.

58

langue d’enseignement des disciplines scientifiques, techniques, économiques et de

gestion.»164 Le renforcement de l’horaire du français, surtout durant le cycle secondaire, et la

réécriture des programmes ont entraîné une nouvelle réflexion sur la didactique des langues

étrangères, notamment du français. On a décidé de tester les acquis des élèves pour vérifier si

les programmes étaient efficaces. Une évaluation du niveau réel des élèves s’est effectuée

essentiellement à la suite des examens nationaux. Il s’agissait en fait de deux évaluations : de

la part de l’Inspection générale tunisienne ayant élaboré un rapport de synthèse et de la part

des experts étrangers. Les deux évaluations ont montré que les acquis des élèves étaient

insuffisants.

Les résultats insatisfaisants de cette double évaluation ont engagé une réflexion

approfondie sur la didactique de la langue française. La commission du français, composée

des inspecteurs des collèges et des lycées, a effectué plusieurs recherches-actions s’occupant

des principales activités de la classe : l’oral, la grammaire, la lecture etc. Les données issues

de ces recherches ont servi de base à la réforme profonde du système éducatif tunisien. Parmi

les objectifs généraux de cette réforme, on peut citer le « développement des compétences de

communication orale et écrite, leur importance en tant que vecteur d’apprentissage,

l’articulation de ces activités langagières, le souci constant d’aider l’élève à intégrer et à

exploiter ses acquis et l’exigence de l’accès au sens dans les différentes disciplines. »165 

La première tâche des innovations était d’améliorer la maîtrise du français à l’oral ce

qui entraîne plusieurs difficultés. Par exemple, le langage oral est souvent enseigné comme

l’écrit avec lequel il finit souvent par se confondre. En plus, certains enseignants ne tiennent

pas suffisamment compte des spécificités du langage oral et ont tendance à l’hypercorrection

des élèves, ce qui est une approche extrêmement décourageante. Une autre difficulté est liée à

l’évaluation du langage oral, c’est-à-dire à la problématique de trouver des critères appropriés

pour l’évaluer. On peut citer encore d’autres problèmes, tels que l’hésitation entre différentes

approches pédagogiques ou la formation spécifique insuffisante des enseignants en français.

Pour montrer les forces et les faiblesses de l’enseignement du français et pour pouvoir

améliorer par la suite sa qualité, le ministère tunisien de l’Éducation et de la Formation a

mené « avec le concours du Service de coopération et d’action culturelle (SCAC) de

l’ambassade de France »166 une évaluation externe de l’enseignement de la langue française.

164 Hammami, Mounira - Durtey, Jean-François : L’enseignement du français en Tunisie : un programme ambitieux de rénovation et de soutien. Le Français aujourd’hui 2006/3, n° 154, p. 67.165 Boukhari, Amel : La réforme de l’enseignement du français en Tunisie : enjeux et difficultés. Le Français aujourd’hui 2006/3, n° 154, p. 36.166 Hammami, Mounira, Durtey, Jean-François : L’enseignement du français en Tunisie : un programme ambitieux de rénovation et de soutien. Le Français aujourd’hui 2006/3, n° 154, p. 68.

59

Celle-ci a servi de base à l’élaboration du projet de Programme de rénovation de

l’enseignement du français dans le système éducatif tunisien (PREF-SET).

Il s’agit d’un projet commun de la France et de la Tunisie, financé à parité par le

ministère de l’Éducation et de la Formation et le ministère français des Affaires étrangères.

Tous les éléments du programme ont été définis d’un commun accord entre la Tunisie et la

France. Sa mise en œuvre a commencé le 1er janvier 2003 et devait finir en décembre 2007.

L’objectif principal du programme, défini d’une façon très générale, était de « renforcer

l’efficacité de l’apprentissage du français dans l’enseignement de base et dans

l’enseignement secondaire. »167 Il y avait également plusieurs objectifs secondaires :

« renforcer la formation des enseignants du primaire et du secondaire » et « favoriser un

meilleur environnement culturel francophone à destination des élèves (et des enseignants) en

dehors de la classe. »168

Parmi les activités comprises dans ce projet, l’une nous paraît particulièrement

intéressante. Il s’agit de la formation conjointe s’effectuant par l’intermédiaire des stages.

D’abord, les formateurs tunisiens ont reçu la formation en France pendant un stage d’une à

deux semaines, généralement au printemps. Ensuite, il y avait une session de formation des

enseignants en Tunisie (une à deux semaines) pendant les vacances scolaires. Ces stages ont

permis la coopération plus aisée entre les formateurs tunisiens et leurs homologues français.169

Nous avons vu que le système éducatif tunisien met un accent particulier sur la bonne

maîtrise de la langue française. On peut constater que la réforme de l’enseignement vise avant

tout à « rapprocher l’école des réalités sociales, culturelles, intellectuelles des élèves » pour

que l’enseignement du français aide les élèves à « appréhender le monde dans sa richesse et

sa diversité. »170 

IV. 3. 4. 3. Maroc

De même que l’Algérie et la Tunisie, le Maroc s’est engagé dans une réforme de

l’enseignement qui a débuté dans ce pays en 2001. Elle visait atteindre à peu près les mêmes

objectifs que les réformes des autres pays du Maghreb. Il s’agissait notamment de

167 Id.168 Ibid., p. 68-69.169 Id.170 Boukhari, Amel : La réforme de l’enseignement du français en Tunisie : enjeux et difficultés. Le Français aujourd’hui 2006/3, n° 154, p. 39.

60

« généraliser la scolarisation fondamentale » (notamment dans les zones rurales) et

« d’adapter et moderniser les programmes et les pratiques d’enseignement. »171

Pour étudier la problématique de l’enseignement du français au Maroc, nous disposons

de chiffres intéressants. La proportion de francophones au début du XXIe siècle était de 13,5 à

16,5% de bons francophones et de 16,5 à 20% des francophones partiels. Une autre chose à

noter est à la fois qu’il y a de bons locuteurs français peu scolarisés mais aussi que, certains

bacheliers sont incapables d’écrire un texte simple en français.172

Parmi les quatre langues173 qui traversent le système éducatif marocain, seul l’arabe

classique jouit d’un véritable statut, le français n’étant reconnu officiellement que comme « la

première langue étrangère » ou « la langue étrangère privilégiée ». Le rôle qu’assume le

français dans le système éducatif marocain n’est que vaguement défini par les caractéristiques

précédentes. On peut toutefois constater que le français est « un instrument majeur de

sélection et de promotion scolaire, sociale et professionnelle. »174

Si l’on revient à ce que l’on a déjà dit, la politique d’arabisation n’a pas touché

l’enseignement supérieur. Ainsi, la maîtrise de la langue française était presque indispensable

à la poursuite d’études (sauf les matières littéraires pour lesquelles l’arabe demeure la langue

d’enseignement). Or beaucoup de bacheliers rencontraient de grandes difficultés au moment

d’aborder l’enseignement supérieur. Ces difficultés découlent du système scolaire qui

comporte l’enseignement secondaire arabisé et l’enseignement supérieur en français. La

maîtrise souvent insuffisante de la langue française posait des problèmes aux étudiants

désormais obligés à suivre des cours enseignés en français.

En 2006, les programmes prévoyaient que l’enseignement du français serait

obligatoire dès la deuxième année de l’école fondamentale jusqu’à la terminale (huit ans au

total). Cette pratique n’a été introduite qu’en 2003 ; jusqu’alors, les élèves n’apprenaient le

français qu’en troisième année. Selon les nouveaux programmes, durant les quatre dernières

années de l’école primaire, « c’est le quart de l’horaire hebdomadaire qui est consacré à la

langue française! »175 Grâce à ce changement qui a touché l’enseignement du français, de

nombreux étudiants sont parvenus à maîtriser parfaitement cette langue. Il y avait cependant

toujours une bonne partie des élèves qui rencontraient les difficultés dans l’enseignement

171 Bourdereau, Frédéric : Politique linguistique, politique scolaire : la situation du Maroc. Le Français aujourd’hui 2006/3, n° 154, p. 25.172 Ibid.173 L’arabe dialectal, l’arabe classique, l’amazighe, le français.174 Bourdereau, Frédéric : Politique linguistique, politique scolaire : la situation du Maroc. Le Français aujourd’hui 2006/3, n° 154, p. 26.175 Bourdereau, Frédéric : Politique linguistique, politique scolaire : la situation du Maroc. Le Français aujourd’hui 2006/3, n° 154, p. 28.

61

supérieur. On peut constater que la réforme a apporté un succès relatif mais ces effets se

manifesteront peut-être dans une plus grande mesure dans les années à venir.

Après avoir analysé la problématique de l’enseignement du français en Algérie, en

Tunisie et au Maroc, nous pouvons discerner des tendances qui sont communes pour tout le

Maghreb. Les trois pays ont entrepris les réformes de l’enseignement qui visaient notamment

l’amélioration de la maîtrise du français chez les apprenants. Les moyens par lesquels ils

voulaient y parvenir étaient notamment le renforcement des horaires hebdomadaires consacrés

à la langue française et son apprentissage à l’âge précoce. Les réformes répondent en fait aux

problèmes liés aux spécificités des systèmes éducatifs étant en vigueur dans les trois pays. La

distinction entre le secondaire arabisé et le supérieur où le français prédomine largement dans

l’enseignement entraînait souvent les difficultés que nous avons évoquées. Une autre tendance

que l’on peut observer est l’effort d’introduire de nouvelles méthodes didactiques dans

l’enseignement du français (ainsi que d’autres langues étrangères). Il s’agit notamment de

méthodes orales qui devraient aider les apprenants à appliquer les acquis dans les divers

domaines de communication. Étant donné que le français nécessite « un niveau d’abstraction

et de conceptualisation exigé par les tâches langagières et discursives en rapport avec les

disciplines en question »,176 il est indispensable que l’on veille à son apprentissage approfondi.

Les efforts de réformer les systèmes éducatifs montrent que les dirigeants maghrébins

dont la compétence concerne la sphère de l’enseignement sont conscients de l’intérêt que

présente l’apprentissage des langues étrangères, parmi lesquelles le français garde toujours un

statut privilégié.

On a pu constater que la baisse de la maîtrise du français chez les apprenants

maghrébins représente un problème qui est encore à résoudre. Peut-il menacer le statut du

français au Maghreb ? Il est fort probable que non vu les avantages qu’apporte la

connaissance de cette langue, notamment pour la vie professionnelle. Or il y a un phénomène

qui pourrait constituer une menace réelle pour le français - l’expansion de l’anglais. Pour

l’instant, l’anglais est une deuxième langue étrangère au Maghreb, le français jouissant quant

à lui du statut d’une langue seconde. Nous ne sommes pas en mesure de prévoyer l’évolution

de cette situation linguistique. Nous supposons cependant que la langue française l’emportera

quand même dans les prochaines années sur l’anglais grâce aux liens forts (de nature

historique, culturelle ou économique) entre les pays du Maghreb et la France.

176 Miled, Mohamed : Le français langue seconde en Tunisie : une évolution sociolinguistique et didactique spécifique. In : Le français aujourd’hui, 2007/1, n° 156, p. 81.

62

À notre avis, il y a deux facteurs principaux qui devraient entrer dans le domaine de

l’enseignement du français pour que cet enseignement soit effectif. D’une part, il faut prêter

attention à la formation des enseignants. Ceci posait problème dans les années 1990 puisque,

comme G. Vigner a pu constater, « la formation des enseignants s’est largement confondue

avec la formation générale en français, la dimension proprement professionnelle

n’intervenant qu’à la marge du processus ».177 Ce ne sont évidemment que des enseignants

bien formés (c’est-à dire ceux qui savent non seulement user du français mais le transmettre à

leurs élèves) qui peuvent aider les apprenants à surmonter les difficultés tant à l’oral qu’à

l’écrit. D’autre part, la complémentarité entre l’arabe et le français pourrait contribuer à de

meilleurs résultats des apprenants. En d’autres termes, il faudrait prendre en considération les

spécificités d’apprentissage du français chez les locuteurs maghrébins. Les enseignants

devraient connaître le dialecte dont on parle dans le pays où ils enseignent le français et en

profiter pour faciliter l’acquisition de cette langue à leurs élèves.

177 Vigner, Gérard : Les formations à l’enseignement du F.L.E.S. au Maghreb et dans les pays d’Afrique francophone. Études de linguistique appliquée, 1994, p. 75.

63

V. Conclusion

La diglossie est un concept ayant subi une importante évolution depuis son lancement.

La conception canonique, vulgarisée par Ch. Ferguson et relativement restreinte dans sa

signification, est devenue progressivement beaucoup plus complexe. Ne se rapportant jadis

qu’à l’usage de deux variantes d’une même langue, la diglossie peut aujourd’hui désigner les

situations où deux langues différentes sont en usage.

Notre mémoire avait pour l’objectif d’appliquer la conception de diglossie aux trois

pays du Maghreb. Le contexte linguistique maghrébin nous a permis de discerner trois types

principaux de situations diglossiques. Elles sont liées notamment au passé colonial du

Maghreb et aux politiques d’arabisation mises en place dans les trois pays maghrébins après

leur indépendance. Ces événements ont constitué en effet notre point de départ pour la

problématique traitée.

En premier lieu, nous avons parlé de la diglossie entre le berbère et l’arabe classique.

Vu la lutte du mouvement amazigh pour la promotion de la langue et la culture amazighes,

marginalisées à la suite de l’arabisation, on peut constater que cette diglossie présentait un

aspect conflictuel. Les revendications des représentants de l’amazighité ont été prises en

considération notamment par les autorités du Maroc où l’amazighe est aujourd’hui langue

officielle.

Le deuxième type de diglossie que nous avons étudié concerne l’arabe classique et

l’arabe dialectal. Étant donné qu’il s’agit de deux variantes d’une même langue, nous étions

obligée de revenir au concept originel, (sans employer toutefois les termes de « variété

haute » et de « variété basse »). Or nous avons pu constater qu’il s’agit en effet de deux

langues tellement différentes que leur parenté n’est pas évidente. On peut observer que la

diglossie entre l’arabe classique et l’arabe dialectal ne porte pas les marques du conflit

linguistique puisque les populations usant du dialecte ne protestent pas contre sa non-

reconnaissance en tant que langue officielle. Le statut de l’arabe classique, légitimé par les

arguments d’ordre culturel, historique ou religieux, ne menace pas pour autant la position de

l’arabe dialectal qui demeure le seul moyen vraiment courant de communication quotidienne.

Enfin, nous nous sommes occupée de la diglossie entre l’arabe et le français. On peut

dire que celle-ci est marquée par deux tendances opposées. La politique d’arabisation

officielle agissait contre la langue de l’ancien colonisateur en proclamant la nécessité de

généraliser l’usage de l’arabe. Or l’arabe classique qui constituait une véritable langue

64

étrangère pour les populations usant des dialectes n’était pas en mesure de remplacer

immédiatement la langue française dans tous les domaines. En dépit de l’arabisation

progressive de l’enseignement, le système éducatif des trois pays maghrébins fonctionne

partiellement en français. C’est aussi l’une des raisons pour laquelle les États maghrébins

veillent à la bonne maîtrise de cette langue chez les élèves.

Enfin, nous voudrions nous interroger une dernière fois sur les représentations que

l’on pourrait attribuer aux langues du Maghreb dont nous nous sommes occupée dans ce

mémoire.

En ce qui concerne la langue amazighe, on peut constater qu’il s’agit d’un véhicule

important de la culture berbère, l’une des composantes essentielles de l’identité maghrébine.

Or ce point de vue est trop simplifié et semble renvoyer à l’époque où les dirigeants algériens

et marocains considéraient l’amazighité comme un patrimoine, certes précieux, mais qui ne

faisait plus partie des États modernes du Maghreb. Aujourd’hui, vu l’existence des médias

amazighes et le fait que l’amazighe est reconnu comme langue officielle du Maroc, on peut

constater le succès du mouvement amazigh. En effet, la langue amazighe n’a jamais cessé de

constituer une partie indissociable de l’identité maghrébine. Or ce rôle ne lui a été

définitivement reconnu qu’au moment où elle n’a plus été perçue comme un vestige de

l’histoire, mais comme une langue vivante.

L’arabe classique, quant à lui, a été valorisé notamment grâce à sa valeur symbolique.

En tant que langue de Dieu, l’arabe classique incarne une dimension religieuse à l’importance

non négligeable au Maghreb. Étant donné que cette langue n’aspire point à la modernité ni à

l’usage pratique, elle servait plutôt comme instrument politique qui devait symboliser

l’identité commune de tous les Maghrébins, voire de tous les Arabes.

Par contre, l’arabe dialectal est un « produit authentique de l’histoire maghrébine »178,

au même titre que l’amazigh. Il ne s’agit pas d’une langue des élites ni de l’enseignement.

Son statut d’une langue servant à la communication pour la majorité des populations

maghrébines est cependant incontestable.

Nous avons plusieurs fois évoqué le fait que la langue française jouit d’un statut

« spécial » au Maghreb. Le français n’est pas une langue simplement « tolérée » pour des

raisons analysées dans ce travail. On peut observer que les autorités dirigeantes des États

maghrébins veillent à l’apprentissage des langues étrangères puisque la capacité langagière est

l’un des éléments ouvrant la voie à la modernisation. Parmi toutes les langues étrangères, le

français occupe toujours la première place. Et comme nous avons abordé la question des

178 Cheriguen, Foudil : Politiques linguistiques en Algérie. In : Mots, septembre 1997, n° 52, p. 71.

65

représentations et de l’identité, nous finirons par dire avec M. Miled que le français, et par

conséquent la culture francophone, représentent « en définitive l’un des constituants de cette

identité maghrébine ».179

179 Miled, Mohamed : Le français dans le monde arabophone : quels statuts, quels contacts avec la langue arabe ? In : Langue française, 2010/3, n° 167, p. 167.

66

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constitutionnel.dz/Constituion1976.htm>. Consulté le 5 mars 2012.

La Constitution de l’Algérie de 1989. Accessible sur le site : < http://www.conseil-

constitutionnel.dz/Constituion89_2.htm>. Consulté le 6 mars 2012.

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<http://www.sgg.gov.ma/constitution_2011_Fr.pdf>. Consulté le 3 mars 2012.

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<http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/afrique/algerie_loi-91.htm>. Consulté le 6 mars 2012.

Charte d’Agadir Relative aux Droits Linguistiques et Culturels. Accessible sur le site :

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Le texte du dahir portant création de l’Institut Royal de la Culture Amazighe est accessible sur

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