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Le Novice, par Mme de Bawr/12148/bpt6k56519393.pdfBawr, Alexandrine-Sophie de (1773-1860). Auteur du...

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Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Le Novice, par Mme de Bawr.Tome 1

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Bawr, Alexandrine-Sophie de (1773-1860). Auteur du texte. LeNovice, par Mme de Bawr. Tome 1. 1830.

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LE NOVICE.

1.

PARIS,H. FOURRIER JEUNE, LIBRAIRE,

RUE ' DE SEINE, W. X4.

1830.

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Décembre 1829.

CHEZ EL FOCRNIER JE9

Rue de Seine, n. 14.

OEUVRES COMPLÈTES

DE

M. DE CHATEAUBRIAND,PAIR DE FRANCE, MEMBRE DE L'ACADÉMIE FJtAXÇArSE.

45 volumes in-12 sur beau papier; prix dechaque volume ,4 fr., et 3 fr. 50 c. pour lessouscripteurs aux oeuvres complètes.

Chaque ouvrage se vend séparément.

Cette édition, revue avec un soin particulier et rectifiée pourquelques citations errone'es qui existent dans les précédentes, sedistingue par sa correction, comme par l'excellence des notes quil'accompagnent. Nous ne pouvons la recommander mieux; qu'encitant la lettre du noble pair à l'éditeur de ses OEuvres dans leformat in-douze, M. le marquis de Forlia d'Urlian.

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(»)LETTRE DE MONSIEUR LE VICOMTE DE CHATEAUBRIAND

A MONSIEUR LE MARQUIS DE FORTIA.

Paris j te 28 Octobre 1829.

MONSIEUR LE MARQUIS,

Ce m'est un grand honneur que vous ayez songé à vous occuperde mes ouvrages : un homme de votre mérite., qui consent à sacrifierainsi une part de son temps et de sa fortune

, donne un rare exem-ple de générosité et de dévouementaux lettres. C'est en vous-même,monsieur le Marquis, que vous prendrez vos directions ; votre pro-fonde connaissance ,des langues et des auteurs vous aura fait voirque les citations sont presque partout misérablementmutilées (1).Tout ce que vous ferez sera bien : je ne puis être que plein de gra-titude des soins que vous voulez bien vous donner. Agréez je vousprie, l'assurancede la haute-considération avec laquelle j'ai l'hon-neur d'être, '

_

Monsieur le Marquis,

Votre très humble et très-obéissantserviteur,CHATEAUBRIAND.

{1 ) On se contentera d'en signaler une ici à la page 55 du tome XI, 1 epremier du Génie du Christianisme. Platon y est appelé en témoignagedans lu

iexte d'après la traduction de Dacier. La note dit :

n Dacier cite le tome III, lettre II, page 31 s, apparemment du Platon deiiSerranus; mais tous les Platon de Serranus et de Fïcin de la Bibliothèquewlloyale ne donnent ni le même tome, ni la mûme page, ui la même lettre.»

Or le passage cité ici est eutclivemeut à la page ôia dans l'édition de Serra-

nus. Dans celle de Deus-Ponts, 1787, qui est la dernière et la Dieïlleure, ou

le trouve à la page G<> du onzième volume. Dans toutes deux,

il l'ait effective-

ment partie de la seconde lettre de Platon,adressée à Denis, tyran de Sicile.

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( 3 )

€u tJsnte,

ATALA. RENÉ..

Un vol. in-12. Prix: 4 fr-

VOYAGES EN ITALIE,i CLEBMONT EN AUVERGNE ET AU MONT-BLANC.

LES NATCHEZ.

LE

GÉNIE DU CHRISTIANISME.

Une collection de vignettes dessinées et gravées par lesartistes les plus distingués, sera mise à la disposition desSouscripteurs, au icr janvier prochain.

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CHEZ LE MEME.

( 1- )

KOMAN HISTORIQUE DU QUATORZIÈME SIÈCLE,

PAR M*» DE BAWR.

4 vol. iu-12. Prix: i4 fr-(2. )

HISTOIRE DE PORTUGAL depuis l'origine des

Lusitaniens jusqu'à la régence de don Miguel; parM. le marquis de Fortia d'Urban. io vol. in-8. 90 fr.

( 3. )

LA MORT DE HENRI III, scènes historiques,août i58g; par L. Vitet, auteur des Barricades et desÉtats de Blois. 1 vol. in-8. Prix : 7 fr 5o c.

(4. )

LES ÉTATS DE BLOIS, ou la Mort de MM. de

Guise, scènes historiques, décembre i588. 3e édit.

1 vol. in-8. Prix: " 7 fr. 5o c.

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( 5 )

( S. )

LES BARRICADES, scènes historiques, mai i588.

i vol. in-8. 3e édit. Prix: 6 ir.

( 6. )

LE COUVENT DE BAÏANO, Chroniquedu seizième

siècle, extraite des archives de Naples, par J... C...o;

et précédée de Recherches sur les couvens au sei-zième siècle, par P. L. Jacob, bibliophile, i vol. in-8.Prix : 5 fr. 5o c.

(7. )

HISTOIRE CONSTITUTIONNELLE D'ANGLE-TERRE depuis l'avènement de Henri VII jusqu'à lamort de George II ; par H. Hallam. Traduction revueet publiée par M. Guizot, et précédée d'une préfacede l'éditeur. 5 vol. in-8. Prix: 35 fr.

(8. )

VUES DE LA CRÉATION, ou Merveilles delàNature, ouvrage imité de l'anglais et dédié à la Jeunesse,i vol. in-12. 3 fr.

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(6)( 9. )

i57a. CHRONIQUE DU TEMPS DE CHARLES IX;

par l'auteur du Théâtre de Clara Gazul. i vol. in-8.Prix : 7 fr.

( io. )

LA JAQUERIE, scènes féodales; par l'auteur duThéâtre de Clara Gazul. i vol. in-8. Prix: 7 fr. 5o c.

( 11. )

GRIMM ET DIDEROT. Correspondance Inédite.Recueil de lettres, poésies, morceaux et fragmens re-tranchés par la Censure impériale, en 1812 et I8I3.

1 vol. in-8. Prix : 7 fr. 5o c.( 12. )

GRIMM ET DIDEROT. Correspondance Littéraire,Philosophique et Critique, depuis 1753 jusqu'en 1790.Nouvelle édit. revue et mise dans un meilleur ordre,

et augmentée de notes. i5 vol. in-8. Prix de chaquevolume. 6 fr. 5o c.

Huit volumes sont en vente.

( 13- )

HISTOIRE DE TOURAINE, depuis la conquête desGaules par les Romains, jusqu'à l'année 1790; par J.-L.Chalmel, membre de la société des Antiquaires de

France. 4 vol. in-8. Prix : 28 fr.

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( 14. )

THEATRE D'EUGÈNE SCRIBE, dédié par lui à

ses Collaborateurs. 8 vol. in-8. 56 fr.

(15.)

LES SIX CODES, précédés de la Charte constitu-tionnelle et ses Lois organiques, i fort vol. in-8, surtrès-beau papier, édition Brissot-Tliivars.Prix : 9 fr.

( 16- )

HISTOIRE DE LA VIE ET DES OUVRAGES DEMOLIÈRE; par J. Taschereau. Deuxième édition.

1 vol. in-8. Prix : 7 fr.

( 17. ).

HISTOIRE DE LA VIE ET DES OUVRAGESDE P. CORNEILLE; par le même. 1 vol. in-8. Prix :

7 fr. 5o c.( 18- )

HISTOIRE ABRÉGÉE DE L'INQUISITIOND'ESPAGNE; par Léonard Gallois. Sixième édition.

1 vol. in-18. Prix: 3 fr. 5o c.

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(5)( 19- )

' PROVERBES DRAMATIQUES de M. ThéodoreLeclercq, cinquième édition. 6 vol. in-8. Prix : 39 fr.

( 20. )

GOLDEN LYRE. Recueil de poésies françaises,allemandes, italiennes et anglaises. 1 vol. in-iS

,imprimé en or, sur vélin. Prix: i5 r.

IMPRIMERIE DE II. FOURN1ER,

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LE NOVICE.

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Se trouve aussi, chez

XECOINTE,-.quai des Augustins.

Mme V« BEGHET, même quai.CORBET, même quai.PIGOREAU, place Saint-Germain-l'Auxerrois.LEVAVASSEUR, Palais-Royal.

TARIS, ÏSIPÏUMERJEDE COSSON ,rue Saiut-Geiraain-dcs-Prcs, no 9.

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PAR MADAME DE BAWR.

Trop peu de temps! dans la plus douce chose

Il fut heureux.

>Ducis.

TOME PREMIER.

S. FOUB.KTEB. JEUNE, UBKA1BS ,JtUI DE SEIJSE , H° 14.

i83o. #

1

A V / /

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m /HÛVIGB,

ROMAN

DU QUATORZIEME SIÈCLE.

CHAPITRE PREMIER.

On ne veut plusCultiver pour eux les campagnes-

LA FONTAINE.

A L'ÉPOQUE où commencecette histoire,.Charles V, si justement nommé le Sage,étoit assis depuis moins d'un an sur letrône de France. Chacun sait sous quelstristes auspices s'ouvrait un règne aussiglorieux. Le fatal traité de Brétigny, ar-raché par les plus désastreuses circon-stances, âvoit livré à Edouard, roi d'An-gleterre

,près de la moitié du royaume

i. i

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2 LE NOVICE.

et ne laissoit à la France qu'un très-petitnombre; de provinces, ruinées par des

guerres longues et opiniâtres, et par les

sommes exorbitantes qu'Edouard avoitexigées pour la rançon du roi Jean. Unepaix si chèrement achetée, loin de finirles maux du peuple, avoit amené des ca-lamités nouvelles d'autant plus affreusesqu'on n'en pouvoit prévoir le terme. Cettefoule d'hommes d'armes, que les rois deFrance, d'Angleterreetde Navarre avoientsoudoyésjusqu'alors, se trouvant licenciés,n'avoient pas tardé à se réunir et à s'or-ganiser en compagnies libres, sous descapitaines de leur choix; depuis quatreans, ils ravageoient la France avec unecruauté dont la guerre même n'avoit pointfourni d'exemple. On les nommoit les tard'venus, pour les distinguer des premièresbandes qui s'étoient formées pendant lestrêves. Accoutumés au pillage, aux mas-sacres, ne reconnoissantplus de maîtres,n'étant plus soumis à aucune discipline,

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LE NOVICE. 3

ces hommes de sang parcouraientles pro-vinces, portant en tout lieu l'épouvanteetla désolation. Ils s'étoient emparés de plu-sieurs châteaux-forts, dont ils avoientfaitdes places d'armes ; ils entroient mêmetdans les villes qui offraient peu de défense,

et n'abandonnoient leurs conquêtes qu'au'prix de fortes rançons.

Le nombre de ces troupes s'élevabien-tôt à quarante mille. En vain essaya-t-on.d'abord de leur résister; en vain, sur laprière du roi Jean, qui régnoit encore rJacques de Bourbon se mit-il à la tête d'unevaleureuse noblesse et marcha-t-il conlreeux : seize mille tard-venus l'attendirentà Brigais

,dans le Lyonnais, où ils le dé-

firent complètement. La plupart des sei-gneurs furentpris ou blessés, et parmicesderniers, on comploit Jacques de Bourbonlui-même et son fils, qui tons deux mou-rurent de leurs blessures peu de tempsaprès.

Une pareille victoire mit le comble a

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4 LE NOVICE.

l'audace des tard-venus, et bientôt on dés-espérad'opposer aucun frein auxviolencesde toute espèce qu'ils exerçoient, d'autantplus, qu'à la honte de ce temps, une mul-titude de chevaliers français, anglais, fla-mands et gascons, qui tous avoient serviavec honneur sous la bannière de Franceou d'Angleterre, des gentilhommes, etmême des seigneurs de la première dis-tinction

, ne rougirent pas de devenirles capitaines ou les simples com-pagnons de ces assassins. On vit alorsHughdeCalverley, Robert Scott, Mathieude Gournai, le baron de Lermes, ie sei-gneurdePresle,Jean d'Evreuxet une fouled'autres, se servir de la même épéequ'ils avoienttiréeavec gloire auxbataillesde Poitiers, de Cocherel et d'Auray, pourconduire au pillage des compagnies debrigands.

L'effroi qu'ils inspiraient devint tel que,dansbeaucoup de cantons, on renonça àlacultureinfructueusedes terres. Lespay-

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LE NOVICE. S

sans, les propriétaires de fiefs, frappés dela même épouvante, couraient se réfugierdans les villes fortifiées,. Les champs sté-riles restoient déserts lorsqu'il n'y cam-poit point des hommes d'armes; toutescommunications de provinces à provinces,de cités à cités, étoient interrompues; leschemins se couvraient d'herbes et de ron-ces; les châteaux abandonnés, les chau-mières ouvertes annonçoientla désolation,générale, et l'on cherchoit en vain unepopulation dans les plus belles campagnesde la France.

Au milieu de ces terres dévastées etprivées d'habitans ,ton voyoit parfois s'é-lever la fumée des toits de quelques mo-nastères que les religieux n'avoient pasété contraints d'abandonner. Soit qu'ilsfussent construits de manière à présenterune bonne défense, soit que de fortessommes d'argent les eussent rachetés dupillage, vin petit nombre de ces pieuxasiles, semblables à l'arche de salut, qui

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6 LE NOVICE.

jadis renfermoit les derniers humains tparaissoient encore être habités.

Un d'eux, bâti sur la lisière des boi&

de Givri, à une petite lieue de Châlons-sur-Saône, offroit des garanties certaines,sinon contre un long siège, au moinscontre un de ces coups demain qui ren-voient les pillards si redoutables.Entouréde fortes murailles et de fossés toujourspleins d'eau, on n'y pouvoit entrer quepar un petit pont-ievis, que les religieuxavoient soin de ne jamais tenir baissé.Lorsqu'une cloche, suspendue à un po-teau de l'autre côté du fossé

,annonçoit

une visite quelconque, on pouvoit, dedeux tourelles dont la porte étoit flan-quée, reconnoître ceux qui se présen-toient. Ces tourelles servoient autrefois àloger un frère portier et quelques jeunesfrères; mais, attendu les circonstances,elles étoient habitées alors par tous les

sergens d'armes de l'abbaye, jeunes gensbraves et vigoureux, qui ne pouvant plus

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LE NOVICE. 7

remplir leurs fonctions ordinaires, les-quelles consistoient à garder les bois, les

prés, les garennes, la justice de l'eau, etc.,avoient été appelés à l'unique soinde garder les murs du monastère , et lefrère portier avoit été remplacé par unfrère convers.

Cette abbaye,

nommée SaintPaul-ès-Bois

,appartenoit aux bénédictins. Sa

fondation avoit précédé de plusieurs siè-cles celle de l'abbaye de Cluny ; car elledatoit des premiers temps de l'ordre. Non-seulement les comtes de Châlons, et, parla suite, les ducs de Bourgogne, devenus

possesseurs du Cliâlonais, s'étoient plu àl'enrichir de leurs dons

,mais quelques

seigneurs bourguignons, en partant pourla Palestine

,avoient légué ou engagé tous

leurs biens à ce monastère, qui étoit de-

venu ainsi un des plus opulents de lachrétienté. Plusieurs fiefs relevoient delui; ses revenus étoient immenses, et lesrichesses'de son église éblouissoient les

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8 LE NOVICE.

fidèles, aux jours de cérémonies reli-gieuses.

Jamais la paix de ses murs n'avoit ététroublée, jusqu'au temps où les grandescompagnies étoient venues ravager laBourgogne, et principalement les en-virons de Châlons-sur-Saône. L'abbayede Saint-Paul avoit alors couru les plusgrands dangers ; elle ne dut son salutqu'à la présence d'esprit et à la fermetéd'âme de l'abbé, qui sut forcer les pil-lards à se contenter d'un don de quatremille livres; il obtint même de celui quiles commandoit une sauvegarde pourl'avenir; elle consistoit en une petite ban-nière que ce chef avoit planté lui-même

sur une des tourelles, et que tous ses

gens avoient ordre de respecter s'ils re-venoient dans le canton.

Depuis près d'une année les tard-venus,occupés à piller la Champagne, le Bar-rois, la Lorraine et l'Alsace, n'ayoientpoint reparu dans le Châlonnais, et de

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LE NOVICE. gmême que le lièvre timide est rassuré

par le silence qui suit le départ du chas-

seur, quelques pauvres paysans s'étoientdéjà enhardis à rentrer dans leurs habi-tations dévastées, s'efforçant de réparerleurs pertes par un travail redoublé. Déjà

on retrouvoit çà et là de petites partiesde terres ensemencées, quelques vignes,première richesse du pays, taillées etbien entretenues, quelques bestiaux,soustraits avec grand peine à la rapacitédes pillards, et chaque jour ramenoitdans les champs un petit nombre de cul-tivateurs, pressés de se soustraire à lamisère qu'ils avoient endurée dans lesvilles. Mais ce moment de calme ne.de.-voit pas être de longue durée.

Par une des nuits les plus froides dumois de janvier i365, et comme la neigetomboit à gros flocons, on entendit son-ner avec force la cloche extérieure dumonastère de Saint-Paul, dont tous leshabitans dormoient paisiblement depuis

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IX) LE NOVICE.

plusieurs heures. Quelques sergens, ré-veillésen sursaut, passoient à la hâte leursyêtemens, lorsque le frère portier, qui,suivant la règle, ne quittoit jamais sarobe, entra dans leur salle en criant d'unâir effaré:—Onsonne! on sonne! n'enten-dez-vous pas sonner?

—Par Saint-Yves ! répondit un sergent,il faudroit être sourd pour ne pas en-tendre un pareil carillon.

-— Dieu nous soit en aide ! reprît lefrère, plus pâle que la mort: qui peutsonner ainsi au milieLi de la nuit ?

— Quelque voyageur, sans doute, ditle sergent en mettant son chaperon etprenant ses armes.

—: Un voyageur, répliqua le religieux;

.vous savez bien, qu'on n'en voit plus de-puis long-temps, et George, que sa ré-vérence a envoyé à la ville ; doit y resterjusqu'àdemain matin.

— Il faut voir, dit celui qui avoit déjàparlé ; prenez'de la lumière,vous autres,

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LE NOVICE. IIet suivez-moi, continua-t-il en s'adres-

sant à ses camarades.

— Je ne vois pas qu'il soit nécessairede montrer de la lumière, Hubert, re-prit le frère portier; il me semble qu'ilvaudrait bien mieux aller d'abord à lapetite fenêtre qui donne sur les fossés,reconnoître ceux

—Bah! bah! mon frère, ils ne sontpas dix mille. Et prenant lui-mêmeunetorche que l'on venoit d'allumer, Hubertdescendit l'escalier, suivi de tout le monde;carie frère Nicolas, sans parler du devoir,

que lui imposoit ses fonctions de portier,éprouvoit dans ce moment une extrêmerépugnance à rester seul.

A peine la personne qui étoit dehorsapperçut-elle la lumière à travers les vi-

treaux peints, qu'elle appela d'un ton quitémoignoit beaucoup d'impatience.—Est-

ce toi, George? cria Hubert en'ouvrantla fenêtre de l'escalier. — Certainementc'est moi, que vous laissez transir depuis

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11 LE NOVICE.

une heure : pourquoi diable n'ouvrez

vous pas?

— Es tu seul? se hasarda à crier le re-ligieux. — Par Saint-Benoît ! frère Ni-colas, qui voulez-vous qui soit avec moi

par un temps pareil? Baissez donc le ponttout de suite, je suis mort de froid.

On s'empressa d'aller ouvrir; maisavant que le frère eût donné les clefs, en.murmurant que le retour de George à

une telle heure ne présageoitrien de bon,.avant qu'on eût dégagé la grande porteétablie entre les deux tourelles, d'unelarge barre de fer, ouvert deux verroux,et enfin levé la herse et baissé le pont-levis, le pauvre garçon eut tout le loisirde maudire les précautions que le mal-heur des temps avoit rendues néces-saires.

Celui dont l'arrivée troubloit la paixdes habitans de l'abbave de Saint-Paulpouvoit avoir à peu près vingt-cinq ans ;

mais, à la vigueur de ses membres, à l'é-

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LE NOVICE. l3

nergie de son regard, on l'aurait pris pourun homme de trente. Il étoit lui-même1

un des sergens d'armes du monastère où

on l'appeloit habituellement le chasseur,

vu qu'à peine âgé de quinze ans, sonextrême adresse à se servir de l'arc l'avoitfait employer par les révérends pères ausoin de dépeupler les vastes terres de l'ab-baye du gibier destiné à la table deshôtes.Fils d'un serf affranchi, qui avoit étélong-temps soldat, il étoit né libre; mais

son père en mourant ne lui ayant laisséqu'un sabre et une arbalète, qu'il manioitdéjà mieux qu'aucun homme d'armes:dès l'âge de douze ans, il avoit été re-cueilli par les religieux de Saint-Paul,qui depuis lors voyoient en lui un enfantde la maison. Brave comme son sabre, nemanquant point d'intelligence, c'étoittoujours à lui que l'abbé

,dans ces temps

difficile, confioit les missions qui présen-toien t quelques dangers, ou qui nécessi-toient de l'habileté. Il sortoit donc fré-

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I'4 LE NOVICE.

quemment de l'abbaye.; aussi étoit-ilconnu de tous les habitans des environs

comme de tous ceux de la ville de Châ-lons. Sa gaîté, sa franchise, sa bonhomiel'avoit fait aimer généralement; à troislieues à la ronde, l'arrivée du chasseurréjouissoit les filles et les garçons ; ildansoit avec les unes, il buvoit avec lesautres, et quoique toujours prêt à sebattre pour quiconque implorait son se-cours ,

il ne cherchoit jamais querelle.Quoique tout en lui fût en opposition

avec la vie qu'il lui falloit mener dans lemonastère, il étoit loin dé songer à quit-ter cette demeure, par un motif qu'onapprendra plus tard; motif assez puissantpour qu'il s'abstînt de boire, de jurer,en un mot de se livrer à aucune de seshabitudes du dehors dès qu'il rentroitdans l'enceinte de l'abbaye.

Par suite de la réserve qu'il s'imposoità cet égard, il est permis de penser qu'ilmodéra de beaucoup l'énergie des pa-

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LE.NOVICE. I 5

rôles dont il s'étoit servi pendant sa lon-

gue attente, lorsqu'enfin on eut baisséle pont-levis.

Par Notre-Dame! dit-il en entrantdans la cour, j'ai cru que vous me lais-seriez passer la nuit de l'autre côté desfossés: qu'aviez-vous besoin de descendretous et de vous armer comme pour sou-tenir un siège ? car les sergens qui habi-toient la seconde tourelle^ avertis par lacloche, se trouvoient aussi alors autourde lui, munis de leurs grands couteauxet de leurs dagues.

— Que parlez-vous de siège, mon en-

fant? demanda le frère Nicolas, occupé àrattacher son trousseau de clefs

, queparlez-vous de siège? Est-ce que vous ap-porteriez quelques tristes nouvelles?

— Il faut que je parle sur-le-champ àdom abbé, repi'it le chasseur sans ré-pondre à cette question.

A sa révérence ! s'écria le frère.

— Sans doute; croyez-vous qu'autre-

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l6 LE NOVICE.

ment je me serois mis en route par letemps qu'il fait, tandis que j'aurais purester à Châlons dans un bon lit.

— De quoi s'agit-il donc ? demanda lefrère avec un tremblement qu'à la vé-rité le froid pouvoit causer.

—Allons, allons, conduisez-moi, frère

Nicolas, répondit simplement le chas-

seur.— Mais tout le monde dort maintenant

dans le monastère. Il se passera bien deuxheures d'ici à matines : qui oseroit avantéveiller sa révérence?

— Il faut pourtant qu'on l'éveille, re-

prit George; et puis, mon frère, je vousdirai que la place n'est guère tenable ici

pour un long colloque.

— Sans doute, sans doute,

dit un des

sergens , nous voilà tout couverts de

neige, et le froid pique en diable. Viens,George, monte avec nous; le feu brû-ioit encore dans la grande salle et tu vaste sécher.

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LE NOVICE. 17

Non ,répondit le chasseur, je vous

dis qu'il faut que je parle tout de suite àl'abbé.

— Eh bien ! reprit le frère Nicolas ,voici tout ce que je puis faire. Le pèredom Ambroise n'est peut-être pas encorecouché, car il passe souvent une partiede la nuit à griffonner ses parchemins ;sivous voulez nous irons le consulter sur.

ce que....

—C'est cela! c'est cela! allons vite, dit

le chasseur, et vous autres, ayez soin defaire un bon feu là-haut.

Tous les sergens rentrèrent dans latour , et le frère Nicolas, ayant pris unelanterne, s'avança suivi de George versune des portes collatérales du monastère..Elle donnoit sur un escalier en haut du-quel on trouvoit quatre grandes sallesqu'il fallait traverser pour arriver au..cloître. Ce chemin étoit beaucoup plus,court que tout autre; cependant le frèreNicolas ne l'aurait pas pris s'il eût été.,

1*

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iï8 LE NOVICE.

seul, car une de ces salles étoit tapisséede casques, de Jacques, de brassarts, etc.,qui présentoient à l'oeil une file de che-valiers armés en guerre et rangés contreles murailles; mais la société de son braveet joyeux compagnon lui parut une ga-rantie suffisante contre l'effroi qu'il éprou-voit toujours dans ce lieu, alors surtoutqu'une terreur bien plus vive et bien plusfondée le rendoit beaucoup moins acces-sible aux terreurs imaginaires.

— Au nom de saint Benoît, de saintChrysostome et de tous les saints ! monfils

,dit-il en s'arrêtant dès qu'ils furent

dans la première salle,

dites-moi, quel

nouveau danger menace notre monas-tère?

— Ne vous effrayez pas ainsi,

frèreINicolas, répondit George ; le monastères'est sauvé jusqu'ici, il se sauvera bien

encore cette fois.

— Est-ce que l'on parlerait à Châlonsdu retour des tard-venus? En faisant

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LE NOVICE. ÏQ

eette question d'une voix tremblante, le

pauvre frère porta la lumière de sa lan-terne sur la figure de son compagnon etcrut voir un signe affirmatif.

— Dieu nous ait en pitié! s'écria-t-il;et la lanterne alloit échapper de sa mainsi le chasseur ne l'eût saisie.

— Qu'avez-vous donc? qu'avez-vousdonc, mon frère?

— Quoi! ne me dites-vous pas que cesenragés reviennent ?

:— Moi ! je n'ai pas parlé.

— Mais vous avez remué la tête.

— Et d'ailleurs, quandils reviendraient,quel mal voulez-vous qu'ils vous fassent ?

—Quel mal! Dieu tout-puissant! lepillage! le massacré!

— Oh ! nous n'en sommes pas là,

ré-pondit le chasseur, et lors-même qu'ilsauroient la volonté d'entrer chez nous ,je leur conseillerais d'y régarder à deuxfois ; car, grâce à Dieu ! nous avons unbrave abbé, de bons murs, et des armes.

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20 LE NOVICE.

George achevoit ces mots en entrantprécisément dans là salle où se trouvoitl'attirail de guerre.

— Des armes! répéta le frère Nicolas,

qui, jetant un regard timide autour delui, passoit machinalement son bras souscelui de son compagnon ,

des armes ! etpoint d'hommes pour s'en servir. Toutcela étoit bon jadis, mon enfant, lorsqueles religieux, sans respect pour leur sainteprofession, faisoient couler le sang hu-main ; mais maintenant;, et grâces ensoient rendues à Dieu ! il est bien rarede voir une cuirasse sur un froc. Tous

nos révérends pères y seraient aussi no-vices que moi.

— N'ont-ils pas leurs vassaux?

— Sans doute, sans doute; dans des

temps ordinaires,

j'ai vu l'abbaye deSaint-Paul mettre sur pied une compa-gnie de cent lances. Mais aujourd'hui,qu'on a déserté les châteaux et les chau-mières

, que chacun a fui de tous côtés,

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LE NOVICE. 21;

comment rassembler les vassaux du. mo-nastère ?

.

Ils arrivoient alors dans la bibliothè-

que. Le frère Nicolas s'arrêta, et quittantle bras de George, il baissa la voix pourpoursuivre en ces termes : — A Dieu neplaise, mon fils, que je me permette deblâmer ou les actions ou les discours durévérend père abbé; mais, pour répondreà ce que vous disiez d'abord, la bravoureest une vertu, si vous voulez l'appelerainsi, qui ne convient pas au chef d'unemaison, faite pour donner l'exemple del'humilité et de la résignation. Je ne suispas le seul ici qui le pense, ajouta-t-il

en clignant les yeux d'un air fin.

— Et qui sont les autres lâches quiparlent ainsi? répondit le chasseur, seremettant en marche; voulez-vous pous-ser la résignation jusqu'à livrer le mo-nastère et les richesses qu'il renferme àdes bandits?

Dieu nous préserve d'un pareil mal-

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22 LE NOVICE.

heur! mon enfant; jesàis cependant quebeaucoup de nos religieux le préféreraità une résistance qui pourroit amener desmalheurs plus grands. On sait que cesbrigands n'ont pas craint de massacrerplusieurs serviteurs de Dieu.

— Soyez tranquille, soyez tranquille,mon frère, je vous réponds de votre vie,moi.

— Amen ! dit le pauvre frère en se si-gnant, c'est le seul bien que j'aie jamaispossédé, et le désir de le conserver n'apas peu contribué à me faire embrasserla vie religieuse,

— Bonne vocation! dit le chasseur enriant, dont le ciel doit vous savoir beau-coup de gré !

—'Hélas ! continua le frère, sur qui cereproche glissa complètement, hélas! à

cette époque, mon fils, la vie d'un pau-vre frère eonvers étoit à l'abri de tousdangers. On n'entendoit point parler degrandes compagnies ,

de tard-venus-?

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LE NOVICE. 23

toute cette maudite engeance de Satann'existoit pas. Bien loin de dépouiller lesmonastères, c'étoit à qui dans ma jeu-nesse les enrichiroit, et quand, il y aurademain quarante-neuf ans, j'ai pris notre;saint habit, cet habit étoit respecté detous. Heureux temps! heureux temps!Mais voici la porte du père Ambroise ;vous pouvez tout lui dire, mon enfant,notre abbé n'a rien de caché pour lui.

— Je le sais, dit George ; et le frèreNicolas, ayant frappédoucement à laportede la cellule, reçut aussitôt la permissiond'entrer.

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CHAPITRE IL

Daas l'âge où le cceur porte un souffle magnanime,Où l'homme à l'avenir jetle un défi sulilime,El montre à sa menace un sourire liardi.

VICTOR IIUGO.

DOM Àmbroise étoit assis près d'unetable couverte de manuscrits et de par-chemins,etsurlaquellebrûloitune lampe,ilont la lumière pâle éclairoit à peine le

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LE NOVICE. a5

fond de la salle, quiétoit longue et étroite.Dépourvue de tout ornement, cette salle

n'étoitmeublée que d'un crucifix de bois,de quatre escabelles et d'une couchegrossière, revêtue d'une paillasse et d'une

couverture de laine.Près du révérend père étoit assis un

jeune homme, qui paraissoit occupé àécrire sous sa dictée : ce jeune hommen'avoitpas vingt ans; il portoit l'habitde novice, et son chaperon, renversé

sur ses épaules, laissoit voir une des pluscharmantes figures qu'on puisse imaginer,tant il y régnoit de noblesse, de vivacité

et d'intelligence. Il leva ses grands yeuxnoirs sur George et lui sourit d'un air

.amical ; le chasseur répondit à ce sourirepar un clignotement d'yeux qui lui étoitparticulier, et qui toujours étoit chez luile signe d'une extrême satisfaction. Mais,

tquoiqu'un salut de ce genre annonçât une

: intimité familière et réciproque,

je nesais quoi d'élevé, répandu sur toute la

i. 2

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G;a6• LE 1NOVWE.

':jjersô'ririeVlu jeune novice, indiquoit'dès"iëpr'erhier coup 'd'oeil que le sort avoit

''mis Ùrie;'grande' distance eritre le rang'que les deux airïiis auraient occupé dans:le monde.'Quant air père doiii Ambroisie,

un peintre eût choisises traits pour re-" 'présenter 'la Sérénité. ;Son regard -était

doux-'et'Spirituel à la fois; son visage•'avbit'qué'l'que 'chosede

'si'noble qu'il im-

' pi'imoit'le respect,

quoiqu'il exprimâttoujours l'a 'bienveillance ; et îoiUannon-

''c'oit'e'uiui un homme simérieur aux'au-

» 1•'tfes:,;"eh-'^âVdir'comme eirbofrté.'—'Qu'est-ce, mon frère ? tlit-il à Nico-

' 'là'Sj'cBhlfné'nt 'tout le nionde n'est-il 'p*as

cdùelié?1 '—- 'Sa révévbh'cc n'a donc p'as 'entendu

; ''là c'roclïe'? répondit le'frèi'e." —'Non; rtidisp'àr quèPlfasard George

: 'est-il reV'ernï'ce soir?'! '--:uL''é'chevfnAi.rdonin,''m'on révérend

pèrejclkéz'qufdom Abbé'iu'avoitenvoyé,

:":. a^jiî^éqVi'il'étditp'ress-à'n^dë nie;J&ire''re«

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L-Er ! NOVICE; a7•^ir^r>poùr ;lé monastère. siGeosrge.s'arj-

rêta après ce peu de mots. •.'

;>.^Laissez-nous,'monfrère'^ditdomA.ni-

ibroiseiaufrère-Nicolas.'; allez'prendre du.

repos. Et le portier étant sorti. —Parlez^"•'dît-il d'un 'air; inquiet..! i_;>je>'SUis chargé; reprit George, d'a-

vertir vos révérences que les tard-vendssont rentrés en Bourgogne, et que leur

" avant-fearde est déjà dans les environs de"Verdun. \

-—De Verdun ! répéta ,dom Ambroise.On fût pu voir alprs une légère pâleur serépandre, sur les joues du bénédictin jmais la figure du jeune novice, ne .subitpas la.moindre altération.

— Et dit-on qu'ils soient en grand nom-bre? continua dom Ambroise se remet-tant .aussitôt.

r—On, l'ignore?.

mon révérend père,mais cette première colonne, qui étoit«amnée avant-hier ,sur les bords de la

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s8 us NOVICE.

Saône, est à peu près de ûeepc. iniîfehommes.

•. -...,.Dom Ambroise; se leva-, fit quelques

pas en réfléchissant, puis, revenant veiss-le chasseur :

.

!

. • r

— Cette nouvelle est-elle: déjà; sue de

.quelqu'un dans le monastère, mon fils?demanda-t-il.

— Non, mon révérend père. J'ai cru nedevoir parler d'abord qu'à un supérieur.

— Vous avez fort bien fait. Il est inu-tile de répandre la terreur, d'avance.Quoiqu'à la vérité; âjoufa-t-il en regar-dant le novice, s'ils étoient avant-hier àquatre lieues d'ici nous ne devons pastrder à les voir.

Le novice, que cette nouvelle avoit

paru intéresser vivement, sans pourtantlui causer aucun trouble, répondit enconseillant à dom Ambroise de réveillerl'abbé et de l'instruire aussitôt de Févé-

nement.

— C'est ce que je vais faire, Robert,

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ÏÊ "NOVICE. 20,

répondît lé rè?\gieux*; il aura dit moinsquelques heures poui\Bé consulter. Hes^

lez près de mon neveu George. Atten-dez mon retour; il se peut que notrepère désire vous interroger lui-même,ajouta-t-il en s'adressant au chasseur,et il sortit.

A peine dom Ambroise fut-il dehors"que George s'assît près du jeune novice.

•— Voici, dit-il, qui va mettre l'abbayesens dessus dessous.

^—D'autant plus, répondit le novice,quel'on ifa plus aucun moyen de se pro-curer une somme assez forte pour ache-ter de nouveau la paix.

—-'Et que d'ailleurs,

reprit George enriant, nous avons affaire à des gaillardsqui aiment toujours mieux emporter lemouton que de s'amuser à le tondre, etquivoudront en finir une bonne fois avecla riche abbaye de Saint-Paul.

-^- Tu crois donc qu'ils nous attaque-ront? dît le novice.

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3o LE;..:NQ,\JCE.,;

— Je .le crois, répondit le, cliasseur.qui s'ocçupoit tranquillement à roulerdans ses doigts.les feuilles d'un manuscrit,de Tite Live.

—Eh bien ! George, entre nous,,j,eprit

le novice d'un air plutôt gai que.chagrin.,^je ne suis pas fâché d'être témoin de.tout

ce qui va se passer.,

-yp, J'en dirais autant q.ue vous, répon-dit George, siles gens qui pensent coinmë

nous ëtoieht ici en plus grand nombre ;mais les révérendspères sont plus propresà feuilleter des livres qu'à manier le fer.

-—Il est vrai, interrompit Robert, en'retirant le manuscrit des,mains du pro-fane, et tout fâché que je suis que tun'aies jamais voulu apprendre à lire, toutfâché que j'en suis, George, répéta-triï

en voyant le, chasseur secpuer la tête?

j'avoue que dans, la circonstance présente,les objets qui garnissent la.salle d'armes,

nous seront plus .utiles que tout ce querenferme la bibliothèque; car je ne .puis

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penser que la. terreur aille.içi au poinj defaire ouvrir les. portes à ces bancfits surleur première sommation!. ,., ]

— Non pas sur la première peut-être',répondit le ch.asseui; d'un tppjrès-peu

:affirmât if. ', ,. ...>.-..

-rrNi sur la seconde, j'espère, répliqua ','

le. novice en se levant vivement; unetelle.lâcheté..ne-sçrpitpas.ex.çus'abletantque nos murs seront.debout*.Qn,.sa,dé-

,fendra, George;, on se défendra. Grâçe^

-,

à tes leçons, je puis; me, servir de l'arc etde l'épée; je n'ai pas encore prononcé

,

mes voeux: il me sera permis de me join-dre à vous autres jeunes gens, pour re-pousser lés misérables loin, bien loin de'nos murailles'. Une fois dans ma vie, 'dû

' moins, je ferai le métier de mes !

pères, et '5—Ta! ta! t'a! dit George en riant: vous '"'

croyez que leur's révérences vont'sèdé- !

cider à soutenir un siège?,-~-Et.pourquoi.pasjV

;

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02 LE NOVICE.

—Ah! pourquoipas? demandez-le à cespauvres bonnes gens que j'ai rencontrésdepuis Châlons jusqu'ici, emportant leursoutils, emmenant leurs vaches et croyantvoir un tard-venu dans chaque arbrequ'ils rencontraient sur la route ; deman-dez-le à maître Audoin l'échevin, que j'aivu ce soir pâle comme la mort, quoiqu'ilsoit plus bourgeonné que le père sacris-tain ; demandez-le à tous les habitans deChâlons, qui se barricadoient déjà dansleurs maisons en tremblant de tous leursmembres

— Oui, oui, interrompit le novice>

avec un accent de rage, les horreurs queces scélérats ont commises leur ontprêté de nouvelles forces. La peur, la

peur assure leur impunité; car il ne fau-drait que du courage pour les vaincre.Notre duc ne les a-t-il pas chassés l'annéedernière?

— Et si bien frottés,

dit George,

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LE NOVICE. 33

qu'ils n'oseroient pas revenir aujourd'huis'ils ne le savoient point en France.

—Dit-on que ce soientles mêmes com-pagnies qui reviennent?

— Il faut l'espérer, répondit le chas-

seur; autrement le chiffon bleu qui a coûtéquatre bonnes mille livres à l'abbaye nese-roit plus bon qu'à mettre au feu ; et cequim'inquiète un peu à cet égard-là, c'estque je viens d'apprendre queplusieurs deschefs qu'on a reconnus ont été les com-pagnons d'armes du sire d'Ingelcour.

— Comment! démon père! Est-ce quetu es passé au château? est-ce que tu asvu mon père?

— Oui; il m'a même chargé de vous direqu'il ne bougerait pas de son manoir, quelaplupartde ceux qui s'approchentavoientété ses amis, et que d'ailleurs il est las de

se sauver à Châlons, sur la premièrealarme, comme il l'a déjà fait deuxfôis.

— Fasse le ciel qu'il ne lui en arrivepas malheur ! dit le novice.

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34; Ï-E. KiOWGE.. ;

"—-Je. conçois qu'à son âge., toutcôuvert•

de blessures, on n'aime pas à courir les;

champs-,;, .et pujs sa cave, contimia le .chas-

seur en riant, sa cave qu'il ifaudrpitriais-,

ser : ilrn'a ditj.qu'il vouloitauraoins;par-tager, ses barriques avec ceux qui vien-draient les boire.

,

.T=—-Il se, peut, après tout,, qu'ils ne lui-

fassent aucun mal, dit, Robert : .Ie; .crime

a ses .caprices..

.

.—rD'ailleurs, reprit George, tous ces 1

gens-là ne sont pas des scélérats : on citebeaucoup de noms connus: Hugh Cal-verley,le sire Jeand?Evreux, qui servoientdans l'armée d'Edouard,plusieurs cheva-;

liers; français, flamands,....

-r- Des chevaliers ! non, George,

Us nesont plus chevaliers, ceux que leur noble

-

institutionoblige àseçourir le. faible,..et.-

que nous, vqyons, au .contraire,;piller,

massacrer de; sang '-. froid de pauvres

,

bourgeois, de pauvres;,paysans sans dé-fense. DesFrançais,dis-tu! étais ravagent:

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LE. NOVICE;.:

35

la-France.avec autant de,b,a;barie qu'ils,

qnt ravagé,la-Botirgpgne.!Leur pays allaitrespirer.sans,eux,, ils comblent sa ruine;.Ils abusent de l'état ipisérable.pùla guerrel'a réduit pour porter le feu ..et laflammedans.les,châteaux qui ne renferment plusd'hommes d'armes, dansées,villes donf.les milices ont péri sous le glaive anglais j,et ce spntleurs compatriotes qu'ils traitentainsi! leurs compatriotes.! Gepi'ge,,t.non,.]"e ne puis p.enser aux- tard-venus sansque tout mon sang ne bouillonne dans,

mes veines„ sans que l'horreur qu'ils

m'inspirent, n'aille jusqu'à la frénésie: et

la voix^du,jeune novice,, qnLs'étpi.t élevée

P§u à.peu;, avoit pris alors un.accentter-rible.

— C'est que- vous n'ayez, jamais véquavec des hpmmes de guerre ,

dit Georgedjun tpn;,beaucoupp,lus calmp,

.

— Tous les hpmmes de .guerre ne; spntpasdes bandits.

. : .. .

— Hum J reprit;le cljasse.ur,.popr le,

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3ê UE' NOVICE.

peu qu'il s'en manque ce n'est pas la

peine de disputer. Mon père m'en àbeaucoup conté, voyez-vous; le bravehomme s'étbit permis bien des petitespeccadilles, pour lesquelles il avoit grandbesoin d'une large absolution: il l'areçue, tout est dit : Dieu veuille avoir sonâme!

— Tu m'as pourtant dit souvent queton père n'étoit pas méchant ?

—Lui! le meilleur des chrétiens; à

moins cependant qu'il n'eût quelquesgouttes de vin de trop dans la tête, auquel

cas, les coups tomboient souvent surmes épaules dru comme grêle ; mais unefois qu'il avoit dormi par là-dessus, iln'étoit plus question de rien.

Le novice sourit d'un air distrait, caralors il paroissoit occupé de quelque idéepénible ; pendant plusieurs minutes ilresta en silence, les bras croisés sur sapoitrine

, et réfléchissant tristement. En-fin

,s'étant rassis près du chasseur :

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,1E NOVICE. 37

—Te souviens-tu, George, dit-il

»des

.récits que nous faisoient les malheureux

.qui s'étoient réfugiés dans l'abbaye, lorsde la dernière invasion des tard-venus ?

—- Par saint Benoît ! ils ne m'appre-noient rien à moi, qui voyois toutes ceschoses-là de mes propres yeux.

—Soit! mais l'impression que j'en re-

cevois étoit si vive, que j'enviois le sort de

tous ceux qui pouvoient sortir du monas-tère, qui pouvoient protéger quelquefemme, quelque vieillard contre un de

-ces misérables, ainsi que tu l'as souvent•fait toi-même. Tandis que moi, George,le voeu de mon père m'enferme à jamaisdans ces murs; je ne pourrais voler au

' secours d'un infortuné, s'il m'appeloit del'autre côté des fossés, et je. me deman-

• dois alors pourquoi, même avant manaissance,Dieu m'avoit privé sans retourde la liberté, de ce bien dont jouissent unsi grand nombre d'hommes.

I

— Parle ciel! dit le chasseur en s'ef-

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'38 LE «OVICE.

'forçant de -rire pour cacherole/ehagrin"'que lui faisôient ces paralesi, vpns aviez: là'de-belles 'pensées !'Le /monde., d?apnès

ce que j'en ai vu jusqii'iciy est peupléd'une belle engeance pour:'qu'on le re-grette! >Ets'il vousjfalloitquitter Ce beaumonastère-,

1•

ou sdu moins, instruit«omnîe vpus ï^ètes, vous trouvez' à quiparler, s'il vous falloit quitter lé,pèreAimbroise, vos livres.;...

,-—>pt toi, 'Geprge,'ettoi, id.it le no-

vicé'eh serrant affectueusement la;maindu Chasseur; aussi je te 'dirai que cesregrets tferioient sans douté'aux circon-stances : ils sésont' presque entièrementdisssipés aprèsde départ des tard-venus.

-2.'Nulle 'part, nulle part on n'est aussibèureux,' reprit George qui ne croyait

>jamais pouvoirtropappuyer, dansée-sens;la preuve en est que,; si je n?avois pasmesentrées libres dansTâMaayedeSainfrPaâl,demain je in'y présenterais ;pour y faireprofession

, comme 1religieux, icomme

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:%E .'NOVICE. i3g

ifrôreçpnvers, -comme tout ce^qu'onvou--;droit.

.. :; ;-

—- Vraiment ? dit le ^novice avec un^ourire-d'atlendrissement; car il n'igno-roit poiiiliqu'il entrerait pour beaucoupdansccefte-ypcAtiOn.

--• • — Aiissivi'aiqiiesaint Benoît a bâtideMoiit-Cassin ,-repondit George. <••

L'iesprit est^si mobile à dix-neuf arts ,que' le novice partit d'un-grand éclat derire en entendant sortir ce traitd'érudi-tion monastique-dé la bouche du chas-

-;;seiw;.

•>H~-QiLii doue t'a si bien instruit de lavie de saint Benoit? dit-il en riant en-core.' '-- J'entends parler de lui si souvent, ré-pondit George .charmé de voirie nuage-dissipé, -que j'en sais bien d'autres sur«Un compte.

—-Assez peut-êtee,

reprit le novice,diim-tfa gaieté'étoit entièrement revenue,assez pour aider aussi mon'oncle quand

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4o LE NOVICE.

il travaille à son histoire de l'ordre. Badi-

nage à part, George, si tu n'avois pasvoulu rester un ignorant, si tu savoisécrire, nous pourrions un jour être làtous trois, autour de cette table.

— Pourquoi pas ? répliqua le chasseurqui pour le moment regardoit peu à pro-mettre ce qu'il étoit au-dessus de sesforces de tenir ; pourquoi pas? George aappris à Robert à tuer des corbeaux, Ro-bert apprendrait bien à George à seservir de leurs plumes.

— Et de tout mon coeur, quand tu vou-dras

,dit le novice; mais

,à propos de tes

leçons,il faut que je t'apprenneune chosequi va te surprendre. Nous nous sommesdonné bien de la peine, clans le temps,pour cacher à mon oncle et aux autresreligieux nos exercices de la salle d'armeset du grand clos : mon oncle savoit toutdès le premier jour.

— Il n'en a pourtant jamais parlé ni à

vous ni à moi.

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LE NOVICE. 41

Sans doute. Il m'a dit hier : Il falloitle défendre où l'ignorer, Robert, et j'a*

pris le dernier parti.

— Il n'existe pas sous le ciel un plusexcellent homme ! s'écria le chasseur ense levant, et je crois, sur ma foi, queDieu a jeté celui-là clans le moule des

anges.— Opttrnè, optimè

,George

,dit le

novice, en frappant ses deux mains l'unecontre l'autre; mais voyant dom Am-broise ouvrir la porte ; il reprit aussitôtle sérieux convenable.

— Venez avec moi, mon fils,dit le re-

ligieux au chasseur. Le jeune hommeobéit et suivit son guide, non sans avoirjeté sur le novice un dernier regard,pour s'assurerqu'il lelaissoit entièrementcalme et satisfait deson sort.

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CHAPITRE III.

Quel juste qiielqutfoEs ne rougit.de lui-mime ?FONTANES.

QuoiQUE,dès cetteépoque, leluxeetïai-sance se fussent déjà introduits dans plu-sieurs monastères

, on retrouvoit encore,dans le cloître de Saint-Paul-ès-Bois, la

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LE NPVIGE. \.(. 4^i,

simplicité primitive.del'ordrevfondé.'par:•

le grand saint Benoît Les. dons, aussi'riches que nombreux, prodigués

•par- les M'

> ..

souverains et les seigneursà cette abbaye,avoient tous, été consacrés à l'ornement ;-•..des saints autels

, et l'église seule brilloitd'une magnificence d'autant plus remar-quable qu'elle contrastoit entièrement

avec l'humble demeure des religieux-,

sans excepter la demeure>-de l'abbé.Ce ne fut donc pas dans un apparte-

ment somptueux que dom Ambroiseconduisit le jeune sergent, mais dans unecellule aussi simple que la sienne

, etqu'on aurait prise pour celle du moindrereligieux, si la crosse d'or, enrichie depierres précieuses, placée sur une tablede chêne

,n'avoit fait reconnoître aussi-

tôt le modeste asile de dom Joseph d'An^dreval, abbé de Saint-Paul, seigneur desbois de Givri, de cinq bourgs et de dix-huit villages à la ronde.

Dom Joseph étoit âgé de soixante ans,

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44 UE NOVICE.

à peu près; une figurenoble et sévère, unetaille élevée, dont les austérités du cloîtren'avoient pu détruire l'embonpoint, don-"noient à son premier aspect quelquechose d'imposant. Il portoit la tête haute,et la fierté de son regard, sa parole fermeet brève annonçoient en lui le penchantaussi bien que l'habitude de la domina-tion. Né d'une famille riche et illustre,dom Joseph n'avoit point hésité entre lacuirasse et le scapulaire ; car, dans lemonde, il serait resté inférieur à tousceux que le rang ou l'autorité plaçoientau-desssus de lui, tandis que, dans lecloître, il pensoit ne se soumettre qu'àDieu, en se soumettant à la règle. Aussi sa.conduite comme religieux avoit-elle été.exemplaire, jusqu'au jour où le ciel, exau-çant son unique désir, l'avoit élevé à ladignité d'abbé, l'appelant ainsi à régner

en souverain sur toute sa communauté.Dom Joseph appréçioit tellement cettejouissance, qu'il n'eût jamais quitté sa

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LE NOVICE. 45

place pour aller occuper le second degréd'un trône. Il remplissoit tous ses devoirs

avec la plus stricte rigidité, etl'on doit direqu'en cela il suivoit le sentiment d'unepiété sincère autant que celui de son or-gueil. Aussi humble devant Dieu quefier avec les hommes, il n'exigeoit riende ses religieux qu'il ne pratiquât lui-même. Occupé sans cesse et de la manièrela plus sévère, à maintenir la règle, il s'yconformoit toujours le premier avec uneextrême exactitude. Couvert de ses vê-temens pontificaux, où brilloit la magni-ficence, marchoit-il au milieu de ses reli-gieux, tout en lui décéloit le plus arro-gant des mortels; mais, arrivé au pieddes autels, cette tête altière se courboitavant toutes les autres : le regard hautaindu supérieur faisoit place aux regardscontrits du plus modeste cénobite, et lesuperbe s'humilioit avec délices en pré-sence de son Créateur.

Tel est l'homme devant lequel doni

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46 LE NOVICE. ;

Ambroise, conduisit le chasseur, aprèsavoir, traversé avec lui le long corridordu dortoir. Lorsqu'ils, entrèrent:, l'abbémarchoit d'un pas, lent dans sa; cellule etparoissoit livré à de profondes réflexions.Il releva-sa tête

, et reprenant un air se-rein à leur vue, il s'assit dans un fauteuilgrossier,, en indiquant de

,

l'oeil à domAmbroise un des trois escabeaux quicomplétaient l'ameublement.

— De qui tenez vous les nouvelles quevous avez apprises à dom Ambroise,

mon fils? demanda-t-il à George.

— De maître Audouin, mon révérendpère ; lorsque je suis arrivé chez lui pourexécuter les ordres de votre révérence, jel'ai trouvé qui revenoit de la maison

commune où les quatre échevins et lechâtelain du ducs'étoientassemblés. L'ef^frai était grand dans la ville, la clochedu beffroi sonnoit pour faire armer lamilice, et beaucoup d'habitans de la

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LE .NOVICE..,,.

4'/;

plaip-e, apriypient déjà, avec leurs.,effetsquand je suis parti.

—Ils né connoissent pas autre chose,

dit l'abbé'avec hirmeur, là fuite ! toujoursla-fuite. .'

—C'est le seul moyen qui leur ait

réussi jusqu'à ce jour, répondit douce-ment dom Ambroise.

— Ils ont si peu essayé de la résistance,répliqua l'abbé en secouant la tête d'unair méprisant, mais n'importe. Ainsi,continua-t-il en s'adressant de nouveauàGeorge, j'ai tout lieu de croire qu'il meserait déjà impossible de trouver parmiles nombreux vassaux de l'abbaye cin-quante braves gens seulement qui vou-lussent répondre à mon appel et faireleur devoir.

— Cinquante, dit George,

c'est beau-coup, mon réVérend père; mais il s'enprésentera certainement quelques-uns.A leur place, j'àimerpis cent fois mieux

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48 LE NOVICE.

^n'enfermer dans le monastère que dansChâlons.

•—Vous enfermer, fort bien, reprit•dom Joseph avec une expression de dé-dain qui lui étoit particulière ; mais il

se peut qu'il ne s'agisse pas simplementici de s'enfermer et que ces bandits ces-sent de respecter notre sainte demeure.

— C'est bien ce que j'entendois enparlant ainsi, répondit le chasseur d'unton ferme, quoiqu'une légère rougeurvînt de couvrir ses joues, c'est bien ce•quej'entendois, mon révérend père; lesmurailles de Châlons sont en assez mau-vais état (i); elles céderoient au moindrepierrier du côté de la porte deBeaune,tandis qu'avec quarante hommes adroitset résolus, je répondrais de tenir six

(i) La citadelle de Châlons-sur-Saône n'a e'té

bâtie qu'en i563, et ses murs, fortifies par Jules-César, avoient depuis soutenu plusieurs sièges etsouffert de grands dommages.

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LE NOVICE. 49

mois, s'il le falloit, clans l'abbaye deSaint-Paul.

—Vous l'entendez, mon frère, vous

l'entendez, s'écria l'abbé se levant avecvivacité. Voilà un enfant, un simple ser-viteur qui pense que l'on doit, que l'onpeut défendre la maison du seigneurcontre les Philistins.

— Amen ! répondit dom Ambroised'un ton triste et soumis.

L'abbé réfléchit quelques instants :

— Dieu veut peut-être se servir de cethumble mortel pour nous protéger, mur-mura-t-il entre ses dents.

—Mon fils,

dit-il enfin à George, vous êtes orphelin.

—- Oui, mon révérend père.

— Et vous n'oubliez pas que les reli-gieux de ce monastère vous ont tenulieu de parents.

— Si peu, que je çy.is prêt à verserpour eux tout mon sang, s'écria le chas-seur avec feu.

.Dom Joseph jeta sur le jeune homme

1. 3

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5o LE NOVICE.

un regard de bienveillance, puis il re-porta ses yeux sur le père Ambroise, quecette réponse avoit paru toucher.

—Combien êtes-vous de sergens d'ar-

mes] maintemant dans l'abbaye? repritl'abbé.

— Vingt-deux, mon révérend père.

— Vous qui avez souvent parcouru le

pays dans ces derniers temps, croyez-vous que nos villages les plus voisinspuis-sent fournir dès demain une vingtained'hommes en état de porter les armes?

car, ajouta l'abbé en s'adressant à domAmbroise, ce serait en vain que l'onconvoquerait ceux de nos vassaux quenous avons déjà vus abandonner leurs

propres terres et leurs châteaux au pil-lage de ces misérables.

— Ou même se joindre à eux, répon-dit dom Ambroise.

L'abbé leva les yeux au ciel, puis les

reporta sur George, attendant sa réponse.

—- Si votre révérence, dit lé jeune ser-

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LE NOVICE; 5l

gent, fait proclamer le ban, l'effroi va serépandreparmi le peu de laboureurs et devigneronsqui sont revenus dans la plaine,et ils s'enfuiront tous, comme ils l'ontdéjà fait il y a un an; car votre révérencen'a aucun moyen de les contraindre à serendre à l'appel.

—Il est trop vrai, dit l'abbé, d'un air

qui témoignoit assez tout le dépit qu'il enéprouvoit.

— Mais, reprit George, si trois ou qua-tre d'entrenousvont les trouver, nous leurferons sentir que leur intérêt même doitles porter dans cette circonstance à faireleur devoir, et je ne désespère pas d'enamener une trentaine.

— Eh bien, mon fils

,dit l'àbbé, dès

qu'il fera jour occupez-vous de ce soin ;c'est sur vous queje m'en repose, et commevous me paraissez doué d'une sagesse au-dessus de votre âge, c'est à vous que jedonne le comnaasdementdu peu de trou-pesque nous pourrons rassembler. Ren-

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01 LE NOVICE.

dez-vous digne de ma confiance et recevezma bénédiction.

Le jeune sergent s'inclina respectueu-sement, et il alloit sortir, lorsque arrivé àla porte, il revint sur ses pas.

— J'oubliois de rendre compte à votrerévérence, dit-il, de la commission dontelle m'avoit chargé, auprès de maître Au-douin ; il lui sera impossible de venir aumonastère de long-temps

, ses fonctionsd'échcvin

— Fort bien, fort bien,

répondit domJoseph, nous n'avons plus besoin de lui :

le frère cellérier vouloit lui vendre le sur-croît de nos provisions en grains, maismaintenant il est trop heureux que. le toutsoit encore dans nos greniers. Allez, monfils.

George sortit ; mais comme il repassoitdevant la cellule du père Ambroise, il enentr'ouvrit la porte : -—Tout va bien, dit-il

rapidement au novice, on se défendra s'il

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LE NOVICE. 53

le faut; à demain. Et il regagna les tourelles.L'abbé étant resté seul avec dom Am-

broise, le silence régna entr'eux pendantplusieurs minutes;non pas qu'ils n'eussentpeut-êtreune envie réciproque de le rom-pre, mais la nature de dom Joseph étoitloin de le porter à demander l'avis dequelqu'un, soit sur ce qu'il avoit à faire,soit sûr ce qu'il avoit fait ; en sorte quela haute estime que lui inspirait le juge-ment et le caractère de dom Ambroisecombattoit vainement sa répugnance àsoumettre ses actions à l'examen de quique ce fût au monde. Il marchoitdonc enlong et en large dans sa cellule, jetant detemps à autre quelques regards sur le re-ligieux, qui, la tètebaissée et les yeux fixés

sur la terre, paroissoit plongé dans les ré-flexions les plus tristes.

-r-A quoi pensez-vous, mon frère ? ditenfin l'abbé d'un ton impérieux en re-prenant son siège en facededoraAmbroise.

:

•—A.nos malheurs, répondit-il.

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54 LE NOVtCE.

— Il faut espérer qu'ils ne seront pasaussi grands qu'on pourrait le craindre.D'abord, il est fort douteux que ces misé-rables soient assez endurcis pour oser at-taquer le monastère; et s'ils l'osoient, vousvenez d'entendre qu'il nous est possiblede nous défendre.

— Oui, répondit dom Ambroise d'unevoix si basse qu'on l'entendoit à peine, oui,dans le cas où tel serait le désir de nosfrères.

— De vos frères? dit l'abbé sans don-

ner d'autres signes de son mécontente-ment qu'un léger mouvement de ses lè-

vres dont il ne fut pas maître. Pourriez-

vous croire qu'il en fût autrement ?

— Comme je ne doute pas que votrerévérence n'ait l'intention d'assembler lacommunauté

—- Certainement,mon frère,interrom-pit l'abbé, tel est mon projet, puisquela règle est positive à cet égard ; mais jecrois, poursuivit-il avec un sourire amer,

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LE NOVICE. 55

je crois pourtant avoir le droit de pren-dre quelques mesures préalables.

Dom Ambroise baissa la tête respec-tueusement et se tut.

— Le temps presse malheureusement,continua dom Joseph, et comme per-sonne, j'espère

, ne peut douter du zèle,de l'ardeur avec lesquels je veillerai ausalutdu troupeauquele ciel m'a confié

— Personne, personne, mon révérend

père, interrompit vivement dom Am-broise. Ceux même qui pourraient blâ-mer vos mesures rendraient toujoursjustice à la pureté de vos intentions.

— Blâmer mes mesures ! dit l'abbé d'unair surpris ; pourrait-il exister dans nosmurs des religieux assez lâches pourabandonner sans résistance à d'infâmesprofanateurs le saint asile où le Seigneura daigné nous placer, pour ne pas préfé-

rer la mort à cette honte.—.1.1 en existe, répondit simplement

dom Ambroise.

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56 LE NOVICE.

J'aime à croire qu'ils ne sont pasen grand nombre? reprit l'abbé. Mais

quoique ces mots eussent été prononcésd'un ton clairement interrogatif, domAmbroise garda le silence.

' — O ciel ! s'écria dom Joseph en rou-gissant d'indignation, l'abbaye de Saint-Paul! le premier monastère de notreordre que la Bourgogne ait vu s'élever ! leseul peut-être où notre sainte règle se soitmaintenue dans toute sa pureté ! souffrirqu'il devienne l'asile, le repaire d'unebande d'assassins ! Que dis-je le souffrir!il en est peut-être qui le désirent pour sesoustraire ainsi

— Ne le pensez pas, mon révérendpère, se hâta d'interrompre dom ^Am-

broise. J'ai voulu dire seulement que si,pour notre malheur, ces misérables ten-toient de s'emparer de vive force du mo-nastère, un grand nombre de nos frères,effrayés des suites que pourrait avoir unerésistancevraisemblablement inutile, pré-

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LE NOVICE. 5'7

féreroient se mettre à l'abri des dangers

en partant.

.—Pour aller?... demanda l'abbé d'une

voix altérée.

— A Cluny,je suppose ,

répondit lereligieux.

La vue d'un glaive prêt à le percern'auroit pas fait éprouver à dom Joseph

une angoisse plus vive que celle qu'ilparut ressentir en entendant ces mots.La rougeur qui couvrait ses joues fitplace à une pâleur subite ; ses lèvrestremblèrent, et tout son corps frémitd'une sorte de mouvement convulsif.

— A Cluny ! répéta-t-il d'une voixsombre dont l'accent pénétra dom Am-broise.

— Quel autre monastère dé notre ordre.est assez vaste pour nous recevoir tous,mon révérend père ? dit le moine, enfixant des regards d'étonnement sur sonsupérieur.

— A Cluny ! répéta encore l'abbé,

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58 LE NOVICE.

mais d'un ton plus calme. Avant que jesois témoin d'un pareil malheur, frèreAmbroise, je prie Dieu de m'appeler à lui.Oui, s'écria-t-il avec une véhémencequ'il s'efforçoit en vain de contenir ,puissé-je être frappé de mort avant defaire un pas pour conduire mes frères,mes enfans chéris dans des lieux où notresainte règle est violée chaque jour surtous les points. Vous n'ignorez pas plus

que moi, dom Ambroise, l'effroyable re-lâchement qui s'est introduit dans ce mo-nastère, où les usages des cours ont rem-placé les usages du cloître ? Dans cemonastère qui, sans qu'on puisse savoirà quel titre se trouve aujourd'hui notrechef d'ordre, ma plus grande douleur atoujours été de voir notre abbaye sou-mise à ceux qui devraient relever d'elle.N'est-ce pas assez, grand Dieu! que lafoiblesse: d'un de mes prédécesseurs aitcondamné tous les abbés de Saint-Paul àrecevoir leurs instructions des derniers

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LE NOVICE. 5g

venus dans notre ordre? Le ciel sait ceque j'ai souffert, il y a dix ans, lorsqu'ilm'a fallu endurer la visite de l'abbé deGluny, qui, pour exercer ce qu'il appeloit

son inspection pastorale, parcourait ensouverain les différents monastères dela congrégation, étalant dans tous le luxele plus répréhensible. La bonté divine adaigné me prêter ce qu'il me falloit de

courage pour supporter cette mortifica-tion ; mais que j'aille me placer moi-même dans les chaînes qui me sontodieuses! Que j'aille achever mes jours-sous le joug que j'abhorre ! Non, Dieu nel'exige point; il m'ordonne au contraired'employer le pouvoir qu'il a voulu re-mettre en mes mains au maintien deslois qu'il nous a dictées par l'organe de

notre saint fondateur; il m'ordonne de

ne point risquer le salut des âmes dontil m'a rendu responsable, fût-ce pour mesoustraire au fer des assassins.

Cetoit la première fois que l'abbé s'ou-

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60 LE NOVICE.

vroit à quelqu'un sur le sujet qui tonchoitle plus vivement toutes les cordes sensi-bles de son être. Dom Ambroise, quiavoit reconnu depuis long-temps le seulvice qui ternît les hautes vertus de sonsupérieur, sentit tout ce qu'un pareilhomme avoit dû souffrir jusqu'alors si,ne voyant dans la congrégation qu'uneinstitution purement humaine, la penséesecrète quivenoitd'échapper à sabouche,étoit sa pensée habituelle. Mais, sans es-pérer et sans entreprendre de ramenerson abbé à d'autres sentiments, il se con-tenta de répondre en forme de consola-tion

, que depuis la fondation de l'ordreon avoit toujours pu remarquerune sortede suprématie exercée par quelque mo-nastère sur plusieurs autres. A la vérité ,ajouta-t-iî, les droits de cette suprématien'avoient point été réglés avant le neu-vième siècle ; mais, sans parler du tempsoù notre bienheureux père saint Benoîtdir'igeoit toutes les abbayes de....

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LE NOVICE. 6l

— Que dites-vous, mon frère ! inter-

rompit vivement l'abbé; pouvez-vouscomparer la souveraineté qu'exerçoitnotre bienheureux fondateur à cellequ'exerce aujourd'hui l'abbé de Cluny ?

Quelle différence, Dieu tout-puissant! Lesplus saints règlemens partaient du Mont-Cassin

, pour organiser, pourvivifier tousles monastères de l'ordre; maintenant, aucontraire, c'est de la maison où la règleest le plus relâchée que partent les ordres

pour l'abbaye de Saint-Paul, ou, grâceà la bonté divine, l'esprit de saint Be-noît règne encore et régit tout parminous. De quel front osent-ils nous adres-ser des exhortations

, eux ,qui ne pour-

raient vivre un jour dans ce cloître, sansnous trouver trop sévères; eux, qui de-puis long-temps négligent l'oraison, nese soumettent plus aux heures de silence,et que l'on voit....

Dans ce moment la cloche sonna pourles matines. L'abbé rougit, se tut, et se

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<?2 LE NOVICE.

recueillit pendant quelques instants; puisjetant sur dom Ambroise un regard où

se peignoit la plus vive contrition :—L'in-dignation contre des pécheurs, dit-il,

ne devrait jamais nous entraîner jusqu'àpécher nous-mêmes. Puisse la miséricordedivine me pardonner ma colère! Venez,mon frère, et priez Dieu pour moi. A cesmots, il se couvrit de son froc, et se ren-dit au choeur

,suivi du religieux, que ce

mouvement de son supérieur avoit tou-ché jusqu'au fond de l'âme.

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CHAPITRE IV.

Le Dieu crue nous servons est leDieu des combats»

Non, non ,

il ne souffrira pas*.

Qu'on égorge ainsi l'innocence.RAÇINE-

DES la matinée du lendemain, l'abbayede Saint-Paul prit tout l'aspect d'une ci-tadelle. George et deux de ses camaradesétoient parvenus à rassembler une tren-taine de paysans, ce qui, joint à ceux qua

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64 LE NOVICE.

le monastère renfermoit déjà, formoitunetroupe de cinquante hommes déjà dé-cidés à se battre courageusement, si l'oc-casion s'en présentait. Une sentinellequ'on relevoit d'heure en heure avoitété placée dans un petit belvéder, élevé

sur le bâtiment des hôtes, et d'où l'ondominoit toute la plaine. Des écus

,des

cascpies, des cuirasses suspendus le longdes murs ,

reflétaient les rayons d'un so-leil brillant et d'un feu immense que les

sergens d'armes avoient allumé clans la

cour.Après avoir visité les murailles avec

soin et s'être assuré qu'elles n'offraient

aucun point foible, on s'occupoit déjà

d'établir de distance en distance quelquesélévations du haut desquelles les assiégés

pussent sans risque lancer leurs flèches

et les pierres dont on faisoit ample pro-vision dans les cours. Cette précaution der

venoit fort nécesssaire si les tard-venus,

comme ilsTavoient fait en différentes cir-

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LE NOVICE. 65

constances (i), traînoient avec eux quel-

que machine de guerre; autrement, lalargeur des fossés suffisoit seule pourmettre à l'abri de toute attaque sérieuse.

Les plus jeunes frères convers, lesoblats (2) aidoient à ces préparatifs dedéfense auxquels bien certainement domJoseph se seroit employé lui-même avectous les religieux de la communauté, s'ileût moins connu l'esprit qui régnoit dansle cloître. Ce fut donc sans aucune diffi-culté que le novice obtint la permissionde se réunir aux travailleurs, et sa de-mande à cet égard accrut même beau-

(1) Notamment lorsqu'ils s'emparèrentdu châ-teau et de la ville du Pont-Saint-Esprit, prèsde Lyon; le jour des Innocens, l'an i36o.

(2) Les oblats t\oient ceux qui, sans sacrifierleur liberté

, se donnoienl à un monastère poury rendre les services les plus bas

,à la charge

d'être nourris et entretenus jusqu'à leur retraite,laquelle étoit absolument à leur disposition.

3*

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66 LE NOVIOE.

coup l'affection ;que lui•avoit toujours

portée l'abbé.•

'>— Venez, mon fils, venez, avôit-il ré-

pondu au jeune homme, en l'emmenantdans les cours, où lui-même alloitalors ex-citer le zèledes ouvriers : qu'ils travaillent

en ce qui sera nécessaire, dit la règle. A

l'exception des devoirs du coeur, je vousdispense de tous les exercices du noviciat,jusqu'au jour où la paix renaîtra dans

notre sainte maison.Plusieurs heures de la matinée s'étaient

passées cependant, et presque tous les

religieux ignoraient encore que les tard-

venus s'avançoient. Le mouvement ex-traordinairequi depuis l'aube dujouravoitlieu dans les cours, ne troubloit en rienle silence qui régnoit dans le cloître où le

bruit du dehors n'arrivoit point; là, toutrestait calme et soumis à l'ordre accou-tumé. Quoique des fenêtres du réfectoireles religieux eussent aperçu dans la se-conde cour quelques hommes armés qui

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LE NOVICE. &].*-

leur étaient inconnus,' et qu'une pareille

vue leur donnât beaucoup à penser, telle

étoit la rigidité avec laquelle on observoitla règle, que le silence imposé pendantles repas n'avoiti pas été troublé par le

moindre mot qu'auroit pu arracher là

surprise ourinquiétude, et qu'on s'étaitlevé de table sans qu'aucune voix se fîtentendre, autre que celle du lecteursemainier. Depuis ce moment, les reli-

gieux qui se rencontraient en traversantles longs corridors s'abordoîent pour sedemander à voixbasse quels dangers me-naçoient le monastère, et se séparaientaussitôt, sans être plus instruits; car onsavoit seulement que l'abbé avoit faitvenir, après les laudes, le chambrier, lecellérier et les autres officiers claustraux

pour leur donner des ordres; mais lesecret,qu'il leur avoit été enjoint de garder,n'avoit encore transpiré en rien lorsqueles voûtes retentirent du son de la clochedestinée à appeler la communauté en

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68 LE NOVICE,

assemblée générale. Une curiosité mêléed'effroi fit que chacun se hâta de se ren-dre dans la grande salle du chapitre, oùl'abbé était déjà avec quelques doyens,

au nombre desquels se trouvoit dom Am-broise.

Tout le monde prît place en silence, etdom Joseph s'étant assis sur un fauteuilplus élevé que les bancs où siégeoient lesreligieux

,s'exprima en ces termes :

.—Mes chers frères, le chapitre III

de notre règle m'ordonne d'assembler

toute la communauté lorsqu'il se présen-

tera des affaires importantes. Ce devoirm'est aujourd'hui bien pénible puisqu'ilm'oblige de troubler à l'avance la paixdont vous jouissez dans nos saints murs.Dieu n'a point permis que les brigandsqu'il a armés dans sa colère pour ravagerla France et la Bourgogne restassent pluslong-temps éloignés de nous; les grandescompagnies sont à deux lieues, et peut-

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LE NOVICE. 69être aujourd'hui même les verrons-nousprès de ces murs.

-

A ces mots ,le sourd frémissement

d'une terreur soudaine se manifesta dansl'assemblée; dom Joseph s'arrêta quelquesinstants pour donner le temps aux espritsde se rasseoir, puis reprit : — Je prévoisainsi que vous, mes frères, tous lespérils cpii nous menacent. Ces périls sontgrands, sans doute; mais la bonté deDieu les surpasse, et si nos ferventesprières touchent ce Dieu de miséricorde,s'il daigne nous protéger, c'est en vainque les enfants de satan menaceront sesenfants; il a déjà permis une fois que mafoible voix parvînt à conjurer l'orageprêt à tomber sur nous, il le permettrapeut-être encore. Mais si, dans sa sagesse,il en ordonne autrement, s'il nous fautsontenir un siège, toutes les précautionssont prises pour tromper l'espoir de qui-

conque oseroit attaquer de vive force

notre sainte demeure. Cinquante de nos

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yO LE NOVICE.

Vassaux bien armés habitent maintenantle monastère; nos murs, aussi solidesqu'élevés, les fossés qui les protègent,présentent tous les moyens de défensequ'offrirait une place forte, et l'abbayerenferme des vivres pour plus de sixmois. On nous verra imiter l'exemple quenous avons reçu d'un grand nombre de

nos saints et illustres frères, qui, dansdes temps plus reculés, mais non moinsdésastreux, n'ont pas craint de résister

aux Normands, et de défendre le sacrétabernacle contre ces barbares. Une vo-lonté ferme

, une piété courageuse impo-sent aux scélérats; ils hésiteront, croyez-moi, s'ils nous savent résolus à ne jamaisabandonner aux sacrilèges et l'autel duSeigneur et les tombes de nos frères.

Un silence profond succéda à ce dis-cours. Les religieux baissèrent la tête d'unair qui annonçoit la soumission bien plus

que la persuasion. Cette différence n'é-chappant pas à l'abbé, il ajouta d'un ton

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LE! NOVIËÊ. <jX

fort doux : >— Vous savez,••in'es frères,quUfvous est permis ici de'donner votreavis, et je voiis écouterai avec l'affectionpaternelle que je porte à chacun de vous.

Tous les yeux se fixèrent alors sur le•sous-prïeur, qu'on savoit connoître etpartager l'opinion générale, et qui d'ail-leurs possédoitmieux que toutautre frèrele talent de s'exprimer. Il se leva donc,et après avoir salué respectueusementsonsupérieur : — Il faut, mon révérend père,dit-il, que la gravité des circonstances etl'intérêt de la communauté me prêtentun grand courage , pour que j'ose éleverici ma foible voix, surtout quand il s'agitdecombattre l'opinion de votre révérence.Mais je crois voir que mes frères comp-tent sur moi pour vous adresser l'humbleexpression de leurs craintes, à la vue desdangers auxquels nous expose une résis-tance inutile. Si Dieu permet que le mo-nastère soit attaqué par les impies, quelespoir pouvons-nous mettre dans le petit

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72 .LE NOVICE.

nombre d'hommes d'armes rassemblés

autour de nous? Ne doit-on pas craindre,

au contraire, que ces mesures hostiles nedonnent aux brigands un prétexte pournous traiter tout-à-fait en ennemis, et neles fassent renoncerai! peu d'égards qu'ils

nous témoignentencore? Votre révérence

a parlé des monastères de notre ordrequi jadis ont résisté aux Normands. Maiselle n'ignore pas qu'à cette époque, notresainte profession nous permettait de por-ter les armes et que les moineseux-mêmescombattoient avec leurs vassaux. Aujour-d'hui qu'il nous est défendu de verser le

sang humain, nous ne pouvons plus aller

sur la brèche exciter par nos discours etnotre exemple le courage de nos troupes.Et d'ailleurs, quel fut, même alors

,le

succès de ces audacieuses entreprises?Assez de décombres, assez de ruines ré-pondent à cette question ! Les débris deSaint-Vincent et de tant d'autres abbayescélèbres gisent encore sur la terre, et

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LE NOVICE. 7-3

Jumièges], Marmoutier,

Saint-Vandrille,quoique rebâties depuis

,avoient été dé-

truites de fond en comble. Nous pouvonséviter un sort aussi funeste, en n'em-ployant d'autres armes que celles de laprière et des exhortations

, en nous ef-forçant de toucher la bonté divine et le

coeur de ces endurcis pécheurs. Mais, siles efforts de votre révérence auprès deschefs étoient vains cette fois, nous la sup-plions de renoncer à toute idée de dé-fense et de conduire son fidèle troupeaudans un asile plus sûr, avant que celuiqu'on nous disputerait ne fût teint denotre sang.

— Tel est votre avis,

frère Anselme,dit l'abbé, dont le ton ,

beaucoup plussévère

,annonçoit combien ce discours

,et surtout sa conclusion

,lui avoit déplu.

— J'ai osé parler au nom de toute lacommunauté, répondit le prieur d'unair respectueux, mais ferme, parce queje n'ignore pas qu'elle partage mes désirs,

4

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74 LE NOVICE.

et votre révérence peut s'en convaincreaisément, si elle daigne permettre quetous ceux qui pensent comme moi se lè-

vent.

— Nous ne sommes pas au Champ-de-Mars, mon frère; nous n'admettons pasici les formes des assemblées délibé-

rantes, répondit l'abbé avec hauteur, etvous savez tous que vous avez le droit dedonner votre avis

, en laissant néanmoinsle tout à la discrétion et au jugement devoti^e abbé.

— Et pourtant il y va de nos jours!s'écria avec chaleur le maître des novices.

—Osez-vousbien, frère Jean, répondit

dom Joseph fort ému, osez-vous bien

vous adresser ainsi, non - seulement à

votre abbé, mais à celui qui donnerait savie pour le dernier frère convers!

Le respect qu'imprimoit le caractèrede dom Joseph étoit si grand

,et la vérité

de ce qu'il, venait de dire si bien connue,que le religieux, fut saisi aussitôt d'un vif

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LE NOVICE. 7Ïrepentir, et se jetant à genoux devant sonsupérieur:—Ordonnez de moi, mon ré-vérend père, dit-il; j'ai mérité d'être sou-mis à la discipline régulière.

— Non, non , mon frère

,répondit

l'abbé, dont le coeur n'avoit jamais résistéà la première excuse. Je vous pardonnevotre faute, bien sûr que le troubleoù vous êtes a pu seul vous la faire com-mettre. Songez cependant, mes frères,que plus nous sommes en danger, plusnous devons marcher fermement dans lesvoies que nous tracent nos devoirs et lasainteté de la règle. Reprenez votre place,frère Jean , et prêtez-moi tous l'atten-tion....

Le bruit que firent alors les pas d'unepersonne qui accourait précipitammentinterrompit dom Joseph. Tous les reli-gieux jetèrent des regards effrayés vers,la-porte, et l'abbé lui-même éprouva unelégère!émotion en voyant entrer le chas-seur.

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76 LE NOVICE.

— Qu'est-ce, mon fils ? demanda-t-it

d'un ton calme.

— Deux hommes d'armes, mon révé-rend père

,répondit George

,viennent

de sonner la cloche du dehors: leur cos-tume annonce des chefs, et nous croyonsqu'ils devancent une troupe fort nom-breuse, dont on voit déjà briller les lancesdans la plaine.

— Des chefs! dit l'abbé; tant mieux,notre sort va se décider.Qu'on les reçoive,

mon fils, et qu'on les conduise à l'ap-

partement des hôtes,

où je vais me ren-dre. Mais avant tout, faites rentrer tousles sergens d'armes dans la seconde cour,afin que ces étrangers ne puissent lesvoir.

George sortit. —Quant à vous, mes-

frères, continua l'abbé, j'aurai soin de

vous instruire aussitôt du résultat de l'en-trevue que je vais avoir avec cesdeuxhommes. Peut-être les demandes seront-elles modérées et de nature à ce que nous

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LE NOVICE. 77puissions y satisfaire; mais, quoi qu'il enen soit, remettons tous notre sort dansles mains de Dieu. Que les prières se fas-

sent avec une nouvelle ferveur,afin d'at-

tirer sur nous un regard de sa miséri-corde.

Dom Joseph s'étant levé en finissant

ces paroles,toute l'assemblée l'imita et

se sépara aussitôt.Rentré dans sa cellule pour se recueil-

lir un moment, l'abbé de Saint-Paul seprosterna devant le crucifix: et aprèsavoir imploré du ciel, le talent et le cou-rage qui lui étoient nécessaires pour flé-chir les barbares qu'il alloit trouver, ilfit appeler dom Ambroise et se renditavec'lui près de ses terribles hôtes.

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CHAPITRE V,

C'est des ministres saints la demeuré sacrée ;Les lois à tout profane en défendent l'entrée.

IUCISE, Alhalie.

— SAVEZ -VOUS , mon frère,

dit l'abbépendant la route à dom Ambroise, parqui

ces étrangers ont été reçus?

— Par mon neveu et le frère portier ^

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LE NOVICE. 79

mon révérend père, puisque tous les re-ligieux se trouvoient à l'assemblée.

— Votre neveu est prudent, quoiqu'ilsoit jeune.

— J'oserais affirmer à votre révérencequ'il s'est strictement renfermé dans lesdevoirs que lui impose la règle envers leshôtes

, sans prononcer un mot inutile ; il

a de la sagesse et de l'esprit.

— Bon ! car ici, frère Ambroise, nousmarchons sur des charbons ardents. Il estaussi dangereux de braver de pareilshom-

mes que d'avoir l'air de les craindre. Monseul espoir se fonde sur ce que plusieursd'entr'eux conservent encore quelquessentiments religieux; ceux que nous avonsvus l'an dernier, vous vous en souvenez,ont voulu assister aux vêpres et recevoirma bénédiction, comme pour se faire ab-soudre de leurs torts envers nous. Siie bon-heur vouloit que ce fussent les mêmesqui revinssent aujourd'hui

— Voici George, dit le père Ambroise,

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ëo LE NOVICE.

qui pourra vraisemblablement vous eninstruire.

Le chasseur, en effet, sortoit de la salleoù l'on avoit conduit les deux étrangers;mais il ignoroit leurs noms et les inten-tions dans lesquelles ils étaient venus ; illes avoit laissés avec le novice et un jeunefrère convers, qui tous deux leur servpientla collation.

— Ils rient, ils boivent, dit-il; ils boivent que cela fait trembler, voilà

tout ce que j'en sais.—Votre neveu oublie donc que la règle

défend de donner aux hôtes du vin enprofusion ? dit l'abbé à dom Ambroise.

— Votre révérencevayoirtoutàl'heure,répondit le chasseur en souriant, s'il estpossible de parler de la règle à ces gens-là. Un d'entr'eux, surtout, me parpît unterrible garnement, et je vais prendre mesprécautions en conséquence.

—Voyons, dit l'abbé, poussant un pro-fond soupir,puisqueDieu nous condamne

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XE NOVICE. 8r

ànous trouver en rapports avec de pareilsbandits.

Tandis que dom Joseph parloit ainsi,George s'était éloigné précipitamment,en sorte qu'il entra seul avec le religieuxdans la chambre où se trouvoient leurshôtes.

A vrai dire, la vue des deux inconnusn'avoit rien derassurantpour des hommeshabitués à la vie pacifique du cloître. L'und'eux, d'une haute stature et couvert d'ar-mes brillantes, portait des éperons dechevalier ; son air étoit altier et menaçant,et tous ses traits offraient une expressionde dureté, propre à intimider les plus

.

hardis; l'autre, sans rien avoir de l'espècede noblesse qui du moins distinguoit soncompagnon, portait sur sa figure ignobleles signes d'une barbarie plus vile et plusredoutable. Le premier étoit armé d'uneépée, le second d'un sabre

, et tous deuxavoient déposé sur la table un long poi-gnard qu'ils avoient ôtédeleur ceinture.

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'&2 LE NOVICE.

— Excusez-moi, mes fils, dit l'abbé

en s'avançant vers eux d'un air calme etcordial, excusez-moi si des devoirs im-périeux m'ont empêché de vous recevoirà la porte du monastère et de vous don-

ner le baiser de paix. Me voici maintenanttout entier au soin de vous traiter aussibien que le permettent les circonstances.

L'inconnu le plus richement vêtu,

àl'aspect de dom Joseph, se souleva de sonsiège et s'inclina légèrement, mais d'unemanière assez respectueuse, tandis quel'autre se contenta de lever sur les nou-veaux venus des yeux stupides et féroceset se remit à manger aussitôt.

Le novice s'étoit empressé d'avancerdes sièges

,mais l'abbé seul s'assit.

— Je suppose , mon fils,

reprit-il ens'adressantau chef, que vous faites partiedes troupes qui s'approchent maintenantde nos murs?

—--Jelescommande, répondit l'inconnu

d'un ton hautain; puis, tendant sa coupe

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LE NOVICE. 83

au novice, pour qu'il lui versât à boire :—Savez-vous bien, mon père, quevotre vin

est excellent? vous êtes, je crois, proprié-taire du clos de Givri ? On m'avait tou-jours vanté ce vin-là.

— Tout ce qu'il y a de mieux dans cemonde n'appartient-il pas aux moines?dit celui qui n'avoit pas encore parlé ; etil accompagna cette saillie

,qu'il crut être

fort piquante, d'un rire niais et mali-cieux.

Dom Josephlaissa tombersur cet homme

un regard de mépris, et répondit tran-quillement que ses religieux et lui ne bu-vant jamais devin sans eau, la qualité leuren étoit assez indifférente.

— Par saint George ! s'écria le mauvaisplaisant, vous allez nous faire croire quevous baptisez toujours un aussi excellentvin ? A d'autres

,à d'autres

, mon révé-rend.

L'abbé détourna la tête avec dédain,

mais sans aucune colère.

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•84 LE NOVICE.

— Silence, Gothro,

dit le chef d'un

ton à se faire obéir. Pour nous, mon père,poursuivit-ilen faisant emplir de nouveausa coupe, nous aimons le bon vin, et c'est

pourquoi je viens vous demander, asile

pendant un certain temps.

— Pour tout le temps qu'il vous plaira,

mon fils,répondit dom Joseph, dans l'es-

poir que la protection du chef mettroitle monastère à l'abri; pour tout le tempsqu'il vous plaira. Vous pouvez disposerde l'appartement des hôtes ,qui se com-pose de plusieurs salles, pendantun mois,si vous voulez.

— Fort bien, reprit le capitaine; mais

vous sentez, mon père, que ces salles ne

peuvent me suffire. Votre monastère est

immense; j'ai vu en entrant dans la cour

une quantité de bâtiments qui doivent

vous être inutiles,et, sans vous gêner en

aucune manière, je puis loger ici ceqt ou

cent cinquante hommes d'élite. Le reste

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LE NOVICE. 85

campera dans la plaine, ou s'établira dansles chaumières voisines.

— Mon fils, répondit l'abbé d'un tonpoli, mais ferme, je regrette beaucoupde ne pouvoir satisfaire à votre demandeet de ne pouvoir mettre à votre disposi-tion que ce bâtiment tout entier où vouset quelques personnes de votre suite se-ront traitées aussi bien qu'il est en nosmoyens de le faire. Quant à vos troupes,notre règle s'oppose à ce qu'elles trou-blent la paixdu cloître, et il m'est impossi-ble de les recevoir.

— Impossible ! s'écria le capitaine,avec l'air d'un homme peu fait à la con-tradiction.

—Impossible ! répéta Gothro d'une

voix féroce et menaçante.— Impossible! reprit l'abbé, sans rien

perdre de sa dignité habituelle. Ce bâti-ment seul peut être occupé par desétrangers.

'—Mais, mon révérend, répondit le

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86 LE NOVICE.

capitaine, dont le sourire ironique n'ex-pliquoit que trop la pensée, vos règle-

mens doivent excepter les hommes qui

portent des sabres.

— Pas plus que d'autres, mon fils;

potir quelle raison voudriez-vous quecela fût?

— Par la raison que les hommes dont jeparle sont plus accoutumés à faire la loiqu'à la recevoir, mon père, répondit lecapitaine en élevant la voix.

— Dans le monde il en est ainsi, ré-pliqua dom Joseph avec le plus grandsang-froid ; mais Dieu seul gouverne où

se trouve placé son autel.

— Eh ! qui vous parle d'envahir votreautel? répliqua le capitaine avec humeur.L'église sera respectée : c'est moi, Tho-

mas Walter, qui vous en donne maparole de chevalier.

—i Je ne doute pas que vos troupes ne*

respectent l'église,

répondit l'abbé avecune pieuse arrogance,. Peu de temps.s'est

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LE NOVICE. 87

écoulé depuis le jour qu'un soldat sacri-lège a été miraculeusement frappé prèsdes lieux où il venoit de commettre sonforfait. Le souvenir de cet événement estencore présent à tous les esprits, sireThomas, et ce souvenir terrible, vous nel'ignorez pas, a fait jurer à la plupart deshommes d'armes de ne jamais violer leslieux saints. Mais il ne suffit pas quel'église soit respectée, il faut que mesreligieux et moi puissions vaquer entoute liberté au service divin, et vousdevez sentir que cela nous deviendraitimpossible si nous vivions au milieu devos troupes.

Sire Thomas, que la première partie de

ce discours avoit fait pâlir, en dépit detous ses efforts pour montrer de l'assu-

rance ,répondit avec assez de douceur :

— Nécessité n'a point.de loi, mon père,et vous sentez que je ne puis laisser ma.compagnie exposée, aux injures de l'air,,parle froidqu'il fait.

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88 LE NOVICE.

— Un grand nombre de châteaux dé-

serts nous avoisinent, répliqua l'abbé, etpeuvent loger tous vos hommes.

— Et qui diable les y nourrira ? s'écriasire Thomas, dont la dose de patience,fort mince à la vérité, étoit tout-à-faitépuisée alors.

— A cet égard, mon fils,

je vous offrede faire tout ce qui sera en mon pouvoir,et nous conviendrons ensemble

—Non, non,interrompit Walter; notre

rendez-vous est donné dans la plaine deChâlons; d'ailleurs je ne sais pourquoi jem'amuserais à disputer. C'est ici qu'il fautqu'Assoient, et c'est ici qu'ils seront.

—Sire Thomas, reprit l'abbé d'un air

grave, réfléchissez à toute votre injustice.Je dois protéger mes religieux, commevous protégez vos hommes d'armes

,et quand je défends leurs intérêts etleur repos, soyez certain que vous metrouverez inébranlable. Je vous répètedonc que dès aujourd'hui vous pouvez

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LE NOVICE. 89

vous établir dans le bâtiment des hôtes,

que, de plus, le monastère fournira desvivres à vos troupes, autant et aussilong-temps que la chose me sera possible,mais que je ne recevrai dans nos mursque vous et dix hommes d'armes.

L'air calme et résolu tout à la fois aveclequel s'exprimoit dom Joseph étoit de

nature à mettre hors de soi un hommemoins despote et moins emporté quene l'étoit sire Thomas, qui, pour lapremière fois peut-être, essuyoit un refus,accoutumé comme il l'étoit à s'ouvrirtoutes les portes l'épée à la main, sansaucune demande préalable. Il se leva,l'oeil en feu : — Par mon sabre! s'écria-t-ii,si vous n'étiez un prêtre !....

— Vous êtes trop bon, capitaine, ditGothro, la tête fort échauffée par la quan-tité de vin qu'il avoit bue; ce vieux froc-quart se moque de vous, et

— Silence! interrompit le chef d'unevoix tonnante; puis se rasseya nt aussitôt :

4*

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gO LE NOVICE.

Puis-je savoir, dit-il en étouffant sa co-lère, et s'adressant à l'abbé, qui, la têtehaute et le regard tranquille, sembloitattendre seulement qu'on acceptât ounon ses offres, puis-je savoir sur quelleforce vous comptez pour m'empêcherd'entrer ici avec ma bande quand il meplaira ? Seroit-ce sur une centaine de

moines qui vous entourent?

— Etque je me charge, si l'on veut, dechasser devant moi à coups de fouet, ditGothro avec le ricanement d'un hommeivre.

—Je compte, répondit l'abbé, sur une

force devant laquelle toutes les autress'évaporent, sur une force qui peut met-tre les armées en poussière et faire triom-pher un enfant de vous-même, sire Tho-

mas, sur l'assistance de Dieu.

— Tâchez de vous en assurer, domTêtu, reprit Walter, car je vous jurequ'aujourd'hui même vous aurez besoinde cet auxiliaire.

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LE NOVICE. Ql

— Dieu nous voit, nous entend, ré-pliqua dom Joseph indigné de -l'impiété

de ces paroles. Il a déjà fait son choix

entre nous.

— Par le ciel ! s'écria sire Thomas ense levant de nouveau, vous n'en verrezpas moins trois cents hommes coucher ici

cette nuit.

— Jamais, répondit l'abbé se levantaussi; jamais, moi vivant.

— Eh bien! soit, s'écria Gothro enportant la main à son sabre ; mais le no-vice

,plus prompt que l'éclair, s'élance

,saisitun des poignards placés sur la table :

— Si tu fais un mouvement, tu es mort,dit-il en posant la pointe du fer sur lapoitrine du misérable. A l'instant la salle

se remplit d'une douzaine de sergensd'armes conduits par le chasseur, qui tousse jettent sur les deux tard-venus.

— Vos armes ! dit Robert, dont les yeuxétincelants, l'air martial, contrastaient

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§2 I.E NOVICE.

d'une manière singulière avec l'habit qu'il

portait.

— Voulez-vous nous" assassiner? de-manda sire Thomas étonné, malgré soncourage, d'une scène aussi imprévue.

— A Dieu ne plaise,

dit l'abbé,

qu'unpareil crime se commette jamais dansl'abbaye de Saint-Paul! Non, sire Thomas,rendez vos armes ,

puisque la tentativeimpie de ce forcené, ajouta-t-il en dé-signant Gothro, nous oblige à prendrecette précaution; mais soyez sans aucuneinquiétude sur votre sûreté.

—Rendez vos armes! répéta le novice

d'une voix terrible.

— Je reçois votre parole,

dom abbé,dit Walter

,qui remit son épée

, non à

Robert, sur lequel il jeta un regard fu-

rieux,

mais à un des sergens d'armes I

et Gothro imita son chef tout en grin-

çant des dents.

— Maintenant, sire Thomas, repritl'abbé avec la plus grande dignité, vous

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L* NOVICE. g3

allez connoître à quel point les enfans desaint Benoît respectent les droits de l'hos-pitalité. Vous être libre, et les portesvont vous être ouvertes, sans pourtantque je me dissimule à quels dangers nousexpose votre sortie de ces murs. C'est à

vous de juger si l'honneur ne vous impose

pas des lois aussi sévères que celles de marègle, dont vous me voyez l'esclave. C'està vous de choisir, ou de revenir attaquerla vie de ceux qui ont respecté la vôtre,ou de laisser prier en paix les serviteursde Dieu, dont les bénédictions vous sui-vraient.

.—Je ne m'engage à rien

,répondit

Walter avec une loyauté farouche. Maissuis-je libre en effet?

— Vous allez l'être à l'instant, réponditdom Joseph ; et se retournant vers le chas-

seur et les sergens d'armes:—

Conduiseztous le capitaine et l'homme qui l'accom-

pagne à la porte du monastère,

faites-

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94 LE NOVICE.

leur baisser le pont-levis, et que le ciel

ordonne du reste.Sire Thomas et Gothro se hâtèrent de

suivre leurs guides. Le premier, en pas-sant devant l'abbé, s'inclina d'une ma-nière sensible

, et même ses lèvres s'ou-vrirent comme s'il alloit parler; mais,paraissant tout à coup changer de pensée,il releva fièrement le tête et sortit en si-lence.

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CHAPITRE VI.

Mais sans cesse il faut suivre en la commune arène y \

Le Ilot qui le repousse et le flot qui l'entraîne.Les hommes troublent son chemin I(

"VICTOR HUGO.

OUF! dit Gothro, dès qu'il eut passé

avec son capitaine, le pont-levis,qui fut

aussitôt relevé derrière eux ; le diable em-

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§6 LE NOVICE.

porte tous les moines ! j'ai cru que je lais-

serais là ma peau.Sire Thomas s'arrêta, et fixant sur lui

des regards furieux:— A qui dois-je le

danger que je viens de courrir, brute,incorrigible, si ce n'est à ton ivrognerie ?

— Moi! réponditGothro, je n'avoispasbu trois bouteilles.

— Ne falloit-il pas être ivre ou insensé

pour menacer un homme qui nous te-noit en son pouvoir, un homme qui,d'un mot, pouvoit faire tomber nos deuxtêtes? car je ne puis concevoircomment il

ne l'a pas fait. Et en disant ces mots, sireThomas, par un mouvement involon-taire, se remit à marcher assez vite.

— Ah ! je le conçois bien,

moi, ditGothro, que le grand air, et surtout ledanger qu'il venoit de courir avoient

presque entièrement dégrisé. Est-ce que:nos gens ne seraient pas venus nous cher-cher, si nous avions tardé trop long-

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LE NOVICE. 97temps? C'est une visite que le révérendn'est pas pressé de recevoir.

— N'importe, dit Walter, toute la con-duite de cet abbé est celle d'un sainthomme

, et le tonnerre m'écrase si jen'ai pas été tenté de lui demander sa bé-nédiction!

— Ah! ah! dit Gothro en riant à gorgedéployée, j'aurais voulu voir cela ! Au

reste, capitaine, ce n'est pas la premièrefois que je vous trouve plus foible devant

un froc que vous ne l'étiez à Brigais de-

vant toute l'armée de Jacques de Bour-bon. Et pourtant il faisoit chaud là.

— Moins chaud qu'il ne fera pour toien enfer, âme damnée.

— Pas plus damnée que toute la com-pagnie, capitaine, et je gagerais bien quevous trouverez là-bas vos quatre centshommes.

—Allons, tais-toi, maudit. La miséri-

corde de Dieu est grande; ne perdonspas le droit d'y avoir recours un jour.

5

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98 LE NOVICE.

Quoique Gothro ne partageât pas les es-pérances de sire Thomas à cet égard, ett|u'il eût fait depuis long-temps le sacri-fice de son âme, en supposant qu'il crûten avoir une, il n'en changea pas moinsde discours, car le respect qu'il avoit pourson chef étoit sans bornes, ainsi que ce-lui de tons ses camarades. ThomasWalter,flamand de naissance, faisoit la guerre enFrance depuis plusdequinzeans

,d'abord,

comme chevalier banneret dans les ar-mées du roi Jean, où il s'était distingué

par une bravoure remarquable, même à

cette époque si fertile en hauts faits d'ar-

mes. A la paix de Brétigny,les troupes

françaises ayant été licenciées,

sire Tho-

mas, accoutumé à la vie active et désor-.donnée des hommes d'armes de ce temps,

ne put se résoudre à l'abandonner pouraller végéter dans le manoir qu'il tenoitde ses pères, et qu'il n'avoit point revudepuis si long-temps; il leva une des com-

pagnies detard-venusqui s'établirentalors.

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LE NOVICE. 99Elle était composée du peu de soldats quilui restaient de deux cents hommes qu'ilavoit amenés en France, au nombre des-quels se trouvoit Gothro, et de trois centsFrançais

,Anglais et Gascons

, que le dé-sir du pillage avoit réunis sous ses or-dres. Cette compagnie, qui avoit contri-bué plus qu'aucune autre au gain de labataille de Brigais

,étoit devenue l'effroi

des provinces, d'autantplus qu'elle se dis-tinguoitencorepar la férocité de tous ceuxqui en faisoient partie. Sire Thomas,néan-moins, joignant à son courageune granderudesse de caractère, imposoit tellementà cette troupede garnemens, que nul chefn'étoit aussi respecté que lui. Quoique lavie qu'il menoil depuis quinze ans fût à.

peu près celle d'un brigand, les excès sansnombre auxquels il s'étoit livré n'avoient

pu étouffer entièrement dans son âmeles principes religieux qu'il avoit reçusdans son enfance de; parens extrême-ment pieux. S'il n'étoit plus capable d'é-

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100 LE NOVICE.

prouver le sentiment d'une véritable dé-

votion, il étoit souvent frappé malgré luid'une sorte de terreur superstitieuse,qui amenoit un retour sur lui-même etdomptoit son audace habituelle ; en sorteque toute sa conduite offroit un mélangesurprenant de hardiesse et de pusillani-mité, de crime et de repentir, d'impiété

et de craintes religieuses. Il n'étoit donc

pas étonnant que l'aspect vénérable et les

discours de l'abbé de Saint-Paul eussentproduits sur lui une impression si vivequ'il eût alors donné beaucoup pour n'a-

voir pas promis à sa bande de la logerdans l'abbaye.

—Il me semble, reprit Gothro, que

j'aperçois déjà les premiers feux de nos

gens. Snvez-vous bien, capitaine, qu'ils ne

seront pas contents, quand ils vont ap-

prendre qu'il faut encore passer cette

nuit à la belle étoile, car il nous fau-

dra Lien la journée de demain pour nous

emparer du monastère, et rendre à ces

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LE NOVICE. 101

robes noires la peur qu'elles nous ontfaite.

— Sire" Gothro,

dit Walter d'un tonmoqueur, a donc l'intention d'attaquerle monastère?

— Mais je suppose, capitaine, je sup-pose ,

répondit Gothro un peu décon-certé

, que vous ne pensez pas terminerlà votre compte avec ces maudits moines.

— C'est à quoi je réfléchirai, dit sireThomas ; en attendant, soyez muet avec,vos camarades, et ne dites que ce qu'il meplaira de dire moi-même.

Comme il achevoit ces mots, il aperçuttrois cavaliers qui se détachoient de satroupe pour venir à lui. — Ou je metrompe bien, dit Gothro, ou ceux-ci nesont pas des nôtres. Il me semble recon-noître le bourg de Lesparre, et sur lagauche voilà toute sa compagnie qui ar-rive.

t—Tant pis, par saint Jacques! mar-

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J02 LE NOVICE.

mota Walter entre ses dents, ces gens-là

vont beaucoup me gêner.Lesparre

, car c'était en effet lui-même,

s'approcha amicalement de sire Thomas

et descendit de cheval pour marcher à

côté de lui, attendu que les deux tard-

venus, trop pressés de sortir, n'avoientpoint été reprendre leurs chevaux dansl'écurie du monastère.

— Il est ma foi temps que vous arriviez,Thomas, dit-il; je suis en route depuishier avec ma troupe , car je ne voulois

pas me trouver un des derniers au ren-dez-vous, et depuis mon départ de Tour-

nus je n'ai pas pu trouver de quoi nour-rir ni moi ni mes gens. Il ne reste pas uncent d'oeufs dans cette maudite plaine.

— Est-ce que les poules que nous avonstuées l'an dernier ne pondent plus? ditGothro en riant.

— Selon toute apparence ,répondit

Lesparre.Maisvosgensviennentde médire

que nous allions nous établir chez des

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LE NOVICE. io3

moines; nous ne jeûnerons pas là, et,toute fatiguée qu'est ma compagnie

,elle

va tourner en arrivant du côté delà mar-mite, sans demandera faire halte, je vousen réponds.

— Nous allons partager avec vous nosprovisions, répondît sire Thomas; car,pour aujourd'hui, nous ne pouvons nousloger dans l'abbaye.

—Pourquoi cela?

— Parce que l'abbé refuse de nous re-cevoir.

— Eh bien! on se passera de sa permis-sion.

— Sans doute, si l'abbaye n'étoit pasentourée d'un gros mur et d'un largefossé, derrière lesquels j'ai quelques rai-sons de croire que les arbalétriers nemanquent pas.

— Eh ! depuis quand sire Thomas fait-ilattention à ces vétilles? dit Lesparre. Parsaint Jacques! nous en avons vu biend'autres ! et puisque les moines veu-

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I0>4 LE NOVICE.

lent se battre, on se battra. Toute la dif-férence c'est que, si nous étions entréschez eux comme des amis, on n'auroitpoint touché à leurs personnes, tandis....

— On n'y touchera pas davantage si

BOUS y entrons par la brèche, sire Les-

parre, ou c'est à Thomas Walter qu'onaurait affaire alors.

—Quel diable d'intérêt prenez-vous

donc à ces moines ?

•— Je n'ai jamais porté la main sur unhomme d'église, Lesparre, vous le savez.

— A la bonne heure; mais leur grenier,leur cave ?

— Ah ! c'est autre chose ; aussi je nereluse point de vous seconder dans cetteexpédition, dont je puis vous assurer quevous ne viendriez pas à bout sans moi, si

vous me laissez maître delà diriger, si

vous vous engagez à respecter les reli-gieux et tous les ornemens qui serventau culte divin.

— Mais on prétend qu'ils sont en or !

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LE NOVICE. IOS

—^Ils seroient en pierres aussi précieu-

ses que celles de la couronne du roi Char-les qu'on n'y touchera point ; autrementje vous laisse agir avec vos cent hommes

sans que mes gens dressent une échelle

ou tirent une flèche.

—Allons

,dit Lesparre, il faut vous

contenter; mais vous êtes un singulierhomme avec votre respect pour les moi-

nes. Il me parait aussi que vous avez crudevoir vous présenter devant eux sansvos armes , en véritable- pénitent.

Cette observation de Lesparre, moinsmalicieuse qu'elle n'aurait pu l'être si lavérité eût été connue, amena une légère

rougeur sur les joues de sire Thomas.Quant à Gothro, il se mordit les lèvresjusqu'au sang pour ne pas éclater de rire,attendu qu'un regard rapide, mais très-significatif, de son chef lui fit assez com-prendre qu'il étoit prudent de compri-mer sa gaieté.

— De plus, dit sire Thomas reprenant

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I06 LE NOVICE.

simplement la conversation de plus haut,

comme je dois conduire toute cette af-

faire, vous me laisserez faire une dernièredémarche auprès de l'abbé avant d'em-ployer la force.

— Soit ; mais tout cela va traîner enlongueur terriblement pour des gens af-famés.

— Dès demain nous saurons à quoi

nous en tenir ; en attendant, nous allons

souper.

— Vous n'avez rien dit de mieux de-puis que nous causons ensemble, Tho-

mas , et ce dernier mot me fait passersur tout le reste.

Plus Walter approchoit de sa troupe,à laquelle étoit jointe alors la compagniede Lesparre, plus il devenoit triste et rê-veur. La nuit étoit presque close ; ellepromettait d'être très-froide, et ses gensalloient la passer sur la dure, sans autreabri que le ciel étoiléjjl ne prévoyoit

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LE NOVICE. IO7

que trop les murmures qu'un pareil étatde choses alloit exciter, et c'est pour cemotif qu'il n'avoit point hésité à conclure

sa convention avec Lesparre, qui dumoins lui permettait de protéger le mo-nastère autant qu'il étoit en lui de le faire

dans la circonstance présente.Il- eut tout lieu de s'en applaudir lors-

qu'en abordant son monde il vit éclater

un mécontentement général dès les pre-miers mots qu'il fit entendre du refus del'abbéde Saint-Paul. Ce mécontentementfut tel, qu'il se hâta de donner l'ordrequ'on se tînt prêt à partir le lendemaindès la pointe du jour pour se l'approcherde l'abbaye, la reconnoître et l'attaquersi l'on s'y trouvoit contraint.

.

Cet espoir apaisa le tumulte aussitôt.On s'occupa de préparer le repas du soir,dont un pauvre berger des environs fai-soit les frais, et auquel le bourg de Les-parre et ses hommes firent le plus grandhonneur, après quoi l'on dressa les ten-

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jo8 LE NOVICE.

tes. Comme elles étoient en très-petitnombre, et ne pouvoient contenir toutela troupe à beaucoup près, ceux qui nepurent y trouver place s'étendirent au-tour des feux

,qu'alimentait une grande

quantité de branches d'arbres morts queles soldats avoient apportées du bois deGivri pendant la journée, et là, malgréle froid le plus rigoureux

,grâce à la fa-

tigue, et surtout à l'habitude d'une vie

dure et grossière,

ils furent bientôtplongés clans un profond sommeil.

Sire Thomas, retiré dans sa tente, ré-fléchit à la triste nécessité où il se trou-voit d'assiéger le monastère.—Pour cettefois

, se disoit-il, le ciel sait que je suisinnocent comme l'enfant qui vient denaître; Dieu et tous les saints sont té-moins que je voudrais me conduire enbonnête homme; mais je ne sais com-ment il arrive que toutes les fois que je

veux faire le bien rien ne me réussit. Ilfaut, sans aucun doute, que le diable

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LE NOVICE. IO9s'en mêle. Et, après avoir rendu ainsil'esprit malin responsable de tout, il sejeta sur la paille qui lui servoit de lit

; ets'endormit profondément.

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CHAPITRE VII.

"Dans la plaine soudain les escadrons épaTS,

Plus prompts cjue l'aquilon,

fouik'nl de loules parts.LA MARTINE.

L'AFFECTIOJNT que l'on éprouve pour leshommes doués d'une grande force d'âmeest habituellement mêlée de quelque en-thousiasme. Telle étoit celle que les reli-

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LE HOVICE. IIIgieux de Saint-Paul avoient toujours euepour leur abbé, qu'ils regardoient commesupérieur à tous, non-seulement par sahaute intelligence, mais encore par sesvertus. En effet, jamais dom Joseph nes'étoit montré insensible aux douleurs,aux peines de ses semblables.; jamais iln'avoit manqué d'indulgence pour les foi-blesses d'autrui

, tout irréprochable qu'ilfût lui-même. Éminemment juste et bon,il possédoit toutes les qualités qui, dansun monarque, inspirent l'amour et lerespect ; car la seule tache qui ternissoitcette belle âme, l'orgueil, est de tousles défauts celui qui pèse le moins surdes inférieurs, et le sort avoit placé domJoseph dans une situation où nul nemarchoit son égal.

Ce fut donc avec les transports d'unejoie impossible à décrire que les reli-gieux de Saint-Paul revirent leur abbé,après avoir appris le danger que venoientde courir ses jours. Ils l'attendoient tous

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112 LE NOVICE.

à la porte du cloître. Dès qu'il parut, unconcert de voix s'éleva pour remercierDieu dans les termes les plus touchants del'avoir conservé. C'étoit à qui l'approche-roit de plus près, c'étoit à qui obtiendrait

un mot, un regard de lui. — Mes enfans !

mes enfans ! répétoit dom Joseph atten-dri jusqu'aux pleurs; et dans sa viveémotion, il prenoit avec lui-même l'en-gagement sacré de tout immoler à leurpaix et à leur sûreté, lorsque le pèreprieur demanda que l'on fit silence, ets'inclinant profondément devant l'abbé :

— Mon père, dit-il, toute la communauté

vous supplie par ma voix d'excuser les

murmures que les dangers qui nous me-nacent ont pu nous arracher. Le ciel nousen a punis aussitôt en nous faisant trem-bler pour vos jours. Désormais, monpère, nous remettons entièrement le soinde notre salut entre les mains de Dieu etles vôtres, et, quelles que soient les réso-lutions que vous prendrez, votre yo-

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LE NOVICE. tl3lonté, mon père, sera la volonté de tous.

—Oui, oui, s'écrièrent tous les reli-

gieux.

— J'accepte, mes frères, dit l'abbé,j'accepte cette immense responsabilité,décidé à sacrifier ma vie, et plus que mavie, s'il le faut, pour justifier votre con-fiance.

La cloche ayant alors sonné pour le

service divin, chacun marcha d'un airrecueilli vers l'église.

Dom Joseph n'étoit point sorti du bâ-timent des hôtes sans témoigner à Eo-bertet à George combien il reconnoissoitle secours qu'ils lui avoient prêté. Cepen-dant le lendemain étant descendu dansles cours pour surveiller les préparatifsdedéfense, il aperçut le novice, qui aidoitavec ardeur les sergens d'armes à porterla provision de pierres et de gros caillouxdont on pouvoit avoir besoin pour char-ger les frondes. Ce jeune homme étoitdevenu l'objet de sa plus chère affection,

.5*

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I I 4.

LE NOVICE.

non-seulement à cause du service qu'illui avoit rendu, mais parcequ'il trouvoit

en lui ce courage, cette énergie dontlui-même éloit doué, et qu'il eût tantdésiré voir alors dans tous ceux qui Teu-touroient. Il l'appela. — J'ai besoin de

TOUS répéter, mon fils, qu'il m'est douxde vous devoir la vie, lui dit-il. Un noble

sang coule dans vos veines, et vous êtesle dierne descendant des nobles sires d'In-gelcour.

— Mon père, répondit vivement Ro-bert, permettez-moi donc de prendre des

armes, et de me joindre aux défenseursde l'abbaye. Quoique élevé dans ce mo-nastère, je ne suis pas inhabile à meservir de l'épée et de la lance. Georgem'a appris tout ce que peuvent savoir lestard-venus.

— Je ne doute point de votre adresse,

et surtout de votre courage, mon fils,répondit l'abbé en souriant avec indul-

gence; cependant, ajouta-t-il d'un air

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LE NOVICE. I 1 5

plus grave, je ne puis vous accorder votredemande..Quoique simple novice, vousn'en portez pas moins déjà l'habit de

notre ordre. Le voeu de votre père, cevoeu qu'il a prononcé presque mourantsur le champ de bataille

— A Dieu ne plaise que je me refusejamais à l'accomplir, mon père! inter-rompit le novice; tout mon désir est de

passer ma vie près de vous, au milieu de

nos frères. Mais puisque jadis on a vudes religieux marcher dans les guerressous les drapeaux de leur souverain

,qui

pourroit s'étonner de nous voir aujour-d'hui repousser par les armes une infâmeagression?

Les temps ont changé, mon fils ; imi-tez-moi : bornons-nous, si les brigandss'approchent, à nous servir des seuls

moyens de défense qu'il nous soit permisd'employer. Ces murs, ces fossés nousprotègent ; car je ne pense pas que demisérables pillards traînent avec eux au-

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1IÔ XE NOVICE.

çune machine de guerre, et, tant qu'iln'existera pas de brèches à nos murailles,

nous pourrons braver leurs efforts.—-Mais si votre espoir est trompé, mon

père, répondit le novice, dont l'espritardent ne revoit plus que combats et quehauts faits d'armes

,si nos murailles

sont entamées, il nous faudra bien nousservir de nos bras, repousser la force

par la force.

— Il nous est défendu de verser le sanghumain, mon fils.

— Quoi! même celui d'un Walter,d'un Gothro?

L'abbé ne répondit pas d'abord à cesdernières paroles, tant son opinion surce point se trouvoit en opposition avec le

devoir que lui imposoient les usages de

son siècle ; mais, cédant enfin à son sen-timent personnel :

— Je ne puis croire, dit-il, que Dieu

ne permette pas toujours à ses plus foi-

bles créatures une défense légitime. Si

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LE NOVICE. If7mon avis étoit l'avis de tous, vous meverriez, mon fils,m'armer moi-même, et,soutenu de mes religieux, protéger nosmurs avec un succès presque certain ;mais... Il s'arrêta.

— Votre avis n'est-il donc pas un or-dre, mon père ? dit le novice, habitué àconsidérer son supérieur comme le re-présentant de Dieu sur la terre.

—On peut risquer sa vie, mon fils

,répondit doucement dom Joseph : lapuissance d'un homme ne doit jamais al-ler plus loin.

— Et la mienne ! la mienne ! s'écriaR.obert avec feu; ne voulez-vous pasl'accepter, mon père? ne voulez-vous pasme permettre de la donner pour vous etpour nos frères?

— Non, mon enfant, non, mon cherenfant, répéta l'abbé en serrant avec at-tendrissement la main du jeune novice ;d'ailleurs tout n'est pas encore désespéré;il se peut que ce Thomas Walter,qui

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Il8 LE NOVICE

m'a semblé bien moins endurci que soncompagnon, hésite beaucoup à attaquerle monastère, et, s'il l'attaque, vous de-

vez vous rappeler qu'il a parlé de rendez-

vous, ce qui fait croire que les tard-venusméditent quelque grande expédition.Dans ce cas, il ne faudrait que gagner dutemps; peu de jours de résistance, peude jours'peut-être, suffiraient pour noussauver, poursuivit-il en se parlant à lai-même; mais la communauté ! la commu-nauté !

— On a promis de se conformer entout à vos désirs, mon révérend père, ditle jeune novice.

— Ah! répondit l'abbé, vous ne con-noissez pas les effets de la peur, monfils; quand nos religieux parloient ainsi,les tard-venus n'étoientpassous nos murs;mais, s'ils y viennent, croyez-en

,mon

expérience : aux premiers signes d'undanger prochain, ces hommes timidesoublieront leurs promesses ; ils n'écouté-

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LE NOVICE. H'9

ront plus que leur terreur. Tous voudront

se rendre, tous voudront se réfugierdans la terre de perdition, et je serai con-traint de les y conduire.

— Quoi ! s'écria le novice avec la plusgrande véhémence, livrer l'abbaye à cinqcents scélérats au plus

,quand nous som-

mes ici près de deux cents hommes qui

pouvons nous battre ? quand rien n'estplus facile que de les repousser, de lesécraser ?

Dom Joseph leva vers le ciel un re-gard douloureux, puis resta comme ac-cablé dans les pensées les plus tristes. —Les voici! cria la sentinelle du belvéder;les voici ! les voici! répéta-t-on de toutesparts.

L'abbé monta aussitôt avec Robertdans une des tourelles. Il vit en effet

une troupe de cinq cents hommes à peuprès, marchant au grand galop des che-

vaux, s'avancer en assez bon ordre versl'abbaye.

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Ï20 LE NOVICE.

Les rayons du soleil, qui se réfléchis-

soient sur leurs armures ,éblouissoient

tellement les yeux, que l'on fut quelque

temps sans pouvoir s'assurer qu'ils n'é-

toient suivis que de trois ou quatrechariots contenant les bagages. Toute

cette troupe fut bientôt arrivée près des

bords du fossé qui la séparoit de la herse

et du pont-levis; puis, s'étant alors divi-

sée,

elle se déploya à droite et à gauche,

de manière qu'en peu de minutes le mo-nastère se trouva cerné de toutes parts.

— Ils n'ont point de machines de

guerre, dit le novice, dont les regardsn'avoient rien laissé échapper.

— "Non,répondit dom Joseph

,qui pa-

rut respirer alors plus librement.

— Dieu nous soit en aide ! s'écria le

frère Nicolas pâle comme la mort; unesouris maintenant ne pourrait plus sortirde l'abbaye de Saint-Paul.

—Qu'avons-nous besoin de sortir,

mon frère ? répliqua l'abbé le seul point

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LE NOVICE. 121

qui importe ,c'est qu'ils :ne puissent

entrer.— Votre révérence croit donc qu'ils

n'en trouveront pas le moyen? reprit le

pauvre frère d'une voix tremblante et en•secouant la tête.

—-lis n'abattront pas nos murs à coups,de flèches

,je pense, répondit dom Jo-

seph d'un air presque triomphant; etcomment voulez-vous que sans machinesils lancent des pierres par-dessus lesfossés ?

A cette époque, en effet, où l'artille-rie n'étoit point encore employée, les

murs de l'abbaye de Saint-Paul pouvoientbraver toutes les attaques tant qu'onn'approcheroit point de leur base ; aussiquelques-uns des tard-venus, qui faisoientalors le tour du monastère, reconnois-soient-ilsavec chagrin l'extrême difficultéde leur entreprise.

— Il me semble, mon révérend père, ditRobert, qu'ils tiennent conseil entr'eux

i. 6

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122 LE NOVICE.

sur le parti qu'ils prendront. Je croismême distinguer Thomas Walter au mi-lieu de cette vingtaine d'hommes quisont juste en face de nous.

•—C'est lui-même

,dit George

,qui

étoit aussi monté voir ce qui se passoit :

je reconnois sur son casque le panachegris qu'il portoit hier.

— Hier, dit le novice, sa vie étoit entrenos mains; nous l'avons respectée : ilvient attaquer la nôtre aujourd'hui'.quelshommes!

— Il fàlloit le tuer, il falloit le tuerpendant que vous le teniez, s'écria lefrère Nicolas : c'en seroit toujours un de

..moins.

•—Silence

, mon frère, dit l'abbé ; vo-tre courage vous emporte trop loin.

Comme l'abbé finissoit ces derniers

mots, qu'il avoit accompagnés d'un légersourire

, un homme d'armes se détachadu groupe que le novice venoit de dési-

gner, mit un mouchoir blanc au bout de

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LE NOVICE. ia3

sa lance, et, s'approchant tout-à-fait desbords du fossé

,demanda à haute voix à

être introduit.

— Va-t-onle recevoir? demanda lefrère Nicolas

,qui d'une main trem-

blante détachoit déjà ses clefs, pour encharger un autre que lui. — Non

, sansdoute, répondit dom Joseph. Il n'entre-roit pas seul, si nous faisions cette sot-tise ; de pareils bandits ont - ils jamaisrespecté les lois de la guerre?

Le héraut de nouvelle fabrique,

aprèsavoir répété trois fois ses sommationssans obtenir aucune réponse, retournavers ses chefs, qui étoient restés à qua-rante pas. Il n'eut donc pas besoin deleur rendre compte de sa mission ; maisà peine les avoit-il rejoints que sireThomas lui-même s'avança; et présumant,

•avec raison, que les tourelles n'étoientpas désertes dans un pareil moment, ilcria deux fois d'une voix forte que l'oneût à baisser le pont-îevis, et qu'il juroit

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124 LE NOVICE.

sûreté pour les personnes et pour l'église.Cette seconde tentative n'eut pas plus

de succès que la première ; ce que voyantsire Thomas, il ne tarda pas à se retirer

pour s'occuper des moyens d'entrer de

vive force.>

.

La journée entière s'écoula néanmoins

sans qu'aucun mouvement alarmant vînt

exciter l'inquiétude des habitants de l'ab-baye. Les tard-venus passèrent la nuit,campés tout autour du monastère ; maisà une certaine distance des fossés,; en

sorte que, le lendemain,

dom Joseph-dit

en souriant à dom Ambroise, qui mai'-choit à ses côtés dans la cour : —- Je croisqn'iis espèrent nous prendre par famine;mais

,grâce à Dieu, ils manqueront de

pain avant nous. ' .<•'}— Vers l'heure de tierce, dit le novice,

George en a vu partir une cinquantaine,qui se dirigeoient du côté de Givri avecdeux chariots. Ils alloient sans doutechercher des provisions.

;

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LE NOVICE. 125

— Ou plutôt les petits bateaux quisont sur l'Orbise

,répondit l'abbé d'un

I air soucieux ; car je suis bien surpris quecette idée ne leur soit pas encore venue.

— Il ne reste pas de bateaux mainte-nant sur l'Orbise, répliqua George; ellecharrie depuis deux jours. Et d'ailleurs,'

votre révérence, à quoi cela les mène-roit-il ? A se faire tuer les uns après lesautres. S'ils ne nous attaquent jamais quesur un point, il nous sera bien aisé dele défendre. Ils peuvent donc venir avecleurs bateaux tant qu'il leur plaira; nousavons ici de quoi les recevoir comme ilsle méritent..Et le chasseur se frottoit lesraains-j-eri regardant le gros tas de pier-res ,

rassemblé près des murailles.

— Ici tout est énergie, tout est cou-

'; rage, dit l'abbé à dom Ambroise; maislà! là! ajouta-t-il, en montrant le cloître.Ibsoupira, et se rendit à l'assemblée du

.' chapitre, qu'il avoit résolu de convoquertous,les jours.

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CHAPITRE VIII.

Ce n'étoit plus quand l'c'te se couronneDe rayons d'or, de pampres et de.fleurî.'

LM. DESCORDES VALMORE.

DOM JOSEPH s'aperçut avec une grande

satisfaction que les frayeurs de ses reli-

gieux étoient diminuées de beaucoup.Soit que tous les hommes, le premier

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LE NOVICE. 127

moment passé, prennent leur parti des

situations les plus dangereuses, ou soit

que l'immobilité des assiégeants, qu'on

pouvoit attribuer à l'impuissance d'agir,fût alors suffisante pour rassurer les as-siégés

,l'abbé ne trouva à l'assemblée que

des esprits tranquilles et des coeurs re-connoissants pour le soin paternel aveclequel il veilloit au salut général. Il enjoi-gnit d'ajouter à tous les offices les prièrespubliques qu'on avoit composées dans

ces temps malheureux, et qui se réci-toient dans toutes les églises de France,pour obtenir du ciel qu'il délivrât le

royaume des grandes compagnies; carjusqu'alors ces prières ne s'étoient ditesqu'une fois par jour dans l'abbaye deSaint-Paul; et il congédia l'assemblée,pour aller vaquer à d'autres soins.

Jusque là, tout sembloit justifier l'es-pérance d'échapper aux dangers qu'onavoit craints d'abord. Toutdonnoit lieu decroire que les tard-venus ne s'obstine-

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128 LE NOVICE.

roient pas long-temps dans une entrepriseà laquelle les localités seules opposoientdesigrands obstacles, et qu'ils cherche-r-oient bientôt un autre gîte. La joie qu'ins-pire une entière sécurité régnoit dans les

cours. A peine croyoit-on devoir encores'y occuper des préparatifs de défense:Il falloit même tout le respect qu'on por-toient aux ordres de l'abbé, pour empê-cher les jeunes sergens d'armes de se mon-rer auxfenêtresdestourelles, comme pourrailler les assiéseans sur l'inutilité deleur expédition. L'abbé seul, quand tousles esprits se montroient aussi rassurés,'étoit depuis quelques heures tourmentépar une crainte terrible, qu'il n'osoit

avouer qu'à lui-même, et qui ne lui lais-soit considérer que comme un répit lebonheur de n'avoir plus à combattre l'ef-froi de ses religieux. Le froid, loin dediminuer, augmentoit tellement cpie lesfontaines ne couloient plus dans les cours,en dépit des soins qu'on en prenoit. Dom

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LE NOVICE. T2g

Joseph alloit sans cesse observer de dif-

férents points l'état des fossés. Il exami-noit en silence, mais le désespoir dansl'âme, quelques légers glaçons, qui flot-

toient déjà à la surface et dont le volumecroissoit d'heure en heure. Pas un nuagene se montrait au ciel; toute la plaineoffrait l'aspect d'une grande nappe blan-che, sur laquelle les branches d'arbres,couvertes de neige, se dessinoient enbrillants cristaux aux rayons du soleil. Cespectacle, que l'abbé aurait admiré jadis,-

1

lui sembloit alors trop sinistre pour qu'ilpût le contempler long-temps. Il détour-'noit les yeux en se rappelant combien defois, depuis qu'il habitoit Saint-Paul, ilavoit vu l'eau des fossés devenir aussi so-lide qu'unmur, dans l'espace d'une nuit."Il s'agenouilloit sur la pierre pour obte-nir de Dieu que les élémens ne servissentpoint la rage des impies. Si sa prière étoitrepoussée, il faudrait bientôt soutenir

un véritable siège. Que deviendrait alors

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l3o LE NOVICE.

le courage que venoient de montrer sesreligieux ? comment vaincre la peur quiles saisiroit à la seule idée d'une escalade?Dom Joseph voyoit déjà s'élever devantlui le clocher de l'abbaye de Cluny; cha-

que coup de ce vent du nord, qui an-nonçoit une nuit glaciale, sembloit l'enrapprocher. Les cris de la joyeuse jeu-nesse qui garnissoit les cours du monas-tère

,les cris plus éloignés des tard-venus,

retenus encore à distance par un obsta-cle, qui bientôt n'existeroit plus

, toutredoubloit l'état d'angoisse dans lequelil passa la journée entière.

Use retiroit le soir dans sa cellule,lorsqu'il s'aperçut que dom Ambroise lesuivoit.

— N'allez-vous pas vous reposer, monfrère ? lui dit-il.

— Et vous-même, mon révérend père,répondit le religieux, croyez-vous pou-voir prendre du repos? Dom Joseph lui

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LE NOVICE. l3l

serra la main, et le regarda tristement,

sans prononcer une parole.DomAmbroise avoit lui même reconnu

la cause des cruelles inquiétudes de sonsupérieur; la tendre affection qu'il luiportoit ne lui permit pas de le laisserlivré à lui-même dans un aussi triste mo-ment ; il marcha donc à ses côtés. Dom Jo-seph étant entré dans sa cellule, le reli-gieux en ferma la porte ; et, sans chercheraucun détour : — Le monastère est engrand danger

,dit-il doucement, après

quelques instans de silence.

— Et ce danger augmente à toute mi-nute, dit l'abbé d'une voix altérée ; cardemain, sans doute, demain....,

— Les fossés seront pris, acheva domAmbroise.

Dom Joseph tressaillit, et, se jetant surun siège, il posa sa tête dans ses deuxmains.

—Quelleque soitlarésolution que vous

prendrez alors, mon révérend père, je

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l32 LE'NOVICE.

désirerais la connaître, afin d'y préparermes frères avant l'assemblée.

—Ma résolution, répondit l'abbé en

relevant fièrement la tête, est de remplirmon devoir, de m'ensevelir, s'il le faut, '

sous les décombres de l'abbaye, avant,d'en ouvrir la porte à des brigands. Maispeut-être

,ajouta-t-il avec amertume ,

peut-être suis-je déjà le seul qui penseencore ainsi; et pourtant ce matin, tousétoient décidés à braver les efforts d'unepoignée de scélérats.

;

— Ce matin,

répondit le religieux, ilétoit à peu j^rès impossible de faire brè-che à nos murailles ou de les escalader.

— Ainsi, répliqua dom Joseph d'un an-méprisant, le courage ne se montre ici

que dans les temps de sécurité ! Eh bienlmon frère, les plus timides (et je suisloin de vous confondre avec eux, dom.

Ambroise, ajouta-il en serrant la maindu religieux )

,les plus timides sentiront,

j'espère, qu'il nous reste encore assez de

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LE NOVICE. ] 33

moyens de salut. Nos. murs sont plussolides que ceux, de beaucoup de villes.Ces misérables sont en petit nombre,accoutumés à un pillage facile ; ils man-quent d'ailleurs de tout ce qui leur seroitnécessaire pour former un siège .en règle.

,.NQS: hommes; d'armes" sont vaillants, et,tant qu'un seul d'entr'eux restera; les

attaque seront repoussées. Il ne faut queles laisser faire,... que les laisser faire, ré-péta-t-il en fixant sur dom Ambroise desregards où se peignoit l'espoir d'obtenirtin assentiment.

—-Je crains bien, répondit le religieux,

que l'effroi général ne s'y. oppose. Laterreur sera grande;mon révérend père,quand il n'existera plus entre nous et cesmisérables une barrière que chacun re-gardoit comme insurmontable, et dontIcsécours rassurait tous les esprits.

-

., — Et vous pensez qu'alors ils oublie-ront .leurs promesses et que les murmu-': ai'.\'- *' M' .:

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l34 LE NOVICE.

res renaîtront? dit l'abbé, en regardantle religieux d'un air inquiet.

Dom Ambroise ne répondit point.

—Mais la fuite est devenue impossible,

et l'on ne peut se flatter que de pareilsscélérats nous laissent partir tranquille-ment. Maintenant le parti le plus lâcheest le plus dangereux. Ils doivent le sen-tir, mon frère. Parlez-leur à tous demain,avant l'assemblée.

— Je ferai tout ce que m'ordonneravotre révérence, répondit le religieux;mais je crois pouvoir assurer d'avancequ'ils ne verront de salut que dans uneprompte capitulation.

— Une capitulation avec des bandits!'' —

Il est rare néanmoins que les com-pagnies les enfreignent, surtout avec deshommes d'église.

—Ainsi, reprit dom Joseph d'un ton

aussi fier que courroucé, vos frères aime-ront mieux confier leur- destin à la foide cinq cents scélérats qu'aux soins de

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LE NOVICE. l35

leur abbé, de leur chef suprême ici bas!Mais pensent-ils que je me laisse dépouil-ler du droit que j'aide commander sou-verainement dans le monastère? ignc*rent-ils que si je m'astreins à la règle enrecevant leurs avis, cette même règlem'investit d'un pouvoir sans bornes pouragir, et que je puis, selon ma volonté,suivre ou mépriser leurs conseils?

— Non, mon révérend père,-réponditdom Ambroise, qui connoissoit trop sonsupérieur pour ne pas employer les seules

armes contre lesquelles se brisoit toujoursson orgueil; non, personne ne l'ignore;sous le glaive même de nos ennemis, vosordres seraient encore respectés par cha-

cun de nous. Je connois bien mes malheu-

reux frères; l'esprit de sédition est loind'eux, et vous n'aurez jamais à combattre

que des prières et des larmes.

— Des prières ! des larmes ! Ah! domAmbroise, parlez-moi de chosesquisoientmoins redoutables ! Capituler ï les con-

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l36 LE NOVICE.

duire à Cluny! murmura-t-il d'une voixsombre, après quelques instans de si-

lence. Non,

le ciel ne me réduira pas à

jcette horrible extrémité ! non, continua-,t-il avec force, quelle que soit leur lâcheté,

on ne dira pas dans les siècles futurs:

.Quand l'abbaye de Saint-Paul a péri, dom

Joseph en étoit abbé. Car', vous pouvezm'en croire, mon frère, si nous quittonsSaint-Paul, c'en est fait de cette noble,de cette sainte demeure ; les enfants desaint Benoît n'y rentreront jamais.

— Combien de monastères de notreordre ont été envahis momentanément,

mon révérend père, sans que leur ruines'ensuivît! Cluny, la riche Cluny, n'a-

t-elle pas vu son église dépouillée, ses reli-

gieux massacrés ou mis en fuite par undes derniers comtes de Châlons, Guil-

laume, de sacrilège mémoire? Cependant,elle est de nos jours plus brillante qu'ellen'étoit avant cette horrible dévastation.

Les dangers qui nohs menacent, d'ail-

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LE NOVICE. l3^

leurs, sont moins grands que ceux qu'elle

a courus; quel impie oserait imiter au-jourd'hui un crime que le ciel a punid'une manière si terrible (i) !

Dom Ambroise se tut ; car il s'aperçutbientôt que ses discours, loin de faireimpression

,étoient à peine écoutés de

l'abbé, qui, l'oeil morne et le front sou-cieux

,prêtoit surtout l'oreille au siffle-

ment d'un vent glacial, qu'on entendoitretentir.dans les vastes corridors du cloî-tre j tandis que les rayons d'une lune écla-tante s'introduisoient par la fenêtre de lacellule, et faisoient pâlir une foible lampe

'allumée sur la table.

—Quelle nuit! dit-il enfin. Ah! saint

Paul! saint Paul! Et il resta comme acca-blé dans ses réflexions. Dom Ambroisele considéroit depuis long-temps en si-

(i) Un tableau, placé dans le grand réfectoirewl'abbaye de Cluny, représentent le comte- Guil-laume emporté sur un cheval par le diable.

6*

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l38 LE NOVICE.

lence, souffrant autant que lui de ses pei-

nes, lorsqu'il releva les yeux, et parutsurpris que le religieux fût encore là.

—Allez vous reposer, mon frère, dit-il d'un

ton tranquille ; etvotre neveu, votre brave

neveu, je veux aussi qu'il se couche. In

journée de demain peut être terrible;

nous aurons tous besoin de nos forces.

— Je ne voudrais pas vous laisser aussi

douloureusement affecté, mon révérenipère, répondit le bon religieux, plus in-

sensible aux dangers qui le menaçoientlui-même qu'à la douleur de son digne

abbé.

— Je ne me laisserai point abattre, cher

dom Ambroise. Plût à Dieu que je trou-

vasse demain tous les coeurs aussi résolus

que le mien ! Mais j'ai besoin d'être seul

J'ai besoin de prier. Allez, mon frère.Dom Ambroise obéit, et se retira, non

pour aller chercher le sommeil, qui au-

roit fui de ses yeux., mais pour passer

aussi lui-même toute la nuit en prière.

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CHAPITRE IX.

Il en coule bien moins de remporterdes victoires que de se vaincre soi-même.Il est bien plus aisé de conquérir desprovinces et de dompter des peuples quede dompterune passion.

MÀSSÏLLOÎT.

LES premiers rayons du soleil levantbrillèrentsur l'énorme masse de glaee quientourait alors le monastère, À la pre-,mière nouvelle d'un aussi triste événe*

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l4o LE NOVICE.

ment, la plus grande consternation se ré-pandit aussitôt dans le cloître. Plusieursreligieux coururent aux fenêtres de lasalle d'armes et de la bibliothèque, d'oùla vue s'élevoit par-dessus les murs, pours'assurer de ce malheur. Ils ne purentdouter du fatal changement qui s'étoitopéré dans la nuit, et des suites qu'il de-voit avoir, quand ils virent quelques tard-

venus essayer ce nouveau plancher, troppeu solide encore, mais qui n'alloit pastarder à le devenir, tandis que d'autrestravailloient à retirer de la glace deux ba-

teaux qu'ils avoient apportés la veille, etqui, pour le malheur du monastère, leurdevenoient inutiles. L'aspect de ces re-doutables ennemis, qu'ils contemploient

pour la première fois (car depuis l'appa-rition des tard-venus, l'abbé avoit enjoint

aux religieux, les doyens exceptés, de neplus sortir des bâtiments intérieurs)

,fit

sur les pauvres frères une telle impres-sion, qu'en rendant compte de ce qu'ils

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LE NOVICE. l4tvenoient de voir, la peur,'qui pour euxavoit centuplé les objets, leur fit repré-

senter l'abbaye comme entourée par unearmée innombrable prête à fondre sur.

eux.A ces récits effrayants, la terreur et le

désespoirs'emparèrent de toutes les âmes;les plus courageux voyoient déjà les mursrenversés. Les tard-venus auroient étédans le cloître, que l'effroi n'aurait pasété plus loin. On alloit, on venoit, sanssuivre aucune discipline

, car personnene remplissoit plus ses fonctions. L'ordreet le silence habituels, qui depuis plu-sieurs siècles régnoient sous les voûtes deSaint-Paul, cessèrent d'être respectés : ou-bliant que la règle leur défendoit de sejoindre et de se parler aux heures indues,les religieux, troublés, hors d'eux-mêmes,

se rassembloient en différents groupes,s'entretenant à haute voix de leurs crain-tes et delà téméraire résolutionde l'abbé,qui les exposoit au massacre. Toute ré-

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l4a LE NOVICE.

sistance paroissoit alors si dangereuse,

que la seule idée de.ne pas se rendre, surlapremière sommation qui en seroit faite, '

sembloit une idée de mort à chacun. De

tous côtés s'exhaloient les gémissemens

ou les murmures. Quelques vieillards ver- j

soient des pleurs; quelques jeunes frèresosoient éclater en reproches contre uneautorité tyrannique; et dom Ambroise,qui s'efforçoit de calmer l'effroi général,avoit une peine extrême à se faire écouter.

Tandis que cette scène de désolation

se passoit dans le cloître, la cour.du mo-nastère offrait un spectacle bien différent.Le courage des jeunes sergens d'armes,loin de se démentir, sembloit croître

avec le danger. Aucun d'eux n'avoit ja-

mais cru que cette affaire dût se passertranquillement. Ils voyoientdone arriverl'instant d'agir, non-seulement sanscrainte, mais avec cette sorte de satis-

faction que la jeunesse éprouve à courirdes risques dont la vaillance,peut faire

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LE NOVICE. 143

triompher. Dans cet âge si aventureux ,on néglige de calculer l'effet du nombre ;à peine même George et ses camaradesdaignoient-ils penser qu'une attaque gé-nérale étoit impossible, quoique ce mo-tiffût le seul qui pût justifier la téméritédeleur entreprise. Ils comptaient leursennemis sans les redouter le moins dumonde. Chacun mettoit ses armes enétat ; on chargeoit les frondes, et l'onattendôit avec une joyeuse impatienceque les tard-venus pussent planter leurpremière échelle.

Le novice, désespéré de ne pouvoirs'armer, n'en prenoit pas moins part audésir général ; car il espéroit bien quedans le tumulte d'un combat il lui de-viendrait très-facile de ne point restersimple spectateur. Aucune crainte surles événemens qui dévoient suivre ne ve-noit troubler l'espèce de jouissance atta-chée pour lui à cette vie nouvelle etàni-»niée qu'il menoit depuis deux jours. La

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ï44 LE NOVICE.

scène inattendue dont il étoit témoin,développoit en lui cet amour des com-bats

, ce goût pour le péril que le sangde ses pères sembloit avoir transmis dans

ses veines, et que les habitudes du cloî-tre àvoient étouffés jusqu'alors. Enfin, detous les jeunes braves qui s'apprêtoient àdéfendre les murs du monastère,Robertétoit le plus pressé de se battre commele plus certain de vaincre.

Après une nuit passée dans les ré-flexions les plus profondes et dans laprière, dom Joseph avoit pris la résolu-tion que lui dictoient la hauteur et la fer-meté de son caractère, quoique, dans lasincérité de son âme, il la crût unique-ment fondée sur son devoir

, et s'étoitdécidé à la défense. Il avoit assisté auxdifférents offices du matin, qui tousavoient eu lieu avant que les religieux!

ne fussent instruits dû nouveau danger:qu'ilscouroient ; ensuite il étoit descendudans les cours, et ne les avoit point quit-

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LE NOVICE. .l45

tées depuis,

lorsque dom Ambroise vintlui rendre compte de ce qui se passoitdans le cloître. L'abbépâlit en l'écoutant,

car il craignoit beaucoup plus ses frèresqu'il ne craignoit les tard-venus eux-mêmes. Désolé d'avoir à combattre leurs

terreurs, il n'en fut pourtant point ébran-lé ; non que pendant la dernière nuit sonesprit n'eût hésité plus d'une fois à l'idéed'exposer ses religieux aux, dangers qu'il

ne redoutoit pas pour lui-même; maiscette idée ,~qu'un mûr examen de l'étatdes choses ne justifioit aucunement, étoitalors bien loin de lui. — Retournez prèsd'eux

, mon frère,dit-il vivement à dom

Ambroise ; assurez-les qu'ils n'ont rien àcraindre, que le triomphe est certain.Qu'ils viennent, qu'ils viennent eux-mê-mes juger de notre position : tous cesmisérables se feraient tuer l'un aprèsl'autre, s'ils osoient risquer un assaut.Dans un quart d'heure je vais me rendreà l'assemblée ; dites-leur que j'espère les

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l46 LE NOVICE.

trouver plus calmes et plus soumis à mavolonté ; mes devoirs ne me permettentpas d'en changer : elle est inébranlable.

A peine le religieux fut-il parti, quel'abbé , se retournant vers le novice,George et quelques sergens d'armes quil'environnoient : — Vous l'avez entendu,dit-il ; l'effroi les a tous saisis.

—Votre révérence les sauvera malgré

eux, j'espère, se hâta de répondre le no-vice.

— Employons le peu de temps qui.

nous reste avant l'assemblée, reprit domJoseph, à nous assurer des nouvelles in-tentions de ces brigands.

Étant alors monté dans la tourelle, ilporta d'abord ses regards sur le fossé,,que déjà les tard-venus traversoient en,plusieurs endroits d'un pas ferme. Toutd'ailleurs sembloit annoncer une attaque^vive.et prochaine; un grand mouvement;régnoit dans le camp; sans cesse:une»fqule.d.'hpmmes d'armes s'en détachoieiït,;

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LE NOVICE. l47chargés de bottes de paille qu'on éten-doit aussitôt sur la glace, afin de pouvoir

poser les échelles qui arrivoient de touscôtés ; et, quoique ce fût seulement con-tre la partie de muraille exposée au nordque se faisoient ces préparatifs, l'espaceoù la glace étoit entièrement solide pa-roissoit assez étendu.

Personne, pas même le novice

,n'o-

soit demander à l'abbé quelle pensée fai-soit naître en lui ce spectacle

, et chacunattendoit qu'il parlât le premier ; mais ilredescendit dansla coursans avoir rompule silence. Alors il rassembla autour delui tous les défenseurs du monastère : —Mes enfants, dit-il d'une voix ferme, vousvoyez que les glaives vont se lever contrenous; plus de quatre cents hommes nousentourent; vous n'êtes ici que cinquantequi puissiez combattre : me répondez-vous de la vie-de mes frères ?

— Nous, en.' répondons ! noua en ré-

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l48 LE NOVICE.

pondons! s'écria toute cette vaillante jeu-nesse.

— Maintenant, mon père, dit le no-vice avec feu, nous n'avons plus de choixà faire; il faut les renverser du haut de

nos murailles'; car ils n'entreraient ici

que pour nous égorger.L'abbé partageoitsibien cette opinion,

que, s'adressant aussitôt à tous les ser-gens d'armes :— Je remets donc notre sortdans vos mains, dit-il d'un ton solennel,et que le ciel vous bénisse par ma voix.

Dans ce moment on entendit la cloche

sonner pour l'assemblée du chapitre.—Je vais rassurer mes pauvres frères, s'il

est possible, reprit dom Joseph en s'a-

vauçant vers le cloître.Tous le suivirent quelques pas, en le

suppliant de n'écouter aucun avis timide,

et de compter sur eux comme sur unrempart inébranlable.

— Ne cédez pas, ne cédez pas, répé-

•toient ces braves jeunesgens. — Au nom

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LE NOVICE. I49du ciel, mon père, ne cédez pas! s'écrioitle novice, dont la voix s'élevoit par des-

sus toutes les autres.Ces derniers mots résonnoient encore

délicieusement à l'oreille de l'abbé, tan-

dis qu'il marchoit vers l'assemblée. Satête haute

, son regard fier, le calme de

sa contenance, tout annonçoit un hommerésolu à ne point plier sous l'orage, quel-

que menaçant qu'il pût être. Prévoyantqu'il alloit essuyer les reproches

, peut-être même l'outrage, il s'armoit à l'a-vance de son sang-froid contre les uns ,de son orgueil contre les autres, et sesentoit capable de résister à tout. Mais

que devint-il lorsqu'en entrant dans cettesalle, où il ne s'attendoit à trouver quedes mutins, il vit tous les religieux seprécipiter à ses pieds en criant : —Grâce !

grâce! notre père; ayez pitié de nous!capitulez L

L'abbé, surpris, atterré de ce specta-cle, sent ses;jambes fléchir; il est obligé

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,l5o LE NOVICE.

de s'appuyercontre la muraille.-r-^Levez-

vous ,levez-vous, dit-il ; que me deman-

dez-vous?

— Le sàlut de tous, mon père, répon-dit le prieur d'une voix que la douleuraltérait. Aucun de nousne se relèvera quevous n'ayez décidé de notre sort. Nous

pouvons encore obtenir ce que ThomasWalter offrait lui-même hier; mais uneflèche, une seule flèche tirée du monas-tère sur sa troupe, il ne sera plus temps ;c'en est fait de l'abbaye et de nous tous.Sauvez-nous, sauvez vos enfants! —Ca-pitulons ! capitulons ! répétèrent touteslesvoix ; et les religieux, vieux et jeunes,,tendoient vers leur abbé dés bras sup-pliants.

Emu de.pitié, outré de désespoir, doraJosephrestoit immobile, enproieà;laplusvive angoisse. Le combatqui se.livroit aufond de son âme étoit si douloureux, quetous ses membres ;trer4bioierit,sétilaipâ-leurde ses lèvres.&vioit-queliqufechose d'éf-

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LE NOVICE. IÔ'I

frayant. Enfin une pensée terrible domi-

na toutes les autres : si cette terreurétoit

un avertissement céleste? si Dieu trom-poit ses espérances? s'il alloiten effet ap-peler sur ces infortunés les horreurs dumassacre?.... Un frisson mortel parcou-rut toutes ses veines; il jeta les yeuxsurcette foule de malheureux prosternés à

ses pieds; ses regardss'arrêtèrent sur quel-

ques-uns d'entr'eux, dont l'âge avoit déjàblanchi la chevelure, et l'on vit une larmes'échapper de sa paupière.

— Il cède, mes frères, il cède ! s'écriale prieur.

— Oui, dit l'abbé d'une voix oppres-sée, capitulons; j'y consens.Et comme sil'effort qu'il'venoit de faire pour pronon-cer ces mots eût été trop grand, il tomba,plutôt qu'il ne s'assit, sur le siège qui setrouvoit près de lui.

Il fut entouré à l'instant par toute lacommunauté. La reconnoissance générales?exprimoit par mille bénédictions, par

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l5.i LE NOVICE.

des pleurs ; les uns vouloient baiser sesmains, les autres sa robe. — Hélas ! mesfrères

,dit-il en les repoussant douce-

ment, vous n'êtes pas encore sauvés !

Fasse le ciel que l'abandonde nos devoirs,auquel vous me forcez moi-même, ne soitpas infructueux pour vous.

Si la douleur arracha ce léger reprochede la bouche de dom Joseph, il s'en re-pentit aussitôt, et ce fut le dernier. Le sa-crifice de tous ses désirs, et, ce qui étoitbeaucoup plus pour lui, le sacrifice de savolonté étoit fait. Il voulut l'accomplirdignement. Dès ce moment, il ne s'occu-

pa plus que du soin d'assurer le succèsde démarches auxquelles il eût peut-êtrepréféré la mort. Etouffant toutes les pen-sées contraires qui auroient pu se présen-ter à son esprit, s'imposant la loi rigou-reuse de s'oublier complètement, il sem-bla, pour ainsi dire

, soumettre son âmeà une autre âme. Il alla s'asseoir d'un aircalme sur le siège où il s'étoitassisla veille

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LE NOVICE. •'! I 53

avec des espérances bien différentes, et ilprésida l'assemblée, sans qu'un seul motpût faire soupçonner qu'il n'avoit pas lui-même changé d'avis. Son angoisse? futgrande cependant, lorsqu'il fallut résou-dre que l'on se réfugierait à Cluny. DomAmbroise, qui l'observoit avecun profondattendrissement, le vit pâlir et serrer lebras de son fauteuil d'un mouvementconvulsif, en prononçant le nom de cetteabbaye; mais Dom Ambroise connoissoitseul le secret de cette âme altière, dontla souffrance échappa à tous les autresyeux.

Après avoir délibéré sur les moyensqu'on alloit employer pour correspondre

avec Thomas Walter,

l'abbé dit qu'ilcroyoit nécessaire de laisser un des leursdans le voisinage, afin d'être instruits fré-

quemment à Cluny de ce qu'alloit deve-nir le monastère. — C'est vous qui reste-rez, dom Ambroise, ajouta-t-il, attenduque vous trouverez un asile convenable

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l54 LE NOVICE.

chezvotrebeau-frère le sire d'Ingelcour.Vous n'adresserez vos lettres qu'à moi, et[vous me les enverrez par George. Je croisaussi que vous pouvez garder avec vousvotre neveu. Ce n'est pas à nous d'encou-

rager l'usage, qui ne s'établitque trop, de

prononcer les voeux à Cluny,au chef d'or-dre

,ajouta-t-il d'un ton dont l'amer-

tume étoit grande. Le jeune Robert ayantencore à faire quatre mois de son novi-ciat, Dieu permettra peut-être qu'il le

termine chez nous , et que ce soit l'abbéde Saint-Paul qui lui donne l'habit.

Sur ces différents points, ainsi que surtous ceux qui furent traités pendant lecourt espace de temps que dura l'assem-blée

,les avis de l'abbé prirent le carac-

tère des ordres les plus absolus. Nul n'au-roit voulu

,n'auroit osé alors faire la

moindre objection à tout ce qu'il propo-soit. C'est surtout aux hommes timides

que l'aspect d'un grand courage inspire leplus de vénération ; et le désir-mêmeque

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LE NOVICE. l55dom Joseph avoit eu de se défendre,quoique si opposé au désir général, avoit

encore accru le respect qu'on lui portoit.Mais rien ne pouvoit plus flatter ce coeurprofondement ulcéré. L'effort que domJoseph faisoit à toute sa nature étoittrop grand pour qu'il n'en attendît pas larécompense de Dieu seul, et les hommes

ne pouvoient jeter aucun baume surune blessure aussi vive.

Il descendit dans la cour ,dès qu'il eut

congédié ses religieux; et là, assemblant

sa petite troupe , il les remercia tous dela bonne volonté qu'ils avoient montréepour la défense du monastère, et leurdéclara que désormais elle étoit inutile.

— O ciel ! mon révérend père, s'écriaRobert, est-ce que l'on va se rendre ?

— Se rendre, sans combattre! dit lechasseur en remuant son sabre avecune sorte de.rage.

— Oui, mes enfants, répondit l'abbéd'un air tranquille, mais le visage cou-

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l5ô LE NOVICE.

vert d'un rouge ardent ; nous partons.Cependant soyez sans inquiétude survotre sûreté. On offre la vie sauve, vousle savez, à tous les habitants du monas-tère, et vous pouvez bien croire que je

ne sortirai qu'après le dernier de voustous. 11 sera prudent toutefois de quittervos armes pour ne donner aucun pré-texte à la cruauté de ces brigands.

— Quitter nos armes ! s'écria George;

non , non, mon révérend père.

— Non, non, s'écrièrent-ils tous.

— Je le veux, dit l'abbé; la sûreté de

-mes religieux l'exige. Vous le ferez pourmoi, mes amis. Et, dans la crainte de s'é-mouvoir

,s'il prononçoit une parole de

plus, il s'éloigna précipitamment en fai-

sant signe à George et au novice de lesuivre.

Ce n'étoit pas sans raison,

dit R.obert

en marchant près de dom Joseph, la rageet le désespoir dans l'âme

, ce n'étoit passans raison que je craignois cette assem-

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LE NOVICE. 107blée ! Quoi! nous allons ouvrir les portesdu monastère à ces brigands

,quand ja-

mais, jamais autrement ils n'y seraiententrés !

— Laissons cela, mon fils, réponditl'abbé; j'ai besoin de conserver du calme

et toute ma présence d'esprit. En disant

ces mots, il avoit saisi le bras du jeunehomme, et le serrait avec force. Robertle regarda. Cette noble figure, dont l'ex-pression étoit habituellement si paisible,offrait les traces d'une souffrance qui larendoit presque méconnoissable.

— Les lâches ! murmura le novice àvoix basse;ils le feront mourir ! Mais de-puis ce moment il se garda bien de pro-noncer une seule parole qui pût retentirdouloureusement dans ce coeur navré.

On avoit remarqué que, plusieurs foisdepuis le jour, Thomas Walter s'étoitmontré devant la porte du monastère, etqu'il s'yarrê toit quelques minutes, commes'il eût espéré que les assiégés se ravise-

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i58 LE. NOVICE.

roient. C'étoit donc dans une des tou-relles que l'abbé avoit résolu d'aller l'at-tendre

,désirant traiter tout de suite di-

rectement avec lui. A peine en effet lenovice Yenoit-il d'écrire quelques lignesdictées par dom Joseph, que le chef destard-venus parut à cette même place,suivi seulement de trois ou quatrehommes d'armes. Il jeta les yeux sur lefossé, puis les porta vers la petite fenêtre,derrière laquelle précisément se trouvoitl'abbé. Cette fenêtre s'ouvrit aussitôt. Lechasseur, sur l'ordre qu'il en avoit reçu,banda son arc, lança une flèche, à la-quelle étoit attachée la lettre dont on vientde parler

, et l'adressa si habilementqu'elle alla tomber juste aux pieds du ca-pitaine.

Sire Thomas prit la lettre; mais ni luini aucun de ceux qui l'entouroient : neparurent posséder le talent nécessairepour la déchiffrer.

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LE NOVICE. i5g

— J'avois bien prévu, dit le novice,

que pas un d'eux ne sauroit lire.J'aimerois bien voir que ces damnés,

fussent plus savants que moi, répliqua lechasseur en riant.

—Attendons cependant, répondit domJoseph; car je préfère ce moyen atoutautre.

Cet écrit, qui sembloit destiné à restersecretpour celui quivenoit de le recevoir,étoit conçu en ces termes:

—« L'abbé de Saint-Paul, désirant évi-

» ter l'effusion de sang humain, s'en re-» met dès aujourd'hui à la promesse et à.

» la bonne foi de sire Thomas Walter.

» Demain, samedi, entre sexte et none, il» partira pour Cluny, ainsi que tous tes» habitants du monastère. Les portes res-» teront ouvertes. Il n'emportera de l'ab-

» baye qu'un seul chariot,

chargé des

» vases et des ornements sacrés de l'église,

» que sire Thomas a promis de respecter. »Cette lettre fut enfin lue au capitaine

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l6o LE NOVICE.

par un homme d'armes que l'on parvintà découvrir, et qui étoit le seul de toutela bande en état de rendre un pareil ser-vice. Après l'avoir écoutée, sire Thomass'avança jusque sur le bord du fossé, tira

son glaive, posa la main sur le fer nu d'unair solennel, et le remit dans le fourreau.Cette manière de jurer la trêve, toutenouvelle qu'elle étoit, ne parut pointéquivoque aux assiégés

, surtout lors-qu'en moins d'un quart d'heure ils virentla totalité de la troupe qui les environ-noit se replier sur un même point assezéloigné des murs, et lever ainsi le blocus.

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CHAPITRE X.

Celte douleuv si amùrc m'a surpria, lors-

que j'e'tois dauslaplus grande paix.Cantiques d'ÉzÉCHUS.

PRÈS de trois heures s'étoient passéesdepuis que la capitulation avoit eu lieu,et dom Ambroise ne voyoit point repa-raître son neveu, qu'il avoit inutilementf

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IÔ2 LE NOVICE.

été chercherdans les cours.Cetteabsence,qu'il ne pouvoit plus s'expliquer, com-mençoit aie troubler beaucoup, lorsqu'ilrencontra George dans un des corridors.

— Où donc est-il? demanda-t-il d'unair inquiet ? où donc est Robert ?

— Dans la salle d'armes, répondit lechasseur. Tout-ceja le chagrine encoreplus que moi, ce qui n'est pas peu;mais enfin que faire ? tout est dit main-tenant. J'ai été obligé de le laisser seul,parce que dom abbé m'envoie chercher..Voyez, mon révérend père

,s'il vous

écoutera plus que moi. Voilà une mau-dite journée, une maudite journée. Quela peste soit des poltrons! Et il s'éloigna.

— Je te cherchois, Robert, dit dom Am-

broise en entrant dans la salle d'armes,où le novice étoit assis sur une vieillecuirasse, la tête appuyée dans ses deuxmains. Pourquoi rester accablé ainsi, monfils ? viens nous aider.

— Aquoi? dit le triste jeune homme

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LE NOVICE. l63

en se levant; à dépouiller notre église de

ses ornements , pour que les tard-venusles prennent avec moins de scrupules ?

— Il n'en sera pas ainsi, Robert, ré-

pondit lereligieux ; tout ce que j e vois deceWalter me persuade que le crime n'a pasencore étouffé en lui toute crainte deDieu.

-^-Eh ! qu'importe ! dit le novice; qu'a-vions-nous besoin de sa pitié? Nous al-

lons donc défiler devant lui et devant sabande comme un vil troupeau de mou-tons ? Nous allons essuyer leurs railleries,leurs outrages, quand nous pouvions lesanéantir et délivrer du moins la Bourgo-gne de cinq cents brigands?

— Et qui peut nous répondre qu'avanttrois jours ils n'auroient pas été dixmille ?

qu'aurions-nous fait alors ?

—Nous serions morts. Mieux vaut centfois mourir que boire tant de honte.

— La honte est pour les scélérats quiviennent attaquer dans leur retraite desserviteurs de Dieu, des hommes qui ne

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l64 Ï.E H0VICE.

leur ont jamais rien fait, et qui sont horsd'état de se défendre. La honten'estpoint

pour nous, Robert.

— Et pourtant notre brave abbé nepense pas ainsi ; on peut en juger à sondésespoir. Ah! quelle peine me fait savue! Il souffre, il souffre beaucoup,

mon oncle; vous pouvez m'en croire.Dom Ambroise soupira.

— Notre digne abbé a fait son devoir,dit-il ; cette idée deviendra sa consola-tion. Pour toi, Robert, il faut te sou-mettre; ce n'estpas au plus jeune hommede la communauté à blâmer le voeu géné-

ral : que veux-tu que pensent nos frères

si... ?

— Pleurent-ils toujours ? interrompitle novice d'un ton sardonique.

— Tu manques d'indulgence pour lés

foibles, Robert : ce n'est pas ton coeurqui parle.

— Je n'ai point pitié de la peur ,ré-

pondit Robert.

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CE NOVICE. l65

s—Moi, j'ai pitié de toutes les souf-frances

,reprit dom Ambroise avec une

chaleur qui ne lui étoit pas habituelle ;on doit plaindre la douleur de son sera-,blable sans jamais en examiner la cause.

-—Même quand cette cause est mépri-

sable ? dit le novice d'un air dédaigneux,qui prouvoit assez combien il étoit loinde se rendre sur ce point.

— L'humanité nous l'ordonne sansdoute, répliqua dom Ambroise ; d'ail-leurs ce cas n'a pas lieu ici ; chaque étata ses vertus, ses devoirs; un religieuxn'est point un chevalier à bannière.

—Mais un homme est toujours un'

homme ! s'écria le novice; vous-même ,mon oncle, vous portez aussi l'habit desaint Benoît, et votre force d'âme nes'est pas démentie un moment dans ledanger.

— J'ignore pourquoi,

répondit domAmbroise en baissant humblement latête, je n'ai point partagé les terreurs

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;iÇ6 LE iroviCE.

dont j'ai été le témoin ; j'en remercieDieu

,mais je n'en plains que plus mes

pauvres frères. Ah! Robert! si tu avois

vu ces hommes qui depuis leur enfance

ne connoissent d'autre bien que la paix,

n'ont d'autre occupation que l'étude etla prière ; si tu les avois vus, pâles

,éga-

rés, se demandant combien d'heures en-

core ils avoient à vivre, se racontantl'un à l'autre toutes les horreurs quecommettent les tard-venus, comme pouraugmenter leur effroi ; si tu avois con-templé ces vieillards

,dont les membres

trembloient, dont les joues étoient cou-vertes de larmes, n'aurois-tu pas fait cequ'a fait notre brave abbé? n'aurois-tu

pas cédé?

— Peut-être,

répondit doucement lenovice ; car, en écoutant son oncle

,les

bouillants transports de son âme se cal-moient. Il resta quelques instants dans lesilence

,puis, levant sur dom Ambroise

des yeux où ne se peignoit plus qu'une

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LE NOVICE.: 167

profonde tristesse : -—Eh bien! mon .qn^cle, dit-il, il faut doncretourner? il faut!

donc les revoir?

-—Sans doute, répondit le religieuxd'un air inquiet. Quoi ! ne voulois-tuplusles revoir? Qu'aurois-tu donc fait

, monfils? '•"' ;

-r- Je ne sais, répondit le jeunehomme

en pressant son front brûlant de samain; une foule de pensées étranges ,douloureuses, me passoient dans l'esprit;un grand orage s'étoit élevé dans monâme

, mon oncle, et je suis bien aise d'a<-

voir entendu votre voix.

— Si j'eusse été le maître, dit dom[Ambroise, tu n'auroispointpassécesdeuxjournées dans les cours, ainsi que tul'as fait. A quoi bon devenir témoin d'unappareildé guerre, nous, dont la destinéeest fixée, et dont la vie doit s'écouler dansle calme? Lesprojets, les discours de-cesjeunes téméraires ont exalté ton esprit,

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l68 LE NOVICE.

déjà beaucoup trop ardent, cher Robert.George lui-même...

—George! George me blâme plus quevous ne me blâmez, mon oncle; il m'ena dit cent fois davantage en faveur de

ces là...., en faveur des religieux, dit-ilen se reprenant; mais j'étois hors d'é-

tat alors d'écouter la raison: je pleuraisde rage. Vous souriez ? je vous fais pitié.Ah ! que ne puis-je vivre aussi tranquille,aussi paisible que vous l'êtes toujours l

C'est peut-être là le bonheur ! Vous neconnoissez pas ce trouble de l'âmé,cesélans de joie, de douleur dont je ne puis

me rendre maître, et qui semblent com-

poser toute mon existence.

— Et cependant, dit le religieux, quecette conversation chagrinoit bien plusqu'il ne vouloit le laisser voir, jusqu'ici,Robert, tu vivois heureux à Saint-Paul ?

—Très-heureux, répondit le novice

d'un air tout à fait tranquille ; car le sou-.

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LE NOVICE. 169

venir de sa vie passée le ramenoit à dès

idées plus,douces et plus calmes.

— Eh bien ! mon fils, reprit dom Ara- '

broise, nous y reviendrons

,j'espère,

avant peu. Nous reprendrons nos études,Robert, et cet orage passager nous ferad'autant plus apprécier tous les avanta-ges de notre heureuse situation. -'',

— Hélas ! qui sait maintenant si jamais

nous rentrerons. dans Saint-Paul ! etpourtant nous pouvions y rester.

.

Le religieux ne répondit rien à cesmots, et vraisemblablement il ne lesentendit pas; car il étoit livré alors à desréflexions assez tristes pour que l'exprès-

-

sion calme de sa figure en fût légère-.

ment altérée. Le novice le regarda pen-dant quelques instants ; puis, lui prenant

>

la main : ...... .;.-;•— Oublions tout cela, mou oncle, dit-

:

il; je veux être sage.,<. sage,comme vous,ajoutà-t-il en, souriant. Allons.' retrouvervos frères. - '..,:,

.f;!;uo f

.

•.: U

1. 8

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I 7° LE NOVICE.

Dom Ambroise leva sur le jeûne/homme un regard où se peignoit toute• l'affection d'un père, fit un.effort poursourire aussi, et se rendit avec lui dans lecloître.

C'étoit à l'âge de sept ans que Robert,dernier descendant des nobles sires d'In-

--gelcour, étoit entré clans l'abbaye deSaint-Paul, destiné à y prendre un jourl'habit de saint Benoit; et même avant sanaissance.son sort avoit été fixé d'unemanière irrévocable, par suite de cequ'on va lire.

Sire Urbain.d'Ingelcour, un des plusl>ravesetdesplus nobles chevaliersbanne-

rets de là cour de Bourgogne, étoit mariédepuis trois années, sans avoir pu obtenirdu ciel un héritier de son nom, lorsqu'en"i346 sa femme pour la première fois

•devint enceinte. Il étoit alors sur le pointde passer em France, où il lui falloitsuivre

son- souveraindans. l'armée de Philippe

de Valois. Tombé à Crécy sous le fer

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EÈ NOVICE. iyianglais, après avoir fait preuve de la plushaute valeur, il étoit resté mourant surle champ de bataille', pendant la fataledéroule dé l'armée française. Criblé deblessures et perdant tout son sarig, sireUrb'aïn' né pouvoit plus espérer son salut

que d'un miracle. Il Osa l'implorer, enpromettant à Dieu, si jamais il rëvoyoit

son manoir', de consacrer à la vie reli-gieuse l'enfant que portoit dans sonsein la dame' d'ïngelcoùr. A peine cevoeu fut-il prononcé que les Anglais,qui vénoient relever leurs blessés, em-portèrent siréJ Urbain pour le faire soi-gner, peut-être par humanité, peut-êtreaussi dans l'espoir d'en obtenir une forterançon. Qûdi qu'il en soit, le chevalierbourguignon' se vit promptement rap-pelé à là" vie. Une de ses blessures

,il est

vrai, îé'raissa'estropié dti bra's droit pourle'reste de'âes jours'; niais toutes se gué-rirent assez vite pour' lui pérfnètti'e derétoùtnérquatre moisaprès àïhg'èlc'our,

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lya LE NOVICE.

non sans avoir satisfait le chevalier an-glais dont il étoit prisonnier, par unerançon considérable.

La rude atteinte, qui venoit d'êtreportée à ^sa fortune étoit la moindrepeine de sire Urbain, dès qu'il eut recou-vré la liberté : en reprenant le cheminde la Bourgogne, il se rappeloit l'enga-

gement sacré qu'il avoit pris avec le ciel;il trembloit de trouver chez lui un héri-tier, dont il serait contraint de faire, lesacrifice à Dieu,-^uand lui-même étoit

pour toujours privé de l'honneur de

porter les armes. Il souhaitoit de touteson âme que sa femme ne lui eût donnéqu'une fille, afin d'accomplir son voeu.avec moins de regret. Mais ce désir ne,fut point,exaucé : la dame d'ïngelcoùr,lorsqu'il arriva

,étoit accouchée

;d'un

beau garçon, que sire Urbain ne pou-voit, regarder sans, désespoir. Ce

.

futencorg-bien pis quand il fallut tout avouer

-

à la pauvre; mère, si heureuse, si, fière..,

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LE NOVICE. 173

•de sori premier-né. La douleur qu'elle

; éprouva fut terrible, et alla au point quesire Urbain se vit obligé de promettre quele petit Robei't ne serait fait religieuxqu'à l'âge de vingt ans. D'ici là, pensoit-il, nous aurons peut-être d'autres en-fants

,tout élevés, qui deviendront pour

nous une consolation. Ce dernier espoirfut encore trompé. Robert resta seul héri-tier du château et de l'épée de son père,quoique destiné à ne point habiter l'un,comme à ne point porter l'autre.

Cette triste idée, qui ne sortoit jamais

;de l'esprit de la dame d'ïngelcoùr, la plon-

gea bientôt dans une profonde mélanco-lie. En vain sire Urbain, qui ne quittoitplus Ingelcôur, s'efforçoit-il de distraireson épouse d'un chagrin que chaque joursembloit accroître ; elle se refusoit à tousles plaisirs de son âge, passoit sa vie prèsde son enfant, qu'elle n'embrassoit ja-

; mais sans l'arroser de ses larmes ; et sasanté, déjà fort délicate, s'affoiblissant

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i74 w NOVICE.

encore peu à peu par une dpuleur si vive,elle cessa enfin de vivre,;Six>:ans aprèsavoir donné le jour à Robert. :, t

Elle mourut dans les bras de son frère,dom Ambroise, qui depuis l'âge de vingt-cinq ans avoit pris l'habit religieux dans

,

l'abbaye de Saint-Paul. Doux Ambroise

.

étoit un homme d'esprit et de sens; iln'avoit jamais approuvé la promesse faite

par sire Urbain à son épouse;,-dans}a cer-titude où il étoit que le bonheur de. Ro-bert serait fort compromis,-si ce jeunehomme passoit de la vie du;monde à lavie du cloître, sans aucun {intermédiaire,

et cela dans l'âge qui voit déj£ naître tou-tes les passions. Il crut doncdeyoir.enga-

,ger sou beau-frère à;revenir sur cette ré-solution , et lui en représenta tous lesdangers. Mais sire Urbain étoit esclave dela parole donnée à la défunte sur son hon-

.neur de chevalier ; et ce fut en le pressant

par les instances les plus réitérées &% les

raisonnements les plus splides ,:qu^;çJ,Qm

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LE NOVICE. 175

Ambroise finit par obtenir que l'enfant

entrerait à l'abbaye de Saint-Paul pour yêtre élevé comme destiné au cloître, sansque pourtant il pût prononcer ses voeuxavant l'âge de vingt ans révolus. ' -

Sire Urbain,

sacrifiante ainsi sa pro-pre satisfaction à la paix et au bonheurà venir de Robert, le conduisit lui-même,dès qu'il eut sept ans accomplis, a l'ab-baye de Saint-Paul. Là il présenta sonpauvre enfant au coin de l'autel, enve-loppa sa petite main avec une pièce d'ar-gent dans la nappe, après quoi, le remet-tant dans les bras de dom Ambroise, ilsortit de l'église en sanglotant, pour re-tourner dans son manoir. Privédésormais-de famille, comme il étoit privé d'exercersa vaillance

,les sources de toutes les

jouissances de sa vie auraient été/taries',si le bonheurn'avoitvoulu qu'il prîtlegoûtdes plaisirs de la table, ce qui, joint à lajouissance de racon ter ses çampagnesyfiriitpar lui composer une existencç^asseiz heu-

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Ï'JÔ LE NOVICE.

reuse, qui d'ailleurs ressembloit à cellede tous les vieux chevaliers de son temps.

.

Quant à Robert, dom Ambroise portasur lui,toute la tendresse d'une âme quela retraite sembloit rendre avide d'affec-tions. Guidé par ce second père beaucoupplus qu'il ne croyoit l'être

,le jeune

homme ne reçut que les idées qui dé-voient lui rendre douce l'existence à la-quelle il étoit appelé. La passion de l'é-tude, qui lui fut pour ainsi dire inspirée,fit pour lui de vives jouissances des pluslégères distractions: La chaleur de sonâme, le feu de son imagination, se dé-pensoient dans le cercle étroit que le sort

.avoit tracé autour de lui; son respectpour l'abbé

, sa tendresse pour dom Am-

•uroisè, son amitié pour George alloient

.jusqu'à l'exaltation ; car il ne sentoit rien,n'aimoit rien à demi. Il dévoroit avec dé-

lice la riche bibliothèque de Saint-Paul ;

c'étoit avec la même ardeur que chaque

•soir il aidoit son oncle dans le long tra-

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LE NOVICE, 177vail que ce dernier avoit entrepris, et iln'existoit point dans le monastère un seulreligieux possédant un talent ou un mé-tier, dont Robert n'eût sollicité et reçudes leçons. Cette multitude d'occupationsremplissant toutle temps que luilaissoient

ses devoirs de novice, il s'étonnoit de larapidité des journées, et voyoit toujoursarriver la nuit à regret.

On peut donc dire que nul n'avoit étéplus heureux que Robert, jusqu'au mo-ment où l'arrivée des tard-venus l'avoitarraché à sa vie habituelle. Depuis lors ,'

il n'étoit plus le même : toute impressionvive et nouvelle devoit naturellementpro-duire sur cette âme ardente l'effet de l'é-tincelle sur la matière inflammable, et desidées confuses, mais pénibles, des regretsvagues , que n'accompagnoit aucundésir fixe, un trouble qui ressembloità la douleur, avoient remplacé dans l'es-prit du novice la paix et le contente-ment.

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.1^8 LE NOVICE.

Ce changement n'avoit point échappéà dom Ambroise

,qui aurait désiré bien

vivement faire partir le jeune homme

pour Cluny, au lieu de le conduire à In-gelcour. A la vérité

,connoissant le motif

qui avoit dicté la décision de l'abbé à cetégard, il avoitpeu d'espoir de la faire chan-ger.-Il essaya toutefois; mais dès les pre-miers mots, dom Joseph lui imposa sé-vèrement silence, répétant, avec la plusgrande, aigreur, qu'assez de novices pro-nonçoient déjà leurs voeux à Cluny. DomAmbroise se vit donc réduit à se taire,d'autant plus que l'aspect de l'abbé an-nonçoit tellement un homme en proie àde vives souffrances, que le bon religieux

se reprochoit d'y avoir peut-être ajouté

par cette nouvelle contrariété.

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CHAPITRE XL

Si tuveux durepos, si lu.clierches de "PomLre, -

Tacouclie est prêle : accours ! loin du hruit on y dorÇSi ton fragile esquif lutte sur la mcrsomLre,Viens ,-c'est ici l'c'cueil; viens , c'est ici le port.'

VICTOR HTJGO,"

L'ABBÉ s'étoif occupé sans retard dusoin de faire dégarnir l'église de tout ce

r qu'elle.rerifermoit de précieux. Un cha-

-riot ,• que dévoient traîner -quatre boeufs,

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l8o LE NOVICE.

fut rempli des magnifiques tapisseriesd'Arras et de Bruges, dont on venoit dedépouiller les murs ; des vases, des chan-deliers d'or pur qui garnissoient l'autel ;

en un mot, de tout ce qui composoit letrésor de l'abbaye. Ces riches objets fu-

rent recouverts avec la plus grande pré-caution d'une toile épaisse et grossière,

que l'oeil ne pouvoit percer; et l'on ima-gina de surmonter le tout d'une simplecroix de bois, dans l'espoir que ce signerévérédeviendrait une sauve-garde contrela cupidité des soldats, soit à la sortie dumonastère, soit pendant la route.

On alloit la placer, lorsque dom Am--broise accourut, plus animé qu'il n'avoit

coutume de l'être, en demandant où étoitl'abbé. Personne ne put l'en instruire;car dom Joseph s'étoit retiré après avoirdonné ses ordres.

-. . ; — Et la bibliothèque ? la bibliothèque?

.

.s'écria dom Ambroise, pour qui ses ma-

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LE NOVICE. i8r,nuscrits étoient aussi nécessairesque l'airqui alimentoit ses poumons.

.— La bibliothèque reste, répondit leprieur ; sa révérence veut qu'on s'entienne rigoureusement à la propositionque' ces misérables ont acceptée. Nousn'avons mis en plus dans le chariot quela quantité de pain dont nous avons be-soin pour nous nourrir d'ici à Cluny.

— Grand Dieu! comment àvbns-nôus7publié la bibliothèque! reprit dom Am-broise d'un air accable. '

,

—:.Mais comment l'avez-vous oubliée,vous-même, mon frère? répliqua le-sa-cristain.

r—~. Que> voulez-vous,,,dom François ?

tant de soucis, tant d'inquiétudes trpu-ble.nj;-l'esprit au point..... ! D'ailleurs, monfrère, je n'étois pas près de notre abbé,lorsque cette fatale capitulation s'est faite.Mais,toJ),Rpberlt, toi qui,écriyois Ialettre

;:

a-Pf B^V-fir* ÇP,m.^S1lLt^.S'-tupa1sspng.é.àr'

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iS'à 1 LE NOVICE.

sauver la: plus' grande richesse de l'ab-baye?

-":; 'i':; '

-

';

—J'ai écrit ce que me dictoit sa révé-

rence, sans me permettre aucune obser-vation, répondit le novice; il est en effetbien malheureuxque personne n'aitpenséà la bibliothèque.

—Il falloit que moi-même j'eusse la

tête perdue, reprit dom Ambroise d'unair vraiment désespéré. Nous laissons icides ouvrages qui n'existent nulle part,nulle part ! Ces malheureux vont peut-être les jeter au feu '..Ils en sont capables,oui, ils en sont capables! répëta-t-il d'unton de mépris-; mêlé d'horreur.

— Il nous est bien possible de fermer• . r . - ...... r "...la1 porté"et d'emporter là clef, dit leprieur; niaise.... ;: u

<::>-.;,--

--> JU^,

-—'Ge;sérôit un moyen sûf' d'attirer Peur1 "

curiosité sur7 cette salle et de hâter là'dévastation!' interrompitvivem'erit SatttAmiM'ois^e. Sauvons dlrmoi'nstout^cë que "

n&as, pèuvohy' emporter'.' Dècoùvi'èz îé-"

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LE NOVICE. l83'chariot, je vais chercher les ouvragésles plus précieux.

— Il est impossible maintenant de pla-cer la moindre chose clans le chariot, ditle prieur, sans en retirer d'autres ob-jets; c'est à grand peine, que nous avonsfait tenir tout ce qui s'y trouve. La charged'ailleurs n'est déjà que trop considéra-ble; je crains, beaucoup qu'elle-n'exciteleur attention et leurs murmures.

— Que faire donc? que faire ? se disoientles frères, qui se 'regardaient tous d'unair accablé, comme si eë nouvel incident'eût porté au comble le malheur commun.JPour dom Ambroise-, son courage ne tint

.

pas à ce dernier coup. — Seigneur ! s'écria-[t-il avec Job, en levant les yeux au ciel,votre main s'est appesantie sur nous! Eflc'étoit depuis trois jours la premièreplainte qui se fût exhalée de sa bouche...

-—Il faut en revenir à ce qu'on propos

soit tont-à-l'heure, dit'le novice ; il fautemporter notre clef, en faisant prier sire

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l84 LE NOVICE.

Thomas de respecter la bibliothèque. Rienn'est plus facile à obtenir, je crois, detous ces bandits, puisqu'ils ne savent paslire.

— Maisl'abbë voudra-t-il avoir un nou-veau rapport avec sire Thomas? réponditdom Ambroise. Je crains qu'il ne s'y re-fuse;

"— Voulez-vous que j'aille le lui deman-der ? reprit le novice.

—-Non, non, Robert, il est plus con-

venable que ce soit moi qui me mêle decette affaire, puisque je suis..,., puisquej'étois bibliothécaire, reprit-il avec unprofond soupir. Je vais essayer de le join-dre; mais, je vous en supplie, père prieur,,je vous, en supplie, ne fermez,pas le cha-riot avant mon retour.^Ne pourrions-nous

y placer qu'un seul manuscrit, ce seroittoujours,.un de sauvé. Et dom Am-broisepartit, en recherchant dans sa jtête

à quel auteur U donneroit la préférence,

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LE NOVICE. l85

sile refusdel'abbé le réduisoitau malheurde choisir.

Tandis que ceci se passoit près de la

porte des écuries, dom Joseph parcouraità grands pas les cours extérieures. L'atéglacial qui l'environnoit ne parvenoicpoint à rafraîchirsa tête brûlante, et tousses membres trembloientmoins par l'effetdu froid que par celui d'une fièvre ar-dente, suite naturelle de la fatigue du

corps jointe à la peine d'esprit. La pâlelueur du jour qui alloit finir éclairait en-corelesvastesbâtimensdumonastère. Lestristes regards de l'abbé se promenoientsur ces murs, où s'étoient écoulées pourlui tant d'années de paix et de puissance.La grandeur, la magnificence des lieux

"qu'il lui falloit quitter, ajoutoit encore àl'amertume de son sort. Tout lui rappeloit'une foule de souvenirs, qui naguère flat-tbient son orgueil, et qui maintenant luifaisoient sentir toute la hauteur de sa

chute.- C'étoit dans ces vastes cours qu'ilS*

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•l86 LE. NOVICE.

avoit vu souven;t entrer les princes, lesrois, auxquels il donnoit asile, et qu'ilrecevoit en égaux. C'étoit dans cetteéglise,éclatante de richesses, que les plus puis-sants de ce monde s'étoient agenouillésdevant lui, pour implorer sa bénédiction.Cette église renfermoit la dépouille mor-telle de tous ses prédécesseurs; lui seuln'y recevrait pas la sépulture! Vivant,mort, dom Joseph n'alloit plus désormaisêtre placé que dans la foule! encore quel-

ques heures, et l'abbé de Saint-Paul ne

seroit plus qu'un infortuné religieux,soumis au chef de sa congrégation ! —Adieu Saint-Paul! disoit-il, adieu, séjouroù j'espérois avoir mon tombeau! demain

tu me verras partir, pour aller mendierl'asile que la pitié de l'abbé de Cluny vou-dra bien m'accorder. Demain, il me faud'pa

courber la tête sous un supérieur; vivre

sans pouvoir, que dis-je! sans liberté,

pas même celle d'honorer le Seigneur se-lon toute la sainteté de ma règle. Et tandis

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LE NOVIGE:. ;r8j7

.que ces voûtes vont retentir des.blasphè-

.mes de l'impie,, la voix arrogante d'unchef va me dicter des lois, des lpis aux-quelles il faudra me soumettre!.... Puis,

comme si l'excèsde la douleur qu'il éprou-voit l'eût effrayé : -^-Mon Dieu ! s'écria-t-il,

ne permettez pas que ma pensée s'arrêteaujourd'hui sur toute l'horreur du sortqui m'attend! ne permettez pas que je

me montre si foible devant ceux que j'aigouvernésjusqu'ici, et qu'ils puissent voirdom Joseph abattu, et versant des larmes,ainsi que font les femmes et \es enfants,!Daignez, mon Dieu! me laisser les forcesqui me sont nécessaires pour accomplirjusqu'au bout ma terrible mission! Sei-

gneur, Seigneur, ayez pitié de moi!L'abbé prononçoit ces mots d'une

voix déchirante, les mains jointes et lesregards élevés vers le ciel, avec la plusvive ferveur. Soit que cette prière eût étéexaucée

,soit que l'homme ait en lui une

force qui triomphe de tout, dès qu'il veut

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I&"8 LE NOVICE.

réellement l'employer,

dom Joseph par-vint à vaincre son désespoir ; l'angoissequi étoit venue le déchirer se calma peuà peu ; les idées qu'il repoussoit de toutela puissance de son âme cessèrent d'as-siéger son esprit, et il n'éprouva plusqu'une douleur vague qui lui permit,lorsqu'il vit arriver dom Ambroise, dedemander tranquillement au religieaxquel motif l'amenoit.

Dom Ambroiseluisoumiten tremblantl'idée qu'on avoit eue de s'adresser au'chef des' tard-venus pour sauver la bi-bliothèque. L'abbé l'approuva aussitôt:

— Vous' pouvez en prendre la clef, monfrère, ajouta-t-il; je la remettrai moi-même à sir Thomas, en le priant de

conserver un dépôt aussi précieux.

— Fasse le ciel qu'il s'y engage, et sur-tout qu'il tienne sa parole ! répliqua domAmbroise ; car on peut dire que ce serait

une perte immense pour toute l'Europe.Toutefois j si votre révérence l'approuve,

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LE NOVICE. 189

mon désir seroit d'emporter mon Histoirede Bourgogne, que j'ai presque déjà ter-minée.

— Vous le pouvez, mon frère:—Mon neveu pourroit aussi se charger

de notre Tite-Live et de notre Végèce ;car ils sont uniques en France.

— Ainsi que beaucoup d'autres de noslivres, répondit dom Joseph aussi tran-quillement que s'il n'eût pas eu d'autreidée que celle de la bibliothèque.

— Sans doute, reprit le religieux, et

de semblables pourceaux sont incapa-bles de sentir tout le prix de ces tré-sors.

-— On sonne pour compiles,

inter-rompit l'abbé, et c'est encore la clochede saint-Paul, dom Ambroise : nous nel'entendrons plus que trois fois.

Dans ce moment, deux frères convers,qui se rendbient à l'église, passèrent présde l'abbé, portant des torches allumées.-Dom Ambroise fut alors frappé de l'ex-

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JQO LE NOVICE.

trême altération des traits de- son supé-rieur. — Espérons mieux,, mon révérendpère

,répondit-il ; ma plus grande peine

est de voir que depuis trois jours vousn'avez pris aucun repos , et que votresanté...

— Je prendrai du repos à Cluny, ditdom Joseph d'une voix étouffée et brève.Venez

, mon frère.Dom Ambroise soupira profondément

et le suivit.En entrant dans l'église, l'abbé tres-

saillit à l'aspect de l'autel et des mursdégarnis; mais, rassemblant bientôt toutson courage ,

il entonna lui-même lestrois psaumes et l'hymne de cette heureavec une onction plus grande, s'il estpossible, que celle qu'il montrait habi-tuellement, Les riches flambeaux ayanttous été emportés, quelques torcheséclairaient cette scène de désolation et larendoient encore plus lugubre. Les hom-

mes d'armes du monastère, délivrés des

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LE NOVICE. igi

;soins qui les âvoient occupés -jusqu'alors,

.remplissoient le, fond de l'église,, selonl'ordre qu'ils, eh avoient;r.eçu., et leursvoix éclatantes se joignoient à.la voix des

religieux. Après le Kyrie eleison, l'abbédonna sa bénédiction; puis, s'adressantà toute la communauté avec un accentferme, qui pourtant avoit quelque chosede douloureux : — La dernière journée

que nous passons à Saint-Paul est écou-lée , mes frères, dit-il; puisse le sort quinous attend loin de ces murs être aussiheureux, aussi paisible que je l'ai tou-jours désiré pour vous ! C'est encorecomme votre abbé, comme votre chefici-bas que je vous engage à ne jamaisvous éloigner des saints devoirs prescritspar la règle. En quelque lieu que le ciel

vous conduise, montrez-vous les dignesenfants de notre bienheureux fondateur;respectez toutes ses lois

,même lorsque

vous, ne les verriez plus respectées autourde vous, et méritez ainsi que Dieu vous

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ÎO,2 LE NOVICE.

soutienne dans ce séjour de misère et dedouleur, jusqu'à ce qu'il daigne vous ap-peler dans un séjour plus heureux. Mes

' frères, mes chers frères, ajouta-t-il d'unevoix attendrie, priez pour vous, priez

pour moi.A ces mots, les religieux, les frères

convers, les sergens d'armes se précipi-tèrent à genoux, et jamais les temples lesplus somptueux n'entendirent s'exhalerde prières aussi ferventes. Mais que de-vint-on

,lorsque l'oraison terminée, on

attendit en vain que l'abbé fît le signe

pour qu'on se relevât ! lorsqu'on vit quelui-même ne se relevoit point ! Durantquelques moments on supposa qu'il s'a-dressoit encore à son Dieu ; enfin deux

ou trois religieux s'approchent, l'appel-lent, soulèvent son corps... L'âme avoitrejoint son créateur.

Au cri épouvantable qui se fit enten-dre alors, un des frères

,dont les cori-

noissances en médecine pouvoient être

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LE NOVICE. ig3de quelque secours ,

s'élance, accourt;

mais, après avoir reconnu tous les symp-tômes d'une apoplexie foudroyante:—Ilest mort, dit-il a voix basse.

— Mort ! mort ! s'écrie-t-on de toutesparts ,

et la foule se précipite vers l'autel.Tous veulent revoir celui qui leur parloitencore il y a si peu d'instans

, tous veu-lent s'assurer de leur malheur. Les gé-missemens, les cris, les sanglots éclatent

avec une si grande violence, que lesvoûtes de l'église en sont ébranlées.

— C'est nous qui l'avons tué ! dit leprieur en se frappant la poitrine.

— Oui ! oui ! c'est vous qui l'avez tué !

s'écrie le novice hors de lui-même ; Dieu

ne vous le pardonnera pas. Le troubleétoit si grand, le désespoir si général

,que ces mots furent à peine entendusRobert, en les prononçant, s'étoit préci-pité sur ce corps inanimé ; ses cris , sessanglots avoient quelque chose d'ef-frayant. Il appeloit dom Joseph, il le sup-

i. 9

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194 LE NOVICE.

plioit de. le bénir encore Vous pleurez,disoit-ilaux religieux; c'étoit notre sang,tout notre sang que nous devions don-

ner pour lui. Je vous ai offert le mienf

mon père ! vous l'avez refusé... vous melaissez ! vous laissez celui que vous appe-liez votre enfant ! votre cher enfant !... A

ce touchant souvenir,

l'angoisse du no-vice devint si vive, qu'il resta commeprivé de mouvement, les lèvres impri-mées sur la froide main du cadavre.

—Hélas'! dit dom Ambroise, dont les

larmes sillonnoient les joues, le Seigneur

a exaucé ses désirs ; il est mort abbé deSain t-Paul !

— Et tous les devoirs lui seront ren-dus comme tel, s'écria le prieur, exalté

par le désespoir. Il reposera dans cetteéglise, où sa voix, il y a peu d'instants,implorait encore-le ciel pour nous tous.Mes frères, nous n'avons plus que ce

moyen d'expier une désobéissance qui lui

coûte la vie. Consacrons cette nuit en-

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LE NOVICE. IQO

tière aux soins pieux que réclame sadépouille mortelle, et demain déposons

ses nobles restes près de ceux des abbésde Saint-Paul, dussent les scélérats quinous environnent nous surprendre etnous frapper sur sa tombe.

Ce mouvement du prieur se communi-qua à toutes les âmes avec une rapiditéélectrique.

— Oui ! oui ! s'écrièrent ces mêmeshommes qui la veille se montraient- sipusillanimes, plus de craintes! plus deterreurs! ne songeons qu'à ce qu'on luidoit. Qu'ils viennent les assassins !

— Du haut du ciel qu'il habite, il nousprotège encore,'.reprit le prieur. Alorsles trois- premiers officiers claustrauxet lui s'approchèrent avec respect du ca-davre, et le transportèrent dans la grandesalle du chapitre.

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CHAPITRE XII.

Cet autel dont les fronts ont creuse'les parois,Ces murs que la prière a perce's tant de fuis ,L'ombre enfin du Très-Haut, sur ceB lieux répandue,Tout e'toiine, attendritson âmeconfonduc.

LAMARTINE.

LE novice demanda instamment qu'illui fût permis de passer la nuit en prièredans la salle où l'on venoit de placerl'abbé revêtu de ses plus riches vêtemens

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LE NOVICE. I97pontificaux. On le lui accorda d'autantplus volontiers, que les religieux

,bien

loin de conserver aucun ressentiment desdiscours qui lui étoient échappés dansle premier transport de son désespoir,luitémoignoientla plus grande tendresse.L'affection qu'avoit toujours eue l'abbépour ce jeune homme s'étant encoreaccrue dans les derniers jours de sa vie,devenoit alors un titre sacré à l'affectiongénérale, et on respectoit sa mémoiredans celui qu'il avoit aimé en véritablepère. De même George, les sergentsd'armes, se voyoient traités avec les plusgrands égards, par la seule raison qu'ilsavoient pensé comme lui, tant étoit vif lerepentir qui se mêloit à la douleur des

pauvres frères, tant je ne sais quel senti-ment d'expiation remplissoit toutes lesâmes.

Durant toute la nuit dix religieux ve-noient se relever tour à tour pour veillerprès du corps et réciter les prières. Peu-

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I98 LE NOVICE.-

dant ce temps les sergeris d'armes s'occu-poient du soin de tendre.l'église en noir,et de l'orner aussi décemmentque les cir-constances le permettôient. Il avoit été dé-cidé que les funérailles n'auraient lieu quedeux heures après la naissance du .jour,non-seulement parce que les différentspréparatifsexigeoient du temps,mais aussi

parce que personne n'abordoit l'idée deremplir ce grand devoir plutôt que nel'ordonnoit la convenance, quelque chosequ'il pût en résulter. D'ailleurs la dou-leur générale étoit telle, que l'idéede l'en-trée des tard-venus dans le monastèrej^aroissoitneplus faire impression sur lesesprits; il sembloit que chacun eût rougidans un si triste moment de songer audanger qu'il pouvoit courir; et tous lesdevoirs qui dévoient précéder les funérail-les se remplissoient avec autant de zèle,d'ordre et derecueillement'qu'en un jourde sécurité.

Néanmoins , le prieur,

qui avoit

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LE NOVICE. I99pris aussitôt le gouvernement provisoiredu monastère, ainsi que Tordonnoit larègle, se trouvoit alors chargé du soinde veiller à la sûreté de tous les habitantsde l'abbaye. Il n'oublioit point qu'avantl'heure de midi les tard-venus se pré-senteraient pour occuper le monastère,

" et se hâtoit de tout disposer afin qu'aus-sitôt la triste cérémonie terminée, on pûtse mettre en route pour La Ferté, où lesreligieux comptaient passer la nuit sui-vante. Il ordonna aux sergents de portertoutes leurs armes dans le grand magasin,recommandant bien à chacun de n'engarder aucune. Quelques-uns de ces jeu-

nes gens paroissoient vouloir faire uneobjection ; mais le chasseur, élevantla voix d'un air terrible : -;—

En avant,dit-il

, et obéissez. N'étoit-cc" pas la vo-lonté de celui qui n'est plus là? Je vousréponds d'eux, mon révérend père, ajouta-t-il; il faut leurpardonner le chagrin qu'ils

ont de céder si tranquillement la place à

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300 LE NOVICE.

:ces vauriens, sans avoir essayé de lesfrotter ! Mais il ne faut plus penser à cela,tout est dit, et moi-même aujourd'hui je

ne suis plus en train de me battre. Ce futlui en effet qui surveilla le désarmement,prenant grand soin qu'il fût complet.

.

Au moment qui avoit été fixé pour lesfunérailles, les religieux, rangés autour ducercueil, récitoient encore les prières des

morts, lorsque la cloche, qui sonnoit sansrelâche depuis dix-huit heures, fit en-tendre le dernier signal. Alors le cortège semit en marche, et comme si chaque pasque l'on faisoit pour confier à la terre cesprécieux restes eût redoublé les regrets,les larmes et les sanglots recommencè-

rent , pour ne plus cesser, pendant toutle trajet du cloître à l'église.

La voix du prieur parvint toute-fois à se faire entendre, lorsqu'avant de

commencer l'office funèbre, il engageatous les assistans à contraindre les mar-ques d'une douleur trop vive, comme

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LE NOVICE. 301indignes du saint devoir dont on alloits'acquitter envers celui qui avoit toujours

-

donné l'exemple du courage et de la ré-signation. Ce respectable souvenir fitrégner aussitôt dans l'enceinte un dou-loureux silence, et pendant tout leservice, dont la célébration dura près dedeux heures, la douleur resta muette,même lorsqu'on vit retomber sur le cer-cueil la pierre sur laquelle on avoitgravé une épitaphe aussi vraie qu'elleétoit glorieuse, et qu'il ne resla plus riensur la terre du plus sage et du meilleurdes hommes.

Cette dernière et triste cérémonie s'a-chevoit à peine

,qu'un bruit épouvanta-

ble se fit entendre, et dans le même in-stant plusieurs soldats, brandissant leursarmes et poussant descris, se précipitèrentdans l'église.

— Arrêtez ! arrêtez ! cria Thomas Wal-ter qui marchoit à leur tête. Us ne sont

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202 LE NOVICE.

point partis, ils sont occupés de funé-railles.

A sa voix, ceux qui étoient encore de-hors obéirent, et lui seul s'avança vers lesreligieux.

Où est l'abbé ? dit-il avec colère.

— Là,

répondit le prieur,

montrantla pierre que l'on venoit de placer.

Sire Thomas pâlit et resta quelquesinstants sans pouvoir parler.—Pourquoi,dit-il enfin d'une voix altérée, pourquoine m'avez-vous pas tenu la parole qu'ilm'avoit donnée? pourquoi mes gens en-trent-ils ici par la brèche ?

.

— L'heure convenue est à peine expi-rée

,répondit le prieur, nous allions par-

tir et vous ouvrir les portes ; mais il fal-loit avant.... Le regard qu'il jeta sur latombe acheva sa phrase, et n'exprimaque trop la douleur qu'il ne pouvoit maî-triser.

— Il suffit, reprit Walter doucement.Votre abbé étoit un brave homme, et en

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LE NOVICE. 2.o3

considération de sa mémoire,je vous offre

ce que je lui avois offert à lui-même. Ren-fermez-vous tous dans votre cloître, surma parole de chevalier que vous n'y serezpoint troublés. Nous nous contenteronsd'occuper les autres bâtiments.

— Tous nos préparatifs sont faits,sire Thomas, répondit le prieur; mais si

vous voulez nous servir, protégez notredépart.

— Soyez-enbien certain, répliqua Wal-ter, dont l'air chagrin et embarrassé an-nonçoit un homme fort éloigné d'avoirl'âme en paix. Je voudrais..., je voudrais,ajouta-t-il en rougissant, et avec une viveémotion, servir vos frères et vous, en toutce qui dépendra de moi.

Nos passions, nos goûts dominantsnoussuivent jusqu'au sein des plus grandesdouleurs. Quoique aussi affligé qu'il estpossible de l'être, dom Ambroise ne putentendre ces mots sans approcher douce-

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204 LE NOVICE.

nient de son supérieur, et lui dire tout

bas : La bibliothèque ?

Le prieur crut devoir en effet pro-fiter à cet égard de la bonne volonté de

sire Thomas.

— S'il vous étoit possible, lui dit-il aus-sitôt, de conserver nos manuscrits, nousen serions reconnoissants,ainsi que tousles hommes instruits de l'Europe. Notrebibliothèque donne d'un côté dans lasalle d'armes;jevous en remettrai les clefs,afin que vous puissiez vous assurer qu'elle

ne renferme autre chose que des livres.

—Gardez ces clefs, mon père

, et, parmes éperons de chevalier ! comptez qu'àvotre retour vous ne trouverez pas unefeuille de moins.

Le prieur s'inclina ; il alloit s'éloi-

gner, sire Thomas fit quelques pas verslui : — Prenez tout le temps qui vous estnécessaire

,dit-il ; ou plutôt, mon père,

réfléchissez à ma proposition et ne quittezpoint votre abbaye.

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LE NOVICE..-

"' 205

Le religieux ne répondit à cette secondéinstance qu'en jetant un regard rapide

sur une douzaine de tard-venus quiétoient restés dans la nef.

—Avant une

heure nous serons partis, répondit-il ensoupirant, n'emportant rien du monas-tère que les ornements sacrés. Jusque làtout.me fait espérer, sire Thomas, quevous voudrez bien retenir votre troupedans les cours.

.

Le chef fit un mouvement de tête, ensigne de consentement ; tandis qu'il fixoit

sur la terre ses yeux mornes et abattus.Le prieur alors le saluant de nouveau,s'avança vers la petite porte de l'é-glise qui communiquoit directementavecle cloître, et sortit, suivi de tout sonmonde.

Sire Thomas resta assez long-temps im-mobile à la même place, fixant un regardsombre sur la tombe de dom Joseph. Lafierté habituelle de sa contenance avoitdisparu

, et peu à peu son bras laissa

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20Ô LE- NOVICE.

échapper le fer dont!iP étoit' armé. Ceuxde ses gens qui se tenoient encore der-rière lui à peu de distance le virent fairequelques pas vers l'autel

, et ployer le

genou, comme s'il eût voulu prier; maisil se retourna tout à coup ,

releva songlaive, et s'élança hors deféglise en mur-murant lé mot de profanation.

Les tard-venus alors remplissoient les

cours, attendant impatiemment que leurchef levât la défense d'entrer dans les bâ-timents; défense qu'avoit indiquéed'abordlaprud'ence,puisqu'après s'êtrevainementprésentés- devant le pont-levis à l'heure

convenue, les assiégeants, qui n'avoient

pas tardé à s'ouvrir un autre passage enfaisant une brèche aux murs, ignoraientencore si le monastère étoit habité ounon , et surtout en quel nombre et dequelle espèce étoient les habitants-. Latroupe entière s'étoit donc avancée enmasse jusqu'à la grande porte de l'église,où-Walter i'avoit arrêtée, comme on vient

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LÉ NOVICE. 207de le voir. Tous attendoient qu'il ressortît

pour recevoir ses ordres, et pour savoirenfin s'il falloit se battre ou jouir en paixdes biens que renfermoit le monastère.Dès qu'il reparut, chacun apprit avec joie

que les religieux alloient partir, et qu'onrestoit maître de l'abbaye ; car tel étoitl'esprit du temps, que pas un de ces ban-dits n'aurait désiré se voir contraint àporter une main sacrilège sur des hom-

mes consacrés à Dieu. Tous se félicitèrentde voir l'événement tourner ainsi; ensorte que sire Thomas obtint sans peine,dès qu'il'vit paraître les religieux, quenul n'insulterait à leur malheur et à lasainteté de leur caractère.

La troupe s'ouvrit aussitôt pour faire

passage, et se rangea des deux côtés de la

cour ,dans le plus grand silence. Une

centaine de religieux et de frères convers,marchant deux à deux, défilèrent les pre-miers ; ensuite venoient, clans le mêmeordre, les cinquante sergents d'armes, le

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208 LE NOVICE.

front sombre et le bras désarmé. C'étoit

au milieu d'eux qu'on avoit placé le cha-riot qui contenoit les ornements de l'é-glise, et que suivoient encore près decent religieux, le prieur marchant le der-nier.

FIN DU PREMIER VOLUME.

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DU MEME ATJTEEK.

AUGUSTE ET FRÉDÉRIC;

2 vol. m-12 : 6 fr.

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